L’achat d’une bande de terrain grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin aux fins d’élargir l’assiette foncière d’un projet de construction permet de satisfaire aux prescriptions de l’article 14 du règlement local d’urbanisme
L’acquisition et l’adjonction d’une parcelle au terrain d’assiette d’un projet de construction aux fins d’augmenter la densité de ce dernier ne constitue pas en soi une fraude et dès lors qu’il ne s’agit pas d’un des cas de déduction prévus par l’article R.123-10 du Code de l’urbanisme, la circonstance que cette parcelle soit grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin ne s’oppose pas à ce que sa superficie soit prise en compte pour l’appréciation du coefficient d’occupation au sol de cette construction.
TA. Versailles, 5 juin 2007, SCI Balzac, req. n°0501083-3
Dans cette affaire, le pétitionnaire avait obtenu un permis de construire en vue de la réalisation de trois bâtiments à destination de logements sociaux sur un ensemble parcellaire dont il était propriétaire. Et bien que ce projet bénéficiait des dispositions de l’article L.127-1 du Code de l’urbanisme – c’est-à-dire d’une majoration de COS de 20% – le pétitionnaire avait également acquis au préalable une parcelle contiguë de sorte à augmenter l’étendue de son unité foncière et, par voie de conséquence, la densité de son projet.
Mais dans la mesure où le propriétaire initial de cette parcelle souhaitait conserver l’usage auquel elle avait toujours été affectée, celui-ci obtint que cette parcelle soit grevée à son profit exclusif d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin.
Précisément, le permis de construire ainsi obtenu devait faire l’objet d’un recours en annulation motivé, notamment, par la méconnaissance de l’article 14 du règlement local d’urbanisme. Plus précisément, le requérante soutenait que la circonstance que la parcelle de terrain acquise ait été subséquemment grevée d’une servitude de jouissance au profit de son ancien propriétaire démontrait que cette acquisition n’avait été opérée que dans le but d’augmenter la densité du projet immobilier contesté et était donc frauduleuse et qu’en toute hypothèse, la superficie de cette parcelle ainsi frappée d’une servitude d’inconstructibilité n’avait pas à être prise en compte pour apprécier le respect des prescriptions de l’article précité.
Mais ces deux branches du moyen devaient donc être rejetées par le Tribunal administratif de Versailles aux motifs suivants :
« Considérant que la SCI requérante soutient, d’une part, que le plafond de densité prévu par l’article UB 14 précité est dépassé dès lors que la partie E du terrain d’assiette, d’une superficie de 364 m² est grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin au profit de la propriété voisine, et ne peut de ce fait être prise en compte pour le calcul du coefficient d’occupation des sols que, toutefois, si la parcelle cadastrée AK 555, dont la société d’HLM Logement Français est propriétaire est grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle au profit de la propriété voisine, cette circonstance ne fait pas en l’espèce obstacle à ce que la superficie de cette parcelle soit prise en compte en totalité pour la détermination de la superficie de l’unité foncière qu’elle constitue avec les parcelles AK 571 et 710, et qui compte ainsi 1356 m² ; que d’autre part, contrairement à ce que soutient la société requérante, il ressort des pièces du dossier et notamment du formulaire de demande du permis de construire attaqué, que le projet litigieux bénéficiait du concours financier de I’Etat et respectait les conditions fixées par l’article L.127-1 précité : que la SCI BALZAC n’est ainsi pas fondée à soutenir que le permis attaqué, qui autorise une SHON de 1.139 m2 moyennant un dépassement du COS de 20%, méconnait l’article UB 14 du POS et l’article L. 127-1 du code de l’urbanisme;
Considérant que la SCI BALZAC soutient que le dépassement de COS sus-analysé procède dune manœuvre frauduleuse : que, cependant, la circonstance, à la supposer établie, que la société d’HLM Logement Français se soit rendue acquéreur de la partie E du terrain afin d’élargir l’assiette foncière de la construction en vue de respecter les prescriptions de l‘article UB 14 du POS, n’est pas à elle seule de nature à démontrer qu’elle ait entendu faire échapper la construction aux règles d’urbanisme applicables; que, par suite, le moyen tiré de ce que le permis litigieux aurait été obtenu par fraude doit être écarté ».
En premier lieu, le Tribunal administratif de Versailles a donc considéré que la superficie de la parcelle en cause devait être prise en compte pour le calcul des droits à construire – nonobstant la servitude d’inconstructibilité la grevant – dès lors qu’elle avait été effectivement acquise par le pétitionnaire et faisait donc partie de l’unité foncière à construire.
Une telle solution est pour le moins logique dès lors que la densité d’une construction doit par principe être appréciée à l’échelle de l’ensemble de l’unité foncière sur laquelle porte la demande de permis de construire (sur ce principe : CE. 22 juin 1984, Comité de défense de la zone d’habitations individuelles de Neully-Plaisance, req. n°38.939 ; CAA. Lyon, 26 septembre 1995, Cne Cannes, req n°94LY01695) – ou, à tout le moins, des parcelles sur lesquelles le pétitionnaire est titré lorsqu’il n’en est pas propriétaire et non pas seulement à l’échelon de celles devant accueillir un bâtiment (CAA. Versailles, 29 mars 2007, ADEJJ, req. n°06VE01147) – et ce, sous la seule réserve de la déduction prévue par l’article R.123-10 du Code de l’urbanisme (anc. R.123-22), lequel se borne à prévoir que seuls « les emplacements réservés mentionnés au 8º de l'article L. 123-1 sont déduits de la superficie prise en compte pour le calcul des possibilités de construction ».
C’est d’ailleurs à ce titre que la Cour administrative d’appel avait précédemment jugé que « M. Y ne peut par ailleurs soutenir que l'existence d'une servitude de passage de 76 m² sur la parcelle AL 195 réduit la surface hors oeuvre nette autorisée sur le terrain, dès lors que cette servitude n'est pas au nombre des emplacements réservés visés à l'article R.123-18 II 3° du code de l'urbanisme qui, selon les dispositions de l'article R.123-22 2° du même code, sont déduits de la superficie prise en compte pour le calcul des possibilités de construction » (CAA. Paris, 10 juin 2004, M. Y, req. n° 01PA01513).
Dès lors qu’il résulte de l’article L.421-3 du Code de l’urbanisme que, plus généralement, la légalité d’un permis de construire doit être appréciée indépendamment de toute considération liée à l’existence d’une servitude de droit privé grevant le terrain à construire, quand bien même s’agirait-il d’une servitude d’inconstructibilité (CE. 23 novembre 1994, Ministère de l’équipement, req. n° 135.215), la circonstance que la parcelle en cause soit grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin ne faisait donc « pas en l’espèce obstacle à ce que la superficie de cette parcelle soit prise en compte en totalité pour la détermination de la superficie de l’unité foncière qu’elle constitue avec les parcelles AK 571 et 710, et qui compte ainsi 1356 m² ».
On relèvera, toutefois, que ce jugement marque un « revirement » pour le Tribunal administratif de Versailles qui avait pu juger – mais bien antérieurement – qu’une partie de terrain grevée d’un droit de jouissance exclusive au profit d’un tiers ne pouvait pas être pris en compte pour le calcul des droits à construire attachés à ce terrain (TA. Versailles, 23 septembre 1997, Ctrs Bry, req. n°96-4354).
Mais en second lieu, le Tribunal a donc également estimé que « la circonstance, à la supposer établie, que [le pétitionnaire] se soit rendue acquéreur de la [la parcelle en cause] afin d’élargir l’assiette foncière de la construction en vue de respecter les prescriptions de l‘article UB 14 du POS, n’est pas à elle seule de nature à démontrer qu’elle ait entendu faire échapper la construction aux règles d’urbanisme applicables ».
En elle-même, en effet, une telle pratique n’a rien ne frauduleuse et, comme on le sait, a été « validée » par le Conseil d’Etat.
Dans cette affaire, un premier permis de construire avait été annulé au motif tiré de la méconnaissance de l’article 9 du règlement d’urbanisme local. Aux fins de régulariser son projet le pétitionnaire avait ainsi obtenu un bail emphytéotique administratif sur un terrain voisin de sorte à augmenter la surface du terrain d’assiette des constructions projetées et ce faisant, réduire le coefficient d’emprise au sol de ces dernières. Cependant, le permis de construire obtenu aux fins de régularisation devait être annulé, la Cour administrative de Douai considérant que « eu égard au caractère artificiel de la réunion des deux parcelles, à la circonstance que la construction était déjà édifiée à la date de la demande de la demande de permis de construire en cause et que ni son implantation, ni sa consistance n’ont été modifiées, cette opération (…) donnant tout au plus une apparence de régularité à la construction, n’a été effectuée qu’en vue d’échapper aux prescriptions de l’article UB.9 du POS ». Mais saisi en cassation, le Conseil d’Etat a toutefois annulé l’arrêt de la Cour administrative d’appel précité en jugeant que « la circonstance que la société requérante ait conclu un bail emphytéotique sur une parcelle voisine afin d'élargir l'assiette foncière de la construction, en vue de respecter les prescriptions de l'article UB 9 du plan d'occupation des sols, dont la finalité est de limiter la densité sur la zone, n'est pas à elle seule de nature à démontrer qu'elle ait entendu faire échapper la construction aux règles d'urbanisme applicables » (CE. 30 décembre 2002, SCI d’HLM de Lille, req. n°232.584).
Mais ce sont surtout les conclusions du Commissaire du Gouvernement AUSTRY qui sont particulièrement éclairantes sur ce point :
« L’hésitation est permise. il est claire que la conclusion de ce bail a été de permettre la délivrance d’un permis de régularisation en rendant le projet conforme à l’article UB.9. Mais d’un autre côté, la seule circonstance qu’un pétitionnaire adapte son projet, que ce soit dans le cadre de l’instruction du permis (…) à la suite d’un refus de permis (…) ou à la suite de l’annulation par le juge, comme ici, afin de rendre conforme aux dispositions du POS, n’est pas par elle-même de nature à faire échec à la régularisation des constructions édifiées. Ce qu’exige, en outre, votre jurisprudence sur la fraude à la loi, c’est que la manœuvre du (constructeur) lui permette d’échapper au conséquences de l’application de la règle d’urbanisme qui est en cause.
Or, il nous semble ici que l’objet de la règle relative à l’emprise au sol des constructions est d’éviter une densification excessive de la zone dans laquelle se situe la construction projetée. Dès lors, le seul fait de transférer les droits à construire générés par une parcelle voisine qui n’aurait pas déjà épuisé ces droits ne permet pas par lui-même d’échapper aux conséquences de l’article UB.9, mais bien en respectant l’esprit de ce texte et non seulement sa lettre, d’éviter une densification trop forte de l’unité foncière constituée par le terrain d’assiette de la construction projetée. (…) Le transfert des droits à construire généré par la parcelle propriété de l’OPHLM n’est pas sans conséquence puisqu’il interdira l’utilisation des droits à construire de cette parcelle pour une autre opération, et évitera donc une surdensification de la zone qui est précisément ce qu’on cherché à prévenir les auteurs du POS en limitant l’emprise au sol de constructions.
Nous concluons donc qu’en estimant que l’opération en cause a constitué une manœuvre qui aurait été effectué en vue d’échapper aux prescriptions de l’article UB.9, la cour a inexactement qualifié les faits de l’espèce » (Publiées in BJDU, n°3/2003, p.192, spec. P.194).
Or, cette analyse faite à la lumière de la finalité de l’article 9 du règlement d’urbanisme local est bien évidemment parfaitement transposable à la finalité de son article 14, lesquelles sont « connexes » pour avoir toutes les deux trait à la densification du terrain ; l’exécution du permis de construire contesté en l’espèce ayant pour effet de consommer les droits à construire attachés à la parcelle grevée d’une servitude de jouissance perpétuelle de jardin, lesquels ne pourront donc plus être réutilisés pour y bâtir.
Il s’ensuit que l’intégration de cette parcelle au terrain d’assiette du projet n’avait donc nullement pour effet d’augmenter artificiellement la densité constructible dans la zone considérée du POS communal et, par voie de conséquence, de contourner les prescriptions de son article 14.
A notre sens, en effet, la fraude en la matière ne peut procéder que de la démarche consistant non pas seulement à acquérir une parcelle contiguë du terrain d’assiette de l’opération projetée mais à l’acquérir pour ensuite, peu de temps après l’obtention du permis de construire délivré dans ces conditions, la rétrocéder à un tiers, voire à son propriétaire d’origine (CAA. Nancy, 16 mai 2002, SCI Helios, req. n°97NC02596) puisque ce montage a alors pour unique objet de conférer à l’opération projetée une simple apparence de conformité et qu’en outre, compte tenu de l’abrogation de l’ancien dispositif prévu par l’article L.111-5-1 du Code de l’urbanisme et sous réserve du cas prévu par l’article L.123-1-1 du Code de l’urbanisme (« dans les zones où ont été fixés un ou des coefficients d'occupation des sols, le plan local d'urbanisme peut prévoir que, si une partie a été détachée depuis moins de dix ans d'un terrain dont les droits à construire résultant de l'application du coefficient d'occupation des sols ont été utilisés partiellement ou en totalité, il ne peut plus être construit que dans la limite des droits qui n'ont pas déjà été utilisés »), cette parcelle recouvrira, du fait de sa rétrocession, les droits à construire générés par sa superficie (sur un cas plus particulier de fraude au dispositif alternatif prévu par l’article R.123-10 du Code de l’urbanisme, permettant la prise en compte de la partie du terrain grevé d’un emplacement réservé pour autant que le pétitionnaire la cède gratuitement à la collectivité, constituée par la cession par la collectivité d’une partie de terrain à un constructeur qui l’avait ensuite rétrocédée gratuitement à cette dernière pour pouvoir bénéficier du report de COS correspondant : CAA. Lyon, 10 mars 1998, Ville de Nice, req. n°94LY01151).
Mais pour conclure, il faut souligner que le commentateur de l’arrêt précité du Conseil d’Etat (CE. 30 décembre 2002, SCI d’HLM de Lille, req. n°232.584) au BJDU – en l’occurrence, le Conseiller d’Etat Jean-Claude BONICHOT – a précisé que « la régularisation n’est pas possible si elle conduit à priver la règle d’urbanisme en cause d’effectivité. Elle doit au contraire permettre de faire rentrer la construction illégale dans la légalité. Il est donc nécessaire de s’interroger sur la portée exacte de la règle méconnue par l’autorisation initiale pour savoir si la régularisation conduit ou non à y satisfaire. Tel était bien le cas en l’espèce : il est évident que si le constructeur acquiert un terrain suffisant pour le coefficient d’emprise soit respecté, il fait rentrer le bâtiment dans la norme » (BJDU, n°3/2002, p.197).
Force est, en effet, de préciser que la solution retenue par le jugement commenté à l’égard de l’article 14 du règlement local d’urbanisme – et par le Conseil d’Etat s’agissant de l’article 9 – ne vaut pas pour toute prescription puisque pour le juge administratif l’opération d’acquisition ou de revente d’une bande de terrain sera artificielle, et donc inopérante, lorsqu’elle ne confère à la construction qu’une apparence de régularité ne permettant pas d’assurer un respect effectif de la règle d’urbanisme en cause.
C’est ainsi, à titre d’exemple, que le Conseil d’Etat a jugé inopérante une opération de revente d’une bande de terrain de 70 centimètres destinée à régulariser une construction illégale en la faisant ainsi joindre la limite séparative alors que son permis de construire avait été précédemment annulé en raison de son implantation à 70 centimètres de la limite séparative initiale puisque cette revente permettait certes d’amener la limite séparative jusqu’à la construction litigieuse de sorte à ce qu’elles soient jointives mais, en fait, ne modifier strictement rien à l’implantation de cette construction et à sa distance par rapport à la construction voisine, laquelle, au surplus, était ainsi rendue irrégulière puisqu’initialement implantée en limite séparative, elle s’en trouvait implantée à 70 centimètres de la nouvelle limite séparative, ce que ne permettait pas l’article 7 du POS communal (CE. 25 janvier 1993, Crts Saint-Guilly, req. n°122.112).
De même, la Cour administrative d’appel de Paris a plus récemment jugé que lorsque l’article 5 du règlement local d’urbanisme impose que le terrain d'assiette ait une largeur effective en bordure de voie de 10 mètres pour être constructible, l’adjonction d’une bande de terrain de 6,50 mètres sur 0,70 mètre à l’accès au terrain à construire, d’une largeur de 3,50 mètres, ne permet que d'obtenir artificiellement une largeur de terrain en bordure de voie de 10 mètres et ne permet donc pas de caractériser cette configuration des lieux comme une façade sur voie au sens cet article 5 et, par voie de conséquence, d’assurer l’effectivité de la règle et la réalisation de l’objectif ainsi poursuivi par les auteurs du document d’urbanisme local, à savoir que les terrains aient une largeur effective en bordure de voie de 10 mètres (CAA. Paris, 23 novembre 2006, Cne de Chaville, req. n° 05PA04096).
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés