Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

La jurisprudence « Thalamy » est-elle applicable aux travaux de démolition partielle ?

La jurisprudence « Thalamy » n’est pas applicable au travaux de démolition d’un ouvrage illégal. Par voie de conséquence, il n’y pas lieu de régulariser ce dernier pour pouvoir en entreprendre la démolition, même partielle.

CE. 4 avril 2007, M. Michel B., req. n°275.463 / TA. Nice, M. & Mme Godefroy, 8 mars 2007, req. n° 04-00396


Même si sa portée a été modifiée de façon significative par la prescription décennale introduite par le nouvel article L.111-12 du Code de l’urbanisme dans sa rédaction issue de la loi n°2006-872 du 13 juillet 2006 dite « ENL », ce dernier n’a pas en lui-même fondamentalement remis en cause le principe posé par la jurisprudence dite « Thalamy » dont il résulte qu’un ouvrage illégal ne peut faire l’objet d’aucun travaux nouveau, sauf à être concomitamment régularisé par une autorisation d’urbanisme ad hoc. C’est ainsi, à titre d’exemple, que des travaux tendant à modifier la façade d’un tel ouvrage (sur la charge de la preuve, voir ici) devront relever d’un permis de construire régularisant ce dernier bien qu’isolément, les travaux projetés relèvent, en l’état de la réglementation, du champ d’application de la déclaration préalable.

Mais l’une des questions posées par ce principe jurisprudentiel était de savoir s’il était applicable au travaux de démolition partielle d’un ouvrage illégal. En effet, si l’on voit mal l’utilité qu’il y aurait à exiger qu’un ouvrage irrégulier se voit conférer une existence légale avant d’être démoli, on aurait pu penser, en revanche, qu’une telle régularisation s’imposait pour les travaux de démolition partielle puisque ces derniers n’ont pas pour objet de faire totalement disparaître l’ouvrage illégal initialement construit.

Il ressort, toutefois, des deux décisions commentées que ce principe n’est pas applicable aux travaux de démolition, y compris partielle, d’un ouvrage irrégulier.

Dans la première affaire, Monsieur A. avait procédé, sans autorisation, à des travaux d’extension de sa terrasse et ce, de telle sorte que celle-ci méconnaissait, en outre, les prescriptions du règlement du lotissement où sa villa était sise. Mais celui-ci devait conséquemment être condamné par la Cour d’appel de Nancy pour exécution de travaux sans autorisation et en violation des prescriptions d’urbanisme applicables, laquelle devait également lui enjoindre de mettre sa terrasse en conformité avec les prescriptions dudit règlement.

C’est à cet effet que Monsieur A présenta une déclaration de travaux auquel le maire ne s’opposa pas. En revanche, cette décision de non-opposition à déclaration devait être attaquée par un voisin au motif qu’elle méconnaissait les dispositions de l’article R.421-1 du code de l’urbanisme et, en d’autres termes, que les travaux portant sur le terrasse litigieuse nécessitaient, au regard de la hauteur et de la surface initiales de cette dernière, un permis de construire puisque si les terrasses d’une hauteur inférieure à 0,60 mètre sont exemptées de toute formalité préalable, celles dont la taille excède ce seuil sont assujetties, par application de l’article R.422-2, m) du Code de l’urbanisme, soit à permis de construire, soit à déclaration préalable, selon que sa surface soit ou non supérieure à 20 mètres carrés (CE. 7 mai 2003, M. Vilaceque, req. n°247.499).

Mais le Conseil d’Etat, confirmant le jugement de première instance du Tribunal administratif de Nancy, devait rejeter ce moyen comme inopérant et ce, au motif suivant :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que M. A a procédé, en 1998, à des travaux d'extension de la terrasse de sa villa, qui ont eu pour effet de porter ladite terrasse à 0,90 mètres de la limite séparant sa parcelle de celle de M. B, en méconnaissance des dispositions du 2° de l'article 2?2 du règlement du lotissement communal, lequel impose une distance horizontale minimum de 3 mètres entre tout point d'un bâtiment et la limite parcellaire ; que, par un arrêt en date du 20 décembre 2001, la cour d'appel de Nancy a, d'une part, confirmé le jugement correctionnel du tribunal de grande instance de Nancy en date du 25 avril 2001 déclarant M. A coupable d'avoir exécuté des travaux de construction immobilière exemptés de permis de construire sans déclaration préalable auprès de la mairie, en méconnaissance des dispositions des articles L. 422-2 et R. 422-2 m) du code de l'urbanisme et, d'autre part, fait obligation à M. A de mettre la terrasse litigieuse en conformité avec la réglementation existante ; que la déclaration de travaux déposée en mairie par M. A le 6 février 2002, en exécution de l'arrêt précité de la cour d'appel de Nancy, avait pour objet, selon la notice explicative qui y était annexée, d'une part, le démontage de la partie de la terrasse située, en infraction avec les dispositions du 2° de l'article 2?2 du règlement du lotissement communal, à moins de trois mètres de la limite séparant sa propriété de celle de M. B, d'autre part, le coulage d'une dalle de moindre épaisseur, permettant de réduire de 18 cm la hauteur de la terrasse, dont l'emprise était ramenée à 12 m2 ;
Considérant qu'en écartant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article R. 421-1 du code de l'urbanisme, au motif que les travaux litigieux n'avaient pas pour objet de construire une terrasse, mais de mettre une terrasse existante déjà située à 1,08 m de hauteur, en conformité avec la réglementation, en exécution d'un arrêt de la cour d'appel de Nancy du 20 décembre 2001, le tribunal administratif de Nancy, qui n'était pas tenu de répondre à tous les arguments développés par M. B, a suffisamment motivé son jugement ;
Considérant qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, les travaux faisant l'objet de la déclaration consistaient en une démolition d'une partie de la terrasse existante, en vue de l'exécution d'une décision juridictionnelle ; qu'ainsi, le tribunal administratif de Nancy a pu, sans erreur de droit ni dénaturation, écarter comme inopérant le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 421-1 du code de l'urbanisme
».

En substance, en considérant que le moyen tiré de la méconnaissance de l’article R.421-1 du Code de l’urbanisme était inopérant au motif que « les travaux litigieux n'avaient pas pour objet de construire une terrasse » mais « consistaient en une démolition d'une partie de la terrasse existante », le Conseil d’Etat semble donc avoir jugé que ces travaux n’impliquaient pas même la formulation d’une déclaration préalable.

Il semble donc que les travaux de démolition partielle de cette terrasse auraient pu être exécutés sans aucune autorisation préalable puisque pour autant qu’ils aient pu s’analyser comme des travaux de démolition d’un bâtiment au sens de l’article L.430-2 du Code de l’urbanisme, il reste qu’en toute hypothèse, l’article L.430-3 dispense de permis de démolir les démolitions intervenant, comme en l’espèce, en exécution d’une décision de justice devenue définitive.

Pour en entreprendre sa démolition, même partielle, il n’était donc pas nécessaire de conférer concomitamment une existence légale à l’ouvrage initial, ni même à l’ouvrage partiellement démoli.

Cette solution ressort encore plus nettement du jugement du Tribunal administratif de Nice. Dans cette affaire, Monsieur et Madame Safra avaient édifié puis modifié, chaque fois sans aucune autorisation, un garage qu’ils devaient ultérieurement entreprendre de démolir partiellement. Toutefois, le permis de démolir obtenu à cet effet devait être attaqué au motif tiré de l’irrégularité de l’ouvrage sur lequel elle portait.

Mais précisément, le Tribunal administratif de Nice a rejeté ce recours en considérant qu’une demande de permis de démolir pouvait légalement porter sur une partie d’un ouvrage illégal sans qu’il y est lieu de régulariser ce dernier ou de conférer une existence légale à l’ouvrage résultant des travaux de démolition projetées ; étant précisé, pour autant qu’il en soit besoin, que si dans certains cas spécifiques (art. L.123-1-10° ; C.urb), un permis de construire peut également valoir autorisation de démolir, un permis de démolir ne peut en revanche jamais avoir pour objet d’autoriser une construction (CE. 28 septembre 1994, Comité de défense des lotissements de Port-Avion).

Bien qu’elle tende à la reconnaissance indirecte d’ouvrages illégaux, la solution résultant des deux décisions commentées est néanmoins difficilement contestable.

En vertu du principe d’indépendance des législations, le permis de construire et le permis de démolir sont deux procédures totalement distinctes ayant chacune un objet propre. Il s’ensuit que l’illégalité d’un permis de construire n’a strictement aucune incidence sur celle d’un permis de démolir et inversement (CE. 29 juillet 1994, L. Brégamy, req. n°138.895).

Or, à ce titre, il a également pu être jugé que l’irrégularité des conditions dans lesquelles des travaux de démolition avaient été exécutés ne pouvait être opposée à un permis de construire ultérieure (CE. 5 mars 1982, Union régionale pour la défense de l’environnement en Franche-Compté, req. n°20042 ; TA. Lille 3 décembre 1992, SCI de la Marbrerie, LPA, 7 juillet 1993, p.23). A contrario, il est donc cohérent que l’irrégularité initiale d’un ouvrage ne puisse pas être invoquée à l’encontre d’un permis de démolir s’y rapportant.

Pour conclure, on précisera qu’à notre sens, la circonstance que le nouvel article L.421-3 du Code de l’urbanisme, issu de l’ordonnance n° 2005-1527 du 8 décembre 2005 relative à la réforme des autorisations d’urbanisme, impose l’obtention préalable d’un permis de démolir pour les démolitions de « constructions existantes » n’est pas de nature à remettre en cause la portée des deux décisions commentées et, en d’autres termes, à impliquer la régularisation préalable ou concomitante des ouvrages illégaux dont la démolition est projetée puisque, reprenant le principe de l’ancien article L.430-5 al.2, le nouvel article L.421-6 précise que « le permis de démolir peut être refusé ou n'être accordé que sous réserve de l'observation de prescriptions spéciales si les travaux envisagés sont de nature à compromettre la protection ou la mise en valeur du patrimoine bâti, des quartiers, des monuments et des sites » : le permis de démolir n’a donc toujours pas vocation à contrôler la régularité ou la conformité de l’ouvrage à démolir au regard des prescriptions d’urbanisme.

De même et en toute hypothèse, il est claire qu’en visant les « constructions existantes », le nouvel article L.421-3 du Code de l’urbanisme n’a pas entendu dispenser de permis de démolir les travaux de démolition d’ouvrages dépourvus d’existence légale puisqu’à l’examen des cas de dispense prévus par le nouvel article R.421-29, force est de constater que tel n’est le cas que lorsque celle démolition a été ordonnée par une décision de justice devenue définitive.



Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

Les commentaires sont fermés.