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Sur les contours de la jurisprudence « Thalamy »

Dès lors que les travaux projetés portent sur un ouvrage physiquement dissocié d’une construction illégale, le permis de construire s’y rapportant n’a pas à porter également sur celle-ci aux fins de la régulariser.

CAA. Marseille, 15 mai 2008, Cne de Fuveau, req. n°06MA00807 & CAA. Nancy, 26 juin 2008, M. Aloyse X…, req. n°07NC00436


Voici deux arrêts intéressant en ce qu’ils illustrent les contours de la jurisprudence dite « Thalamy » (CE. 9 juillet 1986, Thalamy, req. n°51172) dont on rappellera, une nouvelle fois, qu’en substance et sous réserve de la prescription décennale introduite par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme issu de la n°2006-872 du 13 juillet 2006, les travaux se rapportant à une construction illégale – c’est-à-dire édifiée sans autorisation, en méconnaissance des prescriptions de l’autorisation obtenue (voir cependant ici) ou en exécution d’une autorisation ultérieurement annulée ou retirée ou précédemment frappée de caducité (sur la charge de la preuve, voir ici) – ne sauraient être autorisés sans que cette dernière ait été précédemment ou soit concomitamment régularisée (sur la question des ouvrages inachevés, voir ici et ).

Il faut cependant rappeler que dès l’origine le Conseil d’Etat a systématiquement souligné que cette règle impliquait que l’administration « ne pouvait légalement accorder un permis portant uniquement sur un élément de construction nouveau prenant appui sur une partie du bâtiment » illégal.

Il reste que ce n’est que tardivement que la Haute Cour a été amenée à faire une application significative de cette « précision » permettant d’affirmer qu’il ne s’agissait pas que d’une clause de style en jugeant que :

« Considérant que si, dans le cas où un immeuble est édifié en violation des prescriptions du permis de construire, un permis modificatif portant sur des éléments indissociables de cet immeuble ne peut être légalement accordé que s'il a pour objet de permettre la régularisation de l'ensemble du bâtiment, une telle exigence ne trouve pas à s'appliquer dans le cas où le permis de construire initial concerne plusieurs immeubles distincts et où la modification demandée ne concerne pas ceux de ces immeubles qui ont été édifiés en violation de ce permis de construire ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que la légalité du permis de construire modificatif du 18 mai 1994 n'était pas subordonnée à la régularisation de la situation des deux immeubles en cause dès lors que les travaux autorisés par ce permis étaient étrangers à l'éventuelle irrégularité de la construction de ces deux immeubles » (CE. 25 avril 2001, Ahlborn, req. n° 207.095) ;

et, en d’autres termes, que la règle posée par la jurisprudence « Thalamy » n’est pas opposable lorsque les travaux projetés portent sur un ouvrage dissociable de la construction illégale.

Les deux arrêts objet de la note de ce jour illustrent « l’exception » résultant de la jurisprudence « Ahlborn ».

Dans la première affaire la décision attaqué était un refus de permis de construire précisément motivé sur la jurisprudence « Thalamy ». Mais le pétitionnaire devait, toutefois, contester cette décision et l’application ainsi faite de cette jurisprudence dans la mesure où son projet portait sur le changement d’un local séparé des constructions irrégulières en cause par un autre ouvrage. Et la Cour administrative d’appel de Marseille devait donc suivre cette argumentation en jugeant que :

« Considérant qu'à l'appui de sa requête, la COMMUNE DE FUVEAU soutient que c'est à tort que les premiers juges ont considéré que la demande de permis de construire déposée par la société Fre-Lau pouvait ne pas porter également sur les parties du bâtiment construites sans autorisation d'urbanisme, dès lors que les travaux projetés par ladite société s'incorporaient dans l'unité foncière dont dépendaient les constructions irrégulièrement édifiées ; qu'il ressort toutefois des pièces du dossier que le local susmentionné dont le changement de destination a fait l'objet de la demande de permis de construire est séparé de la terrasse du restaurant et des deux bâtis, respectivement situés en façade sud et en façade est, construits sans autorisation, par la partie du bâtiment réservée à l'habitation de la propriétaire des lieux ; que, dans ces conditions et nonobstant la circonstance que ledit local appartienne à l'unité foncière dont relèvent les éléments non autorisés sus-évoqués, les premiers juges ont pu, à bon droit, considérer que, d'une part, le maire de Fuveau n'était pas tenu de s'opposer aux travaux projetés dès lors que ces derniers apparaissaient, dans les circonstances de l'espèce, suffisamment dissociables et ne comprenaient aucun ouvrage prenant appui sur une partie des constructions édifiées irrégulièrement et que, d'autre part, le maire ne pouvait davantage exiger la production, à l'appui de la demande de permis de construire, d'une autorisation d'occupation du domaine public concernant la terrasse du restaurant ».

Dans la seconde affaire, la décision contestée était un permis de construire autorisant l’édification d’un local sprinkler et d’une cuve attenante dont les requérants contestaient la légalité au motif que cette autorisation de régularisait pas le bâtiment industriel dont les ouvrages projetés intéressaient l’exploitation et le fonctionnement. Mais la Cour administrative d’appel de Nancy devait rejeter ce moyen en jugeant que :

« Considérant, en dernier lieu, que si le requérant soutient que le permis de construire litigieux constituerait une régularisation irrégulière de permis de construire d'un bâtiment industriel délivrés en 1988 et 1992, et ultérieurement annulés par jugement du Tribunal administratif de Strasbourg confirmé par la cour, en tant que la construction en cause constituerait un aménagement ou un élément indissociable du bâtiment préexistant et qu'il aurait ainsi appartenu au propriétaire de présenter une demande portant sur l'ensemble constitué par ce bâtiment et les nouvelles constructions, le «local sprinkler» et la cuve y attenante, au demeurant séparés physiquement dudit bâtiment par un espace de 60 cm de largeur, constituent une construction nouvelle et non une transformation du bâtiment préexistant voisin ; qu'il s'ensuit que le moyen doit être écarté »

Mais en l’état, ce qui nous semble ainsi le plus intéressant tient à ce que ces deux arrêts, combinés à la jurisprudence « Ahlborn », tendent à confirmer que la jurisprudence « Thalamy » a – en ce qu’il en résulte que l’administration ne peut « légalement accorder un permis portant uniquement sur un élément de construction nouveau prenant appui sur une partie du bâtiment » illégal – doit faire l’objet d’une application stricte impliquant que l’indissociabilité des ouvrages considérés doit s’apprécier d’une façon spécifique et distincte de la notion d’indivisibilité utilisée, principalement, pour déterminer si le projet en cause doit ou non relever d’un permis de construire unique.

Dans ces trois affaires, en effet, l’application du principe posée par la jurisprudence « Thalamy » a été écarté du seul fait que les ouvrages objets des décisions contestées étaient physiquement séparés des constructions illégales en cause.

Or, au regard du droit commun des autorisations de construire, la notion d’immeuble(s) indivisible(s) et donc indissociable(s) procède de considérations plus étendues que celles tenant au seul point de savoir si les bâtiments en cause sont on non matériellement distincts puisque que des bâtiments physiquement dissociables et ne prenant pas appui l’un sur l’autre peuvent néanmoins former un tout indivisible non seulement lorsqu’ils sont liés entre eux par des équipements communs (tel un parc de stationnement : CE. 1er décembre 1995, M. Ménager & Autres, req. n° 137.832) ou par un autre ouvrage (tels une terrasse ou un muret : CE. 17 novembre 2003, Bontemps, req. n°242.282) mais encore du simple fait qu’ils se rapportent au fonctionnement d’un même ensemble (pour exemple : CE. 26 mars 1997, ADLA, req. n° 172.183).

Néanmoins, les contours de la jurisprudence « Thalamy » ne doivent pas non plus être appliquée d’une façon excessivement stricte et amener à conclure que dès lors que les travaux projetés ne prennent pas directement appui sur une composante illégale d’un bâtiment mais touchent uniquement à une composante régulière de celui-ci, le principe posée par cette jurisprudence est inapplicable puisque la Cour administrative d’appel de Nantes a pour sa part jugé que :

« Considérant que les deux extensions litigieuses, d'une surface hors oeuvre nette totale de 130 m², réalisées sur la maison de M. et Mme X, méconnaissaient les dispositions précitées de l'article NH 2 du règlement du plan local d'urbanisme applicables à la date du 8 juin 2004 du permis de construire contesté ; qu'il ressort des pièces du dossier que le projet d'extension autorisé par ce dernier permis de construire, s'il ne prend pas directement appui sur l'élément de construction réalisé sans autorisation au nord-est de la maison d'habitation, n'en forme pas moins, avec cet élément de construction, un tout indissociable de la maison d'habitation, pour l'appréciation de la surface hors oeuvre brute limite autorisée par les dispositions précitées de l'article NH 2 du règlement du plan local d'urbanisme ; que, par suite, il appartenait à M. et Mme X de présenter une demande de permis de construire permettant la régularisation de l'ensemble des éléments de construction constituant ces extensions ; que, dès lors, le maire d'Iffendic ne pouvait légalement accorder à M. et Mme X un permis de construire en vue de la régularisation de la seule extension de 57 m² édifiée au sud-ouest de leur maison d'habitation » (CAA. Nantes, 28 décembre 2006, M. & Mme X., req. n°06NT00016) ;

la Cour administrative d’appel de Marseille ayant elle-même précédemment jugé que :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier (...) que, MM. X et M. Y sont fondés à soutenir que le deuxième niveau abritant le restaurant panoramique constitue un élément de construction présentant un caractère irrégulier ; qu'il ressort, en outre, des pièces du dossier que les travaux autorisés par le permis de construire en litige du 18 août 1999 portent sur un bâtiment existant qui, s'il comporte plusieurs ailes, constitue un seul bâtiment ; que les travaux de création de la terrasse Est autorisés par le permis de construire contesté prennent appui sur le premier niveau du bâtiment existant, qui est surmonté du deuxième niveau susévoqué, abritant le restaurant dit des invités avec lequel il constitue un élément de construction indissociable ; qu'il suit de là que la demande de permis de construire ici en cause devait porter également sur la régularisation du deuxième niveau réalisé irrégulièrement sans permis de construire ainsi qu'il a été dit ci-dessus ; qu'il ressort des pièces du dossier que la demande n'avait pas cet objet ; que, par suite, MM. X et M. Y sont fondés à soutenir qu'en délivrant le permis de construire en date du 18 août 1999, le maire de la Ville de Marseille a entaché sa décision d'excès de pouvoir ; qu'alors même que les autres travaux visés dans la demande de permis de construire ne porteraient pas sur l'élément de construction édifié irrégulièrement, l'illégalité du permis de construire entachant la réalisation de la terrasse Est est de nature, en raison de l'indivisibilité du permis de construire portant sur un seul bâtiment, à entraîner l'annulation totale du permis contesté du 18 août 1999 ; que, par suite, ce moyen est de nature à entraîner l'annulation du permis de construire contesté » (CAA. Marseille, 31 mars 2005, M. Bernard X., req. n°00MA01463).

En résumé, dès lors que les travaux projetés portent sur un bâtiment physiquement distincts d’une construction illégale il n’y pas lieu de régulariser cette dernière (voir également: TA. Amiens, 20 mai 2008.pdf req. n° 06-01597) mais, en revanche, dès lors qu’ils portent sur un bâtiment dont une des composantes est illégale, le permis de construire s’y rapportant doit nécessairement régulariser celle-ci même s’il se borne à autoriser des travaux prenant appui sur les composantes régulièrement édifiées de cet immeuble.


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet Frêche & Associés

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