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Sur la prise en compte d’un projet d’élargissement de voie pour l’appréciation des conditions de desserte du terrain à construire

L’élargissement d’un chemin rural inscrit au POS et matérialisé dans le plan masse produit par le pétitionnaire peut être pris en compte au titre de l’article R.111-4 (anc.) du Code de l’urbanisme pour apprécier les possibilités de croisement de véhicules.

CAA. Nancy, 28 janvier 2008, Cne de Beuvilliers, req. n°06NC01550



En l’absence de décision récente plus intéressante (du moins si l’on s’en tient à Légifrance) et pour sortir de JURISURBA du sommeil dans lequel il était, de ce fait, plongé depuis plusieurs semaines, nous revenons sur cet arrêt de la Cour administrative d’appel de Nancy dont le sens et la portée sont en totale contradiction avec l’ensemble de la jurisprudence précédemment rendue en la matière.

Dans cette affaire, un refus de permis de construire avait été opposé au pétitionnaire au seul motif tiré de l’article R.111-4 du Code de l’urbanisme dans la mesure où, en l’état où il se présentait à la date à laquelle l’administration avait statué sur la demande, le chemin devant assurer le terrain à construire présentait une largeur insuffisante au regard de la destination de la construction projetée.

Pour autant, ce motif et, par voie de conséquence, la décision attaquée devaient être censurés par la Cour et ce, au motif suivant.

« Considérant que si le terrain d'assiette du projet, situé en zone UB du plan d'occupation des sols, se trouve à proximité de la route départementale 906, classée à grande circulation, sa desserte s'effectue par le chemin du Chartron dont l'élargissement à huit mètres est prévu au plan d'occupation des sols et se trouve matérialisé dans le plan de masse joint à la demande de permis de construire, permettant ainsi, contrairement aux motifs de la décision du 24 mai 2004, le croisement des véhicules ; qu'il ressort, au surplus, des pièces du dossier que la circulation induite par la fréquentation de la salle de culte présentera un caractère limité, les fidèles se réunissant deux fois par semaine sur une durée n'excédant pas deux heures ; qu'ainsi, en refusant le permis de construire demandé, le maire de la COMMUNE DE BEUVILLERS s'est livré en tout état de cause à une appréciation erronée des règles prescrites par l'article R. 111-4 du code de l'urbanisme relatives aux conditions de desserte des immeubles ; Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la COMMUNE DE BEUVILLERS n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif de Nancy a annulé la décision susmentionnée du 24 mai 2004 ».

En substance, la Cour a donc annulé le refus de permis de construire attaqué au motif principal que l’élargissement du terrain en cause était inscrit au POS et se trouvait matérialisé dans le plan masse produit par le pétitionnaire puisque ce n’est que « au surplus » que la Cour a relevé que la construction projetée n’avait pas vocation à générer qu’un trafic automobile des plus limités.

Or, au regard de la jurisprudence précédemment rendue en la matière, une telle décision apparaît pour le moins surprenante.

Rappelons, en effet, que la légalité d’un permis de construire ou d’un refus d’autorisation s’apprécie à sa date délivrance, c’est-à-dire en considération des éléments de droit et des circonstances de fait présentes à cette date.

Or, cette règle a notamment pour corollaire que la constructibilité d’un terrain au regard des articles 3 et 4 d’un règlement local d’urbanisme s’apprécie en considération des équipements relevant de la demande de permis de construire et/ou des équipements existants : par principe, la constructibilité d’un terrain ne saurait donc être établie en prenant en compte des équipements futurs dont la réalisation ne relève pas de la demande de permis de construire.

Par exception, il est toutefois possible de prendre en compte de tels équipements futurs mais ce, à des conditions strictes et cumulatives, à savoir qu’à la date de délivrance du permis de construire :

  • tout d’abord, la réalisation de l’équipement considéré soit planifiée, c’est-à-dire ait donné lieu à une décision de l’autorité compétente (pour exemple : CE. 7 mai 1986, Kindermann, req. n°59.847) ;
  • ensuite, les modalités et les délais de réalisation de cet équipement soient arrêtés (pour exemple : CE. 28 juillet 2000, Cne de Decines-Charpieu, req. n°199.325) ;
  • enfin, cet équipement ait vocation à être achevé à brève échéance (CAA. Bordeaux, 12 février 2007, M. Jacques Y, req. n°04BX00214 ; TA. Poitiers, 25 octobre 2007, Mme Servouse, req. n°06-01532).


On relèvera, d’ailleurs, que pour ce qui concerne la desserte du terrain par les réseaux publics d’électricité, d’eau et d’assainissement, ces règles, d’origine purement jurisprudentielles en matière de voirie, sont codifiées à l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, lequel dispose que :

« lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. Lorsqu'un projet fait l'objet d'une déclaration préalable, l'autorité compétente doit s'opposer à sa réalisation lorsque les conditions mentionnées au premier alinéa ne sont pas réunies ».

Mais surtout, force est de constater que la décision commentée ce jour est en contradiction avec la propre jurisprudence de la Cour administrative d’appel de Nancy, laquelle avait préalablement jugé que :

« Considérant en premier lieu que, par la décision attaquée en date du 16 septembre 2003, le maire d'Eschau a répondu négativement à la demande de certificat d'urbanisme déposée par la Société SERCA en vue de la création d'un lotissement au motif qu'alors que le terrain était situé en zone I NA 1 du plan d'occupation des sols et que l'urbanisation de cette zone était conditionnée par la réalisation des voies d'accès faisant l'objet d'emplacements réservés au bénéfice de la Communauté urbaine de Strasbourg, ces opérations n'étaient ni réalisées, ni programmées à court terme par celle-ci ; qu'il s'ensuit qu'eu égard aux éléments de fait ci-dessus mentionnés, le maire d'Eschau a pu à bon droit délivrer un certificat d'urbanisme négatif concernant le lotissement projeté (et) prendre en considération les seules intentions de la Communauté urbaine de Strasbourg » (CAA. Nancy, 1er mars 2007, Sté CERCA, req. n°05NC00767).

Il est vrai que dans l’affaire objet de la note de ce jour l’élargissement en cause avait été matérialisé par le pétitionnaire dans le plan masse ; ce qui ne saurait signifié que cet élargissement ait été intégré à la demande et, en d’autres termes, avait vocation à être réalisé par le pétitionnaire en exécution du permis de construire escompté puisque pour ce faire, il aurait en effet fallu que le Conseil municipal adopte une délibération conférant au pétitionnaire un titre l’habilitant à réaliser ces travaux d’élargissement.

On pourrait, toutefois, penser que la solution dégagée par la Cour procède de l’analyse selon laquelle en matérialisant l’élargissement du chemin dans son plan masse, le pétitionnaire avait subordonné l’exécution et la conformité de son projet à l’accomplissement des travaux d’élargissement du chemin de son projet. En effet, dès lors qu’il a pu être jugé qu’un certificat de conformité pouvait être légalement refusé lorsque le pétitionnaire avait réalisé son accès sur une autre voie que ce qu’il avait annoncé dans son dossier de demande (CE. 20 janvier 1988, M. Maric, req. n°64.616), on pourrait penser que dans l’hypothèse où le pétitionnaire aurait réalisé son accès sur un chemin non élargi ne correspondant pas à celui qu’il avait matérialisé dans le plan masse produit à son dossier de demande, cette circonstance permettrait à l’administration de contester la conformité de la construction réalisée.

Il reste qu’il est de jurisprudence constante que la conformité des travaux s’apprécie exclusivement au regard de ceux autorisés par le permis de construire et, donc, indépendamment de toute considération liée aux travaux relevant d’un autre projet.

Il s’ensuit que selon la Cour administrative d’appel de Nancy, le Maire aurait donc délivré le permis de construire sollicité et ce sans que, d’une part, il n’y ait aucune garantie sur l’élargissement du chemin et la conformité de la construction projetée au regard de l’article R.111-4 du Code de l’urbanisme et que, d’autre part et le cas échéant, il puisse être reproché au pétitionnaire d’avoir exécuté son projet alors même que l’élargissement de ce chemin aurait pas été concomitamment réalisé…


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

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