L’engagement d’une partie des travaux dans le délai prévu par l’article R.424-17 du Code de l’urbanisme interrompt en toute hypothèse ce délai pour l’ensemble de l’autorisation obtenue
Dès lors que l’ensemble des constructions projetées ont été autorisées par un seul et même permis de construire, l’engagement d’une partie des travaux interrompt le délai de validité de cette autorisation dans son ensemble et ce, quelle que soit la divisibilité des constructions projetées.
TA. Versailles, 30 juin 2011, SARL Batival, req. n°08-07765 (jugement n°16 cité par la lettre n°11.pdf du TA de Versailles)
Nous avons ici déjà souvent traité des questions se rapportant à la notion d’ouvrages et d’ensembles immobiliers indivisibles. L’un des aspects des conséquences de la divisibilité du projet et de celle subséquente du permis de construire s’y rapportant est cependant moins connu : le délai de validité de cette autorisation et sa propension à être frappée de caducité partielle.
Concrètement la question ainsi posée est de savoir si l’exécution d’une partie divisible d’un projet relevant d’un permis de construire unique interrompt ou non le délai de validité de cette autorisation pour son tout ou seulement pour sa partie mise en œuvre dans le délai fixé par l’article R.424-17 du code de l’urbanisme dont on rappellera qu’il dispose « le permis de construire, d'aménager ou de démolir est périmé si les travaux ne sont pas entrepris dans le délai de deux ans à compter de la notification mentionnée à l'article R. 424-10 ou de la date à laquelle la décision tacite est intervenue. Il en est de même si, passé ce délai, les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année ».
A cet égard, il faut tout d’abord relever qu’à cet égard l’article précité n’est pas substantiellement différent de l’ancien article R.421-32 qui pour sa part disposait que « le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 421-34 ou de la délivrance tacite du permis de construire. Il en est de même si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année ».
A ce titre, et dans un arrêt il est vrai ancien, le Conseil d’Etat a jugé, mais sans réelle précision sur ce point, que le délai de caducité du permis de construire autorisant l’édification de plusieurs bâtiments pouvait être interrompu par l’engagement des travaux sur n’importe quel d’entre eux, sans qu’il soit donc nécessairement besoin que les travaux portent sur la totalité du projet (CE. 10 décembre 1965, Synd. des copropriétaires de l’immeuble « Pharao-pasteur », Rec., p. 684). Dans le même sens, mais plus récemment, et à propos d’un permis de construire portant sur deux bâtiments distincts, la Cour administrative d’appel de Douai a déterminé le délai d’un an avant lequel les travaux d’édification du second bâtiment devaient être engagés par la seule référence à la date d’achèvement du premier (laquelle était postérieure à l’échéance du délai initial) et ce, sans autre considération (CAA. Douai, 14 juin 2001, SCI Séverine, req. n°97DA01664).
Toutefois, au terme d’une analyse plus précise des projets en cause, la Cour administrative d’appel de Marseille a pour sa part jugé que :
- l’engagement des travaux ne portant que sur le premier bâtiment à construire n’avait pas interrompu le délai de validité du permis à l’égard du second bâtiment dans la mesure où l’un et l’autre « étaient indépendants et ne comportaient aucune partie commune » (CAA. Marseille, 22 avril 1999, Bracco, req. n° 97MA00647) ;
- a contrario, l’engagement des travaux portant sur trois bâtiments suffisait à interrompre le délai de validité du permis à l’égard du quatrième dès lors que cet ensemble formait un projet « indivisible » (CAA Marseille, 6 octobre 2005, SCI Les Hautes Roches, req. n° 01MA01827).
Sur ce point, il faut ainsi souligner que dans la première affaire, la Cour a retenu la caducité partielle du permis de construire alors même que l’exécution d’une des deux maisons projetées constituait au regard de l’économie générale du projet un commencement significatif d’exécution du projet. En revanche, dans la second affaire, la Cour a conclu à la validité d’ensemble du permis de construire non pas en considération de l’importance des travaux entrepris mais au premier chef en considération de l’indivisibilité du permis de construire les ayant autorisés.
A s’en tenir à ces arrêts, le principal critère en la matière est/serait donc celui de la divisibilité du projet et du permis de construire s’y rapportant.
Mais tel n’est donc pas la solution retenue par le Tribunal administratif de Versailles dans son jugement objet de la note de ce jour.
Dans cette affaire, le permis de construire en cause portait sur la construction sur un même terrain, d’une part, de deux bâtiments et, d’autre part, de six maisons individuelles ; ces deux composantes du projet apparaissant indivisible puisque le Tribunal a relevé qu’elles auraient pu être réalisées indépendamment.
Mais au terme du délai de validité prévu par l’article R.424-17 précité, seuls les travaux se rapportant à l’édification de ces six maisons individuelles avaient été réalisées. Ainsi, alors même que les travaux n’avaient pas encore été interrompus depuis plus d’un an, le Maire devait opposer au constructeur la caducité de son permis de construire pour ce qu’il concernait les deux bâtiments restant à construire et ainsi adopter une décision apparaissant parfaitement conforme à l’arrêt « Bracco » précité de la Cour administrative d’appel de Marseille.
Il reste que pour sa part le Tribunal devait donc estimer que dans la mesure où l’opération avait donné lieu à un permis de construire unique et ce, sans que l’autorité compétente n’exige que ses deux composantes relèvent d‘autorisation séparées, l’exécution des travaux se rapportant aux villas avait interrompu le délai de validité de ce permis de construire dans son ensemble, y compris donc pour ce qui concerne les deux autres bâtiments restant à construire dès lors que les travaux n’avaient pas été interrompus pendant plus d’un an.
Outre que l’on voit mal comment l’autorité compétente aurait pu exiger deux demandes de permis de construire distinctes puisque si un projet unique doit en principe faire l’objet d’une seule et même demande rien n’interdit que deux opérations distinctes projetées sur un même terrain d’assiette relève d’une seule et même autorisation, une telle solution n’apparait pas exempte de toute critique.
Comme on le sait, en effet, il ressort de l’examen de la jurisprudence rendue en la matière que la divisibilité d’un projet d’urbanisme produit ses effets à tous les stades :
- la nature et le nombre d’autorisations susceptibles d’être obtenues (CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble & Communauté d’Agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n°301.615 ; CAA. Bordeaux, 1er avril 2010, Nadia X., req. n°09BX00275 ; TA. Nice, 24 mai 2006, Mme Baracco, req. n°02-05432) ;
- le pouvoir de l’administration statuant sur la demande, laquelle peut donner lieu à un refus partiel ou, a contrario, n’être que partiellement accordée (CE. 4 janvier 1985, SCI Résidence du Port, req. n° 47.248) ;
- le pouvoir de l’administration pour retirer l’autorisation délivrée, le cas échéant partiellement (CE. 6 novembre 2006, req. n°281.672 ; CAA. Nantes, 7 avril 2010, SNC Parc Eolien Guern, req. n°09NT00829) ;
- la propension du permis de construire obtenu a faire l'objet d'un transfert partiel (CE. 24 juillet 1987, req. n°61.164 ; CAA. Marseille, 18 mars 2004, Cne de Beausoleil, req. n°01MA00551. Voir ici et là);
- l’appréciation de la conformité des travaux en cours d’exécution et la détermination du champ d’application matérielle de l’ordre interruptif des travaux (CE. 25 septembre 1995, M. Michel Marchand, req. n° 118.863 ; CAA. Bordeaux, 8 février 2010, David Henri X…, req. n°09BX00808);
- le sort contentieux de l’autorisation, laquelle pouvait déjà n’être que partiellement annulée et ce, bien avant l’entrée en vigueur de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme (CE. 2 février 1979, Cts Sénécal, req. n° 05.808) ainsi que, plus spécifiquement, sur l'appréciation par le juge des référés de l'urgence à suspendre le permis de construire attaqué (TA. Grenoble, 8 décembre 2011, M. Cipri, req. n°10-04965).
Et pour cause puisqu’en fait, lorsqu’un arrêté portant permis de construire est divisible, c’est qu’il intègre déjà « plusieurs décisions », si bien qu’il faut apprécier distinctement l’objet et les effets de « chacune des autorisations » (Concl. J. Burguburu sur : CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble », BJDU n°4/2009, p.274).
D’une façon générale, on voit donc mal pourquoi il en irait différemment pour ce qui concerne le délai de validité d’une autorisation divisible portant sur des projets distincts ; sans compter, plus spécifiquement, que la solution retenue par le Tribunal administratif de Versailles dans cette affaire incite à recourir au permis de construire unique pour en faire, à travers le régime de son délai de validité et des « droits acquis » qu’il confère, une forme de « super certificat d’urbanisme » protégeant des évolutions défavorables des règles d’urbanisme opposables au(x) projet(s) et ce, sans avoir même besoin d’en obtenir la prolongation.
D’ailleurs, si à notre connaissance le Conseil d’Etat ne s’est jamais prononcé explicitement sur cette question en matière d’autorisation d’urbanisme, en hors du cas particulier des autorisations de lotir, il a en revanche clairement reconnu la propension d’une autorisation d’exploiter « ICPE » à être frappée de caducité partielle lorsque celle-ci est divisible, c’est-à-dire « dans l'hypothèse où, par le même acte, a été autorisée l'exploitation de plusieurs installations classées distinctes » (CE. 27 septembre 2006, Communauté d’agglomération de Montpellier, req. n° 269.553) ; les critères d’appréciation de la divisibilité d’une telle autorisation n’étant au surplus pas si éloignée de ceux mis en œuvre à l’égard d’une autorisation d’urbanisme (CAA. Marseille, 8 novembre 2001, Sté « Mines d’Or de Salsignes », req. n°97MA11230).
Surtout, la solution retenue par le Tribunal administratif de Versailles dans cette affaire tend donc à faire du nombre d’autorisations obtenues le seul critère de détermination du délai dans lesquels les travaux peuvent être exécutés. Pour autant, tel n’est pas le cas dans la mesure où le délai de validité d’une autorisation d’urbanisme peut être impacté par la mise en œuvre d’une autre dès lors qu’elles se rapportent à des travaux indissociables puisqu’à titre d’exemple, le Conseil d’Etat a jugé que :
« Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-32 du code de l'urbanisme : "Le permis de construire est périmé si les constructions ne sont pas entreprises dans le délai de deux ans à compter de la notification visée à l'article R. 421-34 ( ...). Il en est de même si les travaux sont interrompus pendant un délai supérieur à une année" ;
Considérant qu'il résulte des dispositions ci-dessus rappelées que l'interruption des travaux pendant une durée de plus d'un an rend caduc le permis de construire, alors même que le délai de deux ans précité n'est pas expiré ;
Considérant qu'en se fondant, pour faire application des dispositions susrappelées relatives au délai d'interruption des travaux d'un an à ces travaux de démolition, sur la circonstance qu'en l'espèce les travaux de démolition du bâtiment préexistant n'étaient pas dissociables des travaux de construction de sorte que le délai d'interruption des travaux devait être décompté à partir de l'arasement du bâtiment démoli, la cour administrative d'appel n'a pas dénaturé les faits de la cause ni entaché son arrêt d'erreur de droit » (CE. 8 novembre 2000, EURL « Les Maisons Traditionnelles, req. n°197.505).
Mais dans cette mesure et en toute hypothèse, ce jugement renvoie également à l’inconnu du régime des permis de construire obtenus à la faveur de l’exception introduite par l’arrêt « Ville de Grenoble » et, notamment, à leurs délais de validité respectifs lorsque l’un des permis de construire ne peut être mis en œuvre qu’une fois que l’autre a été exécuté…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
Bonjour Patrick,
Tu oublies de mentionner, dans ton inventaire des effets de la divisibilité du permis, l'appréciation divisée de l'urgence à suspendre, dans une ordonnance de référé chère à mon coeur, commentée là: http://jurisurba.blogspirit.com/archive/2010/12/29/l-incidence-de-la-divisibilite-du-permis-de-construire-sur-l.html ...
C'est parfaitement exact aussi ! et tu peux effectivement chérir cette ordonnance ! je vais d'ailleurs l'ajouter
Bonjour,
Lorsqu'un permis de construire vaut permis de démolir, pensez vous que l'exécution des travaux de démolition soit un obstacle par suite à une demande de retrait par le pétitionnaire de sa demande de permis de construire?
S'agissant de la PNRAS, il est en effet de jurisprudence constante que le commencement d'exécution des travaux objet de la demande de permis de construire s'oppose par suite à ce que le pétitionnaire puisse obtenir le retrait et/ou le dégrevement de cette participation (cf. notamment TA Nantes, 1999, Soc. rue de l'industrie).
Cordialement,
EM