Sur le maintien de la jurisprudence « Thalamy » à l’encontre des travaux ayant irrégulièrement changé la destination d’une construction existante (I)
Lorsque le sous-sol d’un immeuble initialement impropre à l'habitation a été transformé, sans permis de construire, en quatre appartements équipés de cuisines et de salles de bain, leur propriétaire ne saurait ultérieurement déposer une simple déclaration de travaux ayant pour objet, après décaissement du bâtiment, d'agrandir les ouvertures dont bénéficiaient les logements réalisés dans ces conditions : il lui incombe de présenter une demande de permis de construire autorisant l'ensemble des travaux qui ont eu ou qui devaient avoir pour effet de modifier la destination du sous-sol de son immeuble
CE. 27 juillet 2009, SCI La Paix, req. n°305.920 (134e note)
Sans pour autant mettre en lui-même les choses au clair, voici un arrêt qui a le mérite de remettre les « pendules à l’heure » ; même si rendu l’empire des anciens articles L.421-1 et R.422-2 du Code de l’urbanisme, la question à laquelle il a trait est d’un d’intérêt plus réduit aujourd’hui .
Comme le sait, les travaux illégalement réalisés ne sauraient aboutir à la formation d’une construction juridiquement existante et, par voie de conséquence, ne peuvent pas être pris en compte. En pareil cas, aucun travaux nouveaux ne saurait être légalement autorisée sur cette construction illégale sans que celle-ci ne soit régularisée par une autorisation adéquate (CE. 9 juillet 1986, Thalamy, req. n°51.172) ; sous réserve, toutefois, de la « prescription décennale » introduite par l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu juger que ne pouvaient être autorisés sans une régularisation préalable des travaux portant sur une construction dont la destination avait été changée sans autorisation (CE. 8 juillet 1994, M. That, req. n°119.002) et, notamment, que des travaux projetés sur la façade d’une telle construction exigeait un permis de construire destiné à régulariser la destination de fait de cette dernière (CE. 30 mars 1994, Gigoult, req. n°137.881).
En outre, il ressortait de la jurisprudence administrative qu’une construction est réputée conserver sa destination première, c’est-à-dire celle initialement autorisée, tant qu’un changement de destination n’a pas été entériné par une nouvelle autorisation d’urbanisme, y compris dans le cas où la construction n’a jamais reçu l’affectation pour laquelle elle avait été autorisée, telle une construction à destination d’habitation n’ayant jamais été occupée (CAA, Marseille, 10 décembre 1998, Cne de Carcès, req. n°97MA00527 ; CAA. Marseille, 8 décembre 2005, Cne d’Eguilles, req. n° 02MA01240). Et bien plus, le Conseil d’Etat avait précisé que la circonstance qu’une construction soit utilisée à un autre usage que celle pour laquelle elle avait été autorisée ne lui faisait pas perdre sa destination initiale au regard du droit de l’urbanisme (CE. 31 mai 2001, Cne de d’Hyères-les-Palmier, req. n°234.226).
Par voie de conséquence, pour déterminer s’il y avait ou non changement de destination, il convenait de s’en tenir à la destination autorisée de la construction et non pas à celle résultant de l’utilisation de celle-ci dès lors qu’elle n’avait pas été entérinée par une autorisation d’urbanisme.
Mais ultérieurement, le Conseil d’Etat devait toutefois revenir sur cette jurisprudence (voir également : CE. 7 juillet 2008, M. Yves X., req. n°293.632), du moins pour application de l’ancien article R.422-2 (m) du Code de l’urbanisme assujettissant certains travaux à simple déclaration, et non pas à permis de construire, pour autant qu’ils n’emportent pas un changement de destination.
« Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a relevé que le bâtiment en cause, initialement à usage agricole, avait ensuite été transformé à usage d'habitation ; qu'il a ensuite jugé que, dès lors que le propriétaire n'établissait pas que cette transformation avait fait l'objet d'un permis de construire l'autorisant, les travaux envisagés ne relevaient pas du régime de la déclaration de travaux et qu'il y avait lieu de régulariser le changement de destination de l'immeuble par le dépôt d'une demande de permis de construire ; qu'en recherchant les conditions dans lesquelles la destination du bâtiment avait évolué depuis sa construction et en annulant la décision attaquée au motif que le changement de cette destination n'avait pas régulièrement, dans le passé, fait l'objet d'une autorisation d’urbanisme, les juges du fond ont commis une erreur de droit ; que, dans ces conditions, les époux Fernandez et la commune de Carcassonne sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le bâtiment faisant l'objet de la déclaration de travaux en cause était déjà à usage d'habitation à la date de cette déclaration ; qu'il est constant que les travaux qui ont été déclarés, n'ont pas pour effet de changer la destination de ce bâtiment ; que si Mme soutient que ce bâtiment était initialement à usage de remise agricole et qu'ensuite, il y a plusieurs années, il a été transformé en bâtiment à usage d'habitation sans qu'une autorisation d’urbanisme ne soit intervenue, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ces travaux relèvent donc du régime de la déclaration dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article R. 422-2 du code de l’urbanisme; qu'ainsi, Mme n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le maire de Carcassonne ne s'est pas opposé à la réalisation des travaux déclarés par M. » (CE. 12 janvier 2007, Epx Fernandez., req. n°274.362).
Il résulte de l’arrêt précité que pour établir s’il y a ou non changement de destination, il convient de prendre en compte non pas la destination initialement autorisée de la construction en cause mais sa destination effective à la date à laquelle l’administration statue sur la déclaration, y compris si cette destination a été irrégulièrement conférée à cette construction. A priori, cette solution a également vocation à valoir pour application des articles R.421-14 et R.421-17 du Code de l’urbanisme.
Il ne faut cependant pas conclure au total l’abandon de la règle « Thalamy » en la matière comme en atteste l’arrêt objet de la présente note et par lequel le Conseil d’Etat a donc jugé :
« Considérant que la SCI LA PAIX a déposé le 30 septembre 2003 une déclaration de travaux exemptés de permis de construire portant sur le décaissement d'un immeuble situé à Garges-lès-Gonesse et sur l'agrandissement des fenêtres de l'entresol ; que le maire s'est opposé à ces travaux par une décision du 25 novembre 2003 ; que la SCI a formé un pourvoi contre le jugement du 8 mars 2007 par lequel le tribunal administratif de Cergy-Pontoise a rejeté son recours dirigé contre cette décision ;
Considérant qu'aux termes de l'article L. 421-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors applicable : Quiconque désire entreprendre ou implanter une construction à usage d'habitation ou non, même ne comportant pas de fondations, doit, au préalable, obtenir un permis de construire (...) Sous réserve des dispositions des articles L. 422-1 à L. 422-5, le même permis est exigé pour les travaux exécutés sur les constructions existantes, lorsqu'ils ont pour effet d'en changer la destination ; qu'aux termes de l'article L. 422-2 du même code, : Les constructions ou travaux exemptés du permis de construire (...) font l'objet d'une déclaration auprès du maire de la commune avant le commencement des travaux ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le sous-sol de l'immeuble litigieux, impropre à l'habitation, a été transformé, sans permis de construire, en quatre appartements équipés de cuisines et de salles de bain ; que la SCI LA PAIX a déposé une simple déclaration de travaux ayant pour objet, après décaissement du bâtiment, d'agrandir les ouvertures dont bénéficiaient les logements réalisés dans ces conditions ; qu'il incombait, toutefois, à la SCI LA PAIX de présenter une demande de permis de construire autorisant l'ensemble des travaux qui ont eu ou qui devaient avoir pour effet de modifier la destination du sous-sol de son immeuble ; qu'ainsi, en jugeant que le maire était tenu de s'opposer aux travaux, au motif que le changement initial d'affectation des locaux n'avait pas été autorisé, le tribunal administratif n'a pas entaché son jugement d'une erreur de droit ».
Dès lors qu’à notre sens l’arrêt précité ne marque pas non plus l’abandon de la jurisprudence « Fernandez », reste à savoir comment établir si les travaux projetés sur un ouvrage dont la destination a précédemment été irrégulièrement modifiée relèvent de cette dernière ou la jurisprudence « Thalamy », impliquant alors la régularisation de cet ouvrage.
Selon nous, le critère déterminant peut-être rapproché de celui de « l’entreprise de construction unique » – issu de la jurisprudence pénale et relatif à l’achèvement des travaux comme élément déclenchant du délai de prescription de l’action publique – lequel nous parait également expliquer que, postérieurement à la jurisprudence « Fernandez » d’ailleurs, il a néanmoins put être jugé que l’on ne saurait régulièrement fractionner dans le temps le changement de destination, d’une part, et les travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, d’une part, dès lors que ce changement et ces travaux sont liés (CAA. Lyon, 17 juin 2008, SARL « Sur La Montagne », req. n°07LY00056). En la matière donc, de deux choses à notre sens :
- soit, les travaux projetés portent sur un ouvrage dont la destination a antérieurement été irrégulièrement modifiée mais ce, dans le cadre d’une entreprise de construction distincte et précédemment achevée et il y’a lieu d’appliquer la jurisprudence « Fernandez » pour, donc, s’en tenir à la destination de fait de l’ouvrage ;
- soit, les travaux projetés portent sur un ouvrage dont la destination a été irrégulièrement modifiée certes antérieurement à ces travaux mais ce, dans le cadre de la même entreprise de construction que ces derniers et il y’a lieu d’appliquer la jurisprudence « Thalamy » et, donc, de régulariser le changement de destination litigieux, le cas échéant dans le cadre d’un permis de construire alors même que les travaux projetés ne relèveraient-ils isolément que du champ d’application de la déclaration préalable.
(A suivre)
Patrick E. DURAND
Docteur en droit - Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
bravo !
là j'adhère ;o))
car cela donne un sens à cette décision récemment citée dans votre veille et qui n'avait pas laissé de nous surprendre.
le lien entre l'irrégularité initiale et la régularisation exigible si les travaux lui sont liés est effectivement cohérente.
reste à savoir sur les observations du rapporteur, que nous attendions dans nos échanges la semaine dernière, portaient sur une analyse de la même teneur : ont-elles été publiées ?
Pour les conclusions du rapporteur, j'attends le prochain numéro du BJDU. Mais sauf à ce qu'il s'agisse d'un abandon de la jurisprudence "Fernandez", je ne vois pas d'autre explication possible que celle exposée dans la présente note.
Bien à vous.
Bonjour,
Pour compléter le tableau, voici une réponse ministérielle du 30 juillet 2009 qui fait le point sur la necssité d'obetnir un permis de construire pour l'extension d'un permis illégal, appliquant ainsi la jurisprudence Thalamy: http://www.senat.fr/questions/base/2008/qSEQ080504592.html
Cordialement
Oups! Il fallait lire "bâtiment illégal"!
Rassurez-vous, je pense que chacun avait compris.
Mais pour fignoler le tableau, j'ajoute avoir "commenté" la réponse ministérielle évoquée (préalablement publiée au JOAN) qui, pour sa dernière partie, m'interroge...
http://jurisurba.blogspirit.com/archive/2009/06/24/veille-administrative-reponse-ministerielle-n-24501-commente.html