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Pour apprécier si les conditions posées par l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme sont réunies, il convient de prendre en compte la destination de fait de la construction existante

Si les autres conditions posées par l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme sont réunies, les travaux projetés sur une construction existante relèvent de déclaration préalable dès lors qu’ils n’emportent pas un changement de destination de cette construction et ce, y compris si à la date de la décision intervenant sur cette déclaration cette destination ne correspondait plus à celle pour laquelle la construction avait été autorisée et, en d’autres termes, quand bien même ce changement de destination n’aurait-il pas été régulièrement autorisé.

CE. 12 janvier 2007, Epx Fernandez., req. n°274.362


Dans cette affaire, les époux Fernandez avaient formulé une déclaration de travaux portant sur un bâtiment qu’il occupait en tant qu’habitation. Il reste qu’initialement, ce bâtiment avait été autorisé en tant que bâtiment à usage agricole et qu’aucun permis de construire n’avait été obtenu pour le transformer en construction à destination d’habitation alors qu’un tel permis de construire était requis puisque l’on sait que, par principe, tous travaux emportant un changement de destination requièrent une telle autorisation (art. L.421-1.al.-2 ; C.urb).

C’est à ce motif que le Tribunal administratif de Montpellier devait annuler la décision de non-opposition émise par la commune de Carcassonne sur la déclaration de travaux précédemment formulée par les époux Fernandez en jugeant que les travaux projetés devaient relever d’un permis de construire destiné à régulariser la destination de fait de la construction en cause ; étant rappelé qu’en application des dispositions combinées des articles R.421-1.al.-2 et R.422-2-m) du Code de l’urbanisme des travaux emportant un changement de destination ne peuvent pas bénéficier du régime déclaratif (sur le nouveau régime, voir ici) .

Il reste que le Conseil d’Etat devait pour sa part estimer que :

« Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a relevé que le bâtiment en cause, initialement à usage agricole, avait ensuite été transformé à usage d'habitation ; qu'il a ensuite jugé que, dès lors que le propriétaire n'établissait pas que cette transformation avait fait l'objet d'un permis de construire l'autorisant, les travaux envisagés ne relevaient pas du régime de la déclaration de travaux et qu'il y avait lieu de régulariser le changement de destination de l'immeuble par le dépôt d'une demande de permis de construire ; qu'en recherchant les conditions dans lesquelles la destination du bâtiment avait évolué depuis sa construction et en annulant la décision attaquée au motif que le changement de cette destination n'avait pas régulièrement, dans le passé, fait l'objet d'une autorisation d’urbanisme, les juges du fond ont commis une erreur de droit ; que, dans ces conditions, les époux Fernandez et la commune de Carcassonne sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le bâtiment faisant l'objet de la déclaration de travaux en cause était déjà à usage d'habitation à la date de cette déclaration ; qu'il est constant que les travaux qui ont été déclarés, n'ont pas pour effet de changer la destination de ce bâtiment ; que si Mme soutient que ce bâtiment était initialement à usage de remise agricole et qu'ensuite, il y a plusieurs années, il a été transformé en bâtiment à usage d'habitation sans qu'une autorisation d’urbanisme ne soit intervenue, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ces travaux relèvent donc du régime de la déclaration dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article R. 422-2 du code de l’urbanisme; qu'ainsi, Mme n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le maire de Carcassonne ne s'est pas opposé à la réalisation des travaux déclarés par M.
».

La Haute Cour a donc considéré que pour application des dispositions de l’article R.422-2-m) du Code de l’urbanisme et, plus précisément, pour établir si les travaux projetés emportent ou non un changement de destination, il convenait de prendre en compte non pas la destination initialement autorisée de la construction en cause mais sa destination effective à la date à laquelle l’administration statue sur la déclaration, y compris si cette destination a été irrégulièrement conférée à cette construction.

Une telle solution ne manque pas de surprendre au regard tant de la jurisprudence relative aux travaux projetés sur des constructions irrégulières que de celle portant sur le mode d’appréciation de la destination d’un ouvrage.

Il convient, en effet, de rappeler que les travaux illégalement réalisés ne sauraient aboutir à la formation d’une construction juridiquement existante et, par voie de conséquence, ne peuvent pas être pris en compte. En pareil cas, aucun travaux nouveaux ne saurait être autorisé sur cette construction illégale sans que celle-ci n’ait été régularisée par une autorisation adéquate (CE. 9 juillet 1986, Thalamy, req. n°51.172) ; sous réserve de la « prescription décennale » introduite par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi du 13 juillet 2006 dite « ENL » dont ont précisera, à toutes fins, qu’elle n’était évidemment pas applicable en l’espèce compte tenu de la date des faits et, en toute hypothèse, n’aurait pas pu l’être puisque cet article exclut du bénéfice de cette « prescription » les travaux réalisés sans qu’aucun permis de construire n’ait été obtenu.

C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu juger que ne pouvaient être autorisés sans une régularisation préalable des travaux portant sur une construction dont la destination avait été changée sans autorisation (CE. 8 juillet 1994, M. That, req. n°119.002) et, notamment, que des travaux projetés sur la façade d’une telle construction exigeait un permis de construire destiné à régulariser la destination de fait de cette dernière, quand bien même les nouveaux travaux relevaient-ils intrinsèquement du régime déclaratif prévu par l’article R.422-2 (CE. 30 mars 1994, Gigoult, req. n°137.881).

L’arrêt commenté prend donc à contre-pied cette jurisprudence pourtant bien établie. Mais dans une certaine mesure, il va également en sens inverse de la jurisprudence relative à l’appréciation de la destination des constructions.

Il ressort, en effet, de la jurisprudence administrative récente qu’une construction est réputée conserver sa destination première, c’est-à-dire celle initialement autorisée, tant qu’un changement de destination n’a pas été entériné par une nouvelle autorisation d’urbanisme, y compris dans le cas où la construction n’a jamais reçu l’affectation pour laquelle elle avait été autorisée, telle une construction à destination d’habitation n’ayant jamais été occupée (CAA, Marseille, 10 décembre 1998, Cne de Carcès, req. n°97MA00527 ; CAA. Marseille, 8 décembre 2005, Cne d’Eguilles, req. n° 02MA01240).

Il est vrai qu’antérieurement, le Conseil d’Etat avait estimé qu’une construction pouvait avec le temps perdre sa destination initiale (CE. 20 mai 1996, M. et Mme Auclerc, req. n°125.012). Il reste que non seulement une telle décision n’impliquait pas qu’une construction puisse acquérir une nouvelle destination par le seul effet du temps mais qu’en outre, le Conseil d’Etat avait ultérieurement précisé que la circonstance qu’une construction soit utilisée à un autre usage que celle pour laquelle elle avait été autorisée ne lui faisait pas perdre sa destination initiale au regard du droit de l’urbanisme (CE. 31 mai 2001, Cne de d’Hyères-les-Palmier, req. n°234.226).

Pour autant, l’arrêt commenté induit donc que non seulement une construction peut perdre la destination pour laquelle elle avait été autorisée mais, en outre, que celle-ci peut en acquérir une nouvelle par le simple usage.

Dans une certaine mesure, cette décision peut ainsi être rapprochée de l’arrêt lequel le Conseil d’Etat a jugé que « pour l'application des dispositions (de l’ancien article L.112-7 du Code de l’urbanisme) au cas d'une demande de permis de construire portant sur l'aménagement de bâtiments existants, il y a lieu, pour déterminer leur surface hors ouvre nette avant travaux, de prendre en considération leur mode d'utilisation effectif à la date de la demande » (CE. 17 décembre 2003, Crts Mignon, req. n°242.448).


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

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