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Sur la qualité habilitant à construire respective des titulaires d’un permis de construire conjoint

Chacun des co-titulaires d’un permis de construire conjoint doit présenter un titre habilitant à construire au sens de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme, y compris si l’un des pétitionnaires y le propriétaire du terrain à construire.

CE. 14 octobre 2009, Cne de Messange, req. n°297.727 (139e note de commentaires)



Voici un arrêt bien plus intéressant qu’il n’y paraît dès lors que l’arrêt « Ville de Grenoble » s’il a ouvert une exception au principe selon lequel un ensemble immobilier unique doit faire l’objet d’un permis de construire unique, il n’en as pas pour autant fait disparaitre l’intérêt du permis conjoint dès lors que le champ d’application et les conditions de mise en œuvre de cette exceptions apparaissent limités et restant à affiner. Mais surtout, le fait que l’arrêt commenté ce jour ait été rendu en application de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme n’en réduit pas totalement l’intérêt.

Comme on le sait, il résulte de l’actuel article R.431-5 du Code de l’urbanisme, lequel s'est substitué à l’ancien article R.421-1-1 , que le pétitionnaire doit seulement attester de sa qualité ou de son titre habilitant à construire, au regard de ceux visés par l’actuel article R.423-1 , et n’a donc plus à en produire le justificatif au dossier; cette attestation étant en fait "intégrée" au sein du formulaire "CERFA" de demande. De ce fait, d’aucuns estiment que dès lors que l’attestation prévue est remplie par le pétitionnaire, le permis de construire délivré au vu de celle-ci est incontestable s’agissant de la qualité et du titre habilitant à construire et, a contrario, que le permis de construire n’est illégal, et n’emporte la responsabilité de l’administration, que lorsque cette attestation n’a pas été établie.

Mais, à notre sens, cela n’est pas si certain ; loin s’en faut. Dans son économie générale l’actuel article R.423-1 du Code de l’urbanisme n’est en effet pas si différent de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme puisque l’un comme l’autre se bornent à énoncer les qualités et titres habilitant une personne à déposer une demande de permis de construire. Or, au titre de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme, le juge administratif a toujours estimé que le permis de construire avait vocation à sanctionner la qualité et le titre habilitant à construire du pétitionnaire. On voit donc mal pourquoi il en irait différemment sous l’empire de l’actuel article R.423-5 du Code de l’urbanisme dès lors que le nouvel article R.423-1 du Code de l'urbanisme définit clairement les personnes présentant la qualité requise pour demander une autorisation d'urbanisme.

A ce titre, il reste donc nécessaire que le pétitionnaire soit habilité à construire sur l’ensemble du terrain d’assiette de sa demande et, a contrario, un permis de construire portant sur un terrain n’étant pas entièrement couvert par le titre du pétitionnaire pourrait s’en trouver affecter d’illégalité et ce, quelle que soit l’importance de la portion du terrain sur laquelle il n’apparaît pas habilité à construire (CE. 20 mai 1994, CIL de Champvert, req. n°106.555).

immeubles jumelées.jpgOr, un permis de construire obtenu conjointement par deux maîtres d’ouvrage ne constitue pas deux autorisations distinctes délivrées sous la forme d’un seul arrêté mais une seule et même autorisation ayant deux co-titulaires. ll s’ensuit que chacun des titulaires d’un permis de construire conjoint est au regard du droit de l’urbanisme autorisé à en exécuter l’intégralité, y compris lorsqu’il porte sur plusieurs unités foncières. De ce fait, force est donc de considérer que chacun d’entre eux doit disposer d’une qualité et/ou d’un titre l’habilitant à construire sur l’ensemble du terrain d’assiette de l’autorisation.

Précisément, ce fut l’une des questions posées dans l’affaire « Nouveau Logis Centre Limousin » - premier cas où le juge administratif ait eu à se prononcer clairement sur la pratique du permis de construire conjoint – puisque si chacun des deux pétitionnaires était propriétaire de l’un des deux terrains sur lequel portait le permis de construire en cause, il reste qu’aucun d’entre eux ne disposait d’un titre habilitant à construire sur le terrain dont il n’était pas propriétaire. Cependant, ni le Conseil d’Etat (CE. 28 juillet 1999, SA d’HLM « Le nouveau logis – Centre Limousin », req. n° 182.167) ni la Cour administrative d’appel de Nantes n’ont clairement statué sur cette branche du moyen présenté par les requérants et tiré de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme.

Mais il ressort, toutefois, des conclusions du Commissaire du gouvernement de la Cour nantaise que celui-ci avait estimé que cette circonstance n’était pas de nature à affecter le permis de construire en cause puisque, justement, les deux propriétaires des terrains concernés s’étaient associés. Dans ce cas, on ne peut en effet que présumer que soit chacun des co-titulaires n’exécutera que les travaux autorisés sur le terrain dont il est propriétaire, soit chacun a accepté que l’autre exécute des travaux sur sa propriété.

Pour autant, la Cour administrative d’appel de Bordeaux devait ultérieurement juger que chacun des co-titulaires d’un permis de construire devait être titré au sens de l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme et ce, alors même que deux d’entre eux étaient les seuls propriétaires de l’unique terrain sur lequel portait l’autorisation en cause.

Mais dans cette affaire la Cour administrative d’appel de Bordeaux n’a annulé le permis de construire litigieux qu’en tant qu’il avait été délivré au pétitionnaire ne présentant pas un titre habilitant à construire et, en d’autres termes, l’a validité en ce qu’il avait été délivré aux propriétaires du terrain. Précédemment, la Cour administrative d’appel de Lyon avait d’ailleurs également considéré qu’un permis de construire conjoint est à cet égard divisible pour ainsi en confirmer la légalité en ce qu’il avait été délivré au pétitionnaire disposant d’un titre habilitant construire (CAA. Lyon, 12 juin 2001, Assoc. Lac d’Annecy Environnement, req. n°00LY01431).

Et précisément, c’est cette analyse de l’arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux que le Conseil d’Etat vient de confirmer en tous points en jugeant :

« Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain, soit par une personne ayant qualité pour bénéficier de l'expropriation dudit terrain pour cause d'utilité publique. / La demande précise l'identité du demandeur, l'identité et la qualité de l'auteur du projet, la situation et la superficie du terrain, l'identité de son propriétaire au cas où celui-ci n'est pas l'auteur de la demande ;
Considérant qu'il résulte de ces dispositions que lorsqu'une demande de permis de construire est présentée par plusieurs personnes, chacune de ces personnes doit justifier d'un titre l'habilitant à construire ; que par suite, un permis accordé conjointement à plusieurs personnes dont l'une ne justifie pas d'un tel titre est illégal en tant qu'il est délivré à cette personne ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que la demande d'autorisation d'aménager, valant permis de construire, a été présentée conjointement par M. Gérard D, propriétaire du terrain en cause, et par M. Christian D ; que ce dernier ne justifiait pas, lors du dépôt de cette demande, d'un titre l'habilitant à construire ; que, par suite, la cour administrative d'appel de Bordeaux n'a pas commis d'erreur de droit en jugeant, après avoir relevé que la demande de permis de construire avait été déposée par M. Gérard D, propriétaire du terrain, et par M. Christian D, que l'autorisation accordée était entachée d'illégalité en tant qu'elle désignait M. Christian D comme bénéficiaire
».


Chacun des co-titulaires d’un permis de construire conjoint doit donc bien présenter une qualité ou un titre habilitant à construire, y compris si l’un des pétitionnaires est le propriétaire du terrain à construire.

plan conjoint.jpgMais il est vrai que là où l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme prescrivait un titre habilitant à construire, l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme n’impose plus au pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas le propriétaire du terrain à construire, que d’attester être autorisé par celui-ci à exécuter les travaux ; cette attestation s’opérant en fait par la simple signature du formulaire « CERFA » de demande, lequel intègre une formule type à cet effet. On peut donc penser que dès lors que le propriétaire du terrain signera avec un autre pétitionnaire ce formulaire, cette signature vaudra autorisation donnée à l’autre d’exécuter les travaux sur son terrain.

Il reste que sous l’empire de l’ancien article R.421-1-1, il avait pu être jugé qu’un titre habilitant à construire pouvait procéder d’une simple autorisation ad hoc du propriétaire dont on aurait également pu penser qu’elle pourrait implicitement résulter de la co-signature du formulaire de demande de permis de construire. Il n’est donc pas si certain que l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme soit en lui-même de nature à modifier la jurisprudence précitée.

Mais en toute hypothèse, force est d’admettre qu’il ne pourrait y avoir d’autorisation tacite à exécuter les travaux que pour le cas où celui qui serait réputé la consentir à l’autre, en formant avec lui une demande conjointe, est le propriétaire du terrain à construire ou, à tout le moins, dispose sur ce terrain de droits réels immobiliers dont il a l’entière jouissance et non pas le bénéficiaire d’une simple autorisation ad hoc délivrée intuitu personnae par le propriétaire du terrain sans pour autant lui conférer l’entière jouissance des droits à construire attachés à son terrain et, donc, sans lui permettre d’en faire bénéficier un tiers.




Patrick E. DURAND
Docteur en droit - Avocat au Barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

Commentaires

  • ah les nostalgiques du titre habilitant!

    il avait pourtant beaucoup de défauts :
    -simple contrôle de l'apparence, il n'offrait aucune garantie sur le plan civil,
    -flou de la notion d'apparence impliquant soit un contrôle excessif de l'administration, d'où des délais d'instruction plus longs injustifiés, et en outre un risque d'erreur dans l'application de textes de droit privé qu'elle ne maîtrise pas toujours, soit un contrôle insuffisant, fragilisant ainsi l'autorisation d'urbanisme

    à mon sens, l'article R. 423-1 ne fait désormais que lister à titre indicatif les personnes autorisées à déposer une demande, sans comporter de sanction sur le plan administratif, puisque le titre habilitant n'est plus exigé

    ceci dit, je vous rejoins sur le fait que le code est ambigu puisqu'il exige une attestation, certes automatiquement faite par la signature du formulaire, mais laissant penser que l'administration pourrait en contrôler la véracité, au moins au titre de la fraude ; pour lever cette ambiguïté, il faudrait supprimer l'attestation et renvoyer, comme pour les autres dispositions de droit privé, à la formule générale selon laquelle le permis est délivré sous la réserve des droits des tiers (voir mon article dans l'AJDA en début d'année)

  • Je ne pense pas que l'article R.423-1 - dont l'économie générale et la rédaction sont assez proches de l'article R.421-1-1 - n'ait qu'une valeur indicative.
    En revanche, l'attestation prévue par l'article R.431-5 me semble, en substance, généraliser le principe de la théorie du propriétaire apparent et permettre la sanction de l'absence de titre en cas de fraude ou de contestation sérieuse.
    Je vois mal une commune être tenue de délivrer un PC portant sur son domaine privé alors qu'elle sait parfaitement que le pétitionnaire n'y a aucun "titre" au sens de l'artcle R.423-1.
    Bien à vous.

  • Le principe de la jurisprudence relative au titre habilitant à construire est qu’il n’appartient pas à l’administration de s’immiscer dans un litige d’ordre privé qui s’élève entre particuliers (CE – 20 octobre 1965 – Guérin [n°60997]), sous réserve de contestations sérieuses ou de manœuvres frauduleuses.

    Le Conseil d’Etat (CE – 22 février 2002 – SCI ADP [n°238.200]) a ainsi jugé :

    « Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1-1 du code de l'urbanisme : "La demande de permis de construire est présentée soit par le propriétaire du terrain ou son mandataire, soit par une personne justifiant d'un titre l'habilitant à construire sur le terrain (.)" ; qu'en l'état du dossier qui lui était soumis, et en l'absence de contestation élevée sur la propriété des parcelles sises à l'angle de la rue de l'Avenir et de l'avenue de Marlioz, le maire de la commune d'Aix-les-Bains n'a pas méconnu les dispositions précitées de l'article R. 421-1-1 du code de l'urbanisme en estimant que la SCI ADP La Begum devait être regardée comme le propriétaire apparent des parcelles en cause ; qu'ainsi le juge des référés n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que n'est pas de nature à créer un doute sérieux quant à la légalité de la décision attaquée le moyen tiré de ce que la commune était tenue de vérifier la qualité du demandeur du permis de construire » ;

    Par conséquent, il appartient au tiers de démontrer les insuffisances ou les irrégularités du titre habilitant à construire. Les articles R 423-1 et R 431-5 du Code de l’urbanisme ne remettent pas en cause la jurisprudence relative au titre habilitant à construire, bien au contraire. Comment l’autorité administrative pourrait-elle refuser de connaître de contestations sérieuses quant à la qualité d’un demandeur ?

    La seule solution pour renvoyer au juge judiciaire ce contentieux ne serait-elle pas de reprendre les dispositions de l’article L 410-1 du Code de l’urbanisme afin de les adapter aux autorisations d’utilisation ou d’occupation des sols.

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