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Déclaration préalable - Page 3

  • Sur l’utilité du recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable

    Malgré l’alinéa 1er de l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme, un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable conserve le délai de recours contentieux à l’encontre de cette décision.

    CE. 20 novembre 2009, Pascal E. & Autres, req. n°326.236


    Bien qu’elle appelle peu de commentaires, voici une décision attendue, et donc d’importance, s’agissant du contentieux de la décision de non-opposition à déclaration préalable.

    Dans cette affaire, les requérants avaient introduit, le 4 août 2008, un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable affichée sur le terrain des opérations le 16 juillet précédent. Ce recours gracieux devait cependant faire l’objet d’une décision implicite de rejet, le 4 octobre suivant.

    En conséquence, les requérants exercèrent, le 26 novembre 2008, un recours en annulation à l’encontre de cette décision de non-opposition ; recours que le Président du Tribunal administratif de Marseille devait toutefois rejeter, par ordonnance, comme manifestement irrecevable au regard de l’article R.600-2 du Code de l’urbanisme et, en d’autres termes, comme tardive.

    Mais sur transmission de la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par les requérants, le Conseil d’Etat devait donc juger que :

    « considérant que, sauf dans le cas où des dispositions législatives ou réglementaires ont organisé des procédures particulières, toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux qui interrompt le cours de ce délai ;
    Considérant que, pour rejeter comme tardive la demande des requérants tendant à l'annulation de la décision implicite du maire de Marseille de ne pas s'opposer à la déclaration de clôture de Mme A, l'ordonnance attaquée se fonde sur ce que leur demande n'a été enregistrée que le 26 novembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Marseille, alors que cette décision avait fait l'objet, le 16 juillet 2008, d'un affichage qui avait fait courir le délai de recours contentieux en application de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu'un recours gracieux interrompant ce délai avait été présenté par les requérants le 4 août 2008 et notifié à l'auteur de la décision de non-opposition et à son bénéficiaire, comme le prévoit l'article R. 600-1 du même code, et que ce délai avait couru à nouveau pour sa totalité à compter du rejet implicite de ce recours gracieux, intervenu le 4 octobre suivant, de sorte que la demande présentée au tribunal n'était pas tardive, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit »
    ;


    et donc estimer que le recours gracieux précédemment exercé avait prorogé le délai de recours contentieux à l’encontre de la décision contestée, lequel avait donc couru à nouveau le 4 octobre 2009 (date de formation de la décision implicite de rejet de ce recours) pour expirer le 4 décembre suivant. Présenté et enregistré au greffe le 26 novembre 2008, le recours en annulation était donc bien recevable au regard de l'article R.600-2.

    La solution n’était pas si évidente dès lors que la déclaration avait été formulée, la décision de non-opposition acquise et le recours gracieux exercé après l’entrée en vigueur de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 dite « Loi ENL ».

    En effet :

    - d’une part, pour être qualifié comme tel, un recours gracieux doit solliciter, même maladroitement ou dans des termes inappropriés, le retrait de la décision en cause ;
    - d’autre part, l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi susvisée dispose que : « la décision de non-opposition à la déclaration préalable ne peut faire l'objet d'aucun retrait ».

    Il n’était pas donc pas si évident qu’un recours gracieux tendant au prononcé d’un retrait qu’en principe l’autorité compétente ne saurait légalement édicter puisse conserver le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable.

    Il reste que les conditions de délais ayant toujours encadré les possibilités ouvertes à l’administration de prononcer le retrait de ses décisions créatrices de droit ne se sont jamais opposées à ce que l’administration puisse retirer à toute époque, et sans aucune condition de délai donc, les autorisations obtenues par fraude puisque, précisément, les autorisations entachées de fraude ne créaient pas de droits acquis au profit de leur titulaire.

    Dès lors, l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme ne s’oppose donc pas, selon nous, au retrait d’une décision de non-opposition motivée par la fraude du déclarant.

    Mais dans la mesure où, hors du cas où le retrait est sollicité par le déclarant, seule la fraude de ce dernier peut légalement motiver le retrait d’une telle décision de non-opposition, force est d’admettre qu’un recours gracieux à l’encontre d’une telle décision n’a d’intérêt et d’utilité qu’à la condition que le requérant invoque la fraude du déclarant.

    Il s’ensuit qu’en dehors de cas, et quel que soit le bien fondé des griefs opposés à la décision de non-opposition, un recours gracieux à l’encontre de cette décision est nécessairement voué au rejet.

    Partant, on aurait donc pu penser que dorénavant un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable n’interrompait le délai de recours gracieux à l’encontre de cette décision qu’à la condition d’être fondé sur la fraude du déclarant puisque si tel n’est pas le cas du recours considéré, force est alors de regarder celui-ci comme entrepris dans le seul but d’interrompre le délai de recours contentieux.

    Toutefois, il ressort de l’arrêt commenté ce jour que tout recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition interrompt ce délai et ce, quels que soient les moyens présentés à l’appui de ce recours.

    Une telle solution nous parait justifier.

    En premier lieu, il faut préciser que l’utilité du recours gracieux trouve sa cause dans l’obligation faite à l’administration compétente de retirer, sous certaines conditions, un acte dont elle constate illégalité ; ce qu’elle peut faire spontanément, sans être saisie d’un tel recours donc.

    Il s’ensuit que les moyens présentés par l’auteur d’un recours gracieux ne lient aucunement l’administration, laquelle peut donc parfaitement retirer la décision contestée pour un motif totalement étranger à ceux invoqués par le recours. Pour ce qui nous intéresse ici, la circonstance que le requérant invoque ou non la fraude du déclarant n’a donc aucune incidence sur la possibilité offerte à l’administration de retirer la décision de non-opposition à déclaration pour ce motif.

    En second lieu, une telle restriction de l’effet interruptif du recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition n’aurait en fait eu aucun intérêt dans la mesure où :

    - d’une part, pour contourner une telle restriction, il aurait alors suffit l’alléguer systématiquement la fraude du déclarant ; le fait qu’elle soit établie ou non ne pouvant avoir aucune incidence sur recevabilité du recours contentieux ultérieure ;
    - d’autre part, il faut rappeler que le recours gracieux n’est pas le seul « recours » administratif susceptible d’interrompre le délai contentieux puisque, lorsque l’autorisation d’urbanisme contestée a été délivrée par une commune ou un EPCI, les tiers ont à cet effet la possibilité de saisir le Préfet de Département aux fins, non pas qu’il l’a retirer, mais qu’il défère l’autorisation contestée à la censure du juge administratif.

    Une telle restriction n'aurait donc pas nécessairement produit l'effet escompté... 

     

    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés
     

  • Sur l’autorisation requise pour la réalisation de travaux entrepris sur un terrain faisant l’objet d’un permis de construire en cours de validité.

    La création d’un mur de soutènement d’un parc de stationnement d’un ensemble immobilier en cours de réalisation impliquant une modification du nombre de places projetées et de leur configuration ne saurait relever d’une déclaration préalable mais implique l’obtention d’un permis de construire modificatif.

    CAA. Marseille, 15 mai 2008, SCI Les Hautes Terres, req. n°05BX02700


    Voici un arrêt intéressant le champ d’application respectif du permis de construire modificatif et de la déclaration de travaux ainsi que, surtout, sur leur articulation s’agissant des travaux sur existant et, plus précisément, des travaux portant sur une construction faisant l’objet d’un permis de construire en cours d’exécution ; ce qui est suffisamment rare pour être relevé, d’autant que le motif apparent de la solution retenue surprend quelque peu.

    Il est fréquent, en effet, qu’un projet de construction ayant donné lieu à un permis de construire doive subir certaines modifications au regard du projet initialement autorisé par ce permis de construire.

    Or, certaines des ces modifications pour porter sur un ouvrage assujetti à permis de construire peuvent néanmoins, prises isolément, relever du champ d’application de la déclaration de travaux, voire être exemptées de toute formalité. Mais à leur sujet, la Cour administrative d’appel de Paris a pu juger que si ces travaux « relèvent, lorsqu'ils interviennent sur une construction existante, de la procédure de la déclaration de travaux et non de celle du permis de construire, ils relèvent en revanche de la procédure du permis modificatif, lorsqu'ils se rapportent à un projet autorisé par un précédent permis de construire et qui, en l'absence de déclaration d'achèvement de travaux, ne peut être regardé comme entièrement réalisé » (CAA. Paris, 13 décembre 1994, Ville de Paris, req. n°92PA01420).

    En résumé, si lorsque les travaux précédemment autorisés sont achevés, un permis de construire modificatif ne peut plus être régulièrement obtenu (CE.23 septembre 1988, Sté Maisons Goêland, req. n°72.387 ; TA. Versailles, 27 janvier 1988, M. Moser, req. n°98-00035), a contrario, dès lors que le permis de construire l’ouvrage projeté n’a pas été entièrement exécuté et qu’en conséquence, la déclaration d’achèvement prescrite par l’article R.460-1 du Code de l’urbanisme n’a pas été formulée, toute modification de ce dernier exige l’obtention d’un permis de construite – a priori, modificatif – quand bien même, compte tenu de leur nature et de leur importance, ces modifications relèveraient-elles prises isolément de la simple déclaration de travaux (voir également : CAA. Paris, 26 octobre 1999, Sté foncière de Joyenval, req. n°96PA02891).

    Bien plus, la Cour administrative d’appel de Nancy a pu juger que cette règle était également applicable s’agissant de travaux exemptés de toute formalité, lesquels, dès lors qu’il sont projetés sur un ouvrage en cours de construction en exécution d’un permis de construire n’ayant pas donné lieu à la formulation d’une déclaration d’achèvement, doivent faire l’objet d’un « modificatif » (CAA. Nancy, 28 juin 2001, Gaillot, req. n°97NC00472).

    Mais sans remettre en cause la portée de ces jurisprudences – dont elle a, d’ailleurs, repris la règle de principe s’en dégageant – la Cour administrative d’appel de Bordeaux a récemment nuancé cette règle en jugeant « que les travaux de construction d'une piscine relèvent, lorsqu'ils interviennent sur une construction existante, dont ils sont dissociables, de la procédure de la déclaration de travaux et non de celle du permis modificatif » (CAA. Bordeaux, 26 juin 2007 Cne de Toulouse, req. n°05BX01660).

    Deux de choses l’une en résumé mais en l’état :

    - soit, les travaux projetés présentent un caractère indivisible de l’ouvrage en cours de réalisation en exécution du permis de construire obtenu à cet effet et, en toute hypothèse, ils impliquent l’obtention d’un autre permis de construire - « nouveau » ou « modificatif » selon l’importance de ces travaux et leur impact sur l’économie générale du projet initial – ce qui est normal dès lors qu’un ensemble indivisible doit nécessairement relever d’un permis de construire unique (CE. 10 octobre 2007, Association de défense de l'environnement d'une usine située aux Maisons à Saint-Jory-Lasbloux, req. n°277.314) ; étant précisé qu’un « modificatif » vient s’intégrer au « primitif » pour ainsi former avec celui-ci une seule et même autorisation (TA. Versailles, 22 février 1994, req. n°93-05140) ;

    - soit, comme en l’espèce, ces travaux sont divisibles de l’ouvrage en cours de réalisation et, en pareil cas, la procédure applicable sera déterminée au seul regard de leur nature et de leur importance intrinsèques : le cas échéant, ils pourront donc relever d’une simple déclaration préalable, voir être dispensés de toute formalité mais aussi relever d'un permis de construire distinct du précédent ; ce qui est tout aussi normal dès lors que la simple circonstance que des travaux soient projetées sur une même unité foncière ne suffit pas les rendre indissociables (CAA. Marseille, 15 mai 2008, Cne de Fuveau, req. n°06MA00807) de la même façon, a contrario, que des travaux projetées sur des unités foncières distinctes n’en sont pas nécessairement divisibles (CE. 26 mars 1997, ADLA, req. n° 172.183 ; CE. 9 juillet 2008, Ministère de l’équipement, req. n°284.831).

    Mais précisément, l’arrêt commenté ce jour jette quelque peu le trouble.

    Dans cette affaire, le requérant avait précédemment obtenu un permis de construire un ensemble immobilier comportant un parc de stationnement. Mais ultérieurement, celui-ci devait formuler une déclaration de travaux portant sur un mur de soutènement nécessaire à la réalisation de son projet à laquelle l’administration devait opposer que les travaux déclarés impliquaient un permis de construire modificatif ; ce que confirma la Cour administrative d’appel de Marseille mais ce, au motif suivant.

    « Considérant que l'appelante soutient que la création du mur de soutènement permettrait en réalité l'exécution du programme immobilier en confortant le talus qui supporte la voie de circulation prévue dans ledit ensemble immobilier et en permettant la réalisation de parkings, et non d'apporter des modifications à l'ensemble autorisé comme l'a indiqué le tribunal ; que, cependant, par ces seules affirmations, elle n'établit pas que les modifications affectant le nombre de places de stationnement et l'aire de retournement des services de secours, relevées par le tribunal et ressortant du plan fourni à la commune à l'appui de la demande, ne seraient pas apportées au programme immobilier initialement autorisé ; que, dans ces conditions, pour les mêmes motifs que ceux exposés par le tribunal et qu'il convient d'adopter, la SCI LES HAUTES TERRES n'est pas fondée à soutenir que les travaux qu'elle souhaitait entreprendre entreraient dans le champ d'application des exemptions de permis de construire prévues au titre des paragraphes d ou m de l'article R. 422-2 alors en vigueur du code de l'urbanisme, et relèveraient ainsi, non de la demande de permis de construire modificatif exigée par le maire de Saint-Laurent du Var, mais de la déclaration de travaux ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les fins de non-recevoir opposées à la requête d'appel, la SCI LES HAUTES TERRES n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Nice a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 18 septembre 2000 sus-évoquée ; que doivent être rejetées, par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative ; qu'en revanche, il y a lieu, sur le fondement de ces mêmes dispositions, de mettre à la charge de la SCI LES HAUTES TERRES le paiement à commune de Saint Laurent du Var d'une somme de 1 500 euros au titre des frais que cette dernière a exposés et non compris dans les dépens ».

    En résumé, la Cour a donc considéré que les travaux déclarés relevaient du champ d’application du permis de construire modificatif non pas en considération du mur de soutènement projeté mais dans la mesure où le projet tel que déclaré incluait une modification de certains des aménagements du parc de stationnement à réaliser ; ce qui induit qu’a contrario, si la déclaration n’avait effectivement porté que sur le mur de soutènement, l’administration n’aurait pu légalement s’y opposer.

    Une telle solution nous apparaît doublement contestable.

    En effet, il convient de souligner que le requérant soutenait lui-même que « la création du mur de soutènement permettrait en réalité l'exécution du programme immobilier en confortant le talus qui supporte la voie de circulation prévue dans ledit ensemble immobilier et en permettant la réalisation de parkings ».

    Or, un mur de soutènement est indissociable de l’ouvrage auquel il se rapporte et pour la réalisation duquel il est nécessaire ; y compris si l’ouvrage en cause ne prend pas directement appui sur ledit mur. Et à cet égard, l’arrêt commenté est d’autant plus surprenante que, validant ainsi un arrêt de cette même cour (CAA. Marseille, 10 novembre 2005, req. n°03MA01105), le Conseil d’Etat a récemment jugé que :

    « Considérant, en premier lieu, qu'en énonçant que l'édification d'un mur de soutènement en façade ouest avait été rendue nécessaire par les remblaiements de terre effectués pour rehausser le niveau de la piscine et de la terrasse par rapport au niveau du terrain naturel et n'en était, dès lors, pas dissociable, puis en relevant que ce mur était implanté parallèlement à la limite séparant la propriété de Mme D de celle de Mme B, la cour a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine qui, dès lors qu'elle est exempte de dénaturation, ne saurait être discutée devant le juge de cassation ; Considérant, en deuxième lieu, qu'en déduisant de ces constatations que ce mur de soutènement faisait partie intégrante d'un projet unique soumis à la procédure du permis de construire » (CE. 27 juin 2008, Cne d’Hyères-les-Palmiers, req. n°290.368) ;

    et que la Cour administrative d’appel de Marseille avait également précédemment jugé que :

    « Considérant (…) bien que le garage aussi autorisé ne prenne pas appui sur ledit mur, eu égard au caractère indivisible des autorisations de construire, c'est à bon droit que le Tribunal administratif de Bastia s'est fondé sur la méconnaissance dudit article du plan d'occupation des sols pour annuler le permis de construire en litige » (CAA. Marseille, 21 février 2007, M. Henri Y., req. n°05MA03332).

    Au surplus, mais plus spécifiquement, si le mur de soutènement projeté était effectivement dissociable de l’ouvrage précédemment autorisé, force est donc de considérer que la déclaration en cause avait deux objets parfaitement dissociables : la réalisation de ce mur et la modification du parc de stationnement à construire.

    De ce fait, l’administration aurait donc dû accepter la déclaration en ce qu’elle concernait ce mur de soutènement et ne s’y opposer qu’en tant qu’elle portait sur la modification du parc de stationnement précédemment autorisé (CE. 4 janvier 1985, SCI Résidence du Port, req. n° 47.248).


    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet Frêche & Associés

  • De la preuve de l’existence légale d’une construction ancienne à la preuve de son achèvement

    Il incombe au pétitionnaire de prouver que la construction sur laquelle porte sa demande d’autorisation de travaux a été édifiée soit avant la loi du 15 juin 1943 relative au permis de construire, soit conformément à l’autorisation requise et obtenue à cet effet. A défaut, cette construction est réputée dépourvue d’existence légale et, en toute hypothèse, les travaux projetés sur celle-ci ne peuvent relever du régime déclaratif.

    CAA. Marseille, 9 juillet 2007, SCI « Les Pouillettes », req. n°04MA01976

    L’arrêté commenté propose une solution somme toute classique mais qui illustre parfaitement l’une des problématiques du régime applicable aux travaux sur construction existante et nous permettra d’appréhender l’étendue de la réforme opérée par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n° 2006-872 du 13 juillet 2006 dite ENL.

    On sait, en effet, qu’au regard du droit de l’urbanisme la notion de construction existante implique la réunion de deux conditions : d’une part, une existence physique, laquelle impose que l’ouvrage considéré ne soit pas en état de ruine ou en cas d’inachèvement des travaux que ces derniers aient néanmoins atteint un stade suffisant pour conférer à cet ouvrage la qualité de construction (CAA. Marseille, 8 décembre 2005, Cne d’Eguilles, req. n° 02MA01240 ; TA. Nice, 23 février 2006, M. Cozza, req. n°01-05873 ; CE. 29 mars 2006, Cne d’Antibes, req. n° 280.194) et, d’autre part, une existence légale, laquelle implique que la construction en cause ait été réalisée conformément à un permis de construire alors valide et définitif puisqu’a contrario, constituera une construction illégale celle édifiée sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenue ou en exécution d’un permis de construire précédemment annulé, retiré ou frappé de caducité ou en méconnaissance des prescriptions du permis de construire, voir en exécution d’un permis de construire ultérieurement annulé ou retiré (CE. 9 juillet 1986, Mme Thalamy, req. n° 51.172). Dans ces cas, la construction sera donc illégale et ne pourra donc pas être considérée comme existante au regard du droit de l’urbanisme, si bien que tout travaux projetés sur cette dernière devra nécessairement relever d’un permis de construire portant sur l’ensemble de celle-ci aux fins, pour autant que cela soit possible, de la régulariser ; étant précisé que lorsque l’illégalité de la construction procède de travaux irréguliers postérieurs à son implantation, les plans de la demande de permis de construire devront faire apparaitre cette construction dans son état antérieur à l’exécution des travaux litigieux (CAA. Paris, 9 novembre 2006, M.X., req. n°03PA00413). C’est, toutefois, la position du juge administratif puisque le juge judiciaire considère pour sa part qu’une construction irrégulière peut être régularisée par la prescription de l’action publique, c’est-à-dire passé un délai de trois ans à compter de l’achèvement des travaux (CAss. crim. 9 mars 1993, Derrien, pourvoi n°92-82.372).

    C’est ainsi qu’il est d’usage de présenter le régime applicable en la matière s’agissant des constructions récentes. Il reste que la législation relative au permis de construire procède de la loi du 15 juin 1943. De ce fait, bon nombre de constructions anciennes ont en fait été réalisées sans qu’aucune autorisation ne soit exigible ou à la faveur des nombreuses exemptions de permis de construire longtemps prévues par le dispositif issu de cette loi.

    Or, si ces constructions ont effectivement été édifiées sans autorisation, il n’en demeure pas moins qu’aucune autorisation n’était donc exigible pour ce faire, si bien que pouvant être implantées librement, elles disposent néanmoins d’une existence légale leur rendant inopposable la jurisprudence dite « Thalamy » puisque le Conseil d’Etat a récemment jugé que :

    « Considérant qu'en application de l'article 1er de l'arrêté du 10 août 1946 portant exemption du permis de construire en ce qui concerne les bâtiments d'exploitation agricole, alors applicable, l'édification, en 1960, sur le terrain acquis par M. et Mme D, d'un abri préfabriqué à usage de poulailler, était dispensée de permis de construire ; que cette construction qui pouvait donc être librement réalisée avait dès lors une existence légale, alors même qu'elle n'a fait l'objet d'aucune autorisation ; qu'ainsi, la demande d'autorisation litigieuse ne devait porter, comme c'est le cas le cas en l'espèce, que sur les travaux qui ont pour effet de transformer le bâtiment tel qu'il avait été régulièrement édifié ; qu'il suit de là que la cour a commis une erreur de droit en jugeant que l'administration était tenue d'opposer un refus à cette demande, dès lors qu'elle ne portait pas sur l'ensemble de la construction » (CE. 15 mars 2006, Ministre de l’équipement, req. n°266.238).

    Il reste qu’en toute hypothèse, y compris donc lorsque le litige porte sur un refus de permis de construire ou une décision d’opposition à déclaration de travaux émanant de l’administration et motivé par le défaut d’existence légale de la construction sur laquelle porte la demande, c’est au pétitionnaire de prouver l’existence légale de cette construction, c’est-à-dire de prouver soit qu’elle a été édifiée avant l’entrée en vigueur de la loi du 15 juin 1943, soit en vertu d’une des exemptions issues de ce disposition, soit conformément à l’autorisation requise et obtenue (pour un précédent sur ce point :CAA. Lyon, 24 février 1994, Cne de Lorgues, req. n°21LY01466).

    A défaut de rapporter cette preuve, la construction sera réputée illégale. Par voie de conséquence, quand bien même les travaux projetés relèveraient-ils isolément du champ d’application de l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme et donc d’une simple déclaration de travaux, le pétitionnaire sera tenu de présenter une demande de permis de construire portant non seulement sur les travaux projetés mais également sur l’ensemble de la construction considérée (CE. 30 mars 1994, Gigoult, req. n°137.881). C’est ce qu’illustre donc cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Marseille :

    « Considérant, en premier lieu, que, s'il ressort des pièces du dossier, et notamment de l'acte notarié en date du 17 juillet 1991, qu'une construction à usage d'habitation, édifiée antérieurement à l'instauration de la législation sur les permis de construire existait, sur le terrain en cause du projet contesté, il ne résulte pas des pièces du dossier que le hangar agricole sur lequel portaient les travaux faisant l'objet de la demande de permis de construire refusée, était lui-même existant à cette date ; qu'en particulier, contrairement à ce que soutient la société appelante, l'acte notarié précité ne mentionne pas l'existence dudit hangar ; que les attestations versées au dossier par la société requérante, qui se bornent à attester de l'existence de ce hangar au plus tôt dans les années 1970, n'établissent pas que le bâtiment en cause existait avant le 15 juin 1943, date de l'instauration de la législation sur les permis de construire ; qu'il en est de même du constat de l'état des lieux et du rapport d'un architecte missionné par la société requérante, qui mentionnent uniquement le caractère vétuste du hangar en cause sans établir sa date de construction ; que le plan cadastral produit ne permet pas de déterminer la présence éventuelle de ce bâtiment particulier ; qu'il suit de là que la S.C.I «LES POUILLETTES» n'établit pas, comme elle le soutient, que le hangar agricole ne nécessitait aucune autorisation administrative compte tenu de son édification avant l'instauration de la législation sur les permis de construire ; que , par ailleurs, ladite société n'a pas justifié de l'existence d'une autorisation régulière en vue de la construction de ce bâtiment ; que, par suite, la société appelante n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont considéré, comme le faisait valoir la commune de La Motte, que les travaux en cause portant sur un bâtiment non régulièrement édifié, la demande de permis de construire devait porter sur l'ensemble des éléments de la construction et qu'à défaut, le maire ne pouvait que rejeter sa demande de permis de construire portant sur de simples travaux d'aménagement de ce hangar ; qu'il résulte des pièces du dossier que, s'il n'avait retenu que ce seul motif, le maire aurait pris la même décision ; que, dès lors, il n'y a pas lieu, pour la Cour de se prononcer sur les autres motifs de refus retenus par le maire de La Motte ;
    Considérant, en deuxième lieu, que les travaux en litige, qui ne pouvaient être regardés comme portant sur «une construction existante» au sens du m) de l'article R.422-2 du code de l'urbanisme, n'étaient pas exemptés de permis de construire ; que, par suite, les conclusions tendant à ce que la Cour constate l'existence d'une décision de non opposition à des travaux déclarés doivent, en tout état de cause, être rejetées
    »


    Et l’on soulignera que la circonstance que le pétitionnaire ne soit pas l’auteur des travaux illégaux n’a strictement aucune incidence dans la mesure où, compte tenu du caractère d’ordre public et réel de la législation d’urbanisme, le défaut d’existence légale d’une construction est opposable aux tiers, y compris lorsqu’il s’agit d’apprécier le caractère urbanisé du secteur au sein duquel est sis le terrain à construire puisque le Conseil d’Etat a récemment jugé, pour application de la loi littoral, qu’il ne pouvait être tenu compte des constructions illégales pour établir si le terrain à construire est sis dans une zone urbanisée (CE. 27 septembre 2006, Cne de Lavandou, req. n°275.923).

    Mais comme on le sait la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 a tempéré le principe issu de la jurisprudence dite « Thalamy » par l’introduction d’un nouvel article L.111-12 du Code de l’urbanisme disposant que « lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme ». Il reste que ce même article prévoit un certain nombre d’exceptions et, notamment, que la prescription décennale qu’il introduit ne vaut pas « lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ».

    Il est donc clair que ce nouveau dispositif ne modifie pas le régime applicable aux constructions édifiées sans qu’aucun permis de construire n’ait jamais été obtenu et auxquelles doivent nécessairement être assimilées celles réalisées à la faveur de travaux engagés ou poursuivis postérieurement à l’annulation, au retrait ou à l’extinction du délai de validité du permis de construire précédemment obtenu puisqu’au moment des travaux, le constructeur n’était donc plus titulaire de l’autorisation requise à cet effet. A contrario, sous réserve des autres exceptions prévues par le nouvel article L.111-12 du Code de l’urbanisme, le régime est applicable aux constructions exécutés en méconnaissance des prescriptions du permis de construire obtenu.

    Mais selon nous, puisque la question est discutée, la prescription décennale introduite par le l’article précité vaut également lorsque la construction a été exécutée conformément à un permis de construire ultérieurement annulé ou retiré.

    Il est vrai qu’au regard du droit de l’urbanisme et de la jurisprudence dite « Thalamy » ces constructions sont assimilées à celles réalisées sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu puisque, compte tenu de l’effet rétroactif attaché à l’annulation ou au retrait d’un permis de construire, la construction édifiée en exécution de ce dernier doit, en droit, être réputée réalisée sans permis de construire. En première analyse, on pourrait donc en déduire que la prescription décennale introduite par le nouvel article L.111-12 du Code de l’urbanisme ne bénéficie pas non plus aux constructions réalisées en exécution d’un permis de construire ayant ultérieurement disparu de l’ordonnancement juridique.

    Mais trois remarques nous semblent plaider pour une solution contraire.

    Tout d’abord, le trouble à l’ordre public résultant d’une construction rendue illégale par voie de conséquence de l’annulation ultérieure de son permis de construire est bien moindre que celui généré par une construction réalisée sans qu’aucune autorisation n’est jamais été obtenue ; sans compter que l’annulation du permis de construire peut résulter d’un simple vice de forme ou de procédure. D’ailleurs, malgré l’effet rétroactif attaché à l’annulation d’un permis de construire, celui qui l’a mis en œuvre ne se rend pas coupable d’un délit de construction sans autorisation au regard de l’article L.480-4 du Code de l’urbanisme ; sauf à ce qu’il l’ait obtenue par fraude (Cass. crim, 30 juin 1981, Bull. crim, n° 226 ; Cass. crim, 15 février 1995, Assoc. des amies de Saint-Palais sur Mer, pourvoi n° 94-80.739).

    Ensuite, dans la mesure où le nouvel article L.111-12 régit les travaux en considération de l’irrégularité de la construction « initiale » et fait courir la prescription qu’il prévoit à compter de son achèvement, il semble que ce soit à cette époque qu’il faille se placer pour apprécier la situation de la construction au regard du droit de l’urbanisme : le fait que le permis de construire ait ultérieurement été annulé ne devrait donc pas avoir d’incidence.

    Il est vrai, a contrario, qu’une telle interprétation de la rédaction de l’alinéa 1er du nouvel article L.111-12 pourrait également amener à conclure qu’une construction initialement régulière mais devenue illégale du fait de l’annulation ultérieure de son permis de construire ne fait donc pas partie des cas prévus par cet alinéa et, à ce seul titre, ne peut pas bénéficier de la prescription décennale qu’il prévoit alors que l’auteur des travaux n’a commis aucun délit. Il reste qu’alors, la réserve ainsi introduite ne viserait donc assurément que le cas où un permis de construire n’a jamais été obtenu : il prévoirait donc le cas où un délit a été commis comme une exception à une règle de principe dont le champ d’application ne recouvre pas les cas non-délictuels : ce qui ferait du nouvel article L.111-12 une bien curieuse règle de droit.

    Enfin, le point b) du nouvel article L.111-12 du code de l’urbanisme réserve également le cas où « une action en démolition a été engagée dans les conditions prévues par l'article L. 480-13 ».

    Or, aux termes de ce dernier, la condition première pour qu’une telle action prospère est que, préalablement, le permis de construire ait été annulé du fait d’une méconnaissance d’une règle d’urbanisme ou d’une servitude d’utilité publique.

    On voit donc mal quelle serait l’utilité de cette réserve expresse, si une construction réalisée en exécution d’un permis de construire ultérieurement annulé est, en toute hypothèse, exclue du bénéfice de la prescription décennale introduite par le nouvel article L.111-12. Précisément, celle-ci ne semble utile que pour s’opposer – le cas échéant, à titre conservatoire – à la régularisation par le temps de ces constructions menacées de démolition.

    D’ailleurs, il ressort des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 2006 dite « ENL » que la réserve prévue par le point f) du nouvel article L.111-12 a été introduite par l’Assemblée Nationale – contre le souhait du Sénat – pour éviter une « prime » au délit de construction sans autorisation.

    S’il incombera à la jurisprudence de trancher cette question, il nous semble donc raisonnable de considérer que la prescription décennale introduite par le nouvel article L.111-12 du code de l’urbanisme a vocation à bénéficier tant aux constructions réalisées en méconnaissance du permis de construire obtenu qu’à celles édifiées en exécution d’un permis de construire ayant ultérieurement disparu de l’ordonnancement juridique ; sauf, peut-être, à ce qu’il ait été obtenu par fraude.

    Et dans ces cas, le pétitionnaire n’aura donc plus à prouver l’existence légale de cette construction mais seulement son achèvement depuis plus de dix ; étant précisé que cet achèvement s’apprécie, d’une part, non pas au regard de la date de la formulation éventuelle d’une déclaration d’achèvement, laquelle n’est qu’un indice, mais de façon concrète, en considération de son état physique (Cass.civ., 11 mai 2000, Mme Duguet, Bull. civ., III, p.107 ; CAA. Versailles, 21 avril 2005, René Cazals, req. n°02VE03315) et, d’autre part, à la date non pas de la demande mais, par principe, de la date de délivrance de l’autorisation de travaux portant sur la construction (CE. 17 avril 1992, Flaig, req. n°94.390 ; voir, toutefois, ici

    Mais pour conclure, on précisera que la prescription décennale introduite par le nouvel article L.111-12 du Code de l’urbanisme n’a pas vocation à concerner les constructions restées inachevées à l’expiration du délai de validité de l’autorisation en exécution de laquelle les travaux ont été accomplis et ce, non pas parce que son dispositif se réfère à l’achèvement de la construction mais parce que, par principe, le seul inachèvement d’une construction n’a pas pour effet de la rendre illégale et, par voie de conséquence de lui rendre opposable la jurisprudence dite « Thalamy » (CAA. Marseille, 8 décembre 2005, Cne d’Eguilles, req. n° 02MA01240 ; TA. Nice, 23 février 2006, M. Cozza, req. n°01-05873).



    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés

  • Pour apprécier si les conditions posées par l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme sont réunies, il convient de prendre en compte la destination de fait de la construction existante

    Si les autres conditions posées par l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme sont réunies, les travaux projetés sur une construction existante relèvent de déclaration préalable dès lors qu’ils n’emportent pas un changement de destination de cette construction et ce, y compris si à la date de la décision intervenant sur cette déclaration cette destination ne correspondait plus à celle pour laquelle la construction avait été autorisée et, en d’autres termes, quand bien même ce changement de destination n’aurait-il pas été régulièrement autorisé.

    CE. 12 janvier 2007, Epx Fernandez., req. n°274.362


    Dans cette affaire, les époux Fernandez avaient formulé une déclaration de travaux portant sur un bâtiment qu’il occupait en tant qu’habitation. Il reste qu’initialement, ce bâtiment avait été autorisé en tant que bâtiment à usage agricole et qu’aucun permis de construire n’avait été obtenu pour le transformer en construction à destination d’habitation alors qu’un tel permis de construire était requis puisque l’on sait que, par principe, tous travaux emportant un changement de destination requièrent une telle autorisation (art. L.421-1.al.-2 ; C.urb).

    C’est à ce motif que le Tribunal administratif de Montpellier devait annuler la décision de non-opposition émise par la commune de Carcassonne sur la déclaration de travaux précédemment formulée par les époux Fernandez en jugeant que les travaux projetés devaient relever d’un permis de construire destiné à régulariser la destination de fait de la construction en cause ; étant rappelé qu’en application des dispositions combinées des articles R.421-1.al.-2 et R.422-2-m) du Code de l’urbanisme des travaux emportant un changement de destination ne peuvent pas bénéficier du régime déclaratif (sur le nouveau régime, voir ici) .

    Il reste que le Conseil d’Etat devait pour sa part estimer que :

    « Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a relevé que le bâtiment en cause, initialement à usage agricole, avait ensuite été transformé à usage d'habitation ; qu'il a ensuite jugé que, dès lors que le propriétaire n'établissait pas que cette transformation avait fait l'objet d'un permis de construire l'autorisant, les travaux envisagés ne relevaient pas du régime de la déclaration de travaux et qu'il y avait lieu de régulariser le changement de destination de l'immeuble par le dépôt d'une demande de permis de construire ; qu'en recherchant les conditions dans lesquelles la destination du bâtiment avait évolué depuis sa construction et en annulant la décision attaquée au motif que le changement de cette destination n'avait pas régulièrement, dans le passé, fait l'objet d'une autorisation d’urbanisme, les juges du fond ont commis une erreur de droit ; que, dans ces conditions, les époux Fernandez et la commune de Carcassonne sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;
    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le bâtiment faisant l'objet de la déclaration de travaux en cause était déjà à usage d'habitation à la date de cette déclaration ; qu'il est constant que les travaux qui ont été déclarés, n'ont pas pour effet de changer la destination de ce bâtiment ; que si Mme soutient que ce bâtiment était initialement à usage de remise agricole et qu'ensuite, il y a plusieurs années, il a été transformé en bâtiment à usage d'habitation sans qu'une autorisation d’urbanisme ne soit intervenue, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ces travaux relèvent donc du régime de la déclaration dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article R. 422-2 du code de l’urbanisme; qu'ainsi, Mme n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le maire de Carcassonne ne s'est pas opposé à la réalisation des travaux déclarés par M.
    ».

    La Haute Cour a donc considéré que pour application des dispositions de l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme et, plus précisément, pour établir si les travaux projetés emportent ou non un changement de destination, il convenait de prendre en compte non pas la destination initialement autorisée de la construction en cause mais sa destination effective à la date à laquelle l’administration statue sur la déclaration, y compris si cette destination a été irrégulièrement conférée à cette construction.

    Une telle solution ne manque pas de surprendre au regard tant de la jurisprudence relative aux travaux projetés sur des constructions irrégulières que de celle portant sur le mode d’appréciation de la destination d’un ouvrage.

    Il convient, en effet, de rappeler que les travaux illégalement réalisés ne sauraient aboutir à la formation d’une construction juridiquement existante et, par voie de conséquence, ne peuvent pas être pris en compte. En pareil cas, aucun travaux nouveaux ne saurait être autorisé sur cette construction illégale sans que celle-ci n’ait été régularisée par une autorisation adéquate (CE. 9 juillet 1986, Thalamy, req. n°51.172) ; sous réserve de la « prescription décennale » introduite par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2006 dite « ENL » dont ont précisera, à toutes fins, qu’elle n’était évidemment pas applicable en l’espèce compte tenu de la date des faits et, en toute hypothèse, n’aurait pas pu l’être puisque cet article exclut du bénéfice de cette « prescription » les travaux réalisés sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu.

    C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu juger que ne pouvaient être autorisés sans une régularisation préalable des travaux portant sur une construction dont la destination avait été changée sans autorisation (CE. 8 juillet 1994, M. That, req. n°119.002) et, notamment, que des travaux projetés sur la façade d’une telle construction exigeait un permis de construire destiné à régulariser la destination de fait de cette dernière, quand bien même les nouveaux travaux relevaient-ils intrinsèquement du régime déclaratif prévu par l’article R.422-2 (CE. 30 mars 1994, Gigoult, req. n°137.881).

    L’arrêt commenté prend donc à contre-pied cette jurisprudence pourtant bien établie. Mais dans une certaine mesure, il va également en sens inverse de la jurisprudence relative à l’appréciation de la destination des constructions.

    Il ressort, en effet, de la jurisprudence administrative récente qu’une construction est réputée conserver sa destination première, c’est-à-dire celle initialement autorisée, tant qu’un changement de destination n’a pas été entériné par une nouvelle autorisation d’urbanisme, y compris dans le cas où la construction n’a jamais reçu l’affectation pour laquelle elle avait été autorisée, telle une construction à destination d’habitation n’ayant jamais été occupée (CAA, Marseille, 10 décembre 1998, Cne de Carcès, req. n°97MA00527 ; CAA. Marseille, 8 décembre 2005, Cne d’Eguilles, req. n° 02MA01240).

    Il est vrai qu’antérieurement, le Conseil d’Etat avait estimé qu’une construction pouvait avec le temps perdre sa destination initiale (CE. 20 mai 1996, M. et Mme Auclerc, req. n°125.012). Il reste que non seulement une telle décision n’impliquait pas qu’une construction puisse acquérir une nouvelle destination par le seul effet du temps mais qu’en outre, le Conseil d’Etat avait ultérieurement précisé que la circonstance qu’une construction soit utilisée à un autre usage que celle pour laquelle elle avait été autorisée ne lui faisait pas perdre sa destination initiale au regard du droit de l’urbanisme (CE. 31 mai 2001, Cne de d’Hyères-les-Palmier, req. n°234.226).

    Pour autant, l’arrêt commenté induit donc que non seulement une construction peut perdre la destination pour laquelle elle avait été autorisée mais, en outre, que celle-ci peut en acquérir une nouvelle par le simple usage.

    Dans une certaine mesure, cette décision peut ainsi être rapprochée de l’arrêt lequel le Conseil d’Etat a jugé que « pour l'application des dispositions (de l’ancien article L.112-7 du Code de l’urbanisme) au cas d'une demande de permis de construire portant sur l'aménagement de bâtiments existants, il y a lieu, pour déterminer leur surface hors ouvre nette avant travaux, de prendre en considération leur mode d'utilisation effectif à la date de la demande » (CE. 17 décembre 2003, Crts Mignon, req. n°242.448).


    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés