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Le caractère mesuré d’une extension d’un bâtiment doit s’apprécier en considération de l’ensemble de celles pratiquées antérieurement sur le même bâtiment

Lorsque le document d’urbanisme local (POS/PLU) interdit les constructions nouvelles mais autorise, par exception, l’extension mesurée des constructions existantes, le caractère mesuré de celle objet de la demande de permis de construire doit être apprécié au regard de la surface initiale du bâtiment à la date d’entrée en vigueur dudit document. Par voie de conséquence, une extension apparemment mesurée prise isolément peut être illégale lorsqu’elle s’ajoute à des précédentes extensions dont le cumul aboutit à augmenter substantiellement la surface de la construction initiale.

TA. Rennes, 1er juin 2006, Sté KERN’ER CAR, req. n°03-0633


Dans cette affaire, l’article ND.1 du règlement du POS de Plouezoc’h interdisait la construction de bâtiments nouveaux mais autorisait, par exception à cette règle, l’extension mesurée des constructions existantes.

A ce titre, la société KERN’ER devait présenter, en 2002, une demande de permis de construire portant sur l’adjonction d’un garage d’une SHOB de 54,90 mètres carrés à un bâtiment existant de 316 mètres carrés de SHOB : a priori, il s’agissait donc bien d’une extension mesurée puisque la surface à créer représentait moins de 17,38% de celle du bâtiment existant à la date de la demande de permis de construire.

Il reste que la surface initiale du bâtiment existant – c’est-à-dire celle prévue par le permis de construire en ayant autorisé la construction – s’élevait à 194 mètres carrés. Ce n’est en effet qu’à la faveur d’une première extension de 58,35 mètres carrés réalisée en 1999 puis d’une seconde de 64 mètres carrés réalisée en 2000 que la surface de ce bâtiment avait été amenée à 316 mètres carrés. En d’autres termes, ces deux extensions avaient déjà augmenté la surface initiale de cette construction de plus de 62% et la nouvelle extension projetée aurait aboutit à l’accroître, en trois ans, de plus 91%.

Précisément, c’est à ce motif que le Maire de Plouezoc’h devait opposer un refus à la demande de permis de construire présentée par la société KERN’ER, laquelle attaqua cette décision devant le Tribunal administratif de Rennes en la contestant sur le fondement des dispositions prévues par l’article ND.1 du POS communal à l’égard des travaux d’extension des constructions existantes.

Le Tribunal administratif confirma, toutefois, la légalité du refus de permis de construire opposé en requérant en considérant que la surface initiale à prendre en compte était celle de la construction existante à la date d’entrée en vigueur des dispositions du POS.

En première analyse, ce jugement pourrait surprendre dans la mesure où par principe l’état d’une construction doit être apprécié à la date à laquelle l’administration statue sur la demande de permis de construire s’y rapportant (CE. 17 avril 1992, Flaig, req. n°94.390 ; mais voir ici). A priori, c’était donc en considération de la surface du bâtiment existant à la date du refus de permis de construire que le caractère mesuré de l’extension projetée aurait dû être apprécié. Il reste qu’ainsi que l’a souligné le Tribunal administratif de Rennes, une telle interprétation aurait privé de tout effet utile les dispositions du règlement d’urbanisme local relatives à l’extension mesurée des constructions existantes puisque, sauf à ce qu’elles précisent la surface globale ne pouvant être dépassée, il suffirait pour s’en affranchir de réaliser, comme dans l’affaire objet du jugement commenté, plusieurs extensions successives restant mesurées au regard de la surface du bâtiment existant à la date de la demande d’autorisation de travaux.

Le jugement du Tribunal administratif de Rennes respecte donc l’esprit de dispositions conçues comme une exception au principe d’interdiction de construire en zones naturelles dont le but est d’y limiter l’urbanisation. On sait, d’ailleurs, que le juge administratif interprète de façon stricte les dispositions des règlements d’urbanisme locaux relatives à l’extension mesurée des constructions existantes puisqu’à titre d’exemple, il a pu être jugé que l’importance de l’extension projetée devait être appréciée au regard de la seule surface du bâtiment sur lequel elle porte et non pas en considération de la surface de l’ensemble des bâtiments éventuellement présents sur l’unité foncière (CE. 17 novembre 2004, Sté Labo Chimie, req. n°252.420) ou encore que l’agrandissement d’un bâtiment ne peut être considéré comme une extension que s’il demeure accessoire au bâtiment initial, indépendamment de la surface à créer (CAA. Lyon, 5 octobre 2004, Cne de Marlhes, req. n°00LY01454).

Mais ce qui est le plus remarquable dans cette affaire, c’est que la démarche du pétitionnaire a été qualifiée de fraude à la réglementation d’urbanisme locale. Il est vrai qu’à titre d’exemple, il a pu être jugé que le dépôt de trois demande de permis de construire tendant à la réalisation d’un bâtiment unique présenté comme trois bâtiments distincts était frauduleux dès lors que ce fractionnement visait à échapper à certaines prescriptions du POS relatives à l’emprise et à la hauteur des constructions (CAA. Paris, 18 octobre 2001, MM. Frack & Pinvin, req. n° 98PA02786). Mais il reste que dans cette affaire ces trois demandes de permis de construire avaient été présentées simultanément cependant qu’en l’espèce, les trois demandes d’autorisation s’étaient succédées sur trois ans.

On relèvera, d’ailleurs, que le Ministère de l’équipement a précisé qu’au titre de l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme, un même pétitionnaire pouvait présenter sur un terrain bâti plusieurs déclarations de travaux en vu d’y construire plusieurs bâtiments dont la surface de plancher respective est inférieure à 20 mètres carrés pour autant que ces déclarations soient formulées de façon successive mais qu’en revanche, lorsque ces déclarations sont formulées de façon simultanée il y a a priori fraude et, en toute hypothèse, l’administration doit inviter le pétitionnaire à présenter une demande de permis de construire dès lors que la surface globale des travaux projetés dépasse le seuil des 20 mètres carrés (Rép. Min : JO Sénat du 3 mars 1988). Cette position est cependant discutable dans la mesure où, selon nous, la question n’est pas tant de constater que les déclarations sont simultanées ou successives que d’établir si, d’une part, elles se rapportent ou non à une opération indivisible (CE. 17 décembre 2003, Mme Bontemps, req. n° 242.282) et si, d’autre part, la présentation de plusieurs demandes a pour objet d’échapper à une prescription d’urbanisme.

Or, au cas présent, rien ne laissait apparaître que la société KERN’ER avait dès 1999 et/ou dès 2000 planifié l’extension envisagée en 2002 et , en d’autres termes, qu’elle avait organisé le fractionnement des travaux projetés dans le but d’échapper aux prescriptions de l’article ND.1 du POS communal.


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet Frêche & Associés

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