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Opérations complexes - Page 3

  • Sur la notion d’ensemble immobilier unique et son incidence sur l’obligation de recourir à un architecte

    Deux habitations réalisées concomitamment sur le même terrain ne forment pas un ensemble immobilier unique dès lors qu’elles n’ont aucun lien physique ou fonctionnel. Partant, chacune peut donner lieu à un permis de construire distinct et, pour la même raison, le seul fait que ces deux maisons excédent globalement le seuil de 170 mètres carrés fixé par l’ancien article R.421-1-2 (a) du Code de l’urbanisme ne suffit pas à rendre obligatoire le recours à un architecte.

    CAA. Nantes, 16 février 2010, Pascal X., req. n°09NT00832


    Dans une précédente note, nous avions traité du bien curieux arrêt par lequel la Cour administrative d’appel de Lyon avait jugé qu’un maire pouvait, sans commettre d'erreur de droit, estimer que la demande de permis de construire était irrecevable dès lors que le projet architectural comprenant deux maisons d'habitation, d'une surface totale de plancher hors œuvre nette de 252 mètres carrés, n'avait pas été établi par un architecte.

    Nous avions en effet formulé quelques réserves sur cette solution dès lors qu’elle résultait de l’analyse de la Cour selon laquelle « les dispositions précitées de l’article L. 421-2 du code de l’urbanisme font référence au projet architectural dans son ensemble, sans apporter de distinctions sur le nombre d’entités à construire » ce dont avait déduit que : « dès lors la surface hors œuvre nette (SHON) à prendre en compte pour l’application des dispositions de l’article R.421-12 du code de l’urbanisme est la SHON totale du projet de construction figurant dans la demande, sans qu’il y ait lieu de se préoccuper du nombre d’entités à construire dans le projet ».

    ensemble pavillonnaire.jpgEn substance, le critère déterminant de la solution retenue par la Cour administrative de Lyon tenait à ce que les deux constructions projetées relevaient d’une seule et même demande de permis de construire et, partant, qu’il n’y avait pas lieu de distinguer la SHON de chacune des constructions projetées.

    Précisément, l’arrêt commenté ce jour va dans le sens contraire. Dans cette affaire le pétitionnaire avait obtenu à quelques semaines d’intervalle deux permis de construire ayant chacun pour objet de transformer en habitation deux bâtiments agricoles sis sur un même terrain.

    Chacun de ces permis de construire devait toutefois être contesté aux motifs tirés notamment de ce que le projet du pétitionnaire aurait dû relever d’un permis de construire unique et être établi par un architecte en application de l’ancien article R.421-1-2 du Code de l’urbanisme dès lors que la SHON global du projet excédait 170 mètres carrés.

    Mais la Cour administrative d’appel de Nantes devait donc rejeter ces moyens au motif suivant :

    « Considérant, en troisième lieu, qu'ainsi qu'il vient d'être dit, les permis de construire contestés ont pour objet, le premier, le réaménagement d'un bâtiment à usage agricole, le second, le réaménagement avec extension d'un autre bâtiment à usage agricole en vue de transformer chacun des bâtiments existants en une maison d'habitation ; qu'en raison de l'absence de liens physiques ou fonctionnels entre ces deux projets, ces derniers ne peuvent être regardés comme des éléments formant un ensemble immobilier indivisible ; que, par suite, et en tout état de cause, le moyen tiré par le requérant, de ce que les projets de M. Y formeraient un tout indivisible devant faire l'objet d'un permis de construire unique, ne peut qu'être écarté ; que, pour cette même raison, le moyen tiré de ce que ce projet indivisible porterait sur une surface de plancher hors oeuvre nette totale excédant 170 m² et nécessiterait de ce fait, en application de l'article L. 421-2 du code de l'urbanisme, alors en vigueur, le recours à un architecte, doit, également, être écarté ».

    En substance, chacun des deux moyens pré-exposés fut donc écarté pour le même motif : les deux habitations projetées ne formaient pas un ensemble immobilier unique.

    S’agissant de la question liée à la pluralité de permis de construire obtenus, il s’agit donc là à notre connaissance d’une des premières applications de la jurisprudence « Ville de Grenoble » dans laquelle le Conseil d’Etat a confirmé, tout en l’affinant, le principe selon lequel « une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l'objet d'un seul permis de construire ».

    C’est la raison pour laquelle la Cour a recherché si les deux habitations en cause étaient unies par un lien physique et/ou fonctionnel. Si la Cour n’a pas précisé les éléments pris en compte et ce qui l’a amené à conclure à l’absence d’un tel lien, la démarche adoptée et la solution retenue n’en sont pas pour autant dénuées d’intérêt.

    D’une part, il s’agissait dans cette affaire de deux constructions totalement distinctes. Or, là où une précédente décision du Conseil d’Etat sur l’unicité du permis de construire la décision d’octobre 2007 visait le cas « des constructions indivisibles » (CE. 10 octobre 2007, Association de défense de l'environnement d'une usine située aux Maisons à Saint-Jory-Lasbloux, req. n°277.314), l’arrêt « Ville de Grenoble » envisage uniquement l’hypothèse d’une construction dont les composantes forment un ensemble immobilier unique.

    On pouvait ainsi se demander si la règle de principe conservée par l’arrêt « Ville de Grenoble » ne trouvait à s’appliquer que dans le cas d’une construction unique et si des constructions distinctes pouvaient en toute hypothèse donner lieu à plusieurs permis de construire ?

    A priori, la réponse était négative. Il faut en effet rappeler que dans l’arrêt précité le Conseil d’Etat a également ouvert la possibilité qu’un ensemble immobilier unique fasse l’objet de permis distincts mais ce, notamment « sous réserve que l'autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés ».

    Or, la nécessaire protection des règles et des intérêts que vise à garantir la délivrance d’un permis de construire unique s’impose également dans le cas de constructions distinctes. Mais en outre, et plus concrètement, il résulte de l’arrêt « Ville de Grenoble » qu’un ensemble immobilier unique peut être constitué par la réunion de composantes physiquement dissociées les unes des autres et uniquement liées entre elles d’un point de vue fonctionnel. Or, si ces composantes n’ont strictement aucun lien physique, c’est nécessairement qu’elles constituent autant de constructions distinctes (CAA. Nancy, 26 juin 2008, M. Aloyse X…, req. n°07NC00436).

    Précisément, en ne se bornant pas à constater qu’il s’agissait de deux constructions à part entière mais en recherchant si elles étaient ou unies par un lien physique et/ou fonctionnel, la Cour administrative d’appel de Nantes nous semble dans cette affaire avoir implicitement confirmé que la règle de principe posée par l’arrêt « Ville de Grenoble » vaut également en cas de pluralité de construction.

    D’autre part, l’arrêt commenté ce jour tend également à confirmer que les liens physiques ou fonctionnels à prendre en compte sont uniquement ceux existant « directement » entre les composantes formant l’ensemble immobilier considéré.

    Si l’arrêt ne le précise pas expressément, force est néanmoins d’admettre que les deux habitations en cause n’étaient pas accolées et, partant, que n’avait pas d’autres « liens » que d’être implantées sur le même terrain.

    Compte tenu de l’objet de l’arrêt « Ville de Grenoble », il y avait fort peu de doute sur le fait que la seule circonstance que deux bâtiments soient projetés sur le même terrain ne suffise pas a en faire un ensemble immobilier unique, bien qu’a contrario, et dès lors qu’un tel ensemble peut résulter de simples liens fonctionnels, le seul fait que les composantes d’un projet soient sises sur des terrains distincts et non contigus ne suffit pas nécessairement à rendre ce dernier dissociable (CE. 26 mars 1997, ADLA, req. n° 172.183).

    On sait d’ailleurs qu’en ce sens, pour application de la jurisprudence « Thalamy », la Cour administrative d’appel de Marseille a pu juger que le seul fait que la construction à édifier soit projetée sur un terrain accueillant un bâtiment irrégulièrement édifié n’impliquait pas de régulariser ce dernier (CAA. Marseille, 15 mai 2008, Cne de Fuveau, req. n°06MA00807).

    Comme l’induit la récente jurisprudence de la Haute Cour (CE. 10 mars 2010, Cne de Clermont l’Herault, req. n°318.235 ; CE. 9 janvier 2009, Ville de Toulouse, req. n°307.265), le lien physique entre les composantes du projet implique donc qu’elles soient structurellement liées, voire ou à tout le moins accolées.

    En revanche, la communauté de terrain peut créer un lien fonctionnel résultant d’équipement commun, tel un accès et/ou des places de stationnement. On sait d’ailleurs que certains projets avaient été qualifiés d’opérations indivisibles en considération de la présence de tels équipements (CAA. Marseille, 15 mai 2008, Cne de Fuveau, req. n°06MA00807).

    Pour autant, la Cour administrative d’appel de Nantes n’a pas opéré une telle recherche. A priori, le lien d’interdépendance fonctionnelle doit donc exister directement entre les constructions elles-mêmes et non pas par l’intermédiaire d’un équipement ou d’un aménagement commun ; sauf peut-être à ce qu’il créé un lien physique entre elles.

    Or, d’une façon générale, on voit mal comment il peut y avoir un tel lien fonctionnel entre deux bâtiments dont chacun constitue une habitation individuelle. Et l’on sait d’ailleurs que le Conseil d’Etat a pu juger que des maisons individuelles bien qu’accolées constituaient néanmoins, précisément au regard de l’autonomie fonctionnelle de chacune, une construction distincte au sens de l’article 8 d’un règlement local d’urbanisme (CE. 7 mai Boisdeffre, req. n°251.596) ; un ensemble immobilier unique n’ayant pas nécessairement à être traiter comme un bâtiment unique pour application des prescriptions d’urbanismes opposables au projet.

    Mais s’agissant du moyen tiré de l’absence de recours à un architecte, celui-ci a donc expressément été rejeté « pour les mêmes raisons », c’st à dire par ce que les deux constructions en cause ne formaient donc pas un ensemble immobilier unique.

    Partant, quand bien même ces deux constructions auraient elles relevaient d’une même autorisation, il nous semble que la Cour administrative d’appel de Nantes n’aurait pas adoptée une autre solution, laquelle sur ce point nous parait conforme aux anciens L.421-2 et R.421-1-2 du Code de l’urbanisme en ce qu’ils disposaient que :

    - « ne sont pas tenues de recourir à un architecte les personnes physiques qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, et notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en conseil d'Etat » ;
    - « conformément à l'article 1er du décret n° 77-190 du 3 mars 1977, ne sont toutefois pas tenues de recourir à un architecte les personnes physiques ou les exploitations agricoles à responsabilité limitée à associé unique qui déclarent vouloir édifier ou modifier pour elles-mêmes : une construction à usage autre qu'agricole dont la surface de plancher hors œuvre nette n'excède pas cent soixante-dix mètres carrés ».

    Néanmoins, cet arrêt appelle la même réserve que celle formulée au sujet de celui de la Cour administrative de Lyon dès lors que, d’une part, l’ancien article R.421-1-2 et l’actuel article R.431-2 du Code de l’urbanisme procèdent de l’ancien article L.421-2 et de l’actuel L.431-3 en ce qu’il disposait et dispose respectivement que :

    - d’une part, « conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, par dérogation au quatrième alinéa ci-dessus, ne sont pas tenues de recourir à un architecte les personnes physiques qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, et notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en conseil d'Etat. Ces caractéristiques peuvent être différentes selon la destination des constructions » ;
    - d’autre part, « conformément aux dispositions de l'article 4 de la loi n° 77-2 du 3 janvier 1977 sur l'architecture, par dérogation à l'article L. 431-1, ne sont pas tenues de recourir à un architecte les personnes physiques ou exploitations agricoles à responsabilité limitée à associé unique qui déclarent vouloir édifier ou modifier, pour elles-mêmes, une construction de faible importance dont les caractéristiques, notamment la surface maximale de plancher, sont déterminées par décret en Conseil d'Etat. Ces caractéristiques peuvent être différentes selon la destination des constructions ».

    et que, d’autre part, nous avons toujours un certain mal à comprendre comment une même personne physique peut être regardée construire sur le même terrain deux habitations pour elle-même.

     

    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés
     

  • Sur la qualité habilitant à construire respective des titulaires d’un permis de construire conjoint

    Chacun des co-titulaires d’un permis de construire conjoint doit présenter un titre habilitant à construire au sens de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme, y compris si l’un des pétitionnaires y le propriétaire du terrain à construire.

    CE. 14 octobre 2009, Cne de Messange, req. n°297.727 (139e note de commentaires)



    Voici un arrêt bien plus intéressant qu’il n’y paraît dès lors que l’arrêt « Ville de Grenoble » s’il a ouvert une exception au principe selon lequel un ensemble immobilier unique doit faire l’objet d’un permis de construire unique, il n’en as pas pour autant fait disparaitre l’intérêt du permis conjoint dès lors que le champ d’application et les conditions de mise en œuvre de cette exceptions apparaissent limités et restant à affiner. Mais surtout, le fait que l’arrêt commenté ce jour ait été rendu en application de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme n’en réduit pas totalement l’intérêt.

    Comme on le sait, il résulte de l’actuel article R.431-5 du Code de l’urbanisme, lequel s'est substitué à l’ancien article R.421-1-1 , que le pétitionnaire doit seulement attester de sa qualité ou de son titre habilitant à construire, au regard de ceux visés par l’actuel article R.423-1 , et n’a donc plus à en produire le justificatif au dossier; cette attestation étant en fait "intégrée" au sein du formulaire "CERFA" de demande. De ce fait, d’aucuns estiment que dès lors que l’attestation prévue est remplie par le pétitionnaire, le permis de construire délivré au vu de celle-ci est incontestable s’agissant de la qualité et du titre habilitant à construire et, a contrario, que le permis de construire n’est illégal, et n’emporte la responsabilité de l’administration, que lorsque cette attestation n’a pas été établie.

    Mais, à notre sens, cela n’est pas si certain ; loin s’en faut. Dans son économie générale l’actuel article R.423-1 du Code de l’urbanisme n’est en effet pas si différent de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme puisque l’un comme l’autre se bornent à énoncer les qualités et titres habilitant une personne à déposer une demande de permis de construire. Or, au titre de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme, le juge administratif a toujours estimé que le permis de construire avait vocation à sanctionner la qualité et le titre habilitant à construire du pétitionnaire. On voit donc mal pourquoi il en irait différemment sous l’empire de l’actuel article R.423-5 du Code de l’urbanisme dès lors que le nouvel article R.423-1 du Code de l'urbanisme définit clairement les personnes présentant la qualité requise pour demander une autorisation d'urbanisme.

    A ce titre, il reste donc nécessaire que le pétitionnaire soit habilité à construire sur l’ensemble du terrain d’assiette de sa demande et, a contrario, un permis de construire portant sur un terrain n’étant pas entièrement couvert par le titre du pétitionnaire pourrait s’en trouver affecter d’illégalité et ce, quelle que soit l’importance de la portion du terrain sur laquelle il n’apparaît pas habilité à construire (CE. 20 mai 1994, CIL de Champvert, req. n°106.555).

    immeubles jumelées.jpgOr, un permis de construire obtenu conjointement par deux maîtres d’ouvrage ne constitue pas deux autorisations distinctes délivrées sous la forme d’un seul arrêté mais une seule et même autorisation ayant deux co-titulaires. ll s’ensuit que chacun des titulaires d’un permis de construire conjoint est au regard du droit de l’urbanisme autorisé à en exécuter l’intégralité, y compris lorsqu’il porte sur plusieurs unités foncières. De ce fait, force est donc de considérer que chacun d’entre eux doit disposer d’une qualité et/ou d’un titre l’habilitant à construire sur l’ensemble du terrain d’assiette de l’autorisation.

    Précisément, ce fut l’une des questions posées dans l’affaire « Nouveau Logis Centre Limousin » - premier cas où le juge administratif ait eu à se prononcer clairement sur la pratique du permis de construire conjoint – puisque si chacun des deux pétitionnaires était propriétaire de l’un des deux terrains sur lequel portait le permis de construire en cause, il reste qu’aucun d’entre eux ne disposait d’un titre habilitant à construire sur le terrain dont il n’était pas propriétaire. Cependant, ni le Conseil d’Etat (CE. 28 juillet 1999, SA d’HLM « Le nouveau logis – Centre Limousin », req. n° 182.167) ni la Cour administrative d’appel de Nantes n’ont clairement statué sur cette branche du moyen présenté par les requérants et tiré de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme.

    Mais il ressort, toutefois, des conclusions du Commissaire du gouvernement de la Cour nantaise que celui-ci avait estimé que cette circonstance n’était pas de nature à affecter le permis de construire en cause puisque, justement, les deux propriétaires des terrains concernés s’étaient associés. Dans ce cas, on ne peut en effet que présumer que soit chacun des co-titulaires n’exécutera que les travaux autorisés sur le terrain dont il est propriétaire, soit chacun a accepté que l’autre exécute des travaux sur sa propriété.

    Pour autant, la Cour administrative d’appel de Bordeaux devait ultérieurement juger que chacun des co-titulaires d’un permis de construire devait être titré au sens de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme et ce, alors même que deux d’entre eux étaient les seuls propriétaires de l’unique terrain sur lequel portait l’autorisation en cause.

    Mais dans cette affaire la Cour administrative d’appel de Bordeaux n’a annulé le permis de construire litigieux qu’en tant qu’il avait été délivré au pétitionnaire ne présentant pas un titre habilitant à construire et, en d’autres termes, l’a validité en ce qu’il avait été délivré aux propriétaires du terrain. Précédemment, la Cour administrative d’appel de Lyon avait d’ailleurs également considéré qu’un permis de construire conjoint est à cet égard divisible pour ainsi en confirmer la légalité en ce qu’il avait été délivré au pétitionnaire disposant d’un titre habilitant construire (CAA. Lyon, 12 juin 2001, Assoc. Lac d’Annecy Environnement, req. n°00LY01431).

    Et précisément, c’est cette analyse de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux que le Conseil d’Etat vient de confirmer en tous points en jugeant :

    « Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain, soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation dudit terrain pour cause d'utilité publique. / La demande précise l'identité du demandeur, l'identité et la qualité de l'auteur du projet, la situation et la superficie du terrain, l'identité de son propriétaire au cas où celui-ci n'est pas l'auteur de la demande ;
    Considérant qu'il résulte de ces dispositions que lorsqu'une demande de permis de construire est présentée par plusieurs personnes, chacune de ces personnes doit justifier d'un titre l'habilitant à construire ; que par suite, un permis accordé conjointement à plusieurs personnes dont l'une ne justifie pas d'un tel titre est illégal en tant qu'il est délivré à cette personne ;
    Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande d'autorisation d'aménager, valant permis de construire, a été présentée conjointement par M. Gérard D, propriétaire du terrain en cause, et par M. Christian D ; que ce dernier ne justifiait pas, lors du dépôt de cette demande, d'un titre l'habilitant à construire ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que la demande de permis de construire avait été déposée par M. Gérard D, propriétaire du terrain, et par M. Christian D, que l'autorisation accordée était entachée d'illégalité en tant qu'elle désignait M. Christian D comme bénéficiaire
    ».


    Chacun des co-titulaires d’un permis de construire conjoint doit donc bien présenter une qualité ou un titre habilitant à construire, y compris si l’un des pétitionnaires est le propriétaire du terrain à construire.

    plan conjoint.jpgMais il est vrai que là où l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme prescrivait un titre habilitant à construire, l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme n’impose plus au pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas le propriétaire du terrain à construire, que d’attester être autorisé par celui-ci à exécuter les travaux ; cette attestation s’opérant en fait par la simple signature du formulaire « CERFA » de demande, lequel intègre une formule type à cet effet. On peut donc penser que dès lors que le propriétaire du terrain signera avec un autre pétitionnaire ce formulaire, cette signature vaudra autorisation donnée à l’autre d’exécuter les travaux sur son terrain.

    Il reste que sous l’empire de l’ancien article R.421-1-1, il avait pu être jugé qu’un titre habilitant à construire pouvait procéder d’une simple autorisation ad hoc du propriétaire dont on aurait également pu penser qu’elle pourrait implicitement résulter de la co-signature du formulaire de demande de permis de construire. Il n’est donc pas si certain que l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme soit en lui-même de nature à modifier la jurisprudence précitée.

    Mais en toute hypothèse, force est d’admettre qu’il ne pourrait y avoir d’autorisation tacite à exécuter les travaux que pour le cas où celui qui serait réputé la consentir à l’autre, en formant avec lui une demande conjointe, est le propriétaire du terrain à construire ou, à tout le moins, dispose sur ce terrain de droits réels immobiliers dont il a l’entière jouissance et non pas le bénéficiaire d’une simple autorisation ad hoc délivrée intuitu personnae par le propriétaire du terrain sans pour autant lui conférer l’entière jouissance des droits à construire attachés à son terrain et, donc, sans lui permettre d’en faire bénéficier un tiers.




    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit - Avocat au Barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés

  • Du possible fractionnement de la réalisation d'un ensemble immobilier unique en plusieurs permis de construire

    Si la réalisation d'un ensemble immobilier unique doit en principe faire l'objet d'un seul permis de construire, l'ampleur et la complexité du projet peuvent justifier que les éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, à la condition que l'autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés.

    CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble & Communauté d’Agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n°301.615 (133e note)

    jurisurba.jpgDans cette affaire, la communauté d'agglomération Grenoble Alpes Métropoles avait sollicité et obtenu un permis de permis de construire en vue d'être autorisée à réaliser un stade. Et parallèlement, la ville de Grenoble s’était vue délivrer le même jour un permis de construire portant sur la réalisation d'un parc de stationnement sous-terrain à aménager en dessous du stade projeté par la communauté d'agglomération.

    Mais confirmant le jugement de première instance, la Cour administrative d’appel de Lyon devait annuler le permis de construire délivré à la communauté d'agglomération Grenoble Alpes Métropole au motif tiré de l’irrégulier fractionnement de l’ensemble immobilier indivisible constitué par le stade et le parc de stationnement en deux permis de construire (CAA. Lyon, 28 décembre 2006, Association « SOS Parc Paul Mistral », req. n°05LY01535 ; cf : notre note : « La réalisation d’un ouvrage indivisible ne peut relever que d’un seul et même permis de construire », Construction & Urbanisme, n°4/2007). Et si la ville que la communauté d’agglomération devaient se pouvoir en cassation à l’encontre de l’arrêt de la cour d’appel, il reste qu’au vu de la jurisprudence ultérieure du Conseil d’Etat en la matière, les chances de succès de ce pourvoi apparaissaient minces puisque, confirmant ce qui ne ressortait alors qu’implicitement de sa jurisprudence (voir notamment : CE. 17 décembre 2003, Mme Bontemps, req. n° 242.282 ; CE. 25 septembre 1995, Mme Giron, req. n° 120.438 ; CE. 10 mai 1996, M. & Mme Maleriat Bihler, req. n° 136.926), la Haute Cour devait quelques mois après l’arrêt d’appel attaqué, poser le principe selon lequel « des constructions indivisibles doivent faire l'objet d'un permis de construire unique », ce dont il « résulte qu'un permis de construire ne peut être délivré à une partie seulement d'un ensemble indivisible » (CE. 10 octobre 2007, Association de défense de l'environnement d'une usine située aux Maisons à Saint-«Jory-Lasbloux, req. n°277.314 ; cf : notre note : « Des constructions constituant un ensemble indivisible doivent faire l’objet d’un permis de construire unique », Construction & Urbanisme, n°11/2007).

    Néanmoins, le Conseil d’Etat devait donc annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon – et renvoyer l’affaire à cette dernière – et ce faisant, substantiellement infléchir la règle consacrée par l’arrêt précité d’octobre 2007 :

    « Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'urbanisme dans sa rédaction alors applicable : Le permis de construire ne peut être accordé que si les constructions projetées sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires concernant l'implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leurs dimensions, leur assainissement et l'aménagement de leurs abords et si le demandeur s'engage à respecter les règles générales de construction prises en application du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l'habitation. / En outre, pour les immeubles de grande hauteur ou les établissements recevant du public, le permis de construire ne peut être délivré que si les constructions ou les travaux projetés sont conformes aux règles de sécurité propres à ce type d'immeubles ou d'établissements, que les locaux concernés soient ou non à usage d'habitation. / Pour les établissements recevant du public, le permis de construire ne peut être délivré que si les constructions ou les travaux projetés sont conformes aux dispositions de l'article L. 111-7 du code de la construction et de l'habitation. (...) ; que s'il résulte de ces dispositions qu'une construction constituée de plusieurs éléments formant, en raison des liens physiques ou fonctionnels entre eux, un ensemble immobilier unique, doit en principe faire l'objet d'un seul permis de construire, elles ne font pas obstacle à ce que, lorsque l'ampleur et la complexité du projet le justifient, notamment en cas d'intervention de plusieurs maîtres d'ouvrage, les éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés ».

    Il faut en effet souligner que, par l’arrêt commenté, le Conseil d’Etat n’a pas totalement abandonné le principe selon lequel l’ancien article L.421-3 du Code de l’urbanisme, et donc l’actuel article L.421-6, impliquent que la réalisation d’un ensemble immobilier unique doit faire l’objet d’un seul et même permis de construire ; principe constituant le prolongement de la jurisprudence constante selon laquelle il résulte de ces mêmes dispositions que l’administration en charge d’instruire la demande ne peut délivrer le permis de construire sollicité sans prendre parti sur tous les aspects du projet et ainsi vérifier sa conformité d’ensemble au regard des règles qui lui sont opposables, ce qui s’oppose à ce que pour certains aspects du projet elle renvoie à une autorisation distincte (CE. 7 novembre 1973, Giudicelli, req. n° 85.237).

    Mais à cet égard, le premier apport de l’arrêt commenté est d’avoir défini le champ d’application matériel de cette règle de principe, à savoir une construction formant un ensemble immobilier unique.

    CALJMHU4CASULTCUCAZM1E1QCA7XW5H1CAARIA6TCA2ZMC37CAO0KGAFCA3CZ7S3CAO30SDWCATSMIMGCAL9BRWOCA7EHHD3CAPL1YJTCAOJUD6RCABM8PJECA61V7XTCAWBY2YYCADZNSEZ.jpgSur ce point, trois remarques méritent d’être formulées. Tout d’abord, l’arrêt commenté fait donc exclusivement référence à la notion d’ensemble immobilier unique et n’évoque jamais la notion d’ensemble indivisible ou indissociable (cf : notre article : « La divisibilité des ouvrages et des ensembles immobiliers en droit de l’urbanisme », Construction & Urbanisme, n°3/2006) ; ce qui nous semble pourvoir s’expliquer par le tempérament apporté à cette règle puisque si un ensemble immobilier unique peut dans certains cas faire l’objet de plusieurs permis de construire c’est donc qu’il n’est pas indivisible à cet égard.

    Ensuite, cet arrêt définit ce qu’il faut entendre par ensemble immobilier unique. Il s’agit des ouvrages dont les composantes sont liées entre elle d’un point de vue physique et/ou fonctionnel. Il peut donc s’agir des parties d’un ouvrage accolées ou superposées mais également, nous semble-t-il, de « volumes » reliés physiquement l’un à l’autre par un équipement ou un élément de construction commun.

    Mais cette règle de principe tend également à s’appliquer aux ouvrages qui bien que dissociés d’un point de vue physique sont liés entre eux par un rapport d’interdépendance fonctionnelle, c’est-à-dire lorsque le projet pris dans son ensemble ne peut fonctionner sans la réalisation de toutes ses composantes (en ce sens : CE. 26 mars 1997, ADLA, req. n° 172.183. Pour exemple, notre note : Les surfaces respectives d’ouvrages projetés sur un terrain bâti qui pour être réalisés concomitamment sont néanmoins dissociables n’ont pas à être additionnées pour établir si elles sont soumises à permis de construire ou à déclaration de travaux », TA. Nice, 24 mai 2006, Mme Baracco, Construction & Urbanisme, n°1/2007).

    Enfin, là où la décision d’octobre 2007 visait le cas « des constructions indivisibles », cet arrêt envisage uniquement l’hypothèse d’une construction formant un ensemble immobilier unique.

    Est-ce à dire que la règle de principe conservée par l’arrêt commenté ne trouve pas à s’appliquer dans le cas de constructions distinctes et qu’en toute hypothèse, celles-ci pourront nécessairement donner lieu à plusieurs permis de construire ? A priori, non puisqu’il résulte de l’arrêt commenté qu’un ensemble immobilier unique peut être constitué par la réunion de composantes physiquement dissociées et uniquement liées entre elles d’un point de vue fonctionnel.

    Or, si ces composantes n’ont strictement aucun lien physique, c’est qu’elles constituent autant de constructions distinctes.

    images.jpgMais le second et principal apport de l’arrêt commenté est donc d’avoir substantiellement assoupli la portée de la règle de principe fondée sur l’ancien article L.421-3 du Code de l’urbanisme pour ce faisant annuler l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Lyon pour avoir annulé le permis de construire contesté « du seul fait qu'il ne portait pas sur la totalité de l'ensemble immobilier » ; ce qui n’est toutefois pas tout à fait exact dans la mesure où c’est au regard de l’incidence du fractionnement de l’opération au regard de son assujettissement à enquête publique que la Cour a statué. Selon le considérant de principe de la décision objet de présente note, en effet, les dispositions de l’ancien article L.421-3 et de l’actuel article L.421-6 du Code de l’urbanisme ne font pas obstacle à ce que, lorsque l'ampleur et la complexité du projet le justifient, notamment en cas d'intervention de plusieurs maîtres d'ouvrage, les éléments de la construction ayant une vocation fonctionnelle autonome puissent faire l'objet de permis distincts, sous réserve que l'autorité administrative ait vérifié, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés.

    Ce tempérament de la règle de principe appelle trois principales observations, correspondant aux trois principales conditions pour qu’un ensemble immobilier unique puisse relever de permis de construire distincts.

    En premier lieu, le fractionnement de la réalisation d’un ensemble immobilier unique n’est possible que lorsque l’ampleur et la complexité du projet le justifient ; toute la difficulté étant d’établir à partir de quel stade l’ampleur et la complexité du projet peuvent le justifier.

    En effet, si le Conseil d’Etat a mis en exergue « l’intervention de plusieurs maîtres d’ouvrage », il ne nous semble pas pouvoir s’agir d’un critère déterminant compte tenu du caractère réel et non pas personnel de la législation sur les autorisations d’urbanisme ; sans compter que si tel était le cas, la règle de principe tirée de l’ancien article L.421-3 pourrait être aisément contournée sur ce point par la constitution de plusieurs structures ad hoc distinctes.

    Il n’en demeure pas moins que les perspectives ouvertes par cet arrêt tendent à réduire l’intérêt de la consécration du permis de construire conjoint (sur ce point, voir notre article : « Le permis de construire conjoint », RDI, n°9/2008).

    En deuxième lieu, ce fractionnement en plusieurs permis de construire distincts n’est possible qu’à la condition qu’en outre, chacune des autorisations portent sur un élément du projet ayant une vocation fonctionnelle autonome.

    Cette condition appelle elle-même trois remarques.

    Tout d’abord, quelles que soient l’ampleur et la complexité du projet, seules ses composantes autonomes peuvent donc donner à des permis de construire distincts mais, par voie de conséquence, les différents éléments de cette composante doivent quant à eux nécessairement relever d’un même permis de construire dès lors qu’ils sont indépendantes les uns des autres (sur l’exemple de la divisibilité d’une composante d’un projet mais dont les différents éléments sont en revanche indissociables : CAA. Lyon. 19 avril 1994, Préfet du Dpt de Haute-Corse, req. n° 93LY01230). Le seul fait qu’un ensemble immobilier unique réunisse plusieurs composantes autonomes ne saurait permettre de fractionner librement sa réalisation en plusieurs permis de construire : il ne saurait y avoir plus de permis de construire que de composantes autonomes et chacune des autorisations délivrées doit correspondre à la totalité des éléments composant cette composante ; rien ne semblant s’opposer à ce qu’un même permis de construire porte sur la totalité de plusieurs de ces composantes.

    Ensuite, l’autonomie des composantes doit être appréciée d’un point de vue exclusivement fonctionnel puisqu’il résulte de l’arrêt commenté et du cas d’espèce que le seul fait que les composantes d’un projet soient liées par un rapport d’interdépendance physique et technique résultant du fait que la réalisation de l’une dépend de celle de l’autre ne s’oppose pas à son fractionnement en plusieurs permis de construire.

    Enfin, cette autonomie fonctionnelle semble devoir être appréciée isolément, uniquement en considération de la fonction propre de la composante du projet considérée puisqu’il est clair en l’espèce que le parc de stationnement souterrain était utile au stade à construire en superstructure. Néanmoins, cette circonstance ne s’est pas opposée à ce que le Conseil d’Etat considère que ce parc et ce stade avaient « chacun une vocation fonctionnelle autonome ».

    En troisième et dernier lieu, il est encore nécessaire que l'autorité administrative vérifie, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés. Cette condition génère deux principales interrogations : quelles règles et quels intérêts doivent être pris en compte et comment l’autorité compétente peut-elle porter ou, à tout le moins, être regardée comme ayant porté sur le projet une appréciation globale.

    S’agissant de la protection des règles et intérêts que garantit par principe la délivrance d’un permis de construire unique, il est clair qu’il doit au premier chef s’agir du respect des règles d’urbanisme applicables au projet.

    L’administration doit donc vérifier que pris dans sa globalité, et non pas composante par composante, et demande par demande, le projet respecte l’ensemble des règles projet lui étant opposables et, en d’autres termes, que le fractionnement de sa réalisation en plusieurs autorisations n’aboutit pas à contourner une ou plusieurs de ces règles (pour l’exemple d’un fractionnement frauduleux : CAA. Paris, 18 octobre 2001, MM. Frack & Pinvin, req. n° 98PA02786).

    Reste qu’il convient d’établir comment l’administration peut vérifier, par une appréciation globale, que le respect des règles et la protection des intérêts généraux que garantirait un permis unique sont assurés par l'ensemble des permis délivrés ; étant relevé que le Conseil d’Etat a censuré l’arrêt d’appel pour avoir annuler le permis de construire attaqué du seul fait qu’il ne portait que sur une partie de l’ensemble immobilier projeté tout en soulignant qu’au surplus, « les deux permis avaient fait l'objet d'une instruction commune et avaient à l'origine été délivrés le même jour ».

    CA87GF8LCA7JPQ6SCANECO38CA5O3NNZCANC0SLECA9JM18JCAO2OSAHCACO2WD5CAHB2DY6CALSWPQ3CA1GAF1QCAGJ1Z4KCAK3GKZBCAE4TWS5CAAO8H5GCA2XVUXPCA9X0IP7CA5DK1MV.jpgTout d’abord, il parait nécessaire que toutes les demandes de permis de construire fassent l’objet d’une instruction commune ou, à tout le moins, coordonnée puisque l’on voit mal comment à défaut, au terme d’instructions isolées de chacune de ces demandes, l’administration pourrait être réputée avoir opéré une appréciation globale du projet. Mais sur ce point, la question est encore de savoir si l’administration peut ou doit procéder spontanément à cette instruction globale ou si elle doit y avoir été invitée, d’une façon ou d’une autre, par le ou les pétitionnaires. A priori, il serait logique que l’administration y soit invitée par le ou les pétitionnaires à travers les dossiers de demande.

    Deux considérations nous paraissent aller dans ce sens.

    D’une part, on sait que lorsque la réalisation d’un projet implique plusieurs autorisations distinctes – tels un permis de construire et un permis de démolir – le dossier de demande de permis de construire doit, au titre de l’article R.431-21 du Code de l’urbanisme justifier de la demande de permis de démolir aux fins d’assurer la coordination des procédures d’instruction. A défaut, le permis de construire délivré dans ces conditions est illégal.

    D’autre part, considérer que l’administration devrait spontanément procéder à cette instruction commune signifierait qu’elle devrait systématiquement rechercher si la demande de permis de construire qui lui est présentée se rapporte ou non à un projet dont l’une des composantes ferait concomitamment l’objet d’une autre demande. Il nous semble donc nécessaire que les dossiers de demande précise se rapporter à une partie d’un projet dont les autres composantes font l’objet d’autres demandes de sorte à mettre l’administration en mesure de procéder à une appréciation global du projet.

    Ensuite, et par voie de conséquence, force est d’admettre que la possibilité ainsi offerte qu’un ensemble immobilier unique donnent lieu à plusieurs permis de construire s’oppose à ce que la présentation des demandes soient trop fractionnées dans le temps. Ici encore, on voit en effet mal comment, du moins pour ce qui concerne la légalité du premier permis de construire, l’administration pourrait être réputée avoir apprécié globalement le projet si la première autorisation était délivrée avant même que la seconde n’ait été sollicitée.

    PC.jpgMais enfin, il faut se demander s’il est impératif que tous les permis de construire soient délivrés à la même date.

    En première analyse et si l’on s’en tient aux règles précédemment dégagés en la matière, ceci semble effectivement nécessaire, du moins pour assurer la légalité de l’ensemble de permis de construire se rapportant au projet.

    En effet, il ressort de la jurisprudence rendue en matière d’autorisations connexes que l’administration n’est réputée avoir connaissance d’un projet qu’à partir du moment où elle a statué sur la demande.

    Telle est la raison pour laquelle, compte tenu du principe d’indépendance des procédures, le seul fait que l’administration ait effectivement été précédemment saisie d’une demande de permis de démolir avant de délivrer un permis de construire n’assure pas la légalité de ce dernier au regard de l’article R.431-20 du Code de l’urbanisme mais qu’en revanche, le fait que la demande de permis de démolir n’ait pas été jointe au dossier de demande permis de construire est sans incidence si le permis de démolir a été délivré avant la délivrance du permis de construire puisqu’alors l’administration est réputée avoir eu connaissance de la première autorisation avant de délivrer la seconde (CE. 26 octobre 1994, OPHLM du Maine-et-Loire, req. n°127.718).

    Cependant, cette conclusion doit être doublement nuancée.

    D’une part, telle qu’il avait initialement dégagé, le principe selon lequel des constructions indivisibles devaient nécessairement donner lieu à un permis de construire unique semblait s’expliquer non seulement par les exigences résultant de l’ancien article L.421-3 du Code de l’urbanisme mais également par le fait qu’en vertu du principe d’indépendance des procédures, l’administration devait être mise en mesure de ce prononcer sur l’ensemble du projet et en avoir ainsi une connaissance complète à l’examen du seul dossier de demande produit par le pétitionnaire.

    Or, en admettant en l’espèce que l’administration pouvait apprécier globalement la conformité d’un même projet à travers l’examen de demandes de permis de construire distinctes, le Conseil d’Etat a substantiellement assoupli le principe d’indépendance des procédures.

    Il ne semble donc pas exclu que même lorsque les permis de construire se rapportant au projet n’auront pas été délivrés à la même date, leur légalité pourra être établie pour autant que l’administration puisse démontrer que dès la délivrance du premier permis elle avait une connaissance complète du projet lui permettant de le contrôler dans sa globalité.

    D’autre part et en toute hypothèse, il faut rappeler que la question de la possibilité de fractionner la réalisation d’un ouvrage indivisible en plusieurs permis de construire s’était déjà posée au sujet de la réalisation de l’opéra Bastille et, plus précisément, à l’occasion du recours à l’encontre du second permis de construire s’y rapportant.

    Or, le Conseil d’Etat avait considéré que l’administration avait pu délivrer, sans commettre d’erreur de droit, le permis de construire correspondant à la tranche A de l’Opéra Bastille au motif qu’elle avait précédemment autorisé la tranche B et qu’elle était donc en mesure d’apprécier l’aspect définitif de l’ensemble immobilier ainsi autorisé, lequel ne dépendait plus de permis de construire ultérieurs (CE. 23 décembre 1987, Centre national d’ophtalmologie des Quinze-Vingts, Rec., p. 433).

    De ce fait, même à admettre que les deux permis de construire doivent être délivrés à la même date, la méconnaissance de cette exigence n’aurait d’incidence que sur la légalité du premier.

    En revanche, la légalité du second serait assurée dès lors que le premier serait définitif – puisqu’en revanche, son éventuelle annulation s’opposerait a priori à ce que l’administration s’en prévale pour établir son appréciation globale du projet – et pour autant, bien entendu, que les autres conditions posées par l’arrêt commenté soient respectées.




    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris

    Cabinet FRÊCHE & Associés

  • Les voies à aménager en exécution d’un permis de construire déterminent-elles l’implantation des constructions à réaliser au titre de cette même autorisation ?

    Dès lors que l’ancien article R.111-18 et le nouvel article R.111-7 du Code de l’urbanisme ne concernent pas des voies purement internes au projet que celui-ci prévoit, suite le moyen tiré de ce que les constructions projetées seraient édifiées, par rapport aux voies de circulation prévues à l'intérieur de l'ensemble immobilier, en méconnaissance de la règle ainsi posée est inopérant.

    CAA. Bordeaux, 11 juillet 2008, Mme X, req. n°06BX01786


    Bien qu’il appelle peu de commentaires, voici un arrêt intéressant en ce qu’il traite d’une question n’ayant donné lieu qu’a peu de jurisprudence et qui conserve tout son intérêt, dans la mesure où la règle posée par l’ancien article R.111-18 du Code de l’urbanisme a été reprise quasiment à l’identique par le nouvel article R.111-17 en ce qu’il dispose que « lorsque le bâtiment est édifié en bordure d'une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l'immeuble au point le plus proche de l'alignement opposé doit être au moins égale à la différence d'altitude entre ces deux points. Lorsqu'il existe une obligation de construire au retrait de l'alignement, la limite de ce retrait se substitue à l'alignement. Il en sera de même pour les constructions élevées en bordure des voies privées, la largeur effective de la voie privée étant assimilée à la largeur réglementaire des voies publiques »

    Dans cette affaire le permis de construire attaqué portait sur la réalisation d’un ensemble de 50 logements individuels et prévoyait des voies internes destinées à permettre l’accès à ces derniers. Et c’est notamment en considération de l’implantation de ces constructions par rapport à ces voies que cette autorisation devait être contestée puisqu’elle n’apparaissait pas conforme à l’article R.111-18 du Code de l’urbanisme alors applicable.

    Mais ce moyen devait donc être rejeté par la Cour administrative d’appel de Nantes au motif suivant :

    « Considérant, en septième lieu, qu'aux termes de l'article R. 111-18 du code de l'urbanisme : « Lorsque le bâtiment est édifié en bordure d'une voie publique, la distance comptée horizontalement de tout point de l'immeuble au point le plus proche de l'alignement opposé doit être au moins égale à la différence d'altitude entre ces deux points. Lorsqu'il existe une obligation de construire au retrait de l'alignement, la limite de ce retrait se substitue à l'alignement. Il en sera de même pour les constructions élevées en bordure des voies privées, la largeur effective de la voie privée étant assimilée à la largeur réglementaire des voies publiques (...) » ; que ces dispositions ne concernent pas des voies purement internes au projet que celui-ci prévoit ; que, par suite le moyen tiré de ce que les constructions projetées seraient édifiées, par rapport aux voies de circulation prévues à l'intérieur de l'ensemble immobilier, en méconnaissance de la règle posée par l'article R. 111-18 du code de l'urbanisme ne peut qu'être écarté ».

    Il est vrai que sur ce point le Conseil d’Etat avait anciennement jugé que ne sont assimilées aux voies publiques que les voies privées qui, lorsque le permis de construire a été demandée, existaient ou étaient prévues dans un projet antérieurement approuvé par l’autorité administrative (CE. 2 avril 1971, Min. équip., AJDA, 1971, p.355).

    Néanmoins, la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Nantes nous paraît sujette à caution d’autant plus que pour relever d’un projet privé les voies en cause n’étaient pas réservées aux occupants des bâtiments à construire et avaient donc vocation à constituer des voies privées ouvertes à la circulation publique.

    Tout d’abord et compte tenu du caractère par principe indivisible d’un permis de construire et, en toute hypothèse, de l’indissociabilité des constructions et des voies les desservant, le permis de construire en cause était réputé autoriser tout à la fois les bâtiments et les voies projetés ; le pétitionnaire s’en trouvant tenu, sauf à abandonner son projet, de réaliser cet ensemble.

    Partant, on voit mal pourquoi la régularité de l’implantation des constructions n’aurait pas à être appréciée au regard des voies à aménager dans le cadre de ce même projet alors qu’à suivre l’arrêt précité du Conseil d’Etat, la régularité de l’implantation de ces mêmes constructions pourraient en revanche être appréciée au regard d’autres voies privées relevant d’un projet contigu au terrain à construire et ayant déjà fait l’objet d’un permis de construire restant à exécuter.

    Ensuite, cette solution consiste donc à valider un projet qui dès son exécution aboutira à la formation de constructions irrégulières puisque leur implantation ne respectait effectivement pas la règle alors posée alors par l’article R.111-18 du Code de l’urbanisme par rapport aux voies à réaliser.

    Il s’ensuit qu’après l’exécution de ce permis de construire et la création subséquente de ces voies, lesquelles seront alors des voies privées existantes, ces constructions ne sauraient faire l’objet de travaux nouveaux que dans les conditions fixées par la jurisprudence dite « Sekler » (sur cette jurisprudence, voir ici), laquelle a d’ailleurs été transposée par le nouvel article R.111-19 du Code de l’urbanisme.

    Mais enfin et surtout, il convient de rappeler que dans les communes dotées d’un POS ou d’un PLU, l’article R..111-18 du Code de l’urbanisme n’est pas applicable puisque l’implantation des construction sur ce point a vocation à être régie par l’article 6 du règlement, lequel peut, compte tenu de la rédaction de l’article R.123-9 (6°) du Code de l’urbanisme la régir par rapport aux voies publiques ou privées, existantes ou à créer. Or, à ce titre, le Conseil d’Etat a plus récemment jugé que :

    « Considérant qu'aux termes de l'article III NA 6 du plan d'occupation des sols de Lésigny, " toute construction nouvelle doit être implantée en observant une marge de reculement d'au moins dix mètres de profondeur par rapport à l'alignement actuel ou futur des voies"; que cette disposition de caractère général est applicable à l'implantation des 17 pavillons dont la construction est autorisée par le permis en cause par rapport aux voies dont la construction est prévue au permis pour la desserte de ces pavillons ; qu'il est constant que les marges de reculement autorisées par rapport à ces voies sont inférieures à dix mètres » (CE. 27 avril 1984, Sté Bréguet Construction, req. n° 46625).

    Dans ces conditions et compte tenu leur généralité, force est d’admettre que l’on voit mal pourquoi les dispositions de l’ancien article R.111-18 et du nouvel article R.111-17 du Code de l’urbanisme ne seraient pas opposables aux bâtiments implantés au droit des voies que le projet autorisé prévoit lui-même.



    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés