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Un ensemble indivisible ne constitue pas nécessairement un bâtiment unique pour application de la règle d’urbanisme

Deux volumes accueillant chacun un logement certes accolés mais qui n’ont en commun qu’un accès à la voie publique et des équipements extérieurs susceptibles de les rendre indivisibles, n’en forment pas pour autant un bâtiment unique.

CAA. Paris, 24 mai 2007, M. Raymond Y., req. n°04PA03314


Dans cette affaire, le requérant avait obtenu un permis de construire présenté comme portant sur un bâtiment accueillant deux logements qui, s’il ne respectait pas les prescriptions de principe de l’article UD.14 du POS communal, avait été autorisé au titre des dispositions dérogatoires de ce dernier prévoyant que « dans le cas de la construction d'un seul pavillon sur une parcelle de superficie réduite, il est toujours possible de réaliser les SHON suivantes indépendamment de la valeur du C.O.S. applicable : ( ) 150 m2 de SHON constructible pour les terrains d'une surface supérieure à 300 m2 ».

Mais c’est précisément sur ce point que devait être contesté et annulé ce permis de construire et ce, au motif suivant :

« Considérant, d'autre part, qu'aux termes de l'article UD 14 du règlement du plan d'occupation des sols de Sèvres relatif au coefficient d'occupation des sols (C.O.S.) : « 14.1 - Les valeurs du C.O.S. sont : Zone Uda : 0,40 ( ) 14.2 - Dans le cas de la construction d'un seul pavillon sur une parcelle de superficie réduite, il est toujours possible de réaliser les SHON suivantes indépendamment de la valeur du C.O.S. applicable : ( ) 150 m2 de SHON constructible pour les terrains d'une surface supérieure à 300 m2. » ; qu'il ressort des pièces du dossier, notamment des plans joints à la demande, que le projet litigieux est constitué de deux bâtiments distincts de hauteur et de style différents et dont les seules parties communes concernent les équipements extérieurs ainsi que la rampe d'accès des véhicules à la voie publique ; qu'ainsi, cet ensemble ne peut être assimilé à un seul pavillon au sens du plan d'occupation des sols rendant ainsi les dispositions dérogatoires précitées de l'article UD 14-2 sur les valeurs du C.OS inapplicables ; que, par suite, M. Y n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Paris a également retenu ce second motif pour annuler la décision litigieuse ».

En substance, la Cour a donc considéré que les deux « volumes » formant le projet objet du permis de construire en cause formaient de deux bâtiments distincts – rendant donc inapplicable les dispositions dérogatoires de l’article UD.14.2 du POS communal – nonobstant, la double circonstance qu’ils disposaient d’une rampe d’accès et d’équipements extérieurs communs et qu’ils soient accolés (sur une question connexe, voir ici).

En effet, l’existence d’aménagements communs est sans incidence sur l’appréciation du nombre de bâtiments projetés mais participe seulement à déterminer si ces derniers forment ou non ce qu’il est convenu d’appeler un « ensemble indivisible » ou encore un « tout indissociable ».

C’est ainsi qu’un ensemble de bâtiments même autorisés par plusieurs permis de construire mais reliés entre eux par un seul accès commun à la voie publique formeront de ce fait un ensemble indivisible (CE. 1er décembre 1995, M. Ménager & Autres, req. n° 137.832) puisque pour être conformes aux prescriptions d’urbanisme applicable en la matière, il est impératif que chaque bâtiment à construire ait un accès à la voie publique et que cet accès soit saisi par le permis de construire en autorisant la construction (CE. 16 janvier 1987, SCI Ascodif, req. n° 64.032 ; CAA. Marseille, 18 février 1999, M. Tremellat, req. n° 96MA02391).

En revanche, deux maisons individuelles n’étant reliées entre elles par aucun équipement commun constitueront, même lorsqu’elles sont autorisées par un seul et même permis de construire, un ensemble dissociable, si bien, d’ailleurs, que ce permis de construire pourra être frappé de caducité partielle (CAA. Marseille, 22 avril 1999, M. Bracco, req. n° 97MA00647).

Il reste, donc, que si un bâtiment unique forme nécessairement un ensemble indivisible (CE. 26 janvier 1994, M. Mathieu Gonnet, req. n° 127.397 ; CAA. Marseille, 18 mars 2004, Cne de Beausoleil, req. n° 01MA00551), le simple fait que deux « volumes » soient reliés entre eux par un équipement commun, tel un auvent, voir par un élément de construction, tel un garage, susceptible de les rendre indivisibles ne saurait suffire à les faire regarder comme une construction unique (CE. 4 février 1994, Cne de Porancé, req. n°112.512) ou un logement unique (CE. Cne de Saint-Cannat, req. n°130.369).

Par voie de conséquence, c’est donc à juste titre qu’en l’espèce, la Cour administrative d’appel de Paris a considéré que le fait que les deux « volumes » en cause aient en commun un accès à la voie publique et des équipements extérieurs n’avait pas en eux-mêmes pour effet de les faire accéder au statut de bâtiment unique. Sur ce point, l’arrêt commenté peut ainsi être rapproché de celui par lequel la même Cour a récemment jugé que :

« Considérant que les constructions projetées, présentées dans le dossier de demande du permis de construire litigieux comme deux bâtiments à usage d'habitations totalisant trois logements, ne présentent aucune différence avec celles qui avaient fait l'objet d'une première demande de permis, qui portait sur la construction d'un ensemble de trois maisons ; que le projet ne prévoit pas de parties communes aux bâtiments, à l'exception de la partie du sous-sol destinée au stationnement des véhicules ; qu'ainsi, et bien que les deux constructions jumelées comportent certaines superstructures et une dalle uniques, ce projet doit être regardé, pour l'application des dispositions réglementaires précitées, comme portant en réalité sur la réalisation de trois pavillons, dont deux accolés » (CAA. Paris, 31 décembre 2004, SCI Sceaux Desgranges, req. n°01PA00560).

C’est donc, au premier chef, au regard des ses caractéristiques constructives qu’il convenait de rechercher si le projet objet du permis de construire contesté constituait ou non un bâtiment unique ; étant précisé qu’a contrario, la seule circonstance que ce projet impliquait clairement la réalisation de deux logements distincts ne s’opposait pas, à elle seule, au bénéfice des dispositions dérogatoires de l’article UD.14.2 puisque ce dernier se bornait à viser « le cas d’un seul pavillon », ce qui en soi ne s’opposait pas à ce qu’y soient réalisés plusieurs logements (en ce sens : CE. 14 juin 2004, Mariotte, req. n°243.811).

Mais sur ce point, la Cour administrative d’appel de Paris devait donc considérer qu’il s’agissait de deux bâtiments distincts puisque de « hauteur et de style différents ». Et à cet égard, la solution rendue peut être rapprochée, a contrario, de l’arrêt (sur lequel il y aurait, toutefois, beaucoup à redire sur ce point ; puisqu’il fut, en revanche l’objet de nombreux débats dans le cadre de la fameuse « copropriété horizontale ») par lequel la Cour administrative d’appel de Bordeaux a jugé :

« Considérant que le projet de la S.C.I. Enez Eussa, objet du permis de construire délivré le 30 mai 1997 par le maire de Puilboreau, porte sur la construction d'un bâtiment comprenant deux habitations individuelles, sur le lot n° 6 du lotissement "les Flénauds" à Puilboreau, autorisé par arrêté municipal du 12 juillet 1995 ; que ces deux habitations sont accolées, ont une toiture et une façade communes et constituent, ainsi que l'a jugé le tribunal administratif, un bâtiment unique ».

Mais l’on précisera qu’a contrario, le seul fait que différents « volumes » horizontaux soient, à titre d’exemple, de hauteurs différentes ne suffit pas à les faire regarder comme formant autant de bâtiments distincts puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :

« Considérant qu'aux termes de l'article 9 du règlement du lotissement du Collet Redon au Pradet (Var) : " ... La hauteur des bâtiments sera limitée à deux niveaux avec un maximum de 7 mètres mesurés à l'égout de la toiture à compter du point aval de la construction ..." ;
Considérant que pour l'application des dispositions précitées aux transformations projetées d'un bâtiment existant, la villa de Mme MATHIEU-GONNET même si elle se compose de plusieurs corps de bâtiment de différentes hauteurs doit être considérée comme un tout indissociable ; que, par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que la hauteur autorisée de la construction doit être calculée en fonction de chacun de ces corps de bâtiment ; qu'ainsi, il ressort des pièces du dossier que la hauteur de la villa calculée à compter du point aval de la construction excède le maximum de 7 mètres autorisé
» (CE. 26 janvier 1994, M. Mathieu Gonnet, req. n° 127.397)

Quant à la circonstance que les deux « volumes » en cause soient accolés, celle-ci est également insuffisante (CAA. Paris, 31 décembre 2004, SCI Sceaux Desgranges, req. n°01PA00560), y compris, d’ailleurs, lorsqu’ils présentent une réelle unité architecturale (CE. 7 mai Boisdeffre, req. n°251.596).

Néanmoins, si la solution retenue par la Cour nous paraît totalement justifiée, son analyse nous paraît imparfaite ou, à tout le moins, incomplète puisqu’ainsi qu’il a été pré-exposé, la différence ou l’unicité de hauteur, de dimensions et/ou de style n’est pas totalement suffisante pour déterminer si le projet consiste en un ou plusieurs bâtiments distincts. On relèvera ainsi, à titre d’exemple, que sur cette question le Conseil d’Etat a jugé que :

« Considérant qu'il ressort du dossier qu'en raison de la configuration du terrain d'assiette et d'une servitude de passage grevant ledit terrain, l'immeuble à usage d'habitation pour lequel M. Cohen a obtenu le permis de construire litigieux en date du 17 août 1989 se compose de deux corps de bâtiments séparés au rez-de-chaussée par un passage ouvert et comportant chacun une toiture indépendante ; qu'il est cependant constant qu'à partir du premier étage les deux corps de bâtiments communiquent et que les logements qui y sont aménagés sont accessibles par un même escalier et desservis par des circulations communes ; qu'ainsi, l'immeuble dont il s'agit, constituait une unique construction au sens des dispositions précitées ; que le moyen tiré de ce que son édification aurait nécessité la délivrance de deux permis doit en tout état de cause être écarté » (CE. 25 septembre 1995, MME Giron, req. n° 120.438)

ou, a contrario, que :

« Considérant qu'aux termes de l'article UE 1-8 du règlement du plan d'occupation des sols de la commune de Saint-Chéron, applicable au projet litigieux, La construction de plusieurs bâtiments sur une même propriété est autorisée à condition que la distance horizontale comptée entre tous les points du bâtiment soit au moins égale à (...) la hauteur de la façade la plus haute, avec un minimum de huit mètres, si la façade la plus basse comporte des baies principales assurant l'éclairement des pièces principales ou de travail ; qu'il ressort des pièces du dossier soumis au juge des référés que les maisons de ville numérotées 2, 3, 4, 5 et 6 dans la demande de permis de construire qui, bien qu'accolées les unes aux autres autour d'une cour, sont destinées à être occupées séparément, ont ainsi le caractère de bâtiments distincts au sens des dispositions rappelées ci-dessus ; que ces maisons présentent toutes des ouvertures principales les unes vers les autres alors qu'elles sont séparées en plusieurs points par des distances inférieures à six mètres ; qu'il suit de là que le juge des référés du tribunal administratif de Versailles a commis une erreur de droit en jugeant que le moyen relatif à l'inobservation de la disposition précitée du règlement du plan d'occupation des sols n'était pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité du permis de construire litigieux ; que M. X est dès lors fondé à demander l'annulation de l'ordonnance attaquée » (CE. 7 mai Boisdeffre, req. n°251.596)

Il nous semble donc que la parfaite motivation du « considérant » commenté aurait impliqué quelques mots sur l’autonomie fonctionnelle de chacun des deux « volumes » en cause.


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

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