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Sur l’utilité du recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable

Malgré l’alinéa 1er de l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme, un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable conserve le délai de recours contentieux à l’encontre de cette décision.

CE. 20 novembre 2009, Pascal E. & Autres, req. n°326.236


Bien qu’elle appelle peu de commentaires, voici une décision attendue, et donc d’importance, s’agissant du contentieux de la décision de non-opposition à déclaration préalable.

Dans cette affaire, les requérants avaient introduit, le 4 août 2008, un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable affichée sur le terrain des opérations le 16 juillet précédent. Ce recours gracieux devait cependant faire l’objet d’une décision implicite de rejet, le 4 octobre suivant.

En conséquence, les requérants exercèrent, le 26 novembre 2008, un recours en annulation à l’encontre de cette décision de non-opposition ; recours que le Président du Tribunal administratif de Marseille devait toutefois rejeter, par ordonnance, comme manifestement irrecevable au regard de l’article R.600-2 du Code de l’urbanisme et, en d’autres termes, comme tardive.

Mais sur transmission de la Cour administrative d’appel de Marseille, saisie par les requérants, le Conseil d’Etat devait donc juger que :

« considérant que, sauf dans le cas où des dispositions législatives ou réglementaires ont organisé des procédures particulières, toute décision administrative peut faire l'objet, dans le délai imparti pour l'introduction d'un recours contentieux, d'un recours gracieux qui interrompt le cours de ce délai ;
Considérant que, pour rejeter comme tardive la demande des requérants tendant à l'annulation de la décision implicite du maire de Marseille de ne pas s'opposer à la déclaration de clôture de Mme A, l'ordonnance attaquée se fonde sur ce que leur demande n'a été enregistrée que le 26 novembre 2008 au greffe du tribunal administratif de Marseille, alors que cette décision avait fait l'objet, le 16 juillet 2008, d'un affichage qui avait fait courir le délai de recours contentieux en application de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme ; qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait des pièces du dossier qui lui était soumis qu'un recours gracieux interrompant ce délai avait été présenté par les requérants le 4 août 2008 et notifié à l'auteur de la décision de non-opposition et à son bénéficiaire, comme le prévoit l'article R. 600-1 du même code, et que ce délai avait couru à nouveau pour sa totalité à compter du rejet implicite de ce recours gracieux, intervenu le 4 octobre suivant, de sorte que la demande présentée au tribunal n'était pas tardive, le président de la 2ème chambre du tribunal administratif de Marseille a commis une erreur de droit »
;


et donc estimer que le recours gracieux précédemment exercé avait prorogé le délai de recours contentieux à l’encontre de la décision contestée, lequel avait donc couru à nouveau le 4 octobre 2009 (date de formation de la décision implicite de rejet de ce recours) pour expirer le 4 décembre suivant. Présenté et enregistré au greffe le 26 novembre 2008, le recours en annulation était donc bien recevable au regard de l'article R.600-2.

La solution n’était pas si évidente dès lors que la déclaration avait été formulée, la décision de non-opposition acquise et le recours gracieux exercé après l’entrée en vigueur de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 dite « Loi ENL ».

En effet :

- d’une part, pour être qualifié comme tel, un recours gracieux doit solliciter, même maladroitement ou dans des termes inappropriés, le retrait de la décision en cause ;
- d’autre part, l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi susvisée dispose que : « la décision de non-opposition à la déclaration préalable ne peut faire l'objet d'aucun retrait ».

Il n’était pas donc pas si évident qu’un recours gracieux tendant au prononcé d’un retrait qu’en principe l’autorité compétente ne saurait légalement édicter puisse conserver le délai de recours contentieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable.

Il reste que les conditions de délais ayant toujours encadré les possibilités ouvertes à l’administration de prononcer le retrait de ses décisions créatrices de droit ne se sont jamais opposées à ce que l’administration puisse retirer à toute époque, et sans aucune condition de délai donc, les autorisations obtenues par fraude puisque, précisément, les autorisations entachées de fraude ne créaient pas de droits acquis au profit de leur titulaire.

Dès lors, l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme ne s’oppose donc pas, selon nous, au retrait d’une décision de non-opposition motivée par la fraude du déclarant.

Mais dans la mesure où, hors du cas où le retrait est sollicité par le déclarant, seule la fraude de ce dernier peut légalement motiver le retrait d’une telle décision de non-opposition, force est d’admettre qu’un recours gracieux à l’encontre d’une telle décision n’a d’intérêt et d’utilité qu’à la condition que le requérant invoque la fraude du déclarant.

Il s’ensuit qu’en dehors de cas, et quel que soit le bien fondé des griefs opposés à la décision de non-opposition, un recours gracieux à l’encontre de cette décision est nécessairement voué au rejet.

Partant, on aurait donc pu penser que dorénavant un recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition à déclaration préalable n’interrompait le délai de recours gracieux à l’encontre de cette décision qu’à la condition d’être fondé sur la fraude du déclarant puisque si tel n’est pas le cas du recours considéré, force est alors de regarder celui-ci comme entrepris dans le seul but d’interrompre le délai de recours contentieux.

Toutefois, il ressort de l’arrêt commenté ce jour que tout recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition interrompt ce délai et ce, quels que soient les moyens présentés à l’appui de ce recours.

Une telle solution nous parait justifier.

En premier lieu, il faut préciser que l’utilité du recours gracieux trouve sa cause dans l’obligation faite à l’administration compétente de retirer, sous certaines conditions, un acte dont elle constate illégalité ; ce qu’elle peut faire spontanément, sans être saisie d’un tel recours donc.

Il s’ensuit que les moyens présentés par l’auteur d’un recours gracieux ne lient aucunement l’administration, laquelle peut donc parfaitement retirer la décision contestée pour un motif totalement étranger à ceux invoqués par le recours. Pour ce qui nous intéresse ici, la circonstance que le requérant invoque ou non la fraude du déclarant n’a donc aucune incidence sur la possibilité offerte à l’administration de retirer la décision de non-opposition à déclaration pour ce motif.

En second lieu, une telle restriction de l’effet interruptif du recours gracieux à l’encontre d’une décision de non-opposition n’aurait en fait eu aucun intérêt dans la mesure où :

- d’une part, pour contourner une telle restriction, il aurait alors suffit l’alléguer systématiquement la fraude du déclarant ; le fait qu’elle soit établie ou non ne pouvant avoir aucune incidence sur recevabilité du recours contentieux ultérieure ;
- d’autre part, il faut rappeler que le recours gracieux n’est pas le seul « recours » administratif susceptible d’interrompre le délai contentieux puisque, lorsque l’autorisation d’urbanisme contestée a été délivrée par une commune ou un EPCI, les tiers ont à cet effet la possibilité de saisir le Préfet de Département aux fins, non pas qu’il l’a retirer, mais qu’il défère l’autorisation contestée à la censure du juge administratif.

Une telle restriction n'aurait donc pas nécessairement produit l'effet escompté... 

 

Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
 

Commentaires

  • bonjour Patrick et ravi de vous lire à nouveau,

    recevez avec tous ceux qui vous entourent tous mes voeux pour cette nouvelle année.

    ne pensez-vous pas que cette décision, certes attendu pour ce qu'elle confirme, n'est en fait qu'une suite logique de la déconnection entre délai de retrait et délai de recours qu'avait instaurée la JP Ternon, surtout célèbre pour les fameux "4 mois" mais dont le deuxième versant du raisonnement est parfois oublié ;o)) ?

    on en retrouve trace dans une décision déjà ancienne mentionnée à la RDI : "la Cour administrative d'appel de Nantes, par un arrêt du 26 décembre 2003 (n° 01-628, Société Suravenir, BPIM 2/04, n° 77) a validé un recours gracieux exercé par le préfet après expiration du délai de retrait (de quatre mois) du maire mais dans les deux mois de la transmission qui lui avait été faite"...

    malgré la réforme, la JP Ternon ne serait donc pas totalement morte pour les juristes de l'urbanisme ;o))

  • Bonjour Emmanuel,

    Meilleurs voeux à vous et vos proches.

    Non, la jurisprudence Ternon n'est pas morte. Et pour cause puisque certaines autorisations - et notamment vos "chères" UTN - ne sont pas visées par l'article L.424-5...

    Bien à vous.

  • il ne s'agit pas que du maintien, pour certaines autorisations, du délai de 4 mois... mais bien du maintien du principe de déconnection des deux délais.

    Lors d'un échange sur le sujet avec l'un de vos confrères, nous avions identifié cet arrêt ancien du CE :
    Conseil d'Etat, 10/ 9 SSR, du 4 mai 1984, Roland X, 42049, publié au recueil Lebon
    "Cons. que si, une fois ce délai expiré, l'autorisation administrative se trouve dessaisie et n'a plus la possibilité de rapporter, même dans le délai de recours contentieux, l'autorisation tacite dont bénéficie le demandeur, cette circonstance n'a pas pour effet de priver le salarié de la possibilité de former un recours hiérarchique devant le ministre du travail et ne fait pas obstacle à ce que ce recours hiérarchique conserve le délai de recours contentieux "

    il me semble donc que si le CE avait, dans cette affaire récente, pris une position différente, on aurait pu parler de retournement de jurisprudence...

  • MCC,

    Je m'étais interrogé, dans un court article paru à la RDI en avril 2009, sur l'utilité du recours gracieux à l'encontre des décisions de non opposition.
    L'arrêt que vous commentez va faciliter le travail des praticiens mais laisse perplexe.
    Dès lors que l'on analyse un recours gracieux comme une demande adressée à une administration, on peut évidemment s'interroger sur la raison d'être d'un recours auquel son destinataire ne peut réserver de suite (hors le cas de la fraude, je vous l'accorde).

    Bien à vous

    Jérôme Francès

  • L'intérêt d'un recours gracieux est aussi de permettre à l'autorité administrative d'expliquer les raisons pour lesquelles la décision lui parait être exempte de toute illégalité et éventuellement faire ainsi renoncer le requérant à engager un recours contentieux. C'est là une vision purement théorique que je n'ai jamais rencontré dans la pratique.

    Bien à vous

  • L'arrêt commenté tend effectivement à faire primer l'effet conséquent du recours sur son objet.
    Il reste que l'exercice d'un recours gracieux est un droit dont la restriction implique des dispositions précises. Or, l'article L.424-5 n'édicte clairement aucune disposition en ce sens.
    Après celà, on voit mal l'intérêt de permettre des recours sans limitation des moyens susceptibles d'être présentés si l'administration ne peut qu'y répondre qu'en toute hypothèse, l'article L.424-5 s'oppose au retrait solicité...

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