L’administration qui délivre un permis de construire de régularisation est-elle réputée avoir connaissance de la construction existante mais illégale ?
La circonstance que la demande de permis de construire porte sur une construction illégale à régulariser dont l’administration connaît l’existence de fait ne saurait être invoquée pour pallier l’insuffisante représentation de cette construction et de son insertion par les pièces produites par le pétitionnaire.
CAA. Lyon, 28 juin 2008, Cne de Bon-en-Chamblais, req. n°07LY00056
Même s’il appelle peu de commentaires l’arrêt sélectionné n’en est pas moins intéressant en ce qu’il est une illustration de ce qui constitue, à notre sens, une des plus belle fiction du droit des autorisations d’urbanisme.
Dans cette affaire un permis de construire avait été délivré en vue de régulariser une construction existante mais, donc, illégale. Or, ce permis de construire devait être attaqué et annulé au motif tiré de la méconnaissance de l’ancien article R.421-2-5° du Code de l’urbanisme.
Mais devant la Cour administrative d’appel de Lyon, la commune appelante devait soutenir que l’insuffisance des documents photographiques produits par le pétitionnaire n’avait pas d’incidence sur la légalité du permis de construire dès lors que ce dernier était destiné à régulariser une construction dont elle avait connaissance. Mais cet argument devait donc être rejeté par la Cour au motif suivant :
« Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-2 du code de l'urbanisme « A. - Le dossier joint à la demande de permis de construire comporte : (...) 5° Deux documents photographiques au moins permettant de situer le terrain respectivement dans le paysage proche et lointain et d'apprécier la place qu'il y occupe. Les points et les angles des prises de vue seront reportés sur le plan de situation et le plan de masse. 6° Un document graphique au moins permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction dans l'environnement, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et des abords (...) 7° Une notice permettant d'apprécier l'impact visuel du projet (...) » ;
Considérant que les documents photographiques annexés au dossier de la demande de permis de construire déposée par Mlle Kettie Z ne situaient pas le terrain d'assiette des constructions projetées dans le paysage proche et lointain ; qu'aucune autre pièce, notamment celles énoncées aux 6° et 7° qui n'étant pas exigibles en l'espèce en vertu du B de l'article R. 421-2 n'étaient pas jointes au dossier, ne permettait à l'autorité administrative d'apprécier l'impact tant proche que lointain desdites constructions ; que dans ces conditions, sans que puisse être utilement invoquée la circonstance que l'autorité administrative aurait eu connaissance des caractéristiques des constructions s'agissant d'une demande de régularisation, le dossier présenté par Mlle Z ne pouvait être regardé comme complet au regard de l'objectif poursuivi par les dispositions précitées du 5° de l'article R. 421-2 ; que par suite les requérantes ne sont pas fondées à soutenir que c'est à tort que, pour ce motif, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Grenoble a annulé l'arrêté du maire de BONS EN CHABLAIS du 13 mars 2003 » ;
et pour cause puisqu’il est de jurisprudence constante que l’administration est réputée statuer sur la demande au seul vu des pièces du dossier produit par le pétitionnaire – du moins pour les aspects du projet saisis par le permis de construire dont le dossier est censé traité – y compris s’il s’agit d’une demande de régularisation.
C’est pourquoi d’une façon générale l’éventuelle connaissance que l’administration pourrait avoir de la construction, du terrain et/ou de son environnement ne saurait pallier l’incomplétude du dossier de demande permis de construire, y compris, compte tenu du principe d’indépendance des législations et des procédures, si les pièces manquantes étaient présentes à un dossier de demande une autorisation connexe, tel un permis de démolir, puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :
« Considérant (...) que si le dossier produit par la SCI MARNELEC à l'appui de sa demande comportait des documents graphiques sur le projet envisagé, ceux-ci ne font pas apparaître l'insertion du projet dans l'environnement ni son impact visuel ; qu'en ce qui concerne la situation des arbres de haute tige, ces documents ne différencient pas la situation à l'achèvement des travaux de la situation à long terme ; que si le dossier contenait une note de présentation exposant le parti architectural retenu, cette notice qui ne comporte aucune description du paysage et de l'environnement existant, ne justifie pas les dispositions prévues pour assurer l'insertion de la construction dans le paysage ; que contrairement à ce que soutient la COMMUNE DE BONNEUIL-SUR-MARNE ni la circonstance que l'administration aurait eu une bonne connaissance du site et du projet envisagé ni la circonstance que le terrain constitue une friche industrielle et se situe dans un environnement urbain qui serait dépourvu d'intérêt, ne sont de nature à exonérer le pétitionnaire de l'obligation qui lui est faite de satisfaire aux prescriptions de l'article L.421-2 du code de l'urbanisme précité en produisant à l'appui de sa demande un dossier comportant un exposé complet du projet architectural retenu au regard de son insertion dans l'environnement ; qu'enfin, le pétitionnaire ne peut utilement se prévaloir de ce que l'ensemble des documents énoncés par l'article R.421-2-A précité aurait été produit à l'appui de sa demande de permis de démolir dès lors qu'il s'agit d'une autorisation donnant lieu à une procédure d'instruction distincte de celle du permis de construire ; que par suite, les requérants ne sont pas fondés à soutenir que le dossier de permis de construire présenté par la SCI MARNELEC était complet et satisfaisait aux prescriptions de l'article R.421-4-A du code de l'urbanisme » (CAA. Paris, 15 juin 2000, SCI Marnelec & Cne de Bonneuil, req. n°97PA02517)
Mais en outre, pour le cas particulier d’une construction à régulariser, il convient de rappeler qu’une construction illégale n’a précisément aucune existence légale ; cette inexistence étant opposable non seulement aux responsables et aux bénéficiaires de cette construction mais également aux tiers (sur ce point, notre note : « Les constructions illégales ne peuvent pas être prises en compte pour apprécier le caractère urbanisé d’un site pour application de l’article L.146-6 du Code de l’urbanisme », CE. 27 septembre 2006, Cne du Lavandou, AJDA, n°39/2006) Et il n’en vas pas différemment vis-à-vis de l’administration puisque l’on sait que lorsqu’il s’agit de régulariser des travaux irrégulièrement effectués sur une construction illégale, les pièces du dossier doivent faire apparaître cette construction dans son état antérieure à l’exécution de ces travaux (CAA. Paris, 9 novembre 2006, M.X., req. n°03PA00413).
Tant en raison du principe selon lequel l’administration doit statuer au seul regard des pièces du dossier que des conséquences de la jurisprudence « Thalamy » dont il résulte qu’une construction illégale n’a aucune existence au regard du droit de l’urbanisme, on voit donc mal comment l’administration pourrait alléguer avoir connaissance de celle-ci.
Néanmoins, il faut relever que sur cette même question la Cour administrative d’appel de Paris a jugé :
« Considérant qu'aux termes de l'article R.421-2 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction résultant du décret n 94-408 du 18 mai 1994, en vigueur à la date à laquelle le pétitionnaire a déposé sa demande : "A - Le dossier joint à la demande de permis de construire comporte : ... 5 Deux documents photographiques au moins permettant de situer le terrain respectivement dans le paysage proche et lointain et d'apprécier la place qu'il y occupe. Les points et les angles de prises de vue seront reportés sur le plan de situation et le plan de masse ; 6 un document graphique au moins permettant d'apprécier l'insertion du projet de construction dans l'environnement, son impact visuel ainsi que le traitement des accès et des abords. Lorsque le projet comporte la plantation d'arbres de haute tige, les documents graphiques devront faire apparaître la situation à l'achèvement des travaux et la situation à long terme ; 7 une notice permettant d'apprécier l'impact visuel - A cet effet, elle décrit le paysage et l'environnement existant et expose et justifie les dispositions premières pour assurer l'insertion dans ce paysage de la construction, de ses accès et de ses obstacles ..."
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Gerpat a déposé, le 8 novembre 1994, une nouvelle demande de permis de construire, différente de celle ayant conduit à la délivrance, le 24 juillet 1992, du permis de construire annulé par le jugement du tribunal administratif de Versailles du 28 septembre 1983 ; que, dès lors, conformément aux dispositions du décret précité du 18 mai 1994, le pétitionnaire était tenu de joindre à sa demande de permis de construire les documents graphiques et photographiques énumérés au 5 et 6 de l'article R.421-2 A » (CAA. Paris, 2 octobre 2001, Cne de Melun, req. 98PA01244) ;
et a donc annulé le permis de construire contesté en raison de l’insuffisante représentation de la construction en cause dans la seule mesure où celle objet de la demande était différente de celle précédemment construite ; laissant ainsi à penser que si la demande avait porter sur un projet strictement analogue à cette dernière, l’existence de fait de cette construction aurait pu être prise en compte par l’administration et pallier le caractère incomplet du dossier.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés