Le permis de construire ne peut légalement autoriser un local « ERP » dont l’aménagement intérieur n’est pas finalisé
Dès lors que, d’une part, il incombe à l’autorité compétente de prendre parti sur tous les aspects du projet qu’a vocation à sanctionner le permis de construire et que dans le cas d’un établissement recevant du public, d’autre part, l’autorité compétente pour délivrer cette autorisation doit contrôler que l’aménagement intérieur des locaux respecte la règlementation de sécurité et d’accessibilité applicable à ces établissements, un permis de construire ne peut également autoriser un immeuble comprenant un local « ERP » dont seuls la surface, le plan et les façades étaient décrits dans le dossier produit par le pétitionnaire.
CAA. Versailles, 29 décembre 2009, Cne de Meudon, req. n°08VE03693
Dans cette affaire, un permis de construire avait été délivré en vue de la réalisation d’un immeuble à destination principale d’habitation dont, en revanche, le rez-de-chaussée devait accueillir une crèche. Il reste que s’agissant de ce local, constituant un établissement recevant du public (« ERP »), le dossier produit par le pétitionnaire se bornait à renseigner sur sa surface, son plan et ses façades et, par voie de conséquence, était totalement taisant sur l’aménagement intérieur de ce local.
C’est pour cette raison que la Cour administrative d’appel de Versailles devait confirmer l’annulation de ce permis de construire de construire en jugeant :
« Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-3 du code de l'urbanisme dans sa version alors en vigueur : Le permis de construire ne peut être accordé que si les constructions projetées sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires concernant l'implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leurs dimensions, leur assainissement et l'aménagement de leurs abords et si le demandeur s'engage à respecter des règles générales de construction prise en application du chapitre Ier du titre Ier du livre Ier du code de la construction et de l'habitation. En outre, pour (...) les établissements recevant du public, le permis de construire ne peut être délivré que si les constructions des travaux projetés sont conformes aux règles de sécurité propres à ce type d'immeuble ou d'établissement, que les locaux concernés soient ou non à usage d'habitation. Pour les établissements recevant du public, le permis de construire ne peut être délivré que si les constructions ou les travaux projetés sont conformes aux dispositions de l'article L. 111- 7 du code de la construction et de l'habitation (...) ; qu'il résulte nécessairement de ces dispositions que l'autorité qui délivre les permis de construire ne peut s'abstenir de prendre parti sur les questions ainsi définies en subordonnant la réalisation de la construction projetée à la présentation d'un nouveau projet et qu'elle peut seulement assortir l'autorisation donnée de conditions qui n'entraînent que des modifications sur des points précis et limités et ne nécessite pas une telle présentation ;
Considérant que le projet immobilier de la SOCIETE KAUFMANN ET BROAD DEVELOPPEMENT a été autorisé en tenant compte de l'installation d'une crèche dont seuls la surface, le plan et les façades étaient décrits dans le dossier de demande de permis de construire ; qu'en revanche, le permis de construire en cause renvoyait, pour les autres caractéristiques de cet édifice recevant du public, et notamment pour la vérification des règles de sécurité applicables à la catégorie de bâtiments dont relevait la crèche en question, à la délivrance d'une autorisation distincte ; qu'il ressort des pièces du dossier que cette crèche devait occuper le rez-de-chaussée du bâtiment B alors que les autres étages étaient destinés à un usage d'habitation ; que, dans ces conditions, le projet autorisé le 4 janvier 2006 était, en dépit de la superficie réduite de cet équipement, indissociable de l'aménagement de ladite crèche ; que, par suite, le maire de la COMMUNE DE MEUDON a statué sans se prononcer sur la conformité aux règles d'urbanisme, à la date du permis de construire litigieux, de l'ensemble du projet immobilier en cause ; qu'au surplus, le permis de construire en cause n'était pas accordé sous réserve de l'obtention d'une autorisation spécifique concernant la crèche en question ; que, dès lors, le maire de la COMMUNE DE MEUDON a, en délivrant une autorisation de construire ne prenant pas en compte l'ensemble des éléments du projet de construction, méconnu les dispositions précitées de l'article L. 421-3 du code de l'urbanisme » ;
la Cour ayant donc estimé qu’en procédant ainsi, la commune avait statué sur la demande, et délivré cette autorisation, sans prendre parti sur l’ensemble des aspects du projet.
Or, d’une façon générale le permis de construire ne sanctionne pas en tant que tel l’aménagement intérieur d’une construction, si ce n’est à travers la destination de l’ouvrage. Telle est la raison pour laquelle le pétitionnaire n’a pas – et n’a jamais eu – à produire à son dossier des plans de niveaux figurant l’aménagement intérieur de la construction projetée. Il s’ensuit, d’ailleurs, que des différences entre l’aménagement intérieur prévue et celui effectivement réalisé ne sauraient permettre à l’administration de contester la conformité des travaux, sauf lorsque les aménagements effectivement exécutés traduisent un changement de destination de l’ouvrage (CAA. Bordeaux, 30 mars 2000, Rassinoux, req. n°97BX00229).
Il reste que ce principe connait une exception : les « ERP ». En effet, lorsque le projet porte en tout ou partie sur un « ERP », le permis de construire tient lieu de l'autorisation d’aménagement prévue par l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation (art. L.425-3 & R.425-15 ; C.urb) dont on rappellera qu’il dispose que « les travaux qui conduisent à la création, l'aménagement ou la modification d'un établissement recevant du public ne peuvent être exécutés qu'après autorisation délivrée par l'autorité administrative qui vérifie leur conformité aux règles prévues aux articles L. 111-7, L. 123-1 et L. 123-2. Lorsque ces travaux sont soumis à permis de construire, celui-ci tient lieu de cette autorisation dès lors que sa délivrance a fait l'objet d'un accord de l'autorité administrative compétente mentionnée à l'alinéa précédent ».
Dans ce cas, le dossier de demande de permis de construire devra comporter les pièces anciennement visées par l’article R.421-5-1 et aujourd’hui prévues par l’article R.431-30 du Code de l’urbanisme ; y compris d’ailleurs s’il s’agit d’un ERP de 5e catégorie (CE. 16 juin 2006, Pierre-Mannuel A. & autres, req. n°278.361) bien que dans ce cas la consultation de la commission de sécurité ne soit pas requise (mais même dans ce cas, elle s’impose en revanche pour ce qui concerne la règlementation relative à l’accessibilité des personnes handicapées : CAA. Douai, 5 octobre 2006, SCI Les Epoux, req. n°05DA00420).
Précisément, l’essentiel des documents à produire à ce titre ont principalement vocation à permettre de vérifier que l’aménagement intérieur des locaux satisfait aux règles de sécurité et d’accessibilité applicables aux ERP ; le respect de cette règlementation ayant vocation à être apprécié par la commission de sécurité et la commission d’accessibilité compétentes dont les avis respectif doivent être recueillis avant que l’autorité compétente ne statue sur la demande de permis de construire.
Mais par ailleurs, il est de jurisprudence constante que les dispositions de l’alinéa 1er de l’ancien article L.421-3, dont l’économie générale est reprise par l’actuel article L.421-6 du Code de l’urbanisme, imposent à l’administration de prendre parti sur l’ensemble des aspects du projet saisis par ces dispositions (CE. 7 novembre 1973, Giudicelli, req. n° 85.237).
Or, pour pouvoir prendre partie sur l’ensemble des aspects du projet saisis par l’actuel article L.421-6 du Code de l’urbanisme, encore faut-il que le projet soit totalement finalisé ou, plus précisément, que le dossier produit par le pétitionnaire figure un projet totalement finalisé.
Telle n’étant précisément pas le cas en l’espèce puisque le dossier produit par le pétitionnaire ne figurait pas l’aménagement intérieur de la crèche à réaliser : la commune de Meudon n’avait donc pas pu prendre parti sur la conformité du projet au regard des règles de sécurité et d’accessibilité applicables aux « ERP ».
Cet arrêt fait donc application d’une règle jurisprudentielle classique et ancienne à la question particulière de l’aménagement intérieur des « ERP ». Mais cette solution n’est cependant pas totalement inédite puisqu’elle avait déjà été retenue par certains arrêts d’appel (CAA. Marseille, 14 octobre 1999, Société Bâtir Entreprise, req. n°97MA10076). C’est à ce titre qu’il a notamment pu être jugé que l’administration peut légalement solliciter la production de pièces complémentaires au dossier de demande de permis de construire lorsque celles produites par le pétitionnaire se bornent à figurer la vitrine des magasins projetés et, en d’autres termes, ne comportent aucun renseignement sur l’aménagement intérieur de ces locaux assujettis à la règlementation sur les « ERP » (CAA. Marseille, 11 décembre 2008, Mme Frédérique X., req.06MA00808) ou, dans le même sens, que le fait que l’ouverture d’un « ERP » soit conditionnée au contrôle préalable de la commission de sécurité ne saurait pallier la carence de l‘autorité ayant délivré le permis de construire sans pour autant prendre parti sur la conformité du projet au regard de la règlementation applicable au « ERP » ne pouvait être (CAA. Marseille, 1er juin 2006, M. X. & Autres, req. n°02MA01431).
Mais deux points particuliers de cet arrêt méritent d’être mis en exergue. En premier lieu, le pétitionnaire avait dans son dossier, et pour ce qui concerne l’aménagement de la crèche, pris le parti de renvoyer à une autorisation ultérieure distincte. Mais précisément, la Cour administrative d’appel de Versailles a souligné que le permis de construire en cause n’avait pas été accordé sous réserve de l'obtention d'une autorisation spécifique concernant la crèche en question ; laissant ainsi à penser qu’une telle réserve aurait pu être opérant.
Or, quand bien même l’arrêté de permis de construire en cause aurait-il expressément prescrit que l’aménagement de la crèche ferait l’objet d’un permis distinct ultérieur, cette circonstance n’aurait toutefois eu aucune incidence. En effet, non seulement les dispositions de l’actuel article L.421-6 du Code de l’urbanisme imposent à l’administration de prendre parti sur tous les aspects du projet mais en outre, et en dehors de prescriptions n'entraînant que des modifications sur des points précis et limités, cette obligation lui interdit de renvoyer l’examen d’un ou plusieurs de ces aspects à l’accomplissement d’une formalité ultérieure (CE. 8 janvier 1982, Association « Tradition & Maintien des Puces », Rec., p. 786), telles la production de documents, l’obtention d’un avis ou la délivrance d’une autorisation distincte (pour un exemple en matière d’ERP : CAA. Marseille, 22 décembre 2003, SCI Magniola, req. n° 99MA00462).
En second lieu, il faut relever que la commune et la société défenderesses faisaient état de l’obtention ultérieure d’un permis de construire portant précisément sur la crèche en cause ; argument que la Cour administrative d’appel de Versailles devait toutefois rejeter au motif « qu'en se bornant à faire état du permis de construire délivré le 8 avril 2009 pour cette crèche sans en tirer d'autres conclusions, les requérantes ne démontrent pas avoir régularisé le permis de construire délivré le 4 janvier 2006 », laissant ici également à penser qu’il n’était pas exclu que ce second permis de construire ait effectivement pu régulariser le premier. Nous voyons cependant mal comment.
En effet, l’autorisation délivrée le 8 avril 2009 constituait un nouveau permis de construire, totalement distinct, donc, du permis attaqué délivré pour sa part le 4 janvier 2006. Il ne s’agissait ainsi pas d’un « modificatif » qui s’intégrant au permis initial forme avec ce dernier « un ensemble dont la légalité doit s'apprécier comme si n'était en cause qu'une seule décision » (CAA. Paris, 30 octobre 2008, M. Gilbert Y., req. n°05PA04511) et, en substance, constitue avec l’autorisation primitive «une autorisation de construire unique » (TA. Versailles, 22 février 1994 , SCI Les Ormes, req. n°93-05140) ; ce dont résulte la propension d’un « modificatif » à régulariser les vices dont peut être affecté le permis primitif au regard des règles de forme, de procédure ou de fond lui étant opposables (CE. 2 février 2004, SCI La Fontaine de Villiers, 238.315). Ce qui n’est donc pas le cas d’un nouveau permis de construire qui même lorsqu’il se rapporte au même projet reste distinct du premier et ne s’y intègre donc pas.
De ce fait, et dès lors qu’en outre il s‘agissait d’une autorisation ultérieure au permis de construire attaqué dont la légalité s’apprécie à sa date de délivrance – indépendamment donc de toute considération liée aux circonstance de droit et de fait ultérieures – ce second permis de construire ne pouvait avoir aucune incidence sur la légalité du permis de construire attaqué ou, plus précisément, ne pouvait avoir régularisé ce dernier.
Mais bien plus, ce second permis de construire, nous semble dans une certaine mesure avoir entériné l’illégalité du premier. En effet, celui-ci ne portait pas sur l’ensemble du projet mais uniquement sur la crèche en cause.
Or, ainsi que l’a relevé et souligné la Cour, cette crèche constituait le rez-de-chaussée de l’immeuble à construire dont les autres étages étaient à destination d’habitation. Le permis de construire contesté autorisait ainsi un seul et même bâtiment et, donc, un ensemble immobilier unique au sens de l’arrêt « Ville de Grenoble » (CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble & Communauté d’Agglomération Grenoble Alpes Métropole, req. n°301.615), ne serait-ce qu’au regard des liens physiques unissant les étages de cet immeuble. Telle est d’ailleurs la raison pour laquelle l’irrégularité du permis de construire à l’égard de cette crèche a suffit à emporter l’annulation de l’ensemble de l’autorisation contestée alors que dans la mesure où cette irrégularité ne concernait donc qu’une « partie du projet » aurait pu penser que ce vice aurait pu ne donner lieu qu’à une annulation partielle sur le fondement de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme.
Mais dès lors que ce projet n’était ni d’ampleur, ni particulièrement complexe au sens de ce même arrêt, celui-ci devrait donc nécessairement relever d’un seul et même permis de construire. Or, là où le permis de construire attaqué se bornait à ne pas avoir statué sur l’aménagement de la crèche, mais ce sans renvoyer pour celui-ci à une autorisation ultérieure, le permis de construire délivré ultérieurement a donc eu pour effet de faire relever la réalisation de l’ensemble du projet de deux autorisations distinctes, contrairement donc à la règle de principe (CE. 10 octobre 2007, req. n°277.314) confirmée par l’arrêt « Ville de Grenoble »…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
A LIRE :
Commentaires
la fin des "permis blancs" pour les boite à chaussure en entrée de ville ?
En fait, la problématique n'est pas nouvelle; la CAA de Marseille a eu à en connaitre à de multiples reprises.
Toujours est-il que cette censure du "permis blanc" ne peut qu'amener à la pratique du "permis fiction" dans lequel le pétitionnaire prévoira un aménagement minimal, tout en sachant parfaitement que ce n'est pas celui-ci que souhaitera son "investisseur" mais dont il ne connait précisément pas les souhaits au moment du dépôt de la demande : d'où l'origine de cette pratique.
Pratique courante lorsque le terrain appartient à la commune qui le vend au promoteur en prévoyant qu'une partie du prix sera réglée sous forme de dation, avec remise d'une crèche.
Pour éviter de tomber sous le coup du marché public en droit français, respecter la loi MOP et entrer dans les critères de la jurisprudence relative à la conclusion d'un contrat de VEFA par une personne publique, d'un bien immobilier, ce genre de montage suppose généralement qu'en apparence les besoins de la collectivité ne soient pas définis.
Outre que le droit communautaire et en particulier ses "principes essentiels" ne l'entendent pas de cette façon, le droit de l'urbanisme ne permet donc pas les PC "blancs".
Meci pour votre note sous cet arrêt.
VG
Exact. Mais pour ma part j'ai surtout constater cette pratique - et la réelle "difficulté" à faire autrement - à l'égard des locaux en RDC d'un immeuble d'habitation que l'on déclare en "commerces" mais sans prévoir d'aménagement intérieur puisque le pétitionnaire ne connait pas au stade de la demande quel commerce précis y sera exercé.
En revanche, Emmanuel, je ne connaissais pas les boite vide en entrée de ville...