Un projet de voie mis en œuvre par la Ville en parallèle de l’engagement par cette dernière d’un projet de lotissement n’assujettit pas ce dernier à permis d’aménager, même si la voie est principalement destinée à desservir ce lotissement.
CAA. Nancy, 12 juin 2014, Cne de Vincey, req. n°13NC02042
Dans cette affaire, la Ville avait par une même délibération du 19 juillet 2011 décidait tout à la fois de la création d’un lotissement de 12 lots à bâtir et de la réalisation d’une voie devant permettre leur desserte. Pour autant, le Maire ne devait formuler qu’une déclaration préalable de lotissement au titre de l’article R.421-23 du Code de l’urbanisme.
C’est dans cette mesure que le Préfet devait ultérieurement contester non pas la légalité de la décision du 13 juillet 2011 valant non-opposition à cette déclaration mais la légalité des permis de construire délivré le 2 juillet 2012 sur certains des lots autorisés en soutenant qu’en raison de la création de cette voie, ce lotissement impliquait la délivrance d’un permis d’aménager, si bien que ces permis de construire avaient été délivrés en méconnaissance notamment des prescriptions de l’article R.442-18 du Code de l’urbanisme.
Si le Tribunal administratif suivit ce moyen, ce dernier fut toutefois rejeté par la Cour administrative d’appel de Nancy au motif suivant :
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par délibération du 19 janvier 2011, le conseil municipal de Vincey a décidé, d'une part, de confier à un géomètre-expert le soin de " la mise au point du projet d'aménagement de 12 parcelles par déclaration préalable et du bornage et de la division des parcelles ", et, d'autre part, " de faire aménager, à partir de l'espace situé entre les parcelles 9 et 10 du lotissement du stade, une voirie d'une surface de 1 749 m² et d'une longueur d'environ 200 m baptisée " impasse des anciens d'AFN " qui sera après enquête publique, incorporée dans la voirie publique communale " ; que, par délibération du 11 avril 2011, le conseil municipal a décidé, après le déroulement de l'enquête publique, d'incorporer dans le domaine public routier communal " l'impasse des anciens d'AFN " sur toute sa longueur soit 209 m ; que, par délibération du 27 avril 2011, le conseil municipal a approuvé le projet de lotissement présenté par le géomètre-expert ; Considérant que le conseil municipal de Vincey a ainsi décidé de classer dans la voirie communale la voie dénommée " impasse des anciens d'AFN " avant d'arrêter le projet de lotissement ayant donné lieu au dépôt de la déclaration préalable le 23 mai 2011 ; que, dès lors, et quand bien même cette voie n'a été réalisée qu'ultérieurement et qu'elle avait vocation à desservir principalement le lotissement en question, elle ne présentait pas le caractère d'une voie commune audit lotissement mais d'une voie communale ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que le bassin de décantation dont l'aménagement était prévu sur une parcelle jouxtant les lots 27 et 38 serait un espace commun au lotissement ; que la commune fait valoir au contraire que ce bassin a été créé pour les besoins du premier lotissement existant et que l'" impasse des anciens d'AFN " était également destinée à permettre l'accès à cet équipement ; qu'ainsi, en l'absence de voie ou d'espace commun audit lotissement, c'est à bon droit que le maire de la commune de Vincey a déposé une déclaration préalable et non pas une demande de permis d'aménager ; que, par suite, la commune de Vincey est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Nancy a estimé que cette voie, du fait qu'elle était destinée à desservir les douze lots constituant le lotissement, était une voie commune à ce lotissement et qu'en conséquence cette opération devait être précédée d'un permis d'aménager ».
A titre liminaire, il faut donc rappeler que le recours en annulation introduit par le Préfet n’était pas dirigé contre la décision de non-opposition du 13 juillet 2011 mais à l’encontre des permis de construire du 2 juillet 2012.
En substance, le fondement principal du recours consistait donc à exciper de l’illégalité de cette décision de non-opposition au regard de l’article R.421-19 précisé et de la prétendue méconnaissance subséquente du champ d’application de la procédure de permis d’aménager. Pour autant, force est de constater que la Cour n’a aucunement recherché si cette décision était ou non définitive, ni même si ce caractère était ou non allégué par la commune appelante.
Or, si une autorisation de lotissement peut emporter l’approbation de documents revêtant un caractère réglementaire opposables notamment aux permis de construire délivrés sur les lots à bâtir ainsi autorisés, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une autorisation individuelle créatrice de droits ; ce dont il résulte que l’illégalité de cette autorisation ne peut plus être utilement invoquer par voie d’exception dès lors qu’elle a acquis un caractère définitif.
Est-ce à dire que la Cour administrative d’appel a ainsi considéré que la méconnaissance du champ d’application de la procédure du permis d’aménager pouvait être invoquer à l’encontre de permis de construire distinctement de l’illégalité subséquente de la déclaration formulée en lieu et place du permis éventuellement requis et, donc, sans consister à exciper « directement » de l’illégalité de cette déclaration ?
Nous ne le pensons pas et, au demeurant, outre que ce caractère définitif n’était pas invoqué par la ville appelante, la Cour n’avait pas besoin de se prononcer sur ce point dès lors qu’elle devait rejeter ce moyen.
En effet, dès lors que le projet mis en œuvre correspond en tout point à celui déclaré, le seul cas où il nous semble pouvoir en être autrement est bien entendu celui où l’illégalité de la déclaration et la méconnaissance du champ d’application de la procédure du permis d’aménager résulte d’une fraude du lotisseur ; fraude qui ne peut se présumer du seul fait que l’autorité compétente ait connaissance de la réalité du projet et/ou soit intéressée à sa réalisation.
Mais venons en maintenant au fond du problème : les travaux de voirie projetés tendaient-ils à la réalisation d’un « équipement commun » au sens de l’article R.421-19 du Code de l’urbanisme.
Sur ce point, il faut tout d’abord relever que la Cour s’est prononcée sur ce point au regard de l’article R.421-19 dans sa rédaction applicable à la date de la décision de non-opposition et qui alors disposait que « doivent être précédés de la délivrance d'un permis d'aménager les lotissements, qui ont pour effet, sur une période de moins de dix ans, de créer plus de deux lots à construire lorsqu'ils prévoient la réalisation de voies ou espaces communs (…) » et non pas donc en considération de sa rédaction applicable à la date des permis de construire litigieux et qui précisait alors que : « doivent être précédés de la délivrance d'un permis d'aménager les lotissements qui prévoient la création ou l'aménagement de voies, d'espaces ou d'équipements communs internes au lotissement » ; ce qui n’allait pas de soi dès lors que le Conseil d’Etat a pu juger qu’un lotissement illégal pouvait être régularisé par une évolution permissive des règles applicables en la matière :
« Considérant qu'une autorisation de travaux ne peut être légalement délivrée pour une construction à édifier sur un terrain compris dans un lotissement non autorisé, à moins que ce lotissement n'ait fait l'objet d'une régularisation ultérieure, sous l'empire des dispositions législatives ou réglementaires intervenues postérieurement ; que, dans l'hypothèse où les textes postérieurs retiennent une définition plus restrictive du lotissement, celle-ci ne saurait rétroactivement régulariser les opérations de divisions ayant constitué un lotissement de fait non autorisé ; qu'en revanche, dès lors que le lotissement de fait n'entre plus, à la date à laquelle l'autorisation de travaux contestée a été délivrée, dans le champ d'application des dispositions relatives aux opérations de lotissement soumises à autorisation, des travaux de constructions sur une parcelle incluse dans le périmètre d'un tel lotissement peuvent légalement y être autorisés ; Considérant que, pour rejeter l'argumentation présentée en défense par l'ASSOCIATION SYNDICALE LIBRE DES PROPRIETAIRES DU LOTISSEMENT TE MARU ATA, la cour a relevé, comme le tribunal, que le lotissement dans lequel la parcelle de M. A était incluse, consistant en plus de trois parcelles, n'avait jamais été autorisé, ce qui n'est au demeurant contesté par aucune des parties ; qu'elle a également jugé que, compte tenu de l'évolution sus-rappelée des dispositions du code de l'aménagement de la Polynésie française, ce lotissement, consistant en moins de cinq parcelles, n'entrait plus dans le champ d'application des règles applicables aux lotissements de fait et qu'il ne « constituait plus un lotissement non autorisé pour lequel une régularisation par obtention d'un permis de lotir serait demeurée nécessaire afin que puissent être régulièrement autorisés des travaux de construction sur la parcelle provenant de la division » ; qu'en jugeant ainsi, pour les motifs qui viennent d'être indiqués, elle n'a entaché son arrêt d'aucune erreur de droit » (CE. 18 juin 2007, Association syndicale libre des propriétaires du lotissement Te Maru Ata, req. n°289.336);
alors qu’en ajoutant l’exigence du caractère « interne » au lotissement de l’équipement en cause le décret du 28 février 2012 ayant modifié l’article R.421-19 précité tel qu’il était applicable à la date de délivrance des permis de construire litigieux avait quelque restreint le champ d’application de la procédure de permis d’aménager comparé à celui découlant de ce même article dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision de non-opposition du 13 juillet 2011.
Cela étant, la solution dégagée par le Conseil d’Etat dans l’arrêté précité n’était pas totalement transposable au cas présent puisqu’elle a trait au cas où les détachements des terrains à bâtir ne relèvent tout simplement plus de la définition du lotissement à la date de délivrance des permis de construire portant sur ces parcelles alors qu’en l’espèce, le décret précité n’avait clairement pas pour effet de soustraire de projet de la ville à la règlementation sur les lotissements et, en substance, pour ce qui concerne les permis de construire attaqués, de rendre à leur égard rétrospectivement superfétatoire la décision de non-opposition du 13 juillet 2011.
Mais en toute hypothèse, quelle que soit sa version applicable, l’article R.421-19 impliquait donc à tout le moins d’apprécier si la voie en cause constituait donc ou non une « voie commune » aux terrains à bâtir autorisés par cette décision de non-opposition. Sur ce point, la Cour a relevé que « le conseil municipal de Vincey a ainsi décidé de classer dans la voirie communale la voie dénommée " impasse des anciens d'AFN " avant d'arrêter le projet de lotissement ayant donné lieu au dépôt de la déclaration préalable le 23 mai 2011 ».
A cet égard, il suffirait donc que le projet de voirie précède le projet de lotissement pour que ce dernier échappe à la procédure de lotissement ; ce qui au demeurant n’était pas réellement le cas puisque rappelons c’est par une seule et même délibération initiale que la Ville avait décidait la création du lotissement et de la réalisation d’une voie devant permettre leur desserte.
Cela étant, la Cour nous semble surtout s’être fondée sur le fait que :
• dans la mesure où « par délibération du 11 avril 2011, le conseil municipal a décidé, après le déroulement de l'enquête publique, d'incorporer dans le domaine public routier communal " l'impasse des anciens d'AFN " sur toute sa longueur soit 209 m » la réalisation de cette voie s’inscrivait donc dans le cadre non pas de la règlementation sur les lotissements mais d’une autre procédure, relevant en l’occurrence du Code de la voirie routière puisqu’il est vrai que tout projet de voirie desservant des terrains à détacher n’est pas nécessairement un équipement commun puisqu’en ce sens, il a déjà pu être jugé que :
« Considérant que la ville de Paris fait valoir le dossier de permis de construire aurait dû contenir une convention de rétrocession en application des dispositions précitées, compte tenu du projet de création d’une « voie nouvelle » ; Considérant toutefois que cette voie, dont le projet prévoit la création, est destinée, en application de la servitude P 15-7 figurant en annexe n° 4 du plan local d’urbanisme de la ville de Paris, à devenir une voie publique intégrée dans le domaine public de la ville de Paris ; qu’elle ne constitue donc pas une voie commune au sens des dispositions précitées, qui ne sont susceptibles de s’appliquer qu’à des voies privées ; que le moyen doit dès lors être écarté » (TA. Paris, 21 février 2013,Ville de Paris, req. n°12-05625);
• cette voie constituait donc, et « sur toute sa longueur », une voie communale puisqu’alors même « qu'elle avait vocation à desservir principalement le lotissement en question » elle n’était donc pas exclusivement destinée à cet usage (en ce sens, sur ce point : CE 17 mai 2013, Société IDE, req. n°337120).
En résumé, la Cour semble ainsi avoir jugé que dans la mesure où il s’agissait d’un équipement n’étant pas exclusivement propre au lotissement et que la Ville réalisait non pas en sa qualité de lotisseur, mais en l’occurrence d’autorité compétente en matière de voirie communale, il ne s’agissait donc pas d’une voie commune au sens de l’article R.421-19 applicable.
A suivre cet arrêt, un projet de voie peut être engagée concomitamment de la création des terrain à bâtir qu’elle dessert - et ce, par une seule et même personne - sans pour autant assujettir le lotissement à permis d’aménager dès lors que, notamment, cette voie n’est pas propre au lotissement et/ou est réalisée dans le cadre d’une autre procédure...
Une telle conclusion nous semble toutefois sujette à caution puisqu'il faudrait comprendre qu’il suffirait à la "Ville/lotisseur" de planifier distinctement en tant que « travaux publics » la réalisation des équipements desservant les lots à bâtir pour échapper à la procédure de permis d’aménager et ainsi priver les acquéreurs de ces terrains des garanties liés à cette autorisation alors qu’il s’agit de la finalité première du régime généré par cette dernière.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés