Sur l’étendue et l’incidence des « dérogations » prévues par le règlement local d’urbanisme
Une disposition du règlement de PLU introduisant une dérogation susceptible d’excéder les limites d’une simple autorisation d’adaptation mineure n’affecte pas pour autant la légalité de ce règlement.
CAA. Nancy, 8 novembre 2007, M. Jean-Louis X, req. n°06NC00677
Voici un arrêt particulièrement intéressant, notamment, en ce qu’il permet de traiter l’un des aspects méconnus du mode d’interprétation des prescriptions du règlement local d’urbanisme par le juge administratif.
Dans cette affaire était en cause la délibération par laquelle le Conseil municipal de la commune défenderesse avait adopté son PLU ; décision qui devait donc faire l’objet d’un recours fondé, notamment, sur le fait que l’une des dispositions du PLU ainsi approuvé introduisait, selon le requérant, une véritable dérogation à la règle de principe prescrite par son article 11 et, par voie de conséquence, que cette disposition serait illégale au regard de l’article L.123-1 du Code de l’urbanisme.
On sait, en effet, que antépénultième l'article L. 123-1 du code de l'urbanisme dispose que « les règles et servitudes définies par un plan local d'urbanisme ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation, à l'exception des adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes ».
En résumé, l’article précité s’oppose à ce que l’administration, à travers la délivrance d’une autorisation d’urbanisme, accorde une dérogation à la règle de principe mais lui permet seulement ou, plus précisément, lui impose (sur ce point : TA. Besançon, 30 novembre 2000, Sté SMCI, req. n°99-00642), lorsque les conditions sont remplies, d’autoriser des adaptations mineures mais ce, pour autant qu’une telle autorisation d’adaptation mineure soit justifiée « par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes ».
Il reste que sans être exceptionnel, il est rare qu’un règlement local d’urbanisme prévoit en tant que telles des possibilités d’adaptations mineures puisque, le plus fréquemment, ces règlements édictent une règle de principe suivie, le cas échéant, de règles « alternatives » à la portée et aux conditions précisément définies et encadrées, lesquelles sont alors constitutives d’autant d’exceptions (et non pas dérogation, sur cette différence : 10 novembre 1993, Epx Sylvestre, req. n°124.532).
Mais il arrive également qu’à l’égard d’une même situation, le règlement local d’urbanisme prescrive une règle de principe tout en introduisant, d’une façon très générale et sans véritable condition, une possibilité d’assouplissement de ce principe.
Tel était précisément le cas en l’espèce où à la règle de principe posée par l’article Ua.11 du PLU communal et selon laquelle « les murs non construits avec les mêmes matériaux que les façades principales devront présenter un aspect qui s'harmonise avec celles-ci » s’ajoutait une disposition précisant que « « les projets de dessin contemporain faisant l'objet d'une recherche architecturale manifeste et innovante sont acceptés » et à l’encontre de laquelle le requérant soutenait donc qu’elle méconnaissait l’antépénultième alinéa de l’article L.123-1 du Code de l’urbanisme et, par voie de conséquence, était illégale.
Mais ce moyen devait être rejeté par la Cour administrative d’appel de Nancy et ce, au motif suivant :
« Considérant que ces dispositions ne sont susceptibles de s'appliquer qu'aux autorisations de construire ou d'aménagement délivrées sur le fondement d'un plan local d'urbanisme ; que, par suite, le requérant ne saurait utilement faire valoir que certaines prescriptions prévues à titre dérogatoire par le plan local d'urbanisme méconnaîtraient les dispositions précitées en tant qu'elles ne constitueraient pas une adaptation mineure des prescriptions édictées à titre principal ;
Considérant, en outre, qu'à supposer même que la dérogation introduite par l'article Ua11 du règlement du plan local d'urbanisme, qui spécifie que : « les projets de dessin contemporain faisant l'objet d'une recherche architecturale manifeste et innovante sont acceptés » et pourront, dans ce cas, faire l'objet d'une adaptation du principe selon lequel les murs non construits avec les mêmes matériaux que les façades principales devront présenter un aspect qui s'harmonise avec celles-ci, soit regardée comme excédant le champ d'un simple tempérament apporté à cette règle et remettant en cause le principe même ci-dessus rappelé, cette circonstance demeurerait en tout état de cause sans incidence sur la légalité du plan local d'urbanisme et aurait pour seule conséquence de faire obstacle à la délivrance d'une autorisation de construire sur le fondement de telles dispositions ».
En substance, la Cour a donc considéré qu’une disposition d’un règlement local d’urbanisme introduisant une dérogation ou, plus précisément, une possibilité de déroger à la règle générale n’était pas illégale au regard du principe posé par l’antépénultième alinéa de l’article L.123-1 du Code de l’urbanisme dans la mesure où les dispositions de ce dernier :
- d’une part, ne sont susceptibles de s'appliquer qu'aux autorisations de construire ou d'aménagement délivrées sur le fondement d'un plan local d'urbanisme ;
- d’autre part et par voie de conséquence, s’opposent seulement à la délivrance de telles autorisations sur le fondement d’une disposition dérogatoire du règlement local d’urbanisme ;
et, en résumé, que ce principe est opposable et peut être sanctionné au stade de la délivrance des autorisations (permis ou non-opposition à déclaration) délivrées en application du règlement local d’urbanisme mais n’intéresse pas et ne conditionne pas la légalité de ce dernier.
En première analyse, une telle solution peut surprendre dans la mesure où elle aboutit à considérer qu’il n’est pas illégal de prévoir une règle qui ne saurait être légalement appliquée au stade de la délivrance des autorisations d’urbanisme.
Il reste que les dispositions analogues à celles en litige dans l’affaire objet de l’arrêt commenté – c’est-à-dire toutes celles offrant une alternative imprécise et inconditionnée à la règle de principe (sur ce point : concl. Arrighi de Casanova sur : CE. 2 mars 1994, Cne de Maromme, req. n°140.723 ; BJDU, n°6/94, p.3) et, par voie de conséquence, la possibilité de « négocier » avec l’administration l’assouplissement de cette règle – ne sont jamais interprétées comme des « dérogations » mais sont, en fait, (re)qualifiées en autorisations d’adaptation mineure et appliquées comme telles par le juge administratif. A titre d’exemple, le Conseil d’Etat ainsi jugé que :
« Considérant qu'aux termes des articles UZ 6 et UZ 7 du plan d'occupation des sols de la COMMUNE DE MAROMME, s'agissant respectivement, d'une part, de l'implantation des constructions par rapport aux voies et emprises publiques : "Sauf indications particulières portées au plan, les constructions doivent respecter une marge de recul de 10 m minimum, comptée à partir de la limite d'emprise publique" et, d'autre part, de l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives des propriétés : "La distance minimum à respecter entre la limite de propriété et la construction sera égale à la moité de la hauteur de la construction avec un minimum de 5 m" ; que ces mêmes dispositions prévoient que "les cas des ouvrages techniques, de surveillance et de gardiennage, ainsi que l'agrandissement des bâtiments existants pourront faire l'objet de dérogations" ; que cette dernière disposition, qui ne fixe aucune règle précise, ne peut avoir pour effet d'autoriser que des adaptations mineures aux règles précitées du plan d'occupation des sols ;
Considérant, à supposer que la construction litigieuse constitue l'agrandissement d'une construction existante au sens des dispositions du plan d'occupation des sols précitées, que le permis de construire délivré à la SCI les ateliers du Cailly a autorisé l'implantation de cette construction à 0,50 m de l'alignement de la voie publique et à une distance de la limite de propriété publique voisine qui varie de 0,10 m à 0,50 m ; que de telles dérogations aux règles ci-dessus rappelées du plan d'occupation des sols ne peuvent être regardées comme des adaptations mineures ; que, par suite, la COMMUNE DE MAROMME n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé, pour ce motif, le permis de construire délivré le 26 mars 1991 » (CE. 2 mars 1994, Cne de Maromme, req. n°140.723)
Et :
« Considérant qu'aux termes de l'article L 123-1 7ème alinéa 4 du code de l'urbanisme, "les règles et servitudes définies par un plan d'occupation des sols ne peuvent faire l'objet d'aucune dérogation à l'exception des adaptations mineures rendues nécessaires par la nature du sol, la configuration des parcelles ou le caractère des constructions avoisinantes" ; que l'article UB 5-1 du réglement du plan d'occupation des sols de Lay-Saint-Christophe précise que "pour qu'une unité foncière soit constructible, sa façade sur rue ou l'une de ses façades sur rue doit être au moins égale à 12 m dans le cas de construction en mitoyenneté" ; que l'article UB 5-2 dudit réglement prévoit que, "par adaptation mineure et dans les conditions fixées à l'article 4 titre I du présent réglement, la largeur des façades des parcelles insérées entre 2 parcelles déjà construites pourra être inférieure à 12 m." ; que cette dernière disposition doit être interprétée comme signifiant qu'une dérogation à la règle posée à l'article UB 5-1 ne peut être accordée, dans le cas où la parcelle est insérée entre deux parcelles déjà construites, que pour une adaptation mineure de ladite règle ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que la parcelle sur laquelle M. PILLOY se proposait de construire un garage est insérée entre deux parcelles déjà construites et que la largeur de sa façade sur rue est seulement de quatre mètres ; que l'autorisation donnée par le maire de Lay-Saint-Christophe à M. PILLOY de construire un garage, alors que la largeur de la façade sur rue requise était de douze mètres, ne saurait être regardée comme une adapation mineure de la règle posée à l'article UB 5-1 du réglement du plan d'occupation des sols de cette commune ; que, par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont estimé, à la demande des époux CABOURDIN, que le permis de construire délivré le 21 décembre 1982 à M. PILLOY par le maire de Ly-Saint-Christophe l'avait été en violation des dispositions du plan d'occupation des sols de cette commune et, par suite, de celles de l'article L.123-1 7° du code de l'urbanisme » (CE.12 mars 1986, M. Pilloy, req. n°58.389).
Dès lors que de telles dispositions dérogatoires sont comprises et appliquées par le juge administratif comme des autorisations d’adaptation mineure, elles ne peuvent donc pas être contraires au principe posé par l’antépénultième alinéa de l’article L.123-1 du Code de l’urbanisme...
C’est dans cette mesure que la solution retenue par l’arrêt commenté nous paraît justifiée.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés