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  • Sur la notion d’extension limitée de l’urbanisation au sens de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme appliquée aux permis de construire au sein d’un lotissement

    Dans un lotissement, l’appréciation de l’importance de l’urbanisation emportée par l’exécution d’un permis de construire s’opère indépendamment de l’urbanisation pouvant résulter de l’autorisation de lotir initiale ou de celles résultant de permis de construire ultérieurs. En revanche, elle implique de tenir compte de celle induite par les permis de construire antérieurement délivrés dans ce même lotissement.

    CE. 30 décembre 2009, Association pour la protection du littoral Rochelais, req. n°315.966


    Voici un arrêt important – il sera d’ailleurs publié au Recueil – en ce qu’il illustre la spécificité de la « Loi littoral » ; spécificité telle qu’avouons-le d’emblée, nous n’avons pas (encore ?) tout compris à cette décision…

    litto.jpgDans cette affaire, un lotissement de deux « lots à construire » avait été autorisé le 12 septembre 2003. Puis, le 28 mai 2004, un premier permis de construire fut délivré sur le lot n°1 et le 5 novembre 2004 un second portant sur le lot n°2 fut obtenu par une société distincte de celle titulaire du premier. Mais ces deux permis de construire devaient faire l’objet de recours en annulation notamment fondés sur la méconnaissance de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme ; l’association requérante soutenant que, pris globalement, ces deux permis de construire emportaient une extension ne revêtant pas un caractère limité comme l’impose cet article dont on rappellera qu’il dispose que « l'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée doit être justifiée et motivée, dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau ».

    Toutefois, tant le Tribunal administratif de Poitiers que la Cour administrative de Bordeaux rejetèrent ce moyen et ce, après avoir apprécié isolément l’impact de chacun des projets autorisés par les deux permis de construire contestés.

    Mais en cassation, le Conseil d’Etat devait donc censurer partiellement cette modalité d’appréciation en jugeant que :

    « Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction alors en vigueur : L'extension limitée de l'urbanisation des espaces proches du rivage ou des rives des plans d'eau intérieurs désignés à l'article 2 de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 précitée doit être justifiée et motivée, dans le plan local d'urbanisme, selon des critères liés à la configuration des lieux ou à l'accueil d'activités économiques exigeant la proximité immédiate de l'eau (...) ; que, pour apprécier la légalité de l'arrêté du 28 mai 2004 relatif à l'îlot n° 1 du lotissement au regard de ces dispositions, la cour administrative d'appel de Bordeaux a relevé qu'eu égard, d'une part, à la situation du terrain d'assiette de ce projet, proche du rivage mais jouxtant un espace déjà urbanisé, d'autre part, à la destination des constructions envisagées et, enfin, à la densité du projet qui autorise la création de dix-sept habitations d'une surface hors oeuvre nette de 2 593 m² sur un terrain d'assiette de 8 290 m², soit un coefficient d'occupation des sols de 0,3, l'extension de l'urbanisation autorisée par ce permis de construire présentait un caractère limité ; qu'en statuant ainsi, la cour, qui a suffisamment motivé son arrêt, a porté sur les faits de l'espèce une appréciation souveraine exempte de dénaturation et n'a pas commis d'erreur de droit ; qu'en particulier, il appartenait à la cour, comme elle l'a fait, d'apprécier l'extension d'urbanisation résultant de ce seul permis de construire du 28 mai 2004 et non celle pouvant résult er de l'autorisation de lotir du 12 septembre 2003 ou celle résultant globalement du permis de construire dont elle était saisie et de celui du 5 novembre 2004, ce dernier étant postérieur à l'acte attaqué ;
    Sur le bien-fondé de l'arrêt n° 06BX00203 de la cour administrative d'appel de Bordeaux :
    Considérant que, pour apprécier la légalité de l'arrêté du 5 novembre 2004 du maire de La Rochelle autorisant la SARL BSP Promotion à réaliser un groupe d'habitations dans l'îlot n° 2 du lotissement Besselue Sud au regard des dispositions précitées du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme, il appartenait à la cour administrative d'appel de Bordeaux de prendre en compte l'ensemble des circonstances de l'espèce à la date d'édiction de cet arrêté ; qu'en jugeant que l'extension de l'urbanisation autorisée par ce second projet présentait un caractère limité, sans porter d'appréciation globale sur la conformité aux dispositions du II de l'article L. 146-4 de l'ensemble de l'opération immobilière autorisée par le permis de construire délivré le 28 mai 2004 au titre de l'îlot n° 1 du lotissement et par ce second permis, relatif à l'îlot n° 2 du même lotissement, la cour administrative d'appel de Bordeaux a entaché son arrêt d'une erreur de droit ; que, par suite, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens du pourvoi, son arrêt n° 06BX00203 du 10 mars 2008 doit être annulé
    ».


    En substance, la Haute Cour a donc estimé que l’appréciation de l’importance de l’urbanisation emportée par l’exécution d’un permis de construire doit s’opérer indépendamment de l’urbanisation pouvant résulter de l’autorisation de lotir initiale ou de celles résultant de permis de construire ultérieurs mais doit tenir compte, en revanche, de celle induite par les permis de construire antérieurement délivrés dans ce même lotissement.

    Il allait sans dire qu’il n’y avait pas à prendre en compte l’importance de l’urbanisation susceptible de résulter de permis de construire ultérieurs dès lors qu’il s’agit de l’application pure et simple de la règle selon laquelle, hors fraude du pétitionnaire, la légalité d’un permis de construire s’apprécie à sa date de délivrance, indépendamment donc de toute considération liée aux éléments de fait postérieures, et dont il résulte qu’à cette date, l’administration, en vertu du principe d’indépendance des procédures, n’est pas même réputée avoir connaissance des autres demandes d’autorisation en cours d’instruction.

    En revanche, il est plus surprenant qu’il n’y ait donc pas non plus lieu de prendre en compte l’ensemble de l’urbanisation susceptible de résulter de l’autorisation de créer le lotissement sur lequel porte le permis de construire considéré.

    Certes on pourrait y voir une conséquence de l’objet d’une telle autorisation qui n’emporte aucun droit de construire et n’emporte donc en elle-même aucune urbanisation significative. Il reste qu’en l’état de la jurisprudence rendue en la matière, les prescriptions de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme sont néanmoins opposables aux autorisations de lotissement (pour un exemple récent : CAA. Nantes, 25 juin 2008, SCI Les Roquettes, req. n°08NT00710).

    Partant, deux considérations nous semblent susceptibles d’expliquer la solution retenue sur ce point par le Conseil d’Etat.

    D’une part, il faut rappeler qu’une autorisation de lotissement est une autorisation individuelle créatrice de droits. Or, s’il fallait tenir compte au stade de chaque permis de construire de l’urbanisation susceptible de résulter de l’autorisation de lotissement, ceci aboutirait en substance à exciper de l’illégalité d’une telle autorisation ; possibilité strictement encadrée.

    Il reste que ce n’est qu’à partir du moment où le caractère définitif d’une telle autorisation est établi qu’il n’est plus possible d’exciper utilement de l’illégalité de cette dernière. Mais en l’espèce, force est de constater que le Conseil d’Etat n’a nullement recherché si l’autorisation de lotir du 12 septembre 2003 était ou non devenue définitive au moment où le recours en annulation à l’encontre des permis de construire contestés avait été introduit.

    Mais d’autre part, la solution retenue nous semble également pouvoir justifier par le fait que les autorisations de lotissement et les permis de construire relèvent de législations distinctes ; ce qui nous semble pouvoir expliquer que le Conseil d’Etat a « préféré » considérer qu’il fallait en revanche prendre en compte l’urbanisation résultant des permis de construire antérieurement délivrés dans le lotissement.

    En résumé sur ce point, la solution retenue nous semble résulter du souhait d’éviter que l’opposabilité de l’article L.146-4 du Code de l‘urbanisme dans un lotissement se heurte aux « droits acquis » résultant de l’autorisation s’y rapportant et/ou que dans ce cas, il faille considérer l’urbanisation résultant de l’exécution des permis de construire antérieurement délivrés dans ce lotissement comme une donnée de l’urbanisation existante devant donc être prise en compte pour apprécier, mais alors isolément, l’importance de celle résultant du permis considéré.

    Toutefois, s’agissant des permis de construire, le mode d’appréciation retenu peut également surprendre, d’autant que le Conseil d’Etat s’en est tenu à la seule délivrance antérieure d’un permis de construire, sans qu’il soit établi que celui-ci ait reçu un commencement d’exécution ; la circonstance que les deux permis de construire considérés aient été délivrés à des bénéficiaires différents nous paraissant en revanche sans incidence compte tenu du caractère réel et non pas personnel du permis de construire.

    Néanmoins, le mode d’appréciation retenu nous semble justifié, du moins au regard de la spécificité de la jurisprudence du Conseil d’Etat en matière d’application de la « Loi littoral ».

    En premier lieu, il convient donc d’apprécier l’urbanisation résultant des permis de construire de façon globale et non pas donc isolément, permis par permis.

    Ce mode d’appréciation n’est pas d’une totale nouveauté puisque la jurisprudence du Conseil d’Etat offre quelques exemples de permis de construire dont la légalité a été appréciée globalement ; c’est-à-dire en substance comme s’il s’agissait d’une seule et même autorisation (CE. 25 septembre 1995, Mme Giron, req. n° 120.438).

    Il reste que dans ces cas, ces permis de construire étaient indissociables dès lors qu’ils se rapportaient à ce qu’il était alors convenu d’appeler une opération indivisible (il semble qu’il faille dorénavant s’en tenir à la notion « d’ensemble immobilier unique »). Or, en l’espèce, il ne ressort nullement des termes de l’arrêt commenté que les projets objets des permis de construire contestés présentaient un quelconque lien d’interdépendance.

    Précisons toutefois que, hors du cas visé par l’arrêt « Ville de Grenoble » et du cas des prescriptions financières l’assortissant, un permis de construire est divisible lorsqu’en fait, il autorise deux projets totalement distincts dont chacun aurait pu donner lieu à un permis de construire : il s’agit donc d’un même arrêté qui, en fait, recouvre deux permis de construire distincts et autonomes. C’est pourquoi l’annulation partielle de tels permis a toujours été possible, bien avant l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme.

    Il reste que cette règle connait une exception notable puisque pour application de la « Loi littoral », le Conseil d’Etat a jugé que :

    « Considérant que, si les terrains d'assiette des constructions autorisées par l'arrêté du 2 novembre 1988 sont compris dans l'emprise d'un port de plaisance dont la création a été autorisée par un arrêté du préfet, commissaire de la République de la Haute-Corse, en date du 4 décembre 1986 et dont l'aménagement et l'exploitation ont été concédés par la commune de Ville-di-Pietrabugno le 5 janvier 1987 à la société du port de Toga S.A., et si certains d'entre eux doivent faire l'objet de travaux de remblaiement en vue de leur exondement, tous ces terrains constituent des espaces proches du rivage de la mer au sens des dispositions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme à l'application desquelles ne font pas obstacle celles de l'article 27 de la loi susvisée du 3 janvier 1986 ; qu'il ressort des pièces du dossier que l'arrêté attaqué autorise l'édification d'un ensemble immobilier destiné à des activités d'hôtellerie, de commerce et de bureau et comportant une superficie hors oeuvre brute de 18 006 mètres carrés et une superficie hors oeuvre nette de 10 890 mètres carrés ; que si les dispositions de l'arrêté attaqué présentent un caractère divisible en ce qu'elles sont relatives, d'une part, aux bâtiments E, F 1, I et J et, d'autre part, aux bâtiments F 2, G 1, G 2 et H, l'ensemble immobilier constitue, en raison de ses caractéristiques, une même opération dont la conformité avec les prescriptions du II de l'article L. 146-4 du code de l'urbanisme doit être appréciée globalement ; qu'en raison de son importance, l'opération envisagée par la société du port de Toga S.A. ne peut être regardée comme une extension limitée de l'urbanisation au sens de ces prescriptions ; qu'ainsi, en accordant le permis de construire sollicité, le maire de Ville-Di-Pietrabugno a méconnu lesdites prescriptions ; que, dès lors, et sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête du syndicat des copropriétaires de la "Résidence du Cap", celui-ci est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Bastia a rejeté les conclusions de sa demande dirigée contre les dispositions de l'arrêté du 2 novembre 1988 autres que celles qui ont pour objet d'autoriser l'édification des bâtiments F 2, G 1, G 2 et H » (CE. 10 mai 1996, Sté Port de Toga, req. n°140.799).

    Si la divisibilité d’un permis ne s’oppose donc pas à ce que l’opération qu’il autorise soit appréciée dans sa globalité pour application de l’article L.146-4 du Code de l’urbanisme, force est donc d’admettre que la légalité d’un permis de construire sur ce point doit s’apprécier globalement en tenant compte d’autres permis de construire dès lors que :

    • d’une part, ces derniers sont antérieurs à la date délivrance du permis de construire considéré ;
    • d’autre part, il est possible de les rattacher à une même opération, en l’occurrence un lotissement.

    Mais en second lieu, il faut donc souligner que ce mode d’appréciation ne vaut que pour le second permis de construire puisque la légalité du premier doit donc, puisqu’il est antérieur, s’apprécier au regard du seul projet qu’il autorise.

    A cet égard, la finalité de la solution retenue nous semble comparable à celle ayant en la matière conduit le Conseil d’Etat à faire une application pour le mois extensive de la jurisprudence « Thalamy ».

    Comme le sait, en effet, il faut en droit de l’urbanisme dissocier les constructions matériellement existantes de celles juridiquement existantes puisqu’en effet, une construction édifiée sans autorisation d’urbanisme, en vertu d’une autorisation devenue caduque ou d’une autorisation annulée n’a aucune existence légale malgré son existence physique ; sauf à être ultérieurement régularisée par un permis de construire spécifiquement obtenu à cet effet et lui-même légal ou, à tout le moins, définitif.

    Mais compte tenu du caractère réel, et non pas personnel, de la législation sur les autorisations de construire, la circonstance que celui qui envisage la réalisation de travaux portant sur une construction dépourvue d’existence légale n’ait en rien participé à l’édification de celle-ci n’aura strictement aucune incidence (CAA. Lyon, 24 février 1994, M. X…, req. n°92LY01466).

    En revanche, lorsque les travaux projetés portent sur une construction dissociable de celle irrégulièrement autorisée, il n’a en principe pas lieu de régulariser au préalable cette dernière (notre note : « Aménagement accesoire d'une construction illégale: permis de construire, modificatif ou déclaration préalable ? », CE, 9 janvier 2009, Ville de Toulouse, AJDA, n°11/ 2009) .

    Toutefois, pour application de l’article L.146-6 du Code de l’urbanisme, le Conseil d’Etat a jugé que l’existence de constructions édifiées en exécution de permis de construire ultérieurement annulés et n’ayant pas fait l’objet d’une régularisation ne pouvait pas être prise en compte et qu’en d’autres termes, même nombreuses, ces constructions illégales ne faisaient pas perdre à leur lieu d’implantation son caractère d’espace remarquable au sens de cet article (notre note : « Les constructions illégales ne peuvent pas être prises en compte pour apprécier le caractère urbanisé d’un site pour application de l’article L.146-6 du Code de l’urbanisme », CE. 27 septembre 2006, Cne du Lavandou, AJDA, n°39/2006) ; cette solution rejoignant d’ailleurs celle retenue par les Cours administratives d’appel s’agissant des constructions pouvant être prise en compte pour application de l’article L.146-4.I du Code de l’urbanisme et la qualification d’espaces urbanisées au sens de ce dernier (CAA. Nantes, 10 juin 1998, Cne de Lagonna-Daoulas, req. n°97NT01421 ; CAA. Marseille, 10 novembre 2004, Crts Busciazzo, req. n°01MA00314).

    En effet, toute interprétation contraire de l’article L.146-6 du Code de l’urbanisme aurait permis, tout d’abord, d’obtenir illégalement un ou plusieurs permis de construire dans un espace protégé du littoral, ensuite, d’obtenir un ou plusieurs autres permis de construire dans ce même espace et ce, régulièrement cette fois-ci puisqu’en considération de l’existence physique de constructions précédemment réalisées, nonobstant donc l’annulation des permis de construire les ayant autorisés pour, enfin, régulariser les constructions initiales par l’obtention de permis de construire délivrés au regard des constructions réalisées en exécution des permis de construire régulièrement obtenus entre temps…

    Or, il nous semble que la solution retenue par l’arrêt commenté ce jour peut également s’expliquer par la volonté d’éviter le contournement des dispositions en cause par le jeu d’une pluralité de permis de construire délivrés successivement.

    Il reste qu’au terme de cette analyse, nous avons toujours autant de mal à comprendre pourquoi il ne faut pas prendre en compte ce que prévoit en amont l’autorisation de lotissement sur lequel porte les permis de construire…

    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés
     

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