Retour sur le permis modificatif des articles L.600-5 et L.600-5-1 du Code de l’urbanisme
Le seul fait que les modifications projetées implique un déplacement de la construction de quatre mètres par rapport aux limites séparatives n’exclut pas par principe qu’elles relèvent d’un simple « modificatif » dès lors qu’elles ne bouleversent pas l’économie générale du projet primitif pris dans sa globalité.
CE. 30 décembre 2015, req. n°375.276
Dans une précédente note, nous nous étions réjouis d’un arrêt de la Cour administrative d’appel de Bordeaux ayant jugé, par exception au régime de « droit commun », que la circonstance que la construction objet du permis de construire illégal soit achevée ne s’opposait pas à l’obtention d’un « modificatif » de régularisation à obtenir au titre des articles L.600-5 ou L.600-5-1 du Code de l’urbanisme ; cette décision nous semblant conforme à l’esprit de ces dispositifs voulus pour limiter le risque lié à l’exercice d’un recours en annulation et partant pour inciter à engager les travaux malgré l’exercice de ce recours.
Malheureusement, et très peu de temps après, le 1er octobre 2015, le Conseil d’Etat devait rendre un arrêt dans un sens totalement différent en jugeant que :
« Considérant que lorsque les éléments d'un projet de construction ou d'aménagement auraient pu faire l'objet d'autorisations distinctes, le juge de l'excès de pouvoir peut prononcer l'annulation partielle de l'arrêté attaqué en raison de la divisibilité des éléments composant le projet litigieux ; que les dispositions de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme lui permettent en outre de procéder à l'annulation partielle d'une autorisation d'urbanisme qui n'aurait pas cette caractéristique, dans le cas où l'illégalité affectant une partie identifiable d'un projet de construction ou d'aménagement est susceptible d'être régularisée par un permis modificatif ; qu'il en résulte que, si l'application de ces dispositions n'est pas subordonnée à la condition que la partie du projet affectée par ce vice soit matériellement détachable du reste de ce projet, elle n'est possible que si la régularisation porte sur des éléments du projet pouvant faire l'objet d'un permis modificatif ; qu'un tel permis ne peut être délivré que si, d'une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés - sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l'absence d'achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d'instruction en ce sens - et si, d'autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale ; qu'à ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif » (CE. 1er octobre 2015, req. n°374.338);
et partant en considérant que le régime du « modificatif » visé par les articles L.600-5 et L.600-5-1 précité ne présentait aucune particularité.
Cela étant, cet arrêt eu par ailleurs le mérite de recadrer ce régime s’agissant de la nature et de l’ampleur des modifications susceptibles de relever d’un simple « modificatif », lequel avait été quelque peu troublé par un arrêt par lequel le Conseil d’Etat avait usé d’une formule malheureuse en jugeant que :
« Considérant que, pour faire application de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme et n'annuler que partiellement le permis de construire litigieux, en tant que la pente des toitures des villas dont il permet la construction est supérieure aux 35 % autorisés dans cette zone par l'article AUC 11 du règlement du plan local d'urbanisme, la cour s'est fondée sur la circonstance que ces villas ne comportaient pas de combles aménagés et que la régularisation du vice relevé ne conduirait qu'à un " léger abaissement des faîtières " ; qu'ainsi, la cour n'a, contrairement à ce qui est soutenu, pas omis de rechercher si le vice pouvait être régularisé au regard des règles d'urbanisme applicables sans remettre en cause la conception générale ni l'implantation des constructions et si la construction pouvait ainsi, compte tenu du caractère limité des modifications apportées au projet initial, faire légalement l'objet d'un permis modificatif ; qu'en jugeant que tel était le cas en l'espèce, elle a porté sur les pièces du dossier une appréciation souveraine exempte de dénaturation » (CE. 4 octobre 2013, req. n°358401);
induisant ainsi que l’implantation de la construction devait être appréciée distinctement de sa conception générale, voire qu’une modification de l’implantation de la construction ne pouvait pas par nature relever d’un « modificatif » mais impliquait donc l’obtention d’un nouveau permis de construire.
Même si un arrêt du Conseil d’Etat immédiatement ultérieur à celui-ci permis de nuancer cette conclusion (CE. 16 octobre 2013, req. n°359.098), c’est néanmoins cette interprétation qui retenue par certaine cour.
Dans l’affaire objet de la note de ce jour, c’est d’ailleurs celle-ci qui semble avoir été suivie par la Cour administrative d’appel de Marseille au sujet d’une modification d’implantation de quatre mètres et ce, exactement de la même façon que la Cour administrative d’appel de Lyon qui avait précédemment jugé en citant le « considérant » de l’arrêt du Conseil d’Etat précité que :
« 2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme : " Le juge administratif qui, saisi de conclusions dirigées contre un permis de construire, de démolir ou d'aménager, estime, après avoir constaté que les autres moyens ne sont pas fondés, qu'un vice n'affectant qu'une partie du projet peut être régularisé par un permis modificatif, peut limiter à cette partie la portée de l'annulation qu'il prononce et, le cas échéant, fixer le délai dans lequel le titulaire du permis pourra en demander la régularisation " ; que la régularisation doit, pour pouvoir faire légalement l'objet d'un permis modificatif, impliquer des modifications de caractère limité et ne pas remettre en cause la conception générale ni l'implantation des constructions ;
(…)
5. Considérant, toutefois, que la régularisation du vice relevé par le tribunal conduirait à un déplacement au minimum d'environ quatre mètres du bâtiment B, jusqu'à la limite séparative latérale la plus proche ; qu'ainsi qu'il a été dit ci-dessus, la régularisation prévue par les dispositions précitées de l'article L. 600-5 du code de l'urbanisme doit, pour pouvoir faire légalement l'objet d'un permis modificatif, ne pas remettre en cause l'implantation d'une construction ; qu'ainsi, même si l'illégalité résultant de la méconnaissance de l'article UA 7.4.1 affecte une partie identifiable du projet, cette illégalité ne peut être régularisée par la délivrance d'un permis de construire modificatif ; qu'en conséquence, en se bornant à prononcer une annulation seulement partielle du permis de construire tacite en litige, le tribunal administratif de Lyon a méconnu son office ; que, par suite, les requérants sont fondés à soutenir que le jugement attaqué est irrégulier et doit être annulé » (CAA. Lyon, 5 juin 2014, req. n°13LY01518).
Mais dans le prolongement de son arrêt précité du 1er octobre 2015, le Conseil d’Etat devait donc censurer cette analyse de la Cour administrative d’appel de Marseille en jugeant que :
« 4. Pour l'application des dispositions des articles L. 600-5 ou L. 600-5-1 du code de l'urbanisme, le juge administratif doit, en particulier, apprécier si le vice qu'il a relevé peut être régularisé par un permis modificatif. Un tel permis ne peut être délivré que si, d'une part, les travaux autorisés par le permis initial ne sont pas achevés - sans que la partie intéressée ait à établir devant le juge l'absence d'achèvement de la construction ou que celui-ci soit tenu de procéder à une mesure d'instruction en ce sens - et si, d'autre part, les modifications apportées au projet initial pour remédier au vice d'illégalité ne peuvent être regardées, par leur nature ou leur ampleur, comme remettant en cause sa conception générale. A ce titre, la seule circonstance que ces modifications portent sur des éléments tels que son implantation, ses dimensions ou son apparence ne fait pas, par elle-même, obstacle à ce qu'elles fassent l'objet d'un permis modificatif.
5. Après avoir relevé que le permis en litige méconnaissait l'article UB 7 du règlement du plan d'occupation des sols de Menton, relatif à l'implantation des constructions par rapport aux limites séparatives, la cour a estimé que la régularisation de ce vice conduirait à un déplacement de l'implantation de la construction projetée d'au moins quatre mètres. En déduisant de ce déplacement que le vice ne pouvait être régularisé par la délivrance d'un permis modificatif, sans rechercher s'il était de nature à remettre en cause la conception générale du projet, la cour a commis une erreur de droit ».
Ainsi une modification de l’implantation ne relève pas d’un régime d’appréciation distinct et isolé du reste du projet pris dans sa globalité et, par voie de conséquence, celle-ci n’est pas exclue du champ d’application du permis de construire modificatif et ce, quelle que soit son importance intrinsèque : c’est son impact sur l’économie générale du projet primitif pris dans sa globalité qui doit être appréciée ; ce que n’avait donc pas recherché la Cour.
Ce faisant, et cette fois-ci au sujet d’une modificatif d’une importance intrinsèque non-négligeable, le Conseil d’Etat a donc très clairement appliqué les critères classiques du champ d’application du permis modificatif.
Il faut en effet rappeler que, d’une part, le champ d’application du « modificatif » ne se limite pas aux seules modifications intrinsèquement mineures et que, d’autre part, il n’y a pas par principe des modifications pouvant relever d’un « modificatif » et a contrario celles impliquant nécessairement l’obtention d’un nouveau permis de construire.
En résumé, la procédure du permis modificatif permet ainsi plus généralement d’opérer des modifications non-substantielles et la propension des modifications projetées à relever d’une telle autorisation doit toujours s’apprécier au cas par cas, en l’occurrence au regard de l’importance du projet initial pris dans sa globalité puisqu’à titre d’exemple, le Conseil d’Etat a jugé que :
« Considérant que les modifications apportées au permis initial consistent en la substitution à une résidence pour personnes âgées de logements collectifs, en la suppression d'un étage du bâtiment A et dans le creusement d'un niveau supplémentaire en sous-sol pour le stationnement des véhicules ; que rapportées à l'importance globale du projet, ces modifications ne remettaient pas en cause la conception générale du programme immobilier antérieurement autorisé et pouvaient faire l'objet, dans les circonstances de l'espèce, d'un permis de construire modificatif ; que sont seuls susceptibles d'être invoqués à l'encontre de ce permis les vices propres dont il serait entaché » (CE. 23 juin 1993, Mme X…, req. n°118.776) ;
ou encore que :
« Considérant, d'autre part, que, si elle prévoyait notamment la construction de quinze logements supplémentaires ainsi qu'un accroissement d'environ 8 % de la surface de plancher hors œuvre nette à réaliser, la demande de permis de construire présentée le 7 mars 1989, qui ne portait pas atteinte à l'économie générale du projet, devait être regardée comme une simple demande modificative » (CE. 28 juillet 1993, Sté « Les Nouveaux Constructeurs», req. n°129.263) ;
et :
« Considérant (…) que rapportées à l'importance globale du projet, ces modifications, qui se traduisent par une augmentation du nombre de logements de 101 à 128 et un accroissement de la surface hors œuvre nette de 8 597 m à 8 776 m , ne remettent pas en cause la conception générale du projet ; qu'elles pouvaient ainsi, dans les circonstances de l'espèce, faire l'objet d'un permis de construire modificatif » (CE. 28 juillet 1999, SA d’HLM « Nouveau Logis Centre Limousin, req. n°182.167).
C’est ainsi l’aspect positif de ces récentes jurisprudences du Conseil d’Etat qui rendues au sujet des articles L.600-5 et L.600-5-1 du Code de l’urbanisme valent pour l’ensemble des « modificatifs » puisque celui visé par ces articles apparaissent donc relever du régime de droit commun.
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris Cabinet FRÊCHE & Associés