La fraude du pétitionnaire ne dispense pas l’administration de mettre en oeuvre la procédure contradictoire préalablement au retrait du permis de construire litigieux
Si le permis de construire obtenu par fraude perd son caractère créateur de droit, ce qui permet son retrait à tout moment, cette circonstance ne dispense pas l'administration de motiver la décision qui en prononce le retrait et, par voie de conséquence, de respecter la procédure contradictoire imposée par les dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations. Et lorsque ce permis de construire a été précédemment transféré à un tiers, cette procédure doit être mise en œuvre à l’égard tant de son titulaire d’origine que de son nouveau bénéficiaire.
CAA. Bordeaux, 2 novembre 2006, M. X. et SCI Le Clos Bleu Vision, req. n° 04BX01608
Dans cette affaire, un permis de construire avait été obtenu par Monsieur X, le 5 avril 2002, puis avait été transféré, le 15 avril 2002, à la SCI Le Clos Bleu Vision. Mais ultérieurement, il devait apparaître que le pétitionnaire avait produit un « faux » pour établir son titre habilitant à construire sur la parcelle limitrophe de son unité foncière et ce, faisant étendre ses possibilités de construction sur son terrain en bénéficiant des droits à construire attachés à cette parcelle.
Ce comportement étant constitutif d’une fraude, la commune de Saint-Paul devait ainsi procéder au retrait, le 14 octobre 2003, tant du permis de construire délivré le 5 avril 2002 que de l’arrêté de transfert édicté le 15 avril suivant.
Il reste que ce retrait n’avait pas été précédé de la mise en oeuvre de la procédure contradictoire instituée par l’article 24 de la loi n°2000-321 du 12 avril 2000 qui, par principe, s’impose au retrait des actes administratifs créateurs de droit, tels les permis de construire.
Néanmoins, le Tribunal administratif de Saint-Denis de la Réunion devait rejeter le recours exercé par Monsieur X. et la SCI Le Clos Vision Bleue au motif que de par la fraude par laquelle le permis de construire litigieux avait été obtenu celui-ci lui avait perdu son caractère créateur de droit, si bien que son retrait n’avait pas à être précédé de la procédure administrative contradictoire susvisée.
Mais en appel, le Cour administratif d’appel de Bordeaux devait censurer cette analyse et conséquemment annuler l’arrêté de retrait en date du 4 octobre 2003 au motif suivant :
« Considérant que, quand bien même le permis de construire délivré à M. X a été obtenu par fraude et a ainsi perdu son caractère créateur de droit, ce qui permet son retrait à tout moment, cette circonstance ne dispense pas l'administration de motiver la décision qui en prononce le retrait et, par voie de conséquence, de respecter la procédure contradictoire imposée par les dispositions combinées de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 relative à la motivation des actes administratifs et de l'article 24 de la loi du 12 avril 2000 relative aux droits des citoyens dans leurs rapports avec les administrations ; qu'il est constant que ni M. X ni la SCI LE CLOS BLEU VISION n'ont été invités par le maire de la commune de Saint Paul à présenter leurs observations avant le retrait des autorisations dont ils étaient bénéficiaires ; qu'ainsi cette décision de retrait prise à la suite d'une procédure irrégulière est entachée d'illégalité et doit être annulée ».
Cette solution nous paraît doublement logique dans la mesure où, d’une part, l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 prévoit expressément les cas dans lesquels il ne s’applique pas lesquels ne recouvrent pas le cas de fraude et où, d’autre part, la finalité de la procédure administrative contradictoire ainsi instituée doit précisément permettre à l’intéressé de s’expliquer sur son comportement aux fins, le cas échéant, d’établir que ce dernier n’était pas constitutif d’une fraude.
Mais ce qui est, selon nous, le plus intéressant au cas présent est que le permis de construire en litige avait été transféré préalablement à son retrait, ce qui appelle trois remarques.
Tout d’abord, il résulte ainsi implicitement de l’arrêté commenté que le transfert d’un permis de construire obtenu grâce à la fraude du pétitionnaire ne s’oppose pas à son retrait à tout moment, quand bien même son nouveau bénéficiaire ne serait-il en rien responsable du comportement de son titulaire d’origine.
Ce qui est bien normal puisqu’eu égard au caractère réel de la législation d’urbanisme et, notamment, de celle sur le permis de construire, leurs prescriptions sont opposables indépendamment de toute considération liée au transfert ou à l’absence de transfert du permis de construire en cause. C’est ainsi que le Conseil d’Etat a pu récemment juger que le caractère précaire d’une construction édifiée en exécution d’un permis de construire sur un emplacement réservé délivré au titre de l’article L.423-1 du Code de l’urbanisme était opposable à l’acquéreur ultérieur de cette construction – lequel pouvait ainsi être condamné à la démolir – quand bien même ce permis de construire ne lui aurait-il pas été transféré (CE. ord., 6 mars 2006, Ville de Lyon, req. 283.987).
Ensuite, il faut souligné que la Cour administrative d’appel de Bordeaux a relevé « qu'il est constant que ni M. X ni la SCI LE CLOS BLEU VISION n'ont été invités par le maire de la commune de Saint Paul à présenter leurs observations avant le retrait des autorisations dont ils étaient bénéficiaires ».
On peut donc en déduire que dans le cas du retrait d’un permis de construire précédemment transféré à un tiers, la procédure administrative contradictoire instituée par l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 doit être mise en œuvre à l’égard non seulement du titulaire d’origine du permis de construire litigieux mais également de son nouveau bénéficiaire, ce qui est logique dès lors que ce dernier est le principal, voir seul intéressé par l’éventuel retrait de ce permis de construire.
Il faut néanmoins relever que cette solution aboutit à solliciter les observations de celui qui n’est plus titulaire du permis de construire en cause et qui, a priori, est donc moins concerné par son éventuel retrait et également de celui qui pour être directement intéressé par ce dernier, n’est pas nécessairement responsable, ni même informé du comportement frauduleux du pétitionnaire et qui, a priori, sera bien en peine de présenter des observations utiles sur ce point.
Enfin, il faut rappeler que dans cette affaire, l’arrêté du 14 octobre 2003 a procéder au retrait tant du permis de construire en litige que de l’arrêté de transfert dont avait bénéficié la SCI Le Clos Bleu Vision. Or, force est de constater que la Cour administrative d’appel de Bordeaux n’a opéré aucune distinction entre le retrait du permis de construire en litige et le retrait de son transfert ainsi qu’entre la situation de son titulaire d’origine et de son nouveau bénéficiaire (ce qui n’était, toutefois, pas nécessaire dès lors que la seule méconnaissance de l’article 24 de la loi du 12 avril 2000 suffisait à emporter l’annulation de cet arrêté dans son entier dispositif).
Il est vrai que, d’une part, l’illégalité d’un permis de construire affecte d’illégalité son transfert ultérieur (CE. 24 février 1992, Cogedim, req. n°119.134) et que, d’autre part, le seul retrait du permis de construire en litige aurait abouti la SCI Le Clos Bleu Vision à être bénéficiaire d’une « coquille vide » puisqu’un transfert de permis de construire ne vaut pas délivrance d’une nouvelle autorisation mais s’analyse comme un simple rectification de l’identité de son titulaire (CE. 18 juin 1993, Cne de Barroux, req. n°118.690).
Il n’en demeure pas moins qu’un arrêté de transfert est un acte distinct de l’arrêté initial de permis de construire qui présente le caractère d’un acte créateur de droit pour son bénéficiaire et, par principe, suivant la jurisprudence « Thernon », ne peut donc plus être retiré passé un délai de quatre mois suivant sa signature (une de question posée par le nouvel article L.424-5 du Code de l’urbanisme issu de la loi du 13 juillet 2006 dite « ENL » sera de savoir si le délai de retrait de trois ainsi institué concernera les arrêtés de transfert puisque cet article ne vise expressément que le permis de construire, le permis d’aménager et le permis de démolir).
Il nous semble donc que l’arrêté de transfert édicté au bénéfice de la SCI Le Clos Bleu Vision ne pouvait plus être retiré à la date du 14 octobre 2003 dans la mesure où il nous parait difficile de considérer que la fraude affectant un permis de construire et justifiant la possibilité de le retirer sans condition de délai puisse rejaillir sur le bénéficiaire d’un arrêté de transfert qui ne serait en rien responsable de la fraude initiale du pétitionnaire.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés