Le décret n°2006-958 du 31 juillet 2006 ne saurait avoir pour effet de faire revivre un permis de construire frappé de caducité avant son entrée en vigueur
Si le décret n°2006-958 du 31 juillet 2006 en ce qu’il dispose que « lorsque le permis de construire fait l'objet d'un recours en annulation devant la juridiction administrative ou d'un recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité de ce permis est suspendu jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle irrévocable » bénéficie à l’ensemble des permis de construire en cours de validité à sa date d’entrée en vigueur, y compris à ceux précédemment frappés de recours, ce dispositif n’a pas pour effet de faire revivre un permis de construire précédemment frappé de caducité.
CAA. Paris,22 novembre 2007, M. Olivier A., req.n° 05PA04504
Après l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux, l’arrêt commenté ce jour apporte une seconde précision importante s’agissant du champ d’application dans le temps du décret n° 2006-958 du 31 juillet 2006 – publié le 2 août 2006 et entrée en vigueur le 3 août suivant – dont on rappellera qu’il a modifié le régime du délai de validité du permis de construire tel qu’il était organisé (jusqu’à l’entrée en vigueur, le 1er octobre 2007, du décret 5 janvier 2007 relatif à la réforme des autorisations d’urbanisme) par l’article R.421-32 du Code de l’urbanisme, lequel vaut encore pour ce qui concerne les permis de construire sous l’empire de cet ancien dispositif.
On sait, en effet, qu’antérieurement le seul exercice d’un recours à l’encontre d’une autorisation d’urbanisme ne suspendait pas son délai de validité. Tout au plus, en effet, l’ancien article R.421-32 du code de l’urbanisme prévoyait-il que le délai de validité du permis de construire se trouvait interrompu en cas de suspension de son caractère exécutoire pendant toute la durée de cette mesure ou en cas d’annulation dudit permis jusqu’à la décision juridictionnelle irrévocable réformant cette annulation.
Or, compte de tenu des risques générés par un tel recours, les opérateurs, le plus souvent sous la pression de leurs partenaires financiers, s’abstenaient alors d’engager les travaux dans l’attente qu’il soit tranché par le juge administratif.
Il reste qu’eu égard, au délai de traitement de ces recours par les tribunaux, l’autorisation contestée pouvait être frappée de caducité en cours de procédure.
Ce temps est, toutefois, révolu puisque l’article 1er du décret n°2006-958 du 31 juillet 2006 est venu ajouté à l’article R.421-32 du code de l’urbanisme un alinéa précisant que « lorsque le permis de construire fait l'objet d'un recours en annulation devant la juridiction administrative ou d'un recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité de ce permis est suspendu jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle irrévocable ».
Il reste que si les opérateurs se sont justement réjouis de cette modification, l’article 2 du décret précité a suscité certaines interrogations dès lors qu’il se bornait à préciser que « le présent décret s’applique aux permis de construire en cours de validité à la date de sa publication ».
D’aucuns avaient, en effet, estimé que dans la mesure où, d’une part, l’article R.421-32 du code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de l’article 1er du décret du 31 juillet 2006 vise le cas où « le permis de construire fait l'objet d'un recours » et non pas « a fait » l’objet d’un recours et où, d’autre part, ledit article 2 ne vise explicitement que « les permis de construire en cours de validité » et non pas « les instances en cours », le régime issu du décret du 31 juillet 2006 n’était pas applicable aux permis de construire frappés de recours introduits antérieurement au 2 août 2006 (Ph. BILLET, « La nouvelle règle du permis de construire », Administrations et collectivités territoriales, n°37, p.11).
Si elle n’était pas dénuée d’intérêt en ce qu’elle posait le problème d’un dispositif qui, il est vrai, aurait pu être mieux rédigé, une telle interprétation apparaissait non seulement quelque « pointilleuse » mais également procédait de considérations sans incidence en la matière.
En effet, si les dispositions du décret du 31 juillet 2006 ont été réparties en deux articles distincts, c’est que celles contenues par son article 1er ne doivent pas être systématiquement interprétées en considération de celles de son article 2 et, a contrario, que celles de ce dernier n’ont pas vocation à être strictement interprétées à la lumière de celles de son l’article 1er. D’ailleurs, si tel devait être la démarche à suivre et si l’article 1er du décret du 31 juillet 2006 visait le cas où « le permis de construire a fait l'objet d'un recours » alors que son article 2 précise expressément que « le présent décret s’applique aux permis de construire en cours de validité la date de sa publication », il faudrait alors comprendre que ce dispositif s’applique aux seuls permis de construire en cours de validité ayant fait l’objet d’un recours la date de publication du décret, à l’exclusion donc de ceux délivrés ultérieurement…
Mais en toute hypothèse, il résulte de l’article 2 du décret précité que pour déterminer les situations qu’il régit, il convient de se placer à la date de sa publication, soit le 2 août 2006, et non pas à une date ultérieure en appréciant rétrospectivement une situation donnée.
Il nous semblait donc qu’à la lumière de l’article 1er du décret du 31 juillet 2006, il faille comprendre son article 2 comme visant, notamment et pour ce qui le concerne, les permis de construire en cours de validité faisant l’objet d’un recours en annulation la date de sa publication.
Quant à la circonstance que l’article 2 du décret du 31 juillet 2006 ne vise effectivement que « les permis de construire en cours de validité » et non pas « les instances en cours », celle-ci ne nous paraît pas déterminante puisqu’a contrario, il ne précise pas expressément ne pas s’appliquer aux permis de construire ayant fait l’objet d’un recours en annulation antérieurement à sa date de publication et/ou s’appliquer seulement aux permis de construire qui feraient ultérieurement l’objet d’un recours.
Dès lors, eu égard au mode d’interprétation de la règle de droit, il n’y a pas lieu d’introduire une restriction que les auteurs du décret du 31 juillet 2006 n’ont pas expressément prévu. A titre d’exemple, on relèvera que l’article 12 du décret du 5 janvier 2007, pris pour application de l’ordonnance du 8 décembre 2005, introduit de nouvelles conditions à la recevabilité des recours en annulation à l’encontre des autorisations d’urbanisme en modifiant l’actuelle rédaction de l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme, tout en ajoutant deux nouveaux articles, en l’occurrence, R.600-2 et R.600-3 dont la réaction ne permet pas, en elle-même, d’établir leur champ d’application rationae temporis.
Or, si l’article 26 du décret du 5 janvier 2006 dispose que, par principe, il entrera en vigueur le 1er juillet 2007, il pose également certaines exceptions à ce principe et précise, notamment, que « les articles R.600-1 à R.600-3 du code de l’urbanisme, dans leur rédaction issue de l’article 12, sont applicables aux actions introduites à compter du 1er juillet 2007 ».
C’est donc bien qu’à défaut d’une telle précision, ces articles auraient vocation à être opposées aux recours en cours d’instance au 1er juillet 2007 ; ce qu’il est vrai, aurait emporté une application partiellement rétroactive de ces nouvelles dispositions et auraient pu frapper d’irrecevabilité certains recours pourtant recevables au regard des règles applicables à leur date d’introduction.
Mais précisément, c’est l’élément de référence de l’interprétation en cause de l’article 2 du décret du 31 juillet 2006, en l’occurrence la date d’introduction du recours frappant les permis de construire en cours de validité au 2 août 2006, qui nous paraissait inadéquat.
En effet, l’article R.421-32 du Code de l’urbanisme a pour unique objet le délai de validité du permis de construire mais n’a pas vocation a avoir une quelconque incidence directe sur les recours en annulation exercé à son encontre.
Quant au recours en annulation ou, plus précisément, au contentieux de l’excès de pouvoir, il ne consiste pas en un litige entre parties mais en un procès fait à un acte au regard des normes conditionnant sa légalité et dont le but objectif ne peut tendre qu’à l’annulation de l’acte en litige en considération de son illégalité (CE. 17 mai 1999, Cne de Montreuil, req. n°191.292). Ce dont résulte le mode d’appréciation de la condition dite de « l’intérêt à agir » ou, plus spécifiquement, le fait que le seul accord transactionnel conclu entre le requérant et le constructeur ne prive pas d’objet le recours exercé contre un permis de construire (CE. 19 février 1988, Sabin-Celson, req. n°06.543) ou encore que le signataire d’un protocole de non recours reste recevable à agir à l’encontre du permis de construire objet de ce dernier (CE. 7 juin 1985, SA d’HLM, « L’habitat communautaire collectif », req. n°39.492).
Il s’ensuit, pour ce qui le concerne, que le recours en annulation à l’encontre d’un permis de construire ne peut être considéré, bien qu’il soit fréquemment utilisé ainsi, comme un instrument offert aux tiers pour « paralyser » le constructeur et ce faisant, tenir en échec le projet par la seule extinction du délai de validité du permis de construire attaqué : telle étant précisément la cause de l’intervention du décret du 31 juillet 2006.
Le fait qu’une interprétation plus favorable de l’article 2 du décret du 31 juillet 2006 aboutisse à en faire bénéficier un permis de construire ayant fait l’objet d’un recours en annulation antérieurement au 2 août 2006, pour ainsi lui éviter la caducité liée à la décision de son titulaire de ne pas engager les travaux en considération des risques générés par ce recours, ne nous paraissait donc pas dirimant ; sans compter qu’au regard du but objectif d’un recours en annulation, elle est également favorable au requérant puisqu’elle lui évitera le prononcé d’un non lieu à statuer sur son recours (sur ce point : CE. 26 mars 1958, Entrepôt Saint-Bernard, Rec., p.195).
Mais en tout état de cause, force est ainsi de relever que la Cour administrative d’appel de Bordeaux vient de conclure à l’applicabilité du dispositif institué par le décret du 31 juillet 2006 à l’ensemble des permis de construire en cours de validité à sa date de publication et en l’occurrence, à son application à un permis de construire modificatif délivré le 20 avril 2004 ayant fait l’objet d’un recours en annulation rejeté par un jugement du 25 mai 2005 et frappé d’appel par une requête exercé le 25 juillet 2005 pour ainsi juger que :
« Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article R. 421-32 du code de l'urbanisme dans sa rédaction issue du décret n° 2006-958 du 31 juillet 2006, lequel s'applique aux permis de construire en cours de validité à la date de sa publication : « Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 421-34 Lorsque le permis de construire fait l'objet d'un recours en annulation devant la juridiction administrative , le délai de validité de ce permis est suspendu jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle irrévocable » ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que la SCI Lespagnol ait reçu notification du permis modificatif litigieux plus de deux ans avant l'entrée en vigueur du décret du 31 juillet 2006 ; que le délai de validité de ce permis est donc, en vertu de ce même décret, suspendu tant que n'a pas été notifiée une décision juridictionnelle irrévocable ; que, dès lors, le moyen tiré de ce que ce permis serait caduc ne peut qu'être écarté » (CAA. Bordeaux, 5 juillet 2007, Mme Sophie X. & M. Frédéric Y., req.n°05BX00191 ; cf : notre note « le décret du 31 juillet 2006 relatif à la durée de validité des permis de construire est applicable à l’ensemble de ceux en cours de validité à sa date de publication, y compris à ceux ayant fait l’objet d’un recours en annulation avant son entrée en vigueur », AJDA, n°26/2007) ;
et ce, conformément à la position de l'administration.
Dès lors qu’il n’était pas établi que le permis de construire modificatif contesté était caduque à la date d’entrée en vigueur du décret du 31 juillet 2006 – et qu’il en résultait, par voie de conséquence, qu’il s’agissait d’un « permis de construire en cours de validité » au sens de l’article 2 de celui-ci – la Cour administrative d’appel de Bordeaux a donc considéré que ce permis bénéficiait du régime introduit par son article 1er et, par voie de conséquence, que son délai de validité avait été suspendu par le recours en annulation dont il avait fait l’objet, nonobstant la circonstance que ce dernier ait été introduit avant l’entrée en vigueur de ce dispositif.
Force est donc de comprendre l’article 2 du décret du 31 juillet 2006 comme visant, d’une façon générale, les permis de construire en cours de validité à sa date de publication, qu’il soient déjà frappés de recours à cette date ou viennent à l’être. Au surplus, l’interprétation en cause de l’article 2 du décret du 31 juillet 2006 (Ph. BILLET, « La nouvelle règle du permis de construire », Administrations et collectivités territoriales, n°37, p.11) tendait à le rendre superfétatoire puisque s’il devait s’appliquer aux seuls permis de construire en cours de validité à sa date de publication et faisant ultérieurement l’objet d’un recours ultérieur, l’article 1er aurait suffit à couvrir cette hypothèse ; étant spécifié que dans la mesure où ce décret s’est borné, comme il le devait, à abroger, uniquement pour l’avenir donc, les anciennes dispositions de l’article R.421-32, son article 1er n’aurait pu avoir pour effet de remettre en vigueur des permis de construire attaqués mais précédemment frappés de caducité.
C’est ce que précise l’arrêt commenté par lequel la Cour administrative d’appel de Paris devait statuer sur l’appel interjeté à l’encontre d’un jugement du Tribunal administratif de Melun, en date du 1er juillet 2005, ayant prononcer un non-lieu à statuer sur le recours en annulation à l’encontre d’un permis de construire dont il avait précédemment été saisi. Et nonobstant l’intervention, entre temps du décret du 31 juillet 2006, la Cour devait donc confirmer ce jugement au motif suivant :
« Considérant qu'aux termes de l'article R. 42132 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction applicable à la date du jugement attaqué : « Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 42134 ou de la délivrance tacite du permis de construire... / Le délai de validité du permis de construire est suspendu, le cas échéant, pendant la durée du sursis à exécution de la décision portant octroi dudit permis, ordonné par décision juridictionnelle ou administrative, ainsi que, en cas d'annulation du permis de construire prononcée par jugement du tribunal administratif frappé d'appel, jusqu'à la décision rendue par le Conseil d'Etat... » ; qu'aux termes de l'article 1er du décret susvisé du 31 juillet 2006 : « Le quatrième alinéa de l'article R. 421-32 du code de l'urbanisme est remplacé par les dispositions suivantes : / « Lorsque le permis de construire fait l'objet d'un recours en annulation devant la juridiction administrative ou d'un recours devant la juridiction civile en application de l'article L. 480-13, le délai de validité de ce permis est suspendu jusqu'à la notification de la décision juridictionnelle irrévocable » ; qu'aux termes de l'article 2 du même décret : « Le présent décret s'applique aux permis de construire en cours de validité à la date de sa publication » ;
Considérant que la commune de Bry-sur-Marne fait valoir que le permis litigieux n'avait fait l'objet d'aucun commencement d'exécution dans les deux ans de sa notification aux bénéficiaires ; que ce point n'est ni contesté ni démenti par les pièces du dossier ; qu'il suit de là que ce permis s'est trouvé périmé antérieurement au 1er juillet 2005, date du jugement attaqué, le décret précité du 31 juillet 2006 n'étant pas applicable à cette date ; qu'ainsi les conclusions de la demande de M. A qui tendaient à l'annulation dudit permis étaient devenues sans objet ; que, dès lors, c'est à tort que par le jugement attaqué le tribunal a statué sur ladite demande ; qu'il y a lieu, par suite, d'annuler ce jugement, d'évoquer et de constater que la demande de M. A devant le Tribunal administratif de Melun est devenue sans objet, le requérant ne pouvant utilement se prévaloir en appel des dispositions précitées de l'article 1er du décret du 31 juillet 2006, le permis de construire contesté n'étant plus en cours de validité à la date de publication de ce décret »
Compte tenu de la précision apportée par son article 2, l’article 1er du décret du 31 juillet 2006 n’a donc pas pour effet de faire revivre un permis de construire frappé de caducité avant son entrée en vigueur, y compris lors qu’à cette date, le permis de construire considéré faisait encore l’objet d’un recours, en l’espèce par voie d'appel.
Mais pour conclure, on peut relever que la Cour administrative d’appel de Paris a confirmé le jugement attaqué non pas parce que le permis de construire en cause avait fait l’objet d’un recours antérieurement à l’entrée en vigueur du décret mais uniquement parce qu’il était déjà caduc à cette époque ; ce qui confirme implicitement que l’article 1er de ce décret bénéficie à tous les permis de construire en cours de validité à sa date d’entrée en vigueur, y compris à ce précédemment frappés de recours.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés