Régulariser par un permis de construire à l’identique un bâtiment volontairement démoli
L’article L.111-3 du Code de l’urbanisme ne s’oppose pas au droit de reconstruire à l’identique, en lieu et place d’une construction édifiée sans autorisation, un ancien bâtiment volontairement démoli par le pétitionnaire.
CAA. Lyon, 1er octobre 2013, M. B. A…, req. n°13LY00315
Dans cette affaire, le pétitionnaire avait antérieurement procédé à la démolition volontaire d’un bâtiment existant pour y édifier une nouvelle construction qu’il devait cependant bâtir sans avoir jamais obtenu l’autorisation requise ; raison pour laquelle il fut condamné à démolir cette seconde construction.
C’est en raison de cette condamnation qu’il présenta une demande de permis de reconstruire à l’identique le bâtiment qu’il avait antérieurement démoli ; demande que le maire devait toutefois rejeter au motif que l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme n’était pas applicable dès lors que, notamment :
- le bâtiment dont la reconstruction était envisagée avait été volontairement démoli ;
- et était projetée en lieu et place d’une construction illégalement édifiée ;
Comme on le sait, c’est la tempête du mois de décembre 1999 qui a conduit les parlementaires a adopté un amendement au cours des débats sur la loi « SRU » réactivant le droit de reconstruire à l’identique les bâtiments détruits par un sinistre ce, en l’instituant le principe – codifié à l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme – selon lequel « la reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit par un sinistre est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié ».
Si cet article ne définissait pas la notion de sinistre – laquelle n’était définie ni par les dispositions législatives ou règlementaires du code de l’urbanisme, ni d’ailleurs par aucune disposition issue d’une autre législation – il ressortait de la jurisprudence rendue à la matière qu’elle ne pouvait s’entendre que de tout événement fortuit n’étant pas directement ou indirectement imputable au maître d’ouvrage, tel à titre d’exemple :
- d’un événement climatique, telle une tempête (CA. Colmar, 12 avril 2001, Cne de Wolfisheim), une inondation ou un orage de grêle (CAA. Marseille, 27 novembre 2008, Hubert X., req. n°06MA01763) ;
- d’un phénomène physique, telle une avalanche ou la chute d’un arbre (TA. Pau, 23 octobre 2003, D. Seguette, req. n°01-02170 ;
- d’un accident, tel un incendie (CE. 20 février 2002, Plan, req. n°235.725 ; CAA. Bordeaux, 21 novembre 2005, Mme Silvana Assier de Pompignan, req. n°02BX01600) ;
- d’un fait de l’homme volontaire, tel un attentat (CE. 5 mars 2003, Nicolas Lepoutre, req. n°252.422 ; CAA. Marseille, 30 mars 2006, Préfet de Corse du Sud, req. n°03MA01362).
Mais qu’en revanche, la démolition de l’immeuble, même résultant de l’exécution de travaux sur celui-ci ne semblait pas constituer un sinistre au sens de l’article L.111-3 du code l’urbanisme, que cette démolition soit volontaire ou non (CAA. Versailles, 15 janvier 2009, SCI GGMF, req. n°06VE02562. Voir toutefois, car plus ambigu : CAA. Marseille, 6 janvier 2009, Gérald X, req. n°06MA03381).
Il reste que la condition tenant à la destruction du bâtiment par un sinistre a été supprimée par la loi du 12 mai 2009 dont il résulte que l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme se borne à saisir le cas où le bâtiment a été « détruit ou démoli » et ce, sans aucune réserve ni sur l’auteur de la destruction ou de démolition, ni sur le caractère volontaire de celle-ci.
Et c’est la raison pour laquelle la Cour administrative d’appel de Lyon a rejeté ce premier motif de refus de la demande de permis de reconstruire à l’identique en jugeant clairement que :
« Considérant que l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ne soumet plus, depuis sa modification par l'article 9 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, le droit de reconstruire un bâtiment à la condition que la démolition soit consécutive à un sinistre ; que, dès lors, en opposant au projet litigieux de reconstruction du bâtiment qui existait sur le terrain d'assiette du projet litigieux le motif tiré de ce que la démolition de ce bâtiment a été réalisée volontairement, le maire a commis une nouvelle erreur de droit » ;
confirmant ainsi clairement que, d’une façon générale, ce droit de reconstruire à l’identique le bâtiment initial non seulement s’applique en cas de démolition volontaire mais en outre, y compris si l’auteur de ces travaux de démolition est le propre pétitionnaire du permis de reconstruire, et, plus spécifiquement, que le champ d’application de cet article est sur ce point en toute hypothèse définit par la date à laquelle l’autorité administrative compétente statue sur la demande dont elle est saisie et non par la date à laquelle le bâtiment à reconstruire a été édifié ou démoli ; ce qu’avait d’ailleurs déjà confirmé cette même Cour en jugeant que :
« Considérant qu'il appartient à l'autorité administrative, saisie d'un recours gracieux contre une décision non créatrice de droits, de se prononcer sur ce recours en tenant compte de la législation en vigueur à la date de sa nouvelle décision ; qu'en mentionnant dans sa décision du 11 septembre 2009, portant rejet du recours gracieux de Mme A, que celle-ci n'établissait pas que le bâtiment jadis édifié sur son terrain avait été démoli depuis moins de dix ans, le maire de La Biolle a tenu compte, comme il se devait de le faire, de la modification de l'article L. 111-3 opérée par l'article 9 de la loi n° 2009-526 du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures, entrée en vigueur le 13 mai 2009, soit le lendemain du certificat d'urbanisme, et permettant désormais la reconstruction à l'identique " d'un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans " ; qu'ainsi, ladite décision n'est pas davantage entachée d'erreur de droit » ;
et donc en validant, au regard des normes en vigueur à la date de cette décision, le rejet d’un recours gracieux motivé par ces nouvelles dispositions ; recours gracieux exercé à l’encontre d’un certificat d’urbanisme négatif antérieur au 13 mai 2009 et d’ailleurs motivé, et validé par la Cour, par le fait qu’il n’était pas établi que le bâtiment avait été détruit par un sinistre.
Mais le deuxième motif de refus devait également être censuré par la Cour administrative d’appel de Lyon au motif suivant :
« 3. Considérant que les dispositions de l'article L. 480-9 du code de l'urbanisme, prévoyant qu'à l'expiration du délai fixé par un jugement ordonnant la démolition d'une construction édifiée sans permis de construire, le maire ou le fonctionnaire compétent peut faire procéder d'office aux travaux nécessaires à l'exécution de la décision de justice, ne font pas obligation au maire ou au préfet de prendre les mesures qu'elles mentionnent ; que, par suite, l'autorité compétente pour statuer sur une demande de permis de construire visant à régulariser l'édification antérieurement opérée d'un ouvrage dont la démolition a été ordonnée par une décision de justice devenue définitive n'est pas tenue de rejeter cette demande ; qu'il lui appartient d'apprécier l'opportunité de délivrer un permis de régularisation, compte tenu de la nature et de la gravité de l'infraction relevée par le juge pénal, des caractéristiques du projet soumis à son examen et des règles d'urbanisme applicables ; qu'il suit de là qu'en opposant au projet, par principe et sans faire usage de son pouvoir d'appréciation, le fait qu'il existe sur le terrain, à la place du bâtiment dont la reconstruction est demandée, une construction non autorisée dont la démolition a été ordonnée par une décision définitive du juge pénal, le maire de la commune de Peyrins a commis une erreur de droit ».
Comme on le sait en effet le seul fait que le permis de construire contesté vise à régulariser une construction irrégulièrement édifiée ne l’affecte pas en lui-même d’illégalité et, partant, l’autorité administrative compétente ne saurait rejeter la demande présentée à cet effet pour ce seul motif ; la nécessité de régulariser rapidement la construction en cause au regard d’une possible condamnation à démolir pouvant d’ailleurs justifier l’urgence à suspendre la décision de refus opposée à une telle demande puisque le Conseil d’Etat a récemment jugé que :
« 6. Considérant que l'urgence justifie que soit prononcée la suspension d'un acte administratif lorsque l'exécution de celui-ci porte atteinte, de manière suffisamment grave et immédiate, à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu'il entend défendre ; qu'il appartient au juge des référés d'apprécier concrètement, compte tenu des justifications fournies par le requérant, si les effets de l'acte litigieux sont de nature à caractériser une urgence justifiant que, sans attendre le jugement de la requête au fond, l'exécution de la décision soit suspendue ;
7. Considérant que M. B...a réalisé les constructions litigieuses en violation des prescriptions du permis de construire qui lui avait été délivré et n'a formé de recours contentieux qu'au quatrième refus opposé par le maire de Bassillac à ses demandes successives de permis de construire modificatif ou de régularisation ; que toutefois, d'une part, les nouvelles demandes de M. B...s'efforçaient de répondre, au moins pour partie, aux motifs de refus précédemment opposés par la commune ; que, d'autre part, le tribunal correctionnel, devant lequel M. B...est prévenu des chefs d'infractions pénales liées à ces constructions litigieuses, est susceptible d'ordonner, à échéance rapprochée, la démolition de la maison d'habitation ainsi édifiée ; que la régularisation de la construction ferait obstacle, en application de l'article L. 480-13 du code de l'urbanisme, à ce que le juge pénal ordonne cette démolition ; que, par suite, l'exécution de la décision administrative contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à sa situation ; que si la commune de Bassillac invoque l'intérêt général qui s'attache à ce que les comportements illégaux soient poursuivis et sanctionnés, la suspension de l'arrêté litigieux serait sans effet sur la caractérisation des éventuelles infractions pénales poursuivies devant le juge judiciaire et sur le prononcé, le cas échéant, de l'une des peines prévues par l'article L. 480-4 du code de l'urbanisme ; que, par suite, la condition d'urgence doit être regardée comme remplie » (CE. 19 juin 2013, Cne de Bassillac, req. n°364.819).
Au demeurant, si le principe de la jurisprudence « Thalamy » (CE. 9 juillet 1986, req. n°51172) est susceptible de s’appliquer aux modalités de découpage ou de formation du niveau du terrain à construire, il reste que la seule présence sur ce dernier d’une construction illégalement édifiée n’a pas pour effet de rendre la totalité de celui-ci inconstructible ; le principe dégagée par cette jurisprudence n’étant opposable que lorsque les travaux projetés prennent appui sur la construction illégalement édifiée.
Il reste qu’en l’espèce, le pétitionnaire sollicitait le permis de reconstruire à l’identique le bâtiment présent en lieu et place de la construction antérieurement à l’édification illégale de celle-ci et dont la démolition avait été ordonnée par le juge judiciaire.
Concrètement, la reconstruction de ce bâtiment impliquait donc au préalable la démolition intégrale de cette construction.
Or, comme on le sait, la jurisprudence « Thalamy » n’est pas opposable au permis de démolir portant sur un immeuble illégalement édifié, y compris d’ailleurs s’il s’agit seulement de travaux de démolition partielle (CE. 4 avril 2007, M. Michel B., req. n°275.463 / TA. Nice, M. & Mme Godefroy, 8 mars 2007, req. n° 04-00396) ; sans compter d’ailleurs qu’en l’espèce, la démolition de l’ouvrage en cause ayant été ordonnée par une décision judiciaire, celle-ci s’en trouvait dispensée de permis de démolir.
Pour conclure, on précisera toutefois que si le troisième motif du refus de permis de construire contesté et tiré de « l’absence d’identité » fut lui-même censuré, la requête à l’encontre de cette décision fut néanmoins rejetée mais ce, à la faveur d’une substitution de motif opérée par la Ville puisque si le bâtiment à reconstruire semblait avoir effectivement accédé au statut de construction achevée, il n’en demeure pas moins qu’au moment où sa démolition fut réalisée, celui-ci était à l’état de ruine et ne constituait donc plus un bâtiment au sens de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
voila
Bonjour,
Que pensez vous de la réponse ministérielle n° 1812: JOAN Q, 13 nov. 2012, p. 6474 indiquant qu'il est possible, dans le cadre d'une même demande de permis de construire, de procéder à une reconstruction à l'identique intégrant une extension mesurée?
J'avoue que cette réponse me laisse perplexe: il me semblait que la notion de "reconstruction à l'identique" devait s'appréhender de façon stricte.
Voir notamment : CAA. Nancy, 18 décembre 2008, Cne de Crissey, req. n°07NC01286
La lecture de l''arrêt de la CAA de Nancy me conforte dans l'idée que cette réponse ministérielle est dangereuse...
Merci