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Déclaration préalable - Page 2

  • La destination « CINASPIC » au sens de l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme n’est pas exclusive pour application de l’article R.424-17 b) du Code de l’urbanisme

     

    Même à admettre que ces deux affectations répondent à la notion de « CINASPIC », la transformation d’un hôtel des impôts en établissement d’enseignement constitue un changement de destination soumis à déclaration préalable au titre de l’article R.424-17 du Code de l’urbanisme.

    Cass. crim, 26 février 2013, pourvoi n°12.80-973

    Voici un arrêt qui s’il appelle relativement peu de commentaires n’en est pas mois intéressant en ce qu’il traite d’une problématique singulière dont nous ne pensions pas qu’elle serait si « rapidement » tranchée par la jurisprudence, en l’occurrence judiciaire.

    Dans cette affaire, le prévenu avait acquis un immeuble à usage d’hôtel des impôts mais qu’il avait ensuite transformé en établissement d’enseignement et ce, sans avoir sollicité la moindre autorisation d’urbanisme.

    Mais celui-ci devait ainsi être poursuivi puis condamné pour avoir procéder à un changement de destination sans avoir formulé la déclaration requise par l’article R.421-17 du Code de l’urbanisme ; la Cour d’appel de Versailles, aux termes d’une analyse quelque peu particulière, ayant estimé que l’immeuble existant était ainsi passé de construction à destination « de bureaux nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif » à « celle de construction et installation nécessaire aux services publics ou d'intérêt collectif comme assurant une activité exercée sous le contrôle de l'Etat dans le but de satisfaire un besoin d'intérêt général, mais ne répondant plus à la destination de bureaux ».

    Outre que cette distinction entre « CINASPIC » n’a évidemment pas lieu d’être au regard de l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme, du moins pour application de l’article R.421-17, il faut surtout préciser à titre liminaire qu’il n’est pas si certain et loin s’en faut que l’immeuble dans son état initial constituait un « CINASPIC » dès lors qu’en tant qu’hôtel des impôts il était principalement affecté à usage de bureau et d’archivages.

    Or, comme on le sait, « la notion d’équipement public ne saurait se confondre avec celle de bâtiment public, ni bien sûr avec celle de bâtiment accueillant du public. (…) Les bureaux de la CPAM, où les agents accomplissent leur travail, ne sont pas des équipements publics comme le sont une école, un hôpital, une piscine ou une bibliothèque, lesquels accueillent du public pour lui offrir un service d’enseignement, de soins, de loisirs. Il y’a dans la notion d’équipement public, l’idée de réponse apportée à un besoin collectif, par la mise à disposition d’installations sportives, culturelles, médicales, etc., ce que ne recouvre pas une simple construction de bureaux administratifs, même s’ils accueillent du public » (Concl. MITJAVILLE : CE. 3 mai 2004, CPAM de la Meuse, req. n°223.091).

    Il n’en demeure pas moins que dans son pourvoi en cassation, le prévenu devait contester cette distinction opérée par la Cour d’appel pour évidemment soutenir que dès lors qu’un hôtel des impôts et un établissement d’enseignement étaient l’un comme l’autre des « CINASPIC », il n’y avait eu aucun changement de destination au sens de l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme et, partant, qu’aucune déclaration n’était requise.

    On sait en effet que pour apprécier s’il y a ou non changement de destination l’article R.424-17 précité, (comme l’article R.421-14 d’ailleurs) vise les différentes destinations définies à l'article R.123-9 du Code de l’urbanisme dont on rappellera qu’il dispose que « les règles édictées [par un règlement de PLU] peuvent être différentes, dans une même zone, selon que les constructions sont destinées à l'habitation, à l'hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l'artisanat, à l'industrie, à l'exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d'entrepôt. En outre, des règles particulières peuvent être applicables aux constructions et installations nécessaires aux services publics ou d'intérêt collectif ».

    Toute la question est ainsi de savoir :

    • si la notion de « CINASPIC » correspond à une destination « primaire » et autonome de celles par ailleurs visées par l’article précité (« l'habitation, à l'hébergement hôtelier, aux bureaux, au commerce, à l'artisanat, à l'industrie, à l'exploitation agricole ou forestière ou à la fonction d'entrepôt ») et ou, plus spécifiquement, et pour application de l’article R.421-17, si elle prime celles-ci ;

    • ou si au contraire elle peut correspondre à une destination « secondaire » et revêtant un caractère mixte dont il faut alors prendre en compte toutes ses composantes pour apprécier si son changement d’usage est ou non constitutif d’un changement de destination.

    Or, c’est la seconde option que nous semble avoir retenu la Cour de cassation en jugeant que :

    « Attendu que, pour déclarer l'Institut de formation de Saint-Quentin-en-Yvelines coupable d'exécution irrégulière de travaux soumis à une déclaration préalable, l'arrêt attaqué constate que cet organisme n'a déposé aucune déclaration de travaux ; que les juges relèvent que le bâtiment acquis par le prévenu dans son état d'origine, à savoir un hôtel des impôts, puis aménagé par celui-ci en établissement d'enseignement, est une construction et installation nécessaire aux services publics ou d'intérêt collectif comme assurant une activité exercée sous le contrôle de l'Etat dans le but de satisfaire à un besoin d'intérêt général, mais ne répondant plus à la destination de bureaux ; qu'ils en déduisent que le changement de destination est démontré ;
    Attendu qu'en se déterminant par des motifs exempts d'insuffisance, d'où il résulte que le bâtiment existant était, au moins partiellement, destiné à un usage autre que de bureaux, la cour d'appel, abstraction faite de motifs erronés relatifs à la nécessité des services publics et à l'intérêt collectif, a justifié sa décision
    ».


    La solution n’était pas totalement évidente.

    Si au regard ddes destinations énoncées par l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme, certains types de construction sont par nature des « CINASPIC » (écoles, musées, hôpitaux, etc.), si bien qu’aucune autre de ces destinations ne peut les définir, d’autres peuvent parfaitement correspondre d’un point de vue physique et/ou fonctionnel à l’une de ces destinations mais néanmoins être qualifiées de « CINASPIC ».

    C’est ainsi qu’à titre d’exemple, une usine d’incinération constituant pourtant intrinsèquement une construction à destination industrielle, peut néanmoins accéder au statut de « CINASPIC » (CE. 23 décembre 1988, Association pour la défense de l’environnement de Miremont, req. n°82.863).

    A cet égard, la notion de CINASPIC correspond donc à une destination mixte ou, pour reprendre les termes de la Cour d’appel, à une destination « plus large que les autres et les recouvrant ».

    Il n’en demeure pas moins que lorsqu’à titre d’exemple, une usine d’incinération constitue un « CINASPIC » – ce qui ne va pas non plus de soi puisque rappelons-le la notion de « CINASPIC » est à géométrie variable et dépend de la réalité des besoins d’intérêt général auxquels elle a vocation à répondre (pour un exemple de ce mode d’appréciation en la matière : CAA. Lyon, 5 février 2013, Groupe Pizzorno Environnement, req. n°12LY01578) – elle s’en trouve alors soumise aux prescriptions spécifiquement prévues par le PLU pour ce type particulier de constructions et ce, alors même que ce même PLU vise spécifiquement les construction industrielle (CE. 16 juin 2004, Laboratoire de Biologie Végétale – Yves ROCHER, req. n° 254.172).

    Dans cette mesure, la notion de « CINASPIC » correspond ici à une destination exclusive qui prime celles par ailleurs énoncées par l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme.

    Cela étant, ces jurisprudences ont trait à la détermination des règles du PLU effectivement applicables aux permis de construire cause dans ces affaires ; ce qui renvoie à la fonction et à l’utilité de cette notion – et selon cet article à celles des « règles particulières » qu’elle permet d’édicter – qui « vise à fonder une faculté de dérogation aux règles générales » (Concl Y.AGUILA sur CE. 23 novembre 2005, req. n°262.105, in BJDU, n°1/2006, p.20).

    Ce sont donc les règles spéciales que constituent les normes propres aux CINASPIC qui priment les règles générales édictées et le cas échéant modulées selon les autres destinations visées par l’article R.123-9 du Code de l’urbanisme.

    Or, en l’espèce, il ne s’agissait pas de déterminer en aval les normes applicables au projet mais d’apprécier en amont s’il impliquait ou non une déclaration préalable.

    Il n’en demeure pas moins que la solution retenue par la Cour de cassation apparait parfaitement fondée au regard tant de la finalité de la déclaration prévue par l’article R.424-17 b) du Code de l’urbanisme qu’au regard de l’utilité de ces « règles particulières ».

    D’une façon générale, il faut en effet rappeler qu’un projet portant sur un bâtiment existant et emportant un changement de destination sans travaux, ou sans travaux saisis par le droit des autorisations d’urbanisme, est néanmoins soumis aux normes d’urbanisme applicables en conséquence de sa nouvelle destination. La déclaration prévue par l’article R.421-17 b) du Code de l’urbanisme permet donc au premier chef de vérifier que ce changement de destination n’emporte pas une méconnaissance de ces règles.

    Plus spécifiquement, l’article R.123-9 précité vise l’édiction de « règles particulières » permettant donc uniquement d’apporter une « dérogation » ou, plus précisément, une exception aux règles générales ; ce dont il résulte que cet article n’a pas vocation à permettre d’affranchir les « CINASPIC » de toute règle ou, a contrario, implique néanmoins de les soumettre au « minimum normatif » requis.

    Cela étant, il est pour le moins fréquent que ces règles particulières soient exprimées de façon relativement souple et non quantifiée en prévoyant qu’à titre d’exemple, le nombre de places de stationnement requis doit être fixé en considération des besoins propres à l’équipement d’intérêt collectif considéré.

    Or, même si la destination du bâtiment existant et sa destination future présentent les caractéristiques propres aux « CINASPIC », il n’en demeure pas moins que ces besoins en matière de stationnement peuvent varier selon l’affectation effective du bâtiment en cause.

    C’est dans cette mesure que la décision commentée ce jour apparait justifier.

    Pour conclure, et bien que cet autre point particulier n’ait pas été abordé, on peut néanmoins relever que pour la Cour de cassation, il y avait bien changement de destination dès lors que le bâtiment « était, au moins partiellement, destiné à un usage autre que de bureaux » alors que rappelons-le l’article R.421-17 b) du Code de l’urbanisme précise également pour « l'application du présent alinéa, les locaux accessoires d'un bâtiment sont réputés avoir la même destination que le local principal ».

    Il reste que si les bureaux étaient les locaux principaux de l’hôtel des impôts existant (dont les locaux accessoires étaient les salles d’archivage), ils avaient a priori vocation à devenir en revanche les locaux accessoires d’une construction à destination principale d’établissement d’enseignement.

     

    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés

  • Sur l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme et l’échéance à respecter pour retirer une autorisation d’urbanisme

    Les trois mois prévus par l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme pour procéder au retrait des permis doivent être compris comme le délai ouvert à l’administration non pas seulement pour prendre mais également pour notifier l’arrêté de retrait au bénéficiaire de l’autorisation retirée. C’est également la seule notification de la décision portant retrait qui doit être prise en compte s’agissant des déclarations préalables. Partant, une demande de pièce complémentaire signée avant le délai ouvert à cet effet à l’administration mais notifiée après cette échéance au déclarant est nécessairement illégale.

    CE. 13 février 2012, Association Protectrice des Animaux des Vannes, req. n°315.657/TA Amiens, 3 novembre 2011, req. n°10-02538

    Dans cette affaire, l’association pétitionnaire avait acquis un permis de construire tacite qui devait toutefois lui être ultérieurement retiré. En conséquence, celle-ci décida d’exercer une requête aux fins de référé suspension à l’encontre de cette décision de retrait en invoquant l’illégalité de cette décision au regard de l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme dès lors qu’elle lui avait été notifiée plus de trois mois après la formation de l’autorisation tacite ultérieurement retirée.

    Il reste que ce moyen devait être rejeté par le juge des référés du Tribunal administratif de Rennes au motif que la décision de retrait avait bien été signée avant l’échéance dudit délai de trois mois. Le Conseil d’Etat devait toutefois censuré cette analyse au motif suivant :

    « Considérant, d'autre part, qu'aux termes du second alinéa de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme : Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision ; que, compte tenu de l'objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur, qui ressort des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 2006 dont ces dispositions sont issues, l'autorité compétente ne peut rapporter un permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, que si la décision de retrait est notifiée au bénéficiaire du permis avant l'expiration du délai de trois mois suivant la date à laquelle ce permis a été accordé ;
    Considérant qu'à l'appui de sa demande de suspension de l'exécution de l'arrêté signé le 7 mars 2011 par lequel le maire de Theix a retiré le permis de construire tacite qui lui avait été accordé, l'association requérante faisait valoir que ce retrait était illégal, faute de lui avoir été notifié avant l'expiration du délai fixé par l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme ; que, pour juger que ce moyen n'était pas de nature à faire naître un doute sérieux quant à la légalité de l'arrêté attaqué, le juge des référés du tribunal administratif de Rennes a relevé que la signature de cet arrêté était antérieure à l'expiration de ce délai et que la date de sa notification était sans incidence sur sa légalité ; qu'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il a, ce faisant, commis une erreur de droit ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, l'association est fondée à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée
    ».


    Pour tout dire la solution n’est pas franchement surprenante. En effet, la solution n’est finalement pas nouvelle s’agissant d’une décision de retrait, c’est-à-dire d’une décision individuelle défavorable qui ne devient exécutoire et ne produit donc ses effets juridiques à l’égard de son destinataire qu’à compter de sa notification. Or, sur ce point, l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme est finalement parfaitement rédigé et explicite : « le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que (…) ».

    Il ressort donc de la lettre même de cet article que ce n’est pas seulement la décision de retrait qui doit être prise dans le délai de trois mois. C’est le retrait (effectif) du permis (illégal) qui doit s’opérer avant cette échéance. Et dès lors que l’intervention de ce retrait implique que l’arrêté le décidant devienne exécutoire, il est donc normal que ce soit la notification de cette décision qui doive intervenir avant l’expiration du délai de trois mois prévu par l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme.

    Il faut cependant mesurer les conséquences concrètes de cette décision pour l’administration puisque ce délai court à son égard à compter de la signature du permis ou de la date de formation du permis tacite, et non pas donc à compter de l’affichage par le pétitionnaire de son autorisation sur le terrain des opérations. En outre, il faut rappeler que d’un point de vue procédural la légalité d’un retrait de permis de construire implique la mise en œuvre préalable de la procédure contradictoire prévue par l’article 24 de la loi n°2000-321 et dont l’administration ne peut s’affranchir au seul motif de l’échéance prochaine du délai lui étant offert pour procéder au retrait du permis en cause.

    D’ailleurs, on se souvient que le Conseil d’Etat avait déjà rendu une décision équivalente s’agissant des décisions de refus, et en l’occurrence d’une décision d’opposition à déclaration préalable, qui lorsqu’elles sont notifiées après l’expiration du délai ouvert à l’administration pour statuer sur la demande, et donc après la formation le plus souvent d’une autorisation tacite, sont requalifiées par le juge en décision de retrait de l’autorisation tacite et s’en trouve de ce fait illégale car entachées d’une méconnaissance de l’article 24 précité :

    « Considérant qu'aux termes de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs relations avec les administrations : « Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application des articles 1er et 2 de la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et à l'amélioration des relations entre l'administration et le public n'interviennent qu'après que la personne intéressée a été mise à même de présenter des observations écrites et, le cas échéant, sur sa demande, des observations orales. (… )» ; qu'il résulte de ces dispositions que les décisions qui retirent une décision créatrice de droits doivent être motivées en application de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 et les personnes intéressées doivent avoir au préalable été invitées à présenter leurs observations ; Considérant que si le maire a pris, dès le 28 mai 2001, avant l'expiration du délai de deux mois, une décision d'opposition à la déclaration, cette décision n'a été notifiée à la SCI requérante que le 5 juin 2001 ; qu'ainsi, le 30 mai, celle-ci était bénéficiaire d'une décision implicite de non-opposition aux travaux décrits dans sa déclaration ; que cette décision implicite avait créé des droits ; que, par suite, la décision expresse notifiée le 5 juin suivant ne peut s'analyser que comme une décision de retrait de la précédente décision implicite créatrice de droits ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel a entaché sa décision d'erreur de droit en rejetant le moyen tiré de ce que la décision de retrait aurait été prise selon une procédure irrégulière, faute pour le maire d'avoir invité la SCI AGYR à présenter des observations écrites ;
    Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la SCI AGYR est fondée à demander l'annulation de l'arrêt de la cour administrative d'appel de Nantes du 30 juin 2005 ; Considérant que dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de régler l'affaire au fond en application de l'article L. 821-2 du code de justice administrative et de statuer sur l'appel formé par la SCI AGYR
    » (CE. 30 mai 2007, SCI AGYR, req. n°288.519).


    Mais s’agissant précisément des décisions de non-opposition à déclaration préalable la problématique se pose quelque peu différemment puisqu’aux termes de l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme une telle décision par principe tacite ne peut pas être légalement retirée.

    C’est l’objet du jugement du Tribunal administratif d’Amiens commenté ce-jour. Dans cette affaire le requérant avait formulé une déclaration dont l’administration avait accusé réception. Ce faisant, cette dernière avait alors un mois pour solliciter du déclarant les pièces éventuellement manquantes à son dossier et/ou pour s’opposer à son projet.

    En l’occurrence les services instructeurs de la déclaration en cause devait édicter une décision portant demande de pièces complémentaires qui pour avoir été signée et envoyée au déclarant dans ce délai d’un mois devait cependant être reçu par le déclarant après l’échéance de ce délai.

    Le déclarant devait ainsi attaquer cette décision en raison de son illégalité procédant du fait que cette décision était illégale non seulement en tant que demande de pièces complémentaires intervenue après le délai d’un mois ouvert à cet effet mais également en tant qu’elle valait retrait de la décision de non-opposition tacite formée à l’expiration de ce même délai dès lors qu’il avait reçu la décision contestée après cette échéance. Et cette analyse devait donc être suivie par le Tribunal administratif d’Amiens.

    Ce jugement est intéressant à deux égards. D’une part, il confirme qu’une décision de demandes de pièces complémentaires intervenant après le délai ouvert à cet effet et/ou de retrait d’une décision de non-opposition tacite à une déclaration est certes illégale mais constitue néanmoins un acte existant, lequel produit donc ses effets juridiques tant que cette illégalité n’a pas été sanctionnée par le juge administratif. Il faut dire que :

    • une décision de demande de pièces complémentaires formulée après le délai d’un mois ouvert après ce délai n’est pas illégale de ce seul chef puisque sa « tardiveté » a pour seul effet de ne pas remettre en cause le délai d’instruction de la demande ;
    • le retrait d’une décision de non-opposition reste possible lorsqu’il est motivé par la fraude du déclarant.

    De telles décisions ne sont donc pas totalement étrangères aux pouvoirs dont dispose l’autorité administrative compétente en la matière.

    D’autre part, ce jugement présente l’intérêt de rappeler ce qu’est la date de notification : ce n’est ni la date de signature de la décision, ni sa date d’envoi, ni même nécessairement sa date de présentation mais en principe la date à laquelle la décision en cause est effectivement reçue par son destinataire.

    Cette règle vaut évidemment en toute matière et, à titre d’exemple pour ce qui concerne le droit de l’urbanisme et en l’occurrence les décisions de notification des décisions de préemption, on relèvera qu’il vient d’être jugé que :

    « Considérant qu'il résulte des dispositions mentionnées ci-dessus de l'article L. 213-2 du code de l'urbanisme, que les propriétaires qui ont décidé de vendre un bien susceptible de faire l'objet d'une décision de préemption doivent savoir de façon certaine, au terme du délai de deux mois imparti au titulaire du droit de préemption pour en faire éventuellement usage, s'ils peuvent ou non poursuivre l'aliénation entreprise ; que, dans le cas où le titulaire du droit de préemption décide de l'exercer, les mêmes dispositions imposent que la décision de préemption soit, au terme du délai de deux mois, non seulement prise mais également notifiée, au propriétaire intéressé ; que la réception de la décision par le propriétaire intéressé dans le délai de deux mois, à la suite de sa notification, constitue, par suite, une condition de la légalité de la décision de préemption ;
    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le délai de deux mois dont disposait la COMMUNE DE MONT-DE-MARSAN pour exercer le droit de préemption sur l'immeuble appartenant à la SCI du Bord de l'Eau expirait le 5 février 2009 ; que si le pli contenant la décision de préemption a été posté par lettre recommandé avec demande d'avis de réception le 30 janvier 2009, ce pli a été retiré par le mandataire de la SCI du Bord de l'Eau au bureau de poste le 6 février 2009 ; que seule cette date, et non celle de la présentation du pli, doit être regardée comme celle de la réception de la décision de préemption ; que cette date étant postérieure à l'expiration du délai d'exercice de ce droit, la commune doit être réputée avoir renoncé à l'exercer
    » (CAA. Bordeaux, 7 février 2012, Cne de Mont-de-Marsan, req. n°11BX00761).


    Pour conclure, sur l’arrêt du Conseil d’Etat, on peut toutefois regretter que « l'objectif de sécurité juridique poursuivi par le législateur, qui ressort des travaux préparatoires de la loi du 13 juillet 2006 » auquel il s’est référé ne l’ait pas amené à conclure qu’en pareil cas, il y avait nécessairement urgence à suspendre l’exécution d’un tel retrait.

    On espère que cet objectif sera mieux pris en compte pour ce qui concerne l’article L.425-5 du Code de l’urbanisme en ce qu’il dispose que « passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire ».

     

     
    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés

  • La décision modificative de non-opposition à déclaration de travaux

    Lorsqu'un arrêté de non opposition aux travaux déclarés a été délivré sans que soient respectées des formes ou formalités, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par un arrêté modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté initial de non opposition aux travaux déclarés.

    CE. 6 mai 2011, Ministre de l’écologie, req. n°336.919 (ici)



    Voici un arrêt qui appelle peu de commentaires mais s’avère néanmoins d’importance, et qui d’ailleurs  aurait peut-être mérité à notre sens d’être mentionné au Recueil. Mais il est vrai que selon nous la réponse était presque évidente…du moins dans son principe puisque son champ d’application semble en revanche revêtir quelques subtilités.

    Dans cette affaire, le requérant avait formulé une déclaration de travaux portant sur la construction d’un mur paravent, laquelle donna lieu le 11 avril 2008 à une décision de non-opposition expresse qui devait être attaquée au motif, notamment, qu’elle ne comportait pas le nom de son titulaire, le déclarant.

    En conséquence, le Maire édicta le 29 juillet 2008 un nouvel arrêté complémentaire comportant le non de l’auteur de la déclaration initiale.

    Pour autant, le Tribunal administratif de Montpelier devait juger que l’arrêté du 29 juillet 2008 n’était pas susceptible de régulariser l’arrêté initial du 11 avril 2008 et, par voie de conséquence, annuler la décision de non-opposition du 11 avril 2008.

    En l’état, on ne sait exactement sur quel fondement ledit Tribunal a prononcé cette annulation. On peut peut penser qu’il a considéré que l’absence de mention du nom du déclarant constituait un vice substantiel dans la mesure où ce faisant, l'autorisation délivrée n'avait pas de titulaire (TA. Versailles, 26 octobre 1993, Segal, DA 1994, comm. n°57).

    Mais en toute hypothèse, il faut admettre que la décision de non-opposition initiale était assortie de prescriptions puisque ce n’est que dans ce cas qu’une telle décision doit nécessairement prendre la forme d’un arrêté exprès et qu'en dehors de ce cas, les vices de forme affectant une décision de non-opposition délivrée sous la forme d’une arrêté que rien n’imposait ne sauraient l’affecter d’illégalité puisque le conseil d’Etat a jugé que :

    « Considérant, en deuxième lieu, qu'il résulte des dispositions combinées des articles L. 441-2, L. 441-3 et L. 422-2 du code de l'urbanisme, dans leur rédaction applicable à la date de l'arrêté attaqué, que l'édification d'une clôture, qui est subordonnée à une simple déclaration préalable, peut être exécutée en l'absence d'opposition dans le délai d'un mois suivant le dépôt de la déclaration, sous réserve, le cas échéant, du respect des prescriptions notifiées dans les mêmes conditions ; que les travaux de cette nature ne donnent donc en principe pas lieu à une décision explicite de l'autorité compétente, sauf en cas d'opposition ou de prescriptions particulières ; que toutefois, à la suite de la déclaration déposée le 4 novembre 2002 par Mme A, le maire de la commune d'Audresselles a pris, le 3 décembre 2002, une décision explicite de non-opposition à travaux, sans imposer le respect de prescriptions particulières, alors même qu'il n'était pas tenu de le faire ; qu'il suit de là que l'irrégularité formelle de l'arrêté du 3 décembre 2002 résultant de ce que n'y figure pas la mention du nom et du prénom de son auteur, comme l'imposent les dispositions de l'article 4 de la loi du 12 avril 2000, ne présente pas, en l'espèce, un caractère substantiel ; que, par suite, le moyen tiré de cette irrégularité doit être écarté » (CE. 14 mai 2008, M. et Mme B., req. n° 289.745).

    Mais surtout, on ne sait pourquoi le Tribunal administratif de Montpelier a considéré que l’arrêté du 29 juillet 2008 n’était pas susceptible de régulariser la décision initiale du 11 avril 2008 (si certains lecteurs disposent du jugement, nous sommes évidemment preneur).

    Deux motifs sont possibles.

    D’une part, on peut penser que le Tribunal a considéré qu’une décision modificative ne pouvait pas régulariser le vice de forme affectant l’autorisation initiale puisqu’en substance, l’édiction d’une seconde décision fut-elle présentée sous la forme d’une décision modificative ne changeait rien au fait que la première ne mentionnait pas le nom de son titulaire.

    Sur ce point, il ne peut être pas anodin de rappeler que le Tribunal administratif de Montpelier relève du ressort de la Cour administrative d’appel de Marseille, laquelle de façon isolée (CAA. Paris, 30 octobre 2008, M. Gilbert Y., req. n°05PA04511 ; CAA. Nantes, 27 mars 2007, Cne de la Faute-sur-Mer, req. n°06NT01269) a jugé qu’un « modificatif » ne pouvait pas régulariser un permis de construire primitif ne comportant pas le nom et prénom de son auteur comme l’impose l’article 4 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 (CAA. Marseille, 16 mai 2007, M.Y., req. n°04MA01336).

    D’autre part, et plus fondamentalement, on ne peut exclure que le Tribunal ait considéré qu’une décision de non-opposition était par nature insusceptible de faire l’objet une décision modificative ; possibilité que n’avait pourtant pas réellement semblé exclure la Cour administrative d’appelle de Marseille dans l’arrêt par lequel elle avait précédemment jugé que :

    « Considérant, d'autre part, que contrairement à ce que soutient M. X, la déclaration de travaux à laquelle s'est opposé le maire de BREIL-SUR-ROYA ne peut être regardée comme une déclaration modificative de celle qu'il avait déposée en vue de la réfection de la toiture et à laquelle ne s'était pas opposée cette même autorité administrative par décision du 19 juillet 1994, dès lors que l'objet des travaux à réaliser était différent et sans lien direct ; que dans ces conditions, le maire de BREIL-SUR-ROYA a pu légalement, par décision du 10 janvier 1996, s'opposer aux travaux déclarés par M. X » (CAA. Marseille, 9 octobre 2003, Jean-Pierre X., req. n99MA01672).

    Mais en toute hypothèse l’arrêt commenté en ce qu’il a donc jugé que :

    « Considérant que lorsqu'un arrêté de non opposition aux travaux déclarés a été délivré sans que soient respectées des formes ou formalités, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par un arrêté modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises ; que les irrégularités ainsi régularisées ne peuvent plus être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir dirigé contre l'arrêté initial de non opposition aux travaux déclarés ; qu'ainsi en jugeant que l'arrêté complémentaire du 29 juillet 2008 n'était pas susceptible de régulariser l'illégalité dont se trouvait entaché l'arrêté du 11 avril 2008, le tribunal administratif a entaché sa décision d'erreur de droit ; que dès lors son jugement en date du 17 décembre 2009 doit être annulé ».

    est susceptible d’écarter l'un comme l'autre de ces deux motifs.

    D’une part, et comme on le sait, le Conseil d’Etat a jugé que « lorsqu'un permis de construire a été délivré (…) sans que soient respectées les formes ou formalités préalables à la délivrance des permis de construire, l'illégalité qui en résulte peut être régularisée par la délivrance d'un permis modificatif dès lors que celui-ci assure les respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises » (CE. 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, 238.315).

    Or, par « forme », on voit mal ce que le Conseil d’Etat pouvait entendre si ce n’est principalement les mentions de l’autorisation d’urbanisme en cause.

    De ce fait, il est donc possible de considérer que ce faisant la Haute Cour a également annoncé la possibilité de régulariser une autorisation méconnaissant l’article 4 de la loi du 12 avril 2000 par une simple décision « modificative ».

    En effet, nous voyons mal ce qui pourrait expliquer que l’absence de mention du nom du bénéficiaire constitue un vice substantiel, si ce n’est qu’à défaut d’une telle précision l’arrêté doivent être considéré comme n’ayant pas de titulaire ou, à tout le moins, que le défaut de cette mention prive de destinbatire la prescription assortissant la décision. 

    Or, une autorisation d’urbanisme sans titulaire peut constituer un acte inexistant (voir toutefois: CAA. Bordeaux, 30 décembre 2005, LPA, n°88/2006) alors que le défaut de mention du nom et du prénom du signataire d’une décision administrative constitue un pur vice forme ne suffisant pas en lui-même à préjuger de l’incompétence dudit signataire.

    Dès lors que, dans cette mesure, l’absence du nom et du prénom du signataire d’une autorisation d’urbanisme constitue un vice « moins » substantiel que le défaut d’indication du nom du titulaire de cette autorisation, on voit donc mal pourquoi le premier ne pourrait pas être régularisé par une décision modificative alors que tel peut être le cas du second.

    D’autre part, et surtout, le Conseil d’Etat vient donc de reconnaitre la propension d’une décision de non-opposition à déclaration préalable à faire l’objet d’une décision « modificative ».

    Voici, donc une décision qui soulagera ceux lassés d’entendre qu’une telle décision ne peut faire l’objet d’une « modificative » dans la mesure où… il n’existe aucun formulaire « CERFA » prévu à cet effet.

    Tout en ayant une pensée pour les « précurseurs » ayant osé solliciter des permis modificatifs et des transferts de permis bien avant l’impression de formulaires « CERFA » prévus pour ce faire, on rappellera en effet que le formulaire « CERFA » et ses mentions n’ont strictement aucune valeur règlementaire et qu'une demande d’autorisation peut être valablement présentée sans recourir à un tel formulaire dès lors que la lettre de demande fournit l’ensemble des renseignements requis.

    Mais surtout, on rappellera que les travaux visés par l’ancien article R.421-2 du Code de l’urbanisme et par l’actuel article R.421-17 ne sont pas subordonnés à la formulation d’une déclaration préalable mais à la formation ou à l’obtention d’une décision de non-opposition.

    Ces travaux sont donc soumis à autorisation, en l’occurrence à une décision de non-opposition qui certes a en principe a vocation à être tacite mais qui à cet égard n’en constitue pas pour autant une décision plus particulière que le permis de construire ; étant rappelé que si en l’absence de réponse expresse une demande de permis de construire aboutit en principe à un permis tacite c’est par exception au principe général selon lequel à défaut de réponse expresse favorable, une demande d’autorisation doit être réputée rejetée.

    Une décision de non-opposition à déclaration préalable, même tacite, constitue donc ni plus ni moins qu’une autorisation au même titre qu’un permis de construire, d’aménager ou de démolir. Dès lors, on voyait mal pourquoi une telle décision ne pourrait pas donner lieu à une décision « modificative ».

    Pour autant, le champ d’application de décision de non-opposition modificative semble plus restreint que celui du permis modificatif.

    Force est en effet de constater que si le Conseil d’Etat a donc jugé que l’illégalité affectant une décision de non-opposition « peut être régularisée par un arrêté modificatif dès lors que celui-ci assure le respect des règles de fond applicables au projet en cause, répond aux exigences de forme ou a été précédé de l'exécution régulière de la ou des formalités qui avaient été omises », il ne vise que le cas où cette illégalité résulte du fait qu’elle ait été délivrée sans que ne soient respectées « des formes ou des formalités » et, a contrario, ne vise pas le cas où cette illégalité résulte de la méconnaissance d’une règle de fond.

    Certes, on pourrait penser que ceci procède du fait que la décision en cause dans cette affaire était affectée d’un vice de forme.

    Il reste que dans l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat a reconnu la propension du permis de construire modificatif à régulariser l’autorisation primitive, le permis de construire en cause dans cette affaire était affecté d’un vice de procédure, en l’occurrence liée à la consultation de l’ABF.

    Pour autant, le Conseil d’Etat a étendu le champ d’application du « modificatif » de régularisation au cas où « un permis de construire a été délivré en méconnaissance des dispositions législatives ou réglementaires relatives à l'utilisation du sol ou sans que soient respectées des formes ou formalités préalables » (CE. 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, 238.315).

    En l’état, le champ d’application de la décision de non-opposition « modificative » apparait donc limité à la régularisation formelle ou procédurale et ne semble donc pas envisageable pour une modification du projet lui-même, y compris dans un but de régularisation de la décision initiale au regard des règles de fond lui étant opposables.


    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés
     

  • Travaux sur les constructions irrégulières : premier infléchissement de la jurisprudence « Thalamy »

    Si dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation l’administration saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble est tenue d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment, l’autorité compétente a toutefois la faculté, dans l'hypothèse d'une construction ancienne, à l'égard de laquelle aucune action pénale ou civile n'est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d'urbanisme applicables.

    CE. 3 mai 2011, Chantal Gisèle A., req. n°320.545.


    Voici un arrêt d’importance en ce qu’il marque un infléchissement du Conseil d’Etat dans la mise en œuvre la jurisprudence « Thalamy » (CE. 9 juillet 1986, Mme Thalamy, req. n°51.172).

    Par principe, en effet, les constructions dépourvues d’existence légale – c’est-à-dire édifiées sans autorisation, en méconnaissance des prescriptions de l’autorisation obtenue ou en exécution d’une autorisation annulée ou retirée ou précédemment frappée de caducité – non seulement ne bénéficient pas du régime des travaux sur existant mais en outre ne sauraient faire l’objet de travaux sans avoir été précédemment ou être concomitamment régularisées.

    Ainsi, lorsqu’une construction dépourvue d’existence au regard du droit de l’urbanisme n’a pas été précédemment régularisée, les travaux projetés sur celle-ci doivent normalement donner lieu à une autorisation portant non seulement sur ces travaux mais également sur cette construction et ce, comme si celle-ci constituait un ouvrage à réaliser (CE.12 mars 1990, M. Serais, req. n°80.401) ; cette régularisation devant être possible au regard des normes alors en vigueur et non pas en considération de celles applicables à l’époque de la réalisation des travaux litigieux (CAA. Marseille, 28 décembre 1996, SCI La Ferrusse, req. n°98MA02687).

    Cette règle s’applique tant s’agissant des travaux projetés sur une construction en elle-même dépourvue de toute existence légale qu’à l’égard de ceux portant sur une construction initialement régulière mais ayant ensuite fait l’objet de travaux non autorisés ; pour autant, bien entendu, que la construction initiale (CE. 15 mars 2006, Ministère de l’équipement, req. n°266.238) ou les travaux ultérieurs dont elle avait déjà fait l’objet étaient effectivement soumis à autorisation à la date de leur réalisation (CE. 9 juillet 1993, M. Pontier, req. n°99755). Surtout, dès lors qu’une telle autorisation était requise au moment de l’exécution des travaux, la construction résultant de ceux irrégulièrement réalisés doit en principe être régularisée et ce, quelle que soit l’importance de la construction initiale, son ancienneté ou la nature des travaux projetés sur celle-ci (CE. 28 octobre 1987, Mme Christiane X., req. n°61.223).

    Pendant longtemps, cette règle de principe n’a connu aucune exception avant que le législateur n’introduise la « prescription décennale » prévue par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme.

    Mais précisément, l’apport de l’arrêt commenté est d’opérer une exception à la jurisprudence « Thalamy » dont le champ d’application non seulement est indépendant de l’article précité mais en outre va pour partie au-delà de ce dispositif.

    Il faut en effet relever que la première décision en litige dans cette affaire (la seconde n’étant qu’une décision confirmative) datait du 30 juin 2006 et était donc antérieure à l’entrée en vigueur de l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme introduit par la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006. De ce fait, et en toute hypothèse, cet article n’était donc pas opposable à la décision contestée (CAA. Marseille, 31 décembre 2007, Cne d’Egalyères, req. n°05MA02836).

    Mais surtout, l’exception introduite par l’arrêt commenté est susceptible d’être mise en œuvre « dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables ».

    Le Conseil d’Etat n’a donc opéré aucune distinction quant à la nature de l’autorisation à laquelle étaient assujettis les travaux. De même, il ne semble y avoir aucune distinction à faire selon que l’irrégularité des travaux procède de ce qu’aucune autorisation n’ait jamais été délivrée ou de ce que l’autorisation au titre de laquelle les travaux ont été réalisés a ultérieurement été annulée ou retirée.

    Partant, cette exception semble donc pourvoir s’appliquer en toute hypothèse, y compris donc lorsque la construction initiale était assujettie à permis de construire et qu’aucun permis de construire n’a jamais été obtenu alors que pour sa part l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme exclut notamment du bénéfice de la prescription décennale qu’il prévoit le cas où « la construction a été réalisée sans permis de construire ».

    Il reste qu’a contrario, là où l’article précité ne prévoit aucune limite quant à l’importance et la nature des travaux susceptibles d’être exécutés sur une construction initialement illégale dès lors que celle-ci bénéficie de la prescription décennale qu’il prévoit, l’arrêt commenté limite les travaux qui sont susceptibles d’être exécutés à ce titre sur l’immeuble à « ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes ».

    Il s’agit là de la première difficulté générée par le champ d’application de l’exception introduite par l’arrêt commenté puisque l’on ne sait ce qu’il faut entendre par « respect » des normes, ni de quelles « normes » il s’agit.

    Il reste que cette exception a vocation à s’appliquer lorsque la construction initiale ne peut « plus être régularisée au regard des règles d'urbanisme applicables ». Or, si cette régularisation n’est pas possible, c’est par définition que la construction ne peut pas respecter les normes d’urbanisme applicables.

    Il pourrait donc s’agir de normes de construction nécessaires à la préservation de l’immeuble ; ce qui reste à confirmer puisqu’en principe le respect de telles normes n’a pas vocation à être sanctionné par les autorisations d’urbanisme.

    Mais la mise en œuvre de l‘exception introduite par l’arrêt commenté génère également de nombreuses interrogations et difficultés.

    Tout d’abord, il faut relever que si le Conseil d’Etat a rappelé que par principe l’administration saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble « est tenue » d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment, il a revanche précisé que l’administration n’a que « la faculté » d’autoriser les travaux nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes.

    A priori, l’administration n’est donc pas nécessairement tenue de mettre en œuvre cette exception et peut donc s’en tenir à une application pure et simple de la jurisprudence « Thalamy ».

    En outre, cette faculté a vocation à être exercée au cas par cas, au gré de l’examen des demandes d’autorisation d’urbanisme alors que s’il est possible d’assouplir la règle de principe posée par la jurisprudence « Sekler » – applicable aux immeubles légalement édifiés mais n’étant plus conformes aux règles local d’urbanisme applicables aux travaux ultérieurement projetés sur celui-ci – cette assouplissement doit résulter du document d’urbanisme lui-même et, le cas échéant, doit alors être mis en œuvre par l’autorité administrative.

    En second lieu, pour que l’administration puisse légalement mettre en œuvre l’exception introduite par l’arrêté commenté deux conditions doivent être réunies.

    D’une part, l’autorité administrative doit apprécier « les différents intérêts publics et privés en présence » et doit donc mette en œuvre une forme de « théorie du bilan » pas si éloignée de celle mise en œuvre par le juge administratif pour apprécier l’urgence à suspendre un permis de construire.

    Reste cependant à savoir si l’intérêt public doit justifier la mise en œuvre de cette exception ou s’il est seulement requis que l’intérêt public ne s’y oppose pas.

    Dans la mesure où les intérêts privés vont naturellement dans le sens de la mise en œuvre de cette exception et où il s’agit de les mettre en balance avec les intérêts publics en présence, on peut donc penser qu’il est seulement nécessaire que l’intérêt public ne s’oppose pas à la réalisation des travaux en cause.

    Mais dès lors force est d’admettre que rares seront les cas où l’intérêt public s’oppose à la préservation d’un immeuble et surtout au respect des normes.

    D’autre part, il est nécessaire qu’il s’agisse d’une construction « à l'égard de laquelle aucune action pénale ou civile n'est plus possible ».

    La mise en œuvre de cette exception implique donc que l’administration soit en mesure d’apprécier si les actions pénales et civiles possibles sont ou non prescrites ; sans compter que si à la date à laquelle l’administration est saisie d’introduction de telles actions n’apparait plus possibles, il n’en demeure pas moins qu’elles peuvent déjà avoir été précédemment introduites sans que l’administration n’en ait connaissance.

    En dernier lieu, il faut relever que l’arrêt commenté énonce que « dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation en méconnaissance des prescriptions légales alors applicables, l'autorité administrative, saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble, est tenue d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment ; que dans l'hypothèse où l'autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité parce que la construction dans son entier ne peut être autorisée au regard des règles d'urbanisme en vigueur à la date de sa décision ».

    S’il ne couvre vraisemblablement pas que celle-ci, il envisage néanmoins l’hypothèse où, d’une part, la demande ne porte pas sur l’ensemble de l’immeuble et où, d’autre part, cette immeuble ne peut pas être régularisé.

    Saisie d’une demande et d’un dossier ne portant que sur les nouveaux travaux projetés, et non pas donc sur l’ensemble de l’immeuble, l’administration doit donc néanmoins examiner l’ensemble de la construction pour apprécier si elle peut ou non être régularisée dans son ensemble.

    D’ailleurs, sur ce point il faut relever une particularité : rendue à propos d’une déclaration de travaux le considérant de principe de l’arrêt commenté vise uniquement le cas où « l'autorité administrative envisage de refuser le permis sollicité ».

    S’il l’on voit mal pourquoi il faudrait exclure du bénéficie de cette exception la déclaration préalable, il n’en demeure pas moins qu’il est pour le moins difficile d’apprécier la propension d’une construction à être régularisée dans son ensemble au vu des seules pièces d’un dossier déclaratif.

    Mais quoi qu’il en soit si cette régularisation n’apparait pas possible, et que les conditions requises à cet effet sont réunies, l’administration a alors la faculté « d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes ».

    Il s’ensuit que l’autorité compétente a vocation à mettre en œuvre l’exception introduite par l’arrêté commenté dès la décision prise sur la demande initiale dont elle est saisie.

    Il ne lui incombe donc pas de rejeter la demande en indiquant au pétitionnaire qu’il lui serait en revanche possible de présenter une demande se limitant aux travaux éventuellement nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes.

    Saisie d’une demande portant sur un ensemble de travaux, l’administration doit donc faire le tri entre ceux nécessaires à la préservation de l’immeuble et au respect des normes et ceux qui ne tendent pas à la réalisation de cet objectif ; sans compter que l’on peut se demander dans quelle mesure ce tri doit avoir une incidence sur la nature de l’autorisation à délivrer et/ou sur les modalités d’appréciation de sa régularité procédurale lorsque la demande est une demande de permis de construire alors que les seuls travaux susceptibles d’être autorisés relèvent du champ d’application de la déclaration préalable.

    En revanche, si l’on s’en tient à l’hypothèse visée par l’arrêt commenté, il semble que l’exception qu’il introduit se limite au cas où l’immeuble existant ne peut pas être régularisé.

    Si cette régularisation apparait possible l’administration devrait donc purement et simplement rejeter la demande en invitant le pétitionnaire à présenter une demande portant sur l’ensemble de l’immeuble ; le pétitionnaire devant alors espérer qu’au vu un tel dossier, l’administration n’opère pas une appréciation différente de la propension de l’immeuble à être régularisé…

     


    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés