Retour sur l’étendue de l’obligation de régularisation des travaux illégaux issue de la jurisprudence « Thalamy »
La régularisation d’une extension illégale doit nécessairement régulariser l’autre même si la première ne prend pas appui sur la seconde dès lors qu’elles forment un tout indissociable avec la construction existante. Par ailleurs, un permis de construire une serre sur un terrain ayant préalablement fait l’objet de travaux d’exhaussement non autorisés doit régulariser ces derniers.
CAA. Nantes, 28 décembre 2006, M. & Mme X., req. n°06NT00016 / CAA. Nantes, 19 décembre 2006, Cne de Noyal-Châtillon-sur-Sèche, req. n°06NT00567
Voici deux arrêts fort intéressants (dont on regrettera qu’ils aient été mis en ligne si tardivement sur Légifrance), lesquels précisent et illustrent l’étendue de l’obligation de régularisation procédant de la jurisprudence « Thalamy » (CE. 9 juillet 1986, Thalamy, req. n°51172) dont on rappellera, une nouvelle fois, qu’en substance, sous réserve de la prescription décennale introduite par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme issu de la n°2006-872 du 13 juillet 2006, les travaux se rapportant à une construction illégale – c’est-à-dire édifiée sans autorisation, en méconnaissance des prescriptions de l’autorisation obtenue (voir, cependant, ici) ou en exécution d’une autorisation ultérieurement annulée ou retirée ou précédemment frappée de caducité (sur la charge de la preuve, voir ici) – ne sauraient être autorisés sans que cette dernière ait été précédemment ou soit concomitamment régularisée.
Plus précisément, dans l’arrêt « Thalamy », le Conseil d’Etat avait jugé que « le maire ne pouvait légalement accorder un permis portant uniquement sur un élément de construction nouveau prenant appui sur une partie du bâtiment construite sans autorisation » ; toute la question étant de savoir ce qu’il fallait entendre par travaux « prenant appui » sur une construction irrégulière (sur cette question : E. FATÔME, « Travaux sur existant – Les règles de fond », RDI, n°4/2000, pp.433-436).
Ultérieurement, un arrêt du Conseil d’Etat permit, toutefois, d’affiner cette règle en jugeant que « si, dans le cas où un immeuble est édifié en violation des prescriptions du permis de construire, un permis modificatif portant sur des éléments indissociables de cet immeuble ne peut être légalement accordé que s'il a pour objet de permettre la régularisation de l'ensemble du bâtiment, une telle exigence ne trouve pas à s'appliquer dans le cas où le permis de construire initial concerne plusieurs immeubles distincts et où la modification demandée ne concerne pas ceux de ces immeubles qui ont été édifiés en violation de ce permis de construire ; qu'il suit de là que la cour administrative d'appel de Lyon n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que la légalité du permis de construire modificatif du 18 mai 1994 n'était pas subordonnée à la régularisation de la situation des deux immeubles en cause dès lors que les travaux autorisés par ce permis étaient étrangers à l'éventuelle irrégularité de la construction de ces deux immeubles » (CE. 25 avril 2001, Ahlborn, req. n°207095).
Ainsi par recoupement entre l’arrêt précité et le considérant de principe – maintes fois repris (pour exemple : CE. 16 février 2000, Mendes, req. n°167.298) – issu de la décision « Thalamy », il était possible d’estimer que des travaux portant sur un bâtiment régulier et physiquement distinct du bâtiment illégal – et ne prenant donc pas appui sur ce dernier – n’impliquaient pas de régulariser celui-ci.
Il reste que la notion d’immeuble indissociable procède de considérations plus étendues que celles tenant au seul point de savoir si les bâtiments en cause sont on non matériellement distincts, si bien que des bâtiments physiquement dissociables et ne prenant pas appui l’un sur l’autre peuvent néanmoins former, pour des raisons juridiques, techniques et/ou fonctionnelles un tout indivisible : c’est ce qu’illustre le premier des deux arrêts commentés aujourd’hui.
Dans cette affaire, les consorts X avaient édifié deux extensions distinctes de leur maison, l’une au Nord-Est, l’autre au Sud-Ouest, à la faveur d’un permis de construire qui devaient être annulé, après la réalisation des travaux donc. Mais ultérieurement, ces derniers devaient solliciter et obtenir un permis de construire de régularisation ne portant cependant que sur l’une des deux extensions. Il reste que ce dernier devait également être attaqué et annulé, au motif notamment que :
« Considérant que les deux extensions litigieuses, d'une surface hors oeuvre nette totale de 130 m², réalisées sur la maison de M. et Mme X, méconnaissaient les dispositions précitées de l'article NH 2 du règlement du plan local d'urbanisme applicables à la date du 8 juin 2004 du permis de construire contesté ; qu'il ressort des pièces du dossier que le projet d'extension autorisé par ce dernier permis de construire, s'il ne prend pas directement appui sur l'élément de construction réalisé sans autorisation au nord-est de la maison d'habitation, n'en forme pas moins, avec cet élément de construction, un tout indissociable de la maison d'habitation, pour l'appréciation de la surface hors oeuvre brute limite autorisée par les dispositions précitées de l'article NH 2 du règlement du plan local d'urbanisme ; que, par suite, il appartenait à M. et Mme X de présenter une demande de permis de construire permettant la régularisation de l'ensemble des éléments de construction constituant ces extensions ; que, dès lors, le maire d'Iffendic ne pouvait légalement accorder à M. et Mme X un permis de construire en vue de la régularisation de la seule extension de 57 m² édifiée au sud-ouest de leur maison d'habitation ».
En substance, la Cour a donc considéré que bien que la première objet du permis de régularisation contesté ne prenait pas appui sur la seconde, ce dernier aurait dû néanmoins procéder à la régularisation des deux extensions litigieuses dès lors qu’elles formaient avec la maison initiale un tout juridiquement indissociable au regard de l’article NH.2 du PLU communal dont on précisera qu’il autorisait sous condition « la restauration et l'aménagement des habitations existantes à la date d'approbation du PLU, ainsi que leur extension nécessaire à l'amélioration de l'habitat dans la limite de 315 m² de SHOB » ; ce qui est logique dès lors que :
- d’une point de vue physique, d’une part, ces deux extensions prenaient appui sur deux façades de la même maison ;
- d’un point de vue juridique, d’autre part, les travaux réalisés ne pouvaient être considérés comme d’extension qu’en considération de la construction existante et, par ailleurs, compte tenu de la limite de SHOB fixée par l’article NH.2 du PLU communal, l’ampleur de l’extension autorisée ne pouvait être appréciée sans tenir compte de l’autre.
En résumé, pour les séparer physiquement, la maison existante, bien qu’a priori régulièrement construite, n’en formait pas pour autant un « écran juridique » permettant de considérer ces deux extensions comme juridiquement dissociables. Par voie de conséquence, la régularisation de l’une impliquait nécessairement la régularisation de l’autre et ce, dans le cadre d’une autorisation unique (sur ce point : CE. 17 décembre 2003, Bontemps, req. n°242.282).
Dans la seconde affaire, un permis de construire une serre de près de 14.000 mètres carrés avait été refusé en raison, notamment, de la méconnaissance des prescriptions de l’article 10 du règlement d’urbanisme local, lequel refus devait toutefois être annulé par un jugement du Tribunal administratif de Rennes.
Mais aux fins d’obtenir le sursis à exécution de ce jugement, la commune intéressée devait procéder à une substitution de motif en faisant valoir que préalablement à sa demande de permis de construire le pétitionnaire avait procéder à des travaux d’exhaussement du terrain sur lequel portait cette dernière pour ainsi soutenir que sa demande de permis de construire aurait du intégrer ces derniers aux fins de les régulariser dès lors qu’ils étaient indissociables de la serre projetée puisque nécessaires à la bonne implantation de cette dernière. Et précisément, la Cour administrative d’appel de Nantes devait accueillir ce moyen, et donc surseoire à l’exécution du jugement contesté, en estimant que :
« Considérant que le moyen invoqué par la commune de Noyal-Châtillon-sur-Seiche à l'appui de ses conclusions dirigées contre ledit jugement et tiré, par la voie d'une substitution de motif, de ce que le caractère indissociable des travaux d'exhaussement du terrain antérieurement réalisés sans autorisation et du projet de construction de la serre objet de la demande de permis de construire, nécessitait que l'EARL Collet présentât une demande portant, non seulement sur la construction de la serre, mais aussi, sur la régularisation de l'exhaussement litigieux, paraît, en l'état de l'instruction, sérieux et de nature à justifier, outre l'annulation de ce jugement, le rejet des conclusions à fin d'annulation accueillies par ce même jugement ; qu'il y a lieu, dès lors, dans les circonstances de l'affaire, par application des dispositions précitées de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, de prononcer le sursis à l'exécution du jugement du 9 février 2006 du Tribunal administratif de Rennes »
En substance, la Cour a ainsi transposé la jurisprudence « Thalamy » à un permis de construire autorisant des travaux prenant appui sur un simple exhaussement de terre.
En première analyse, une telle solution pourrait surprendre dans la mesure où des travaux d’exhaussement ne tendent pas, pris isolément, à l’édification d’une construction et n’impliquent donc pas l’obtention d’un permis de construire mais exigent, tout au plus, une autorisation « ITD » lorsqu’ils sont projetés dans un des secteurs visés par l’article R.442-1 du Code de l’urbanisme et répondent aux conditions posées par son article R.442-2, c’est-à-dire aient une hauteur de plus de deux mètres et une superficie de plus de 100 mètres carrés ; ce qu’au surplus, n’a nullement caractérisé l’arrêt précité.
Il reste que, comme on le sait, l’article L.421-3 du Code de l’urbanisme, d’une façon générale, implique que la demande de permis de construire portent sur l’ensemble des travaux et éléments indissociables du projet, y compris sur ceux qui pris isolément ne relèveraient pas du champ d’application de cette autorisation et que, plus particulièrement, son article R.421-2-4°prescrit que le dossier de demande comporte des vues de coupe figurant « l’implantation de la construction par rapport au terrain naturel à la date du dépôt » ; ce qui impose, notamment, que ces plans figurent un éventuel remblaiement du terrain (CE. 6 avril 1990, Association du diocésaine de Saint-Anne, req. n°94.152) ou, à tout le moins, les induisent (CE. 18 janvier 1980, Boussard, req. n° 12651).
Or, à ce titre notamment, le Conseil d’Etat a eu l’occasion de juger que lorsque des travaux d’exhaussement - ou d’affouillement - apparaissant indissociables d’un projet de construction ont été réalisés peu de temps avant le dépôt de la demande de permis de construire, il ne peut être tenu compte de la modification subséquente du niveau terrain à construire pour apprécier la hauteur de la construction projetée, laquelle doit être établie en considération du niveau du sol dans son état antérieur audits travaux (CE. 27 octobre 2000, SCI Vista Amena, req. n°195.651. Voir également : CE. 9 juin 2004, M. Ribas, req. n°248.042 ; sur cette question, voir ici).
C’est donc bien que lorsqu’ils sont nécessaires au projet de construction en cause, les travaux d’exhaussement - ou d’affouillement - doivent, quelle que soient leur importance, être intégrés à la demande de permis de construire (d’ailleurs, lorsque les travaux répondent aux conditions posées par l’article R.442-2 du Code de l’urbanisme , le permis de construire dispensera, en application de l’article R.442-3, d’obtenir une autorisation « ITD » à cet effet ; sur ce point et le nouveau régime, voir ici).
Lorsque tel n’est pas le cas, les travaux d’exhaussement sont donc illégaux et la construction prenant appui sur le terrain ainsi constitué ne peut être autorisée sans qu’aient été précédemment ou soient concomitamment régularisés ces derniers : c’est dans cette mesure que la solution retenue par l’arrêt ici commenté nous semble devoir se justifier.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés