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Le droit de reconstruire à l’identique ne saurait s'apprécier au regard de la prescription décennale de l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme

« Les dispositions des articles L. 111-12 et L. 111-3 du code de l'urbanisme n'ont ni le même objet, ni le même champ d'application ; que l'article L. 111-12 concerne l'exécution de travaux sur une construction existante irrégulière, alors que l'article L. 111-3 ne porte que sur la reconstruction à l'identique, après destruction ou démolition, d'une construction régulièrement édifiée ; qu'il en résulte que la règle de l'article L. 111-12 qui fait obstacle à ce qu'un refus de permis de construire soit fondé sur l'irrégularité de la construction initiale ne trouve pas à s'appliquer pour une demande de reconstruction à l'identique d'une construction détruite ou démolie, présentée sur le fondement de l'article L. 111-3 »

CAA. Marseille, 21 mai 2015, Mme C…B…, req. n°13NC02042

Dans cette affaire, l’appelant était propriétaire d’un restaurant, lequel avait été détruit en mai 2011 par un incendie mais dont la reconstruction à l’identique avait été quasi-immédiatement autorisée sur le fondement de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme.

Il reste que le permis de reconstruire à l’identique devait faire l’objet d’un déféré préfectoral puis être conséquemment annulé par le Tribunal administratif de Bastia au motif que l’ouvrage dont la reconstruction avait été autorisée – alors qu’il méconnaissait les dispositions de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme relatives à l'urbanisation dans la bande littorale des cent mètres – n’avait pas été régulièrement édifié comme l’exige l’article précité.

En appel, et comme il l’avait déjà fait en première instance, le pétitionnaire fit ainsi valoir que l’ouvrage détruit résultait de la mise en œuvre de deux permis de construire, l’un obtenu en 1982, l’autre en 1995, de sorte qu’achevé depuis plus de dix ans la légalité de l’autorisation obtenue devait également être appréciée au regard de l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme dont l’alinéa 1er dispose que « lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire ou de déclaration de travaux ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme ».

Pour autant, cet argument devait donc être écarté, et partant la requête rejetée, au motif suivant :

« 3. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme " Lorsqu'une construction est achevée depuis plus de dix ans, le refus de permis de construire (...) ne peut être fondé sur l'irrégularité de la construction initiale au regard du droit de l'urbanisme. Les dispositions du premier alinéa ne sont pas applicables : (...) lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire (...) " ; qu'aux termes de l'article L. 111-3 du même code, dans sa rédaction issue de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d'allègement des procédures : " La reconstruction à l'identique d'un bâtiment détruit ou démoli depuis moins de dix ans est autorisée nonobstant toute disposition d'urbanisme contraire, sauf si la carte communale ou le plan local d'urbanisme en dispose autrement, dès lors qu'il a été régulièrement édifié. " ;

4. Considérant que pour demander l'autorisation de reconstruire à l'identique du bâtiment détruit en 2011 par un sinistre, Mme B...se prévaut, d'une part, d'un permis du 14 décembre 1982 autorisant la réalisation d'un bâtiment de 50 m² et, d'autre part, d'un permis du 10 février 1995 autorisant l'édification d'une construction légère en bois de 150 m² de surface hors œuvre nette en lieu et place de la construction alors existante ; que si Mme B...admet que le bâtiment édifié en 1995, d'une surface hors œuvre nette de 250 m², ne correspondait pas à l'autorisation délivrée le 10 février 1995, notamment pour ce qui est de sa surface et des matériaux utilisés, tels que l'aluminium, la pierre et la maçonnerie enduite, elle soutient que l'irrégularité affectant ainsi la construction détruite par le sinistre, était couverte par la prescription de dix ans instituée à l'article L. 111-12 du code de l'urbanisme ;

5. Considérant, cependant, que les dispositions précitées des articles L. 111-12 et L. 111-3 du code de l'urbanisme n'ont ni le même objet, ni le même champ d'application ; que l'article L. 111-12 concerne l'exécution de travaux sur une construction existante irrégulière, alors que l'article L. 111-3 ne porte que sur la reconstruction à l'identique, après destruction ou démolition, d'une construction régulièrement édifiée ; qu'il en résulte que la règle de l'article L. 111-12 qui fait obstacle à ce qu'un refus de permis de construire soit fondé sur l'irrégularité de la construction initiale ne trouve pas à s'appliquer pour une demande de reconstruction à l'identique d'une construction détruite ou démolie, présentée sur le fondement de l'article L. 111-3 ; qu'en l'espèce, le maire de Ghisonaccia n'a pu légalement autoriser la reconstruction à l'identique d'un bâtiment qui, eu égard à l'ampleur des modifications apportées par rapport à la construction autorisée, ne pouvait être regardé comme ayant été régulièrement édifié au sens des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ».

Au cas d’espèce, la solution retenue est difficilement contestable.

Il faut en effet rappeler que le principe posé par l’article L.111-12 précité comporte de nombreuse exception dont celle prévue par son item e) applicable « lorsque la construction a été réalisée sans permis de construire ».

Si de ce fait la prescription décennale introduite par cet article bénéficie ainsi aux ouvrages résultant de travaux accomplis en exécution d’un permis de construire mais non-conformément à cette autorisation, il est encore nécessaire que cette non-conformité soit d’une ampleur limitée (pour exemple : TA. Cergy-Pontoise, Lucas, req. n°11-09406) puisque l’exécution de travaux substantiellement différents de ceux autorisés sont à cet égard assimilés à des travaux réalisés sans permis de construire et donc exclus du bénéfice de cette prescription (pour exemple : CAA. Douai, 23 décembre 2011, Mouton, req. n°10DA01601).

Mais si dans cette affaire deux permis de construire avaient bien été délivrés, il reste que le premier avait autorisé la réalisation d'un bâtiment de 50 mètres carrés alors que le second prévoyait l'édification d'une construction légère en bois de 150 mètres carrés mais ce, en lieu et place de celle précédemment autorisée.

C’est donc au seul regard de ce seul second permis que devrait être appréciée la régularité des travaux accomplis et la propension de l’ouvrage détruit à pouvoir être reconstruit à l’identique.

Or, les travaux exécutés en 1995 et donc sous couvert du second permis de construire avaient aboutit à l’édification d’un ouvrage excédentaire de 100 mètres carrés au regard de la surface prévue par cette autorisation et qui en outre l’aspect extérieur différait compte tenu des matériaux employés.

C’est travaux était donc substantiellement différents de ceux autorisés et, partant, pouvait donc être considérés comme réalisés sans permis de construire ; étant d’ailleurs relevé que dans le considérant n°3 de l’arrêt commenté ce jour la Cour a spécifiquement visé l’item e) de l’article L.111-12 avant de conclure, au considérant n°5, que « le maire de Ghisonaccia n'a pu légalement autoriser la reconstruction à l'identique d'un bâtiment qui, eu égard à l'ampleur des modifications apportées par rapport à la construction autorisée, ne pouvait être regardé comme ayant été régulièrement édifié au sens des dispositions de l'article L. 111-3 du code de l'urbanisme ».

Il reste qu’aux termes de ce même considérant, cette conclusion procède de l’analyse et de la formule de principe suivant lesquelles « les dispositions précitées des articles L. 111-12 et L. 111-3 du code de l'urbanisme n'ont ni le même objet, ni le même champ d'application ; que l'article L. 111-12 concerne l'exécution de travaux sur une construction existante irrégulière, alors que l'article L. 111-3 ne porte que sur la reconstruction à l'identique, après destruction ou démolition, d'une construction régulièrement édifiée ; qu'il en résulte que la règle de l'article L. 111-12 qui fait obstacle à ce qu'un refus de permis de construire soit fondé sur l'irrégularité de la construction initiale ne trouve pas à s'appliquer pour une demande de reconstruction à l'identique d'une construction détruite ou démolie, présentée sur le fondement de l'article L. 111-3 » ; induisant ainsi qu’en toute hypothèse le droit de reconstruire à l’identique est exclu dès lors que l’ouvrage initial n’avait pas été édifié strictement conformément à l’autorisation obtenue, y compris donc si leur non-conformité à celle-ci est mineure et s’ils ont été achevé depuis plus de dix ans.

C’est dans cette mesure que cet arrêt nous parait plus problématique.

Il est vrai que l’application de l’article L.111-3 et le droit de reconstruire à l’identique sont exclus lorsque « les bâtiments construits sans autorisation ou en méconnaissance de celle-ci, ainsi que ceux édifiés sur le fondement d'une autorisation annulée par le juge administratif ou retirée par l'administration, doivent être regardés comme n'ayant pas été régulièrement édifiés » (CE. 5 mars 2003, Lepoutre, req. n°252.422).

Et il en va ainsi quelles qu’aient été la nature et l’importance des travaux litigieux puisqu’il a pu être jugé qu’un bâtiment régulier à l’origine mais ayant ultérieurement fait l’objet, mais sans l’autorisation requise, de simples travaux d’aménagement intérieur mais ayant pour effet de changer sa destination ne pouvait être regardé comme un bâtiment régulièrement édifié au sens de l’article L.111-3 (CAA. Bordeaux, 31 mai 2007, Société Cabane au Sel, req. n°04BX02084).

Cela étant, si au regard de la jurisprudence « Thalamy » dont il procède l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme a effectivement pour principale utilité de permettre la modification, l’aménagement ou l’extension de certaines constructions illégales sans avoir à régulariser ces dernières dès lors qu’elles sont achevées depuis plus de dix ans, il reste que cet article ne réserve pas sa portée à ce cas et, par voie de conséquence, n’exclue pas qu’il puisse bénéficier aux travaux destinés à reconstruire à l’identique un bâtiment détruit ou démolie au sens de l’article L.111-3.

Or, la seule spécificité de l’article L.111-3 tient donc au fait qu’il permet la (ré)édification d’un immeuble alors même que les dispositions d’urbanisme alors en vigueur ne le permettraient pas et ce, « sauf si la carte communale, le plan local d'urbanisme ou le plan de prévention des risques naturels prévisibles en dispose autrement ».

Il s’ensuit que non seulement ce dispositif n’affranchit pas de l’obligation d’obtenir un permis de (re)construire (CE. 20 février 2002, Plan, req. n°235.725) mais qu’en outre, et sur le plan procédural, cette autorisation est un permis de « droit commun » puisqu’à cet égard, le Code de l’urbanisme ne prévoit aucune disposition particulière s’agissant des demandes présentés au titre de ce dispositif.

Partant, un permis de (re)construire au sens de l’article L.111-3 est un permis de construire au sens notamment de l’article L.111-12 du Code de l’urbanisme « emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans » (CE. 13 décembre 2013, Mme H…A…, req. n°349.081).

D’ailleurs, il résulte de la jurisprudence rendu en la matière que les notions de constructions régulièrement édifiées ou, a contrario, irrégulièrement édifiées sont identiques au sens de l’article L.111-3 du Code de l’urbanisme ou sens de l’article jurisprudence « Thalamy » et, donc, au sens de l’article L.111-12 (al.1).

Mais dès lors on voit mal pourquoi ce dernier permettrait la confortation d’un ouvrage illégal car n’étant pas strictement conforme à l’autorisation obtenue et ce, par la réalisation de travaux nouveaux pouvant le cas échéant emporter son extension alors qu’il ne pourrait permettre la « simple » reconstruction à l’identique de cet ouvrage.

En l’état, il nous semble donc que la notion de « bâtiment régulièrement édifié » au sens de l’article L.111-3 du code de l’urbanisme doive bien être le cas échéant appréciée au regard des dispositions de l’article L.111-12 « emportant régularisation des travaux réalisés depuis plus de dix ans ».

 

 

 

Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
 

Commentaires

  • Bonjour Monsieur,
    Je voudrais faire une remarque tout en précisant que je ne suis pas juriste.
    A la lecture de votre démonstration il me paraît y avoir un lien thématique avec la jurisprudence suivante : Travaux sur les constructions irrégulières : premier infléchissement de la jurisprudence « Thalamy »
    Si dans l'hypothèse où un immeuble a été édifié sans autorisation l’administration saisie d'une demande tendant à ce que soient autorisés des travaux portant sur cet immeuble est tenue d'inviter son auteur à présenter une demande portant sur l'ensemble du bâtiment, l’autorité compétente a toutefois la faculté, dans l'hypothèse d'une construction ancienne, à l'égard de laquelle aucune action pénale ou civile n'est plus possible, après avoir apprécié les différents intérêts publics et privés en présence au vu de cette demande, d'autoriser, parmi les travaux demandés, ceux qui sont nécessaires à sa préservation et au respect des normes, alors même que son édification ne pourrait plus être régularisée au regard des règles d'urbanisme applicables.

    CE. 3 mai 2011, Chantal Gisèle A., req. n°320.545.

    est-ce-que cela ne vas pas dans le sens du contenu de vos trois derniers paragraphes?

    Salutations distinguées

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