Dès lors qu’au regard de sa mission statutaire, les intérêts défendus par l’association requérante sont susceptibles d’être lésés par l’autorisation d’exploiter délivrée au titre de la législation classée pour la protection de l’environnement, cette association est dépourvue d’intérêt à agir à l’encontre du permis de construire se rapportant au projet.
TA. Rennes, 14 mai 2009, Association de défense de la Basse-Vallée de l’Aff, req. n°0901557-1 (ordonnance de référé.pdf).
Dans cette affaire l’association requérante avait introduit un recours en annulation puis une requête en référé suspension à l’encontre d’un permis de construire des entrepôts liés à une usine de production ; l’ensemble étant soumis à autorisation d’exploiter au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement.
Mais cette requête devait être rejeté pour défaut d’intérêt à agir, le juge des référés estimant « qu’eu égard à la généralité de son objet statutaire et au ressort géographique dans lequel elle intervient, l’association requérante ne justifie ainsi pas d’un intérêt lui donnant qualité pour demander l’annulation de l’arrêté attaqué par lequel le Maire de Cournon a accordé un permis de construire à la société Knauf Ouest, dès lors qu’à la différence de l’autorisation délivrée au titre de la législation sur les installations classées, ledit permis n’est susceptible de porter atteinte aux intérêts principalement environnementaux que l’association s’est statutairement donnée pour mission de défendre ; que par suite les conclusions à fin de suspension dudit arrêté sont irrecevables ».
En substance, le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a donc rejeté la requête comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir en considération de la généralité des missions statutaires de l’association requérante, de son ressort géographique d’intervention et, plus spécifiquement, de la spécialité de sa mission.
Il faut en effet rappeler que l’intérêt à agir d’une association à l’encontre d’une décision administrative est exclusivement apprécié au regard de l’objet social de l’association requérante et non des moyens qu’elle entend développer pour sa réalisation (voir en ce sens : CE. 29 janvier 1988, Association « Segustero », Rec. , p. 947) et qu’à ce titre, il est notamment exigé que l’association ait une mission statutaire suffisamment précise et limitée – tant d’un point de vue matériel que géographique (CE. 26 juillet 1985, URDEN, Rec., p.251) – et que l’intérêt que cette mission révèle soit en rapport direct avec ceux que la décision attaquée est susceptible de léser (CE. 24 novembre 1961, Synd. Commissaire adjoint – Préfecture de police, Rec., p.656 ; CE. 13 mars 1987, Sté Albigeoise de Spectacles, Rec., p.97).
Or, en l’espèce, non seulement les missions statutaires de l’association requérante étaient pour le moins larges et imprécises mais, en outre, l’intérêt que ses statuts révélaient n’était pas de ceux susceptibles d’être lésés par un permis de construire.
En effet, si l’association requérante avait notamment pour objet statutaire «d’agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l’environnement, de l’aménagement harmonieux et équilibré du territoire et de l’urbanisme ainsi que de défendre en justice ses droits et intérêts », il reste qu’aux termes de l’article 1er de ses statuts, sa mission était la suivante :
« L’association a pour objet de protéger, de conserver et de restaurer les espaces ressources, milieux et habitats naturels, les espèces animales et végétales, la diversité et les équilibres fondamentaux écologiques, les eaux, l’air, les sols, le sous-sol, les sites, les paysages et le cadre de vie, le patrimoine culturel et historique, de lutter contre les risques, pollutions (thermiques, chimiques, magnétiques, etc.) et nuisances (bruit, lumière, vibrations, odeurs, etc.), générées notamment par les installations classées, contre l’aliénation des chemins ruraux et de randonnée, de promouvoir la découverte et l’accès à la nature et, d’une manière générale, d’agir pour la sauvegarde de ses intérêts dans le domaine de l’environnement, de l’aménagement harmonieux et équilibré du territoire et de l’urbanisme ainsi que de défendre en justice ses droits et intérêts, l’association entend également s’intéresser à tout ce qui concerne l’utilisation des ressources naturelles et qui amènerait les citoyens à devenir des « usagers » ou « consommateurs » de l’environnement.
A ce titre, l’association entend promouvoir le respect des préoccupations environnementales dans, notamment, les contrats administratifs (délégations de service public, marchés publics, etc.), la gestion des propriétés publiques, la commercialisation des ressources naturelles, la politique des transports, celle de l’énergie, l’agriculture, le tourisme, l’alimentation et les médias.
L’association entend par ailleurs défendre le respect de la condition animale, qu’il s’agisse des animaux domestiques ou sauvages.
L’association s’intéresse enfin aux questions environnementales lorsqu’elles concernent la santé publique. Cette problématique peut l’amener à se pencher sur des questions principalement liées à la santé publique, notamment sur les moyens de surveillance et prévention des crises sanitaires ».
Or, il est de jurisprudence constante qu’un objet statutaire d’une telle généralité ne saurait conférer intérêt à agir à l’encontre d’un permis de construire puisqu’à l’égard d’associations à l’objet pourtant plus restreints, le Conseil d’Etat a jugé, à titre d’exemple, que :
« Considérant que l’union régionale pour la défense de l’environnement, de la nature, de la vie et de la qualité de vie en Franche-Comté, pour demander l’annulation de l’arrêté en date du 2 octobre 1978 par lequel le maire de Luxeuil-les-Bains a accordé un permis de construire à la SCI Le Pasteur en vue d’édifier un immeuble à usage d’habitation et de commerce à Luxeuil-les-Bains, se prévaut de ce que sont objet social, tel qu’il figure à l’article 2 de ses statuts, porte notamment « sur tous les problèmes relatifs à l’urbanisme et à l’équipement en Franche-comté » ; que l’intérêt invoqué par l’association requérante n’est pas de nature à lui donner qualité pour demander l’annulation de l’arrêté ci-dessus analysé » (CE. 26 juillet 1985, URDEN, Rec., p.251).
ou encore que :
« Considérant, d'autre part, que l'arrêt attaqué relève que, selon ses statuts, l'Association pour la sauvegarde du patrimoine martiniquais a pour objet, dans toute la Martinique "... de défendre et de protéger : les droits de l'homme, les espèces animales et végétales, le cadre de vie, le sol, le sous-sol, les forêts, les eaux marines, terrestres et du sous-sol, le domaine public maritime, les étangs, marais et zones humides, les cinquante pas géométriques, les mangroves, les métiers respectant les cycles écologiques et la sécurité des hommes, des femmes et des enfants contre les risques naturels majeurs et technologiques" ; qu'en en déduisant que l'association ne justifiait pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation du permis de construire attaqué, la cour administrative d'appel a fait une exacte application des règles relatives à la recevabilité du recours pour excès de pouvoir » (CE. 9 décembre 1996, ASSUPAMAR, req. n°155.477).
De ce seul chef, l’association requérante n’apparaissait donc pas avoir intérêt à agir à l’encontre du permis de construire contesté ; étant rappelé qu’il « n'appartient pas au juge administratif pour statuer sur l'intérêt à agir d'une association (…) de distinguer (…) un objet social principal d'un objet social (…) secondaire » (CAA. Paris, 15 juin 2000, GALEC, req. n°97PA02517).
En outre, il résultait de la seule circonstance que l’objet social de l’association requérante visait des domaines d’actions n’ayant strictement aucun rapport avec l’urbanisme lui déniait tout intérêt à agir à l’encontre du permis de construire en cause puisqu’à titre d’exemple, il a encore été récemment jugé que :
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'objet social de l'ASSOCIATION, tel qu'il était défini à l'article 2 de ses statuts modifiés le 2 juin 2004 applicables à la date d'introduction de sa demande devant le tribunal administratif le 13 octobre 2002 était : « la défense et la protection de l'urbanisme, de l'environnement (...) de l'écologie, du paysage, de la qualité de la vie » ainsi que « la défense des contribuables et des consommateurs (...) » sur le territoire de cinq communes ; qu'eu égard à la généralité d'un tel objet, qui porte à la fois sur la défense de l'environnement et la protection des intérêts des consommateurs et des contribuables, l'association requérante ne justifie pas d'un intérêt lui donnant qualité pour demander l'annulation de la délibération litigieuse du conseil municipal de Loriol du 11 juin 2004 ; qu'ainsi sa demande devant le tribunal administratif n'était pas recevable ; qu'elle n'est par suite pas fondée à se plaindre de ce que par le jugement attaqué le tribunal administratif a, au motif de sa tardiveté, rejeté sa demande comme irrecevable ; que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ne peuvent qu'être rejetées dès lors qu'elle est partie perdante » (CAA. Lyon, 7 août 2008, Association urbanisme et environnement de la confluence Drome-Rhone, req. n°06LY01602).
Mais en outre, l’article 1er des statuts de l’association requérante stipulait que : « L’association exerce son action sur le territoire du département du Morbihan (56) et, prioritairement sur celui de la Basse Vallée de l’Aff. Elle exerce également son action à l’égard de tout fait et notamment de tout dommage, bien que né en dehors de sa compétence géographique, serait de nature à porter atteinte à l’environnement du département précité ».
Force était donc de considérer que l’association requérante entendait exercer, en tous lieux, l’ensemble des missions visées aux paragraphes précités de l’article 1er de ses statuts (CAA. Paris, 15 juin 2000, GALEC, req. n°97PA02517 ; précité).
Par voie de conséquence et faute de réelle limitation, le champ d’action géographique de l’association requérante ne pouvait qu’être regardé comme national alors même que son nom vise la Basse-Vallée de l’Aff et qu’elle a son siège à Cournon (CE, 23 février 2004, Communauté des communes du Pays Loudunais, req. n° 250.482 ; CE. 5 novembre 2004, Association Bretagne Littoral, req. n° 264.819 ; CAA. Douai, 17 mars 2005, Assoc. « Vie & Paysage », req. n° 03DA00544).
Mais dès lors que les bâtiments projetés en l’espèce n’étaient pas de nature à avoir un impact national l’association n’a pas, à cet égard également, intérêt à agir à l’encontre du permis de construire en cause.
Mais plus spécifiquement, force est d’admettre que les missions statutaires de l’association requérante étaient quasi-exclusivement axées sur des préoccupations d’ordre environnemental. Or, compte tenu de l’indépendance des législations, ces préoccupations étaient sans rapport aucun avec l’objet d’un permis de construire, d’autant moins lorsqu’il porte, comme c’était le cas dans cette affaire, sur une installation classée pour la protection de l’environnement. En effet, même à admettre que l’installation contestée en l’espèce soit sources de nuisances environnementales, celles-ci ne pouvaient résulter que de ses conditions de fonctionnement.
Il s’ensuit que les missions statutaires de l’association requérante renvoyaient directement à l’objet d’un arrêté d’autorisation d’exploitation délivré au titre de la législation sur les installations classées et non d’un permis de construire dont le seul objet est d’autoriser l’édification d’une construction.
Or, si l’objet statutaire l’association requérante pouvait éventuellement permettre d’accueillir une requête dirigée à l’encontre de l’autorisation d’exploiter les installations en cause, cette circonstance ne pouvait suffire à établir la recevabilité de son action à l’encontre du permis de construire attaqué. On sait d’ailleurs que le Conseil d’Etat a jugé à l’encontre d’une association déférant au juge administratif un permis de construire que :
« Si le permis litigieux a pour objet d’autoriser deux sociétés à ouvrir un magasin de vente à grande surface, dont l’exploitation est soumise à autorisation par la loi du 27 décembre 1973, cette circonstance, qui lui donnerait qualité pour déférer au juge de l’excès de pouvoir l’autorisation accordée au titre de cette législation, ne lui donne pas en revanche, qualité pour attaquer le permis de construire » (CE. 22 octobre 1986, Reynaud, Rec. , p.654 et 655).
C’est donc à juste selon nous qu’en application des principes d’indépendances des législations et de spécialité des personnes morales que le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes a pris en compte le fait « qu’à la différence de l’autorisation délivrée au titre de la législation sur les installations classées, ledit permis n’est susceptible de porter atteinte aux intérêts principalement environnementaux que l’association s’est statutairement donnée pour mission de défendre » ; cette ordonnance étant dans la droit ligne du jugement par lequel le Tribunal administratif de Nantes avait lui-même estimé que :
« Considérant que selon l’article 2 des statuts de l’association CRITOM, association régie par la loi du 1er juillet 1901, cette dernière a pour but : 1) d’assurer l’information et la défense de la population contre les nuisances de tout genre, particulièrement contre celles liées au déchets ; 2) de lutter contre tous les projets pouvant amener des nuisances pour l’environnement, 3) de proposer des aménagements visant à l’amélioration du cadre de vie et de l’environnement naturel, 4) de promouvoir l’idée de sauvegarde de l’environnement par le développement d’activités orientées vers la nature, 5) de veiller au respect de la législation sur les questions d’environnement et autres, en estant en justice chaque fois que nécessaire ;
Considérant qu’un tel objet social ne confère pas à l’association requérante un intérêt lui donnant qualité pour demander la suspension de l’arrêté en date du 4 février 2002 par lequel le préfet de Maine et Loire a délivré (…) un permis de construire un centre d’incinération de déchets ménagers dès lors en effet qu’a la différence d’une autorisation, délivré au titre de la législation sur les installations classées pour la protection de l’environnement, d’exploiter un tel centre, le dit permis n’est pas en lui-même susceptible de porter directement atteinte aux intérêts que l’association s’est statutairement donnés pour mission de défendre ; que par suite la requête de l’association CRITOM doit être rejetée » (TA Nantes, 17 mai 2002, CRITOM c/ Préfet de Maine et Loire, req. n°02.1035) ;
cette ordonnance et ce jugement nous semblant en parfaite cohérence avec les récents arrêts par lequel le Conseil d’Etat a jugé que la légalité d’un permis de construire une installation classée pour la protection de l’environnement ainsi que l’urgence à en suspendre l’exécution ne sauraient être établies en considération de préoccupations saisies par l’autorisation d’exploiter (CE. 15 février 2007, Ministre de l’écologie et du développement durable, req. n°294.186 & CE. 15 février 2007, Cne de Fos-sur-Mer, req. n°294.852).
Pour une critique de cette ordonnance, on attendra les commentaires d’Emmanuel WORMSER, que je salue.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat à la Cour
Cabinet FRÊCHE & Associés