Travaux sur les constructions irrégulières : premier infléchissement de la jurisprudence « Thalamy »
Si dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation l’administration saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble est tenue d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment, l’autorité compétente a toutefois la faculté, dans l'hypothèse d'une construction ancienne, à l'égard de laquelle aucune action pénale ou civile n'est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d'urbanisme applicables.
CE. 3 mai 2011, Chantal Gisèle A., req. n°320.545.
Voici un arrêt d’importance en ce qu’il marque un infléchissement du Conseil d’Etat dans la mise en œuvre la jurisprudence « Thalamy » (CE. 9 juillet 1986, Mme Thalamy, req. n°51.172).
Par principe, en effet, les constructions dépourvues d’existence légale – c’est-à-dire édifiées sans autorisation, en méconnaissance des prescriptions de l’autorisation obtenue ou en exécution d’une autorisation annulée ou retirée ou précédemment frappée de caducité – non seulement ne bénéficient pas du régime des travaux sur existant mais en outre ne sauraient faire l’objet de travaux sans avoir été précédemment ou être concomitamment régularisées.
Ainsi, lorsqu’une construction dépourvue d’existence au regard du droit de l’urbanisme n’a pas été précédemment régularisée, les travaux projetés sur celle-ci doivent normalement donner lieu à une autorisation portant non seulement sur ces travaux mais également sur cette construction et ce, comme si celle-ci constituait un ouvrage à réaliser (CE.12 mars 1990, M. Serais, req. n°80.401) ; cette régularisation devant être possible au regard des normes alors en vigueur et non pas en considération de celles applicables à l’époque de la réalisation des travaux litigieux (CAA. Marseille, 28 décembre 1996, SCI La Ferrusse, req. n°98MA02687).
Cette règle s’applique tant s’agissant des travaux projetés sur une construction en elle-même dépourvue de toute existence légale qu’à l’égard de ceux portant sur une construction initialement régulière mais ayant ensuite fait l’objet de travaux non autorisés ; pour autant, bien entendu, que la construction initiale (CE. 15 mars 2006, Ministère de l’équipement, req. n°266.238) ou les travaux ultérieurs dont elle avait déjà fait l’objet étaient effectivement soumis à autorisation à la date de leur réalisation (CE. 9 juillet 1993, M. Pontier, req. n°99755). Surtout, dès lors qu’une telle autorisation était requise au moment de l’exécution des travaux, la construction résultant de ceux irrégulièrement réalisés doit en principe être régularisée et ce, quelle que soit l’importance de la construction initiale, son ancienneté ou la nature des travaux projetés sur celle-ci (CE. 28 octobre 1987, Mme Christiane X., req. n°61.223).
Pendant longtemps, cette règle de principe n’a connu aucune exception avant que le législateur n’introduise la « prescription décennale » prévue par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme.
Mais précisément, l’apport de l’arrêt commenté est d’opérer une exception à la jurisprudence « Thalamy » dont le champ d’application non seulement est indépendant de l’article précité mais en outre va pour partie au-delà de ce dispositif.
Il faut en effet relever que la première décision en litige dans cette affaire (la seconde n’étant qu’une décision confirmative) datait du 30 juin 2006 et était donc antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme introduit par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006. De ce fait, et en toute hypothèse, cet article n’était donc pas opposable à la décision contestée (CAA. Marseille, 31 décembre 2007, Cne d’Egalyères, req. n°05MA02836).
Mais surtout, l’exception introduite par l’arrêt commenté est susceptible d’être mise en œuvre « dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ».
Le Conseil d’Etat n’a donc opéré aucune distinction quant à la nature de l’autorisation à laquelle étaient assujettis les travaux. De même, il ne semble y avoir aucune distinction à faire selon que l’irrégularité des travaux procède de ce qu’aucune autorisation n’ait jamais été délivrée ou de ce que l’autorisation au titre de laquelle les travaux ont été réalisés a ultérieurement été annulée ou retirée.
Partant, cette exception semble donc pourvoir s’appliquer en toute hypothèse, y compris donc lorsque la construction initiale était assujettie à permis de construire et qu’aucun permis de construire n’a jamais été obtenu alors que pour sa part l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme exclut notamment du bénéfice de la prescription décennale qu’il prévoit le cas où « la construction a été réalisée sans permis de construire ».
Il reste qu’a contrario, là où l’article précité ne prévoit aucune limite quant à l’importance et la nature des travaux susceptibles d’être exécutés sur une construction initialement illégale dès lors que celle-ci bénéficie de la prescription décennale qu’il prévoit, l’arrêt commenté limite les travaux qui sont susceptibles d’être exécutés à ce titre sur l’immeuble à « ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes ».
Il s’agit là de la première difficulté générée par le champ d’application de l’exception introduite par l’arrêt commenté puisque l’on ne sait ce qu’il faut entendre par « respect » des normes, ni de quelles « normes » il s’agit.
Il reste que cette exception a vocation à s’appliquer lorsque la construction initiale ne peut « plus être régularisée au regard des règles d'urbanisme applicables ». Or, si cette régularisation n’est pas possible, c’est par définition que la construction ne peut pas respecter les normes d’urbanisme applicables.
Il pourrait donc s’agir de normes de construction nécessaires à la préservation de l’immeuble ; ce qui reste à confirmer puisqu’en principe le respect de telles normes n’a pas vocation à être sanctionné par les autorisations d’urbanisme.
Mais la mise en œuvre de l‘exception introduite par l’arrêt commenté génère également de nombreuses interrogations et difficultés.
Tout d’abord, il faut relever que si le Conseil d’Etat a rappelé que par principe l’administration saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble « est tenue » d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment, il a revanche précisé que l’administration n’a que « la faculté » d’autoriser les travaux nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes.
A priori, l’administration n’est donc pas nécessairement tenue de mettre en œuvre cette exception et peut donc s’en tenir à une application pure et simple de la jurisprudence « Thalamy ».
En outre, cette faculté a vocation à être exercée au cas par cas, au gré de l’examen des demandes d’autorisation d’urbanisme alors que s’il est possible d’assouplir la règle de principe posée par la jurisprudence « Sekler » – applicable aux immeubles légalement édifiés mais n’étant plus conformes aux règles local d’urbanisme applicables aux travaux ultérieurement projetés sur celui-ci – cette assouplissement doit résulter du document d’urbanisme lui-même et, le cas échéant, doit alors être mis en œuvre par l’autorité administrative.
En second lieu, pour que l’administration puisse légalement mettre en œuvre l’exception introduite par l’arrêté commenté deux conditions doivent être réunies.
D’une part, l’autorité administrative doit apprécier « les différents intérêts publics et privés en présence » et doit donc mette en œuvre une forme de « théorie du bilan » pas si éloignée de celle mise en œuvre par le juge administratif pour apprécier l’urgence à suspendre un permis de construire.
Reste cependant à savoir si l’intérêt public doit justifier la mise en œuvre de cette exception ou s’il est seulement requis que l’intérêt public ne s’y oppose pas.
Dans la mesure où les intérêts privés vont naturellement dans le sens de la mise en œuvre de cette exception et où il s’agit de les mettre en balance avec les intérêts publics en présence, on peut donc penser qu’il est seulement nécessaire que l’intérêt public ne s’oppose pas à la réalisation des travaux en cause.
Mais dès lors force est d’admettre que rares seront les cas où l’intérêt public s’oppose à la préservation d’un immeuble et surtout au respect des normes.
D’autre part, il est nécessaire qu’il s’agisse d’une construction « à l'égard de laquelle aucune action pénale ou civile n'est plus possible ».
La mise en œuvre de cette exception implique donc que l’administration soit en mesure d’apprécier si les actions pénales et civiles possibles sont ou non prescrites ; sans compter que si à la date à laquelle l’administration est saisie d’introduction de telles actions n’apparait plus possibles, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent déjà avoir été précédemment introduites sans que l’administration n’en ait connaissance.
En dernier lieu, il faut relever que l’arrêt commenté énonce que « dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, l'autorité administrative, saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble, est tenue d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment ; que dans l'hypothèse où l'autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité parce que la construction dans son entier ne peut être autorisée au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de sa décision ».
S’il ne couvre vraisemblablement pas que celle-ci, il envisage néanmoins l’hypothèse où, d’une part, la demande ne porte pas sur l’ensemble de l’immeuble et où, d’autre part, cette immeuble ne peut pas être régularisé.
Saisie d’une demande et d’un dossier ne portant que sur les nouveaux travaux projetés, et non pas donc sur l’ensemble de l’immeuble, l’administration doit donc néanmoins examiner l’ensemble de la construction pour apprécier si elle peut ou non être régularisée dans son ensemble.
D’ailleurs, sur ce point il faut relever une particularité : rendue à propos d’une déclaration de travaux le considérant de principe de l’arrêt commenté vise uniquement le cas où « l'autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité ».
S’il l’on voit mal pourquoi il faudrait exclure du bénéficie de cette exception la déclaration préalable, il n’en demeure pas moins qu’il est pour le moins difficile d’apprécier la propension d’une construction à être régularisée dans son ensemble au vu des seules pièces d’un dossier déclaratif.
Mais quoi qu’il en soit si cette régularisation n’apparait pas possible, et que les conditions requises à cet effet sont réunies, l’administration a alors la faculté « d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes ».
Il s’ensuit que l’autorité compétente a vocation à mettre en œuvre l’exception introduite par l’arrêté commenté dès la décision prise sur la demande initiale dont elle est saisie.
Il ne lui incombe donc pas de rejeter la demande en indiquant au pétitionnaire qu’il lui serait en revanche possible de présenter une demande se limitant aux travaux éventuellement nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes.
Saisie d’une demande portant sur un ensemble de travaux, l’administration doit donc faire le tri entre ceux nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes et ceux qui ne tendent pas à la réalisation de cet objectif ; sans compter que l’on peut se demander dans quelle mesure ce tri doit avoir une incidence sur la nature de l’autorisation à délivrer et/ou sur les modalités d’appréciation de sa régularité procédurale lorsque la demande est une demande de permis de construire alors que les seuls travaux susceptibles d’être autorisés relèvent du champ d’application de la déclaration préalable.
En revanche, si l’on s’en tient à l’hypothèse visée par l’arrêt commenté, il semble que l’exception qu’il introduit se limite au cas où l’immeuble existant ne peut pas être régularisé.
Si cette régularisation apparait possible l’administration devrait donc purement et simplement rejeter la demande en invitant le pétitionnaire à présenter une demande portant sur l’ensemble de l’immeuble ; le pétitionnaire devant alors espérer qu’au vu un tel dossier, l’administration n’opère pas une appréciation différente de la propension de l’immeuble à être régularisé…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés