Sur la prise en compte dans les ZAC d’une voie non encore réalisée à la date de délivrance du permis de construire
Une voie peut être prise en compte pour apprécier la légalité d’un permis de construire au regard de l’article 3 du règlement local d’urbanisme dès lors que leur construction était largement avancée et que leur achèvement était prévu à une échéance proche.
TA. Poitiers, 25 octobre 2007.pdf, Mme Servouse, req. n°06-01532 & 07-00878
Voici un jugement fort intéressant, tout d’abord, parce qu’il porte sur un principe ne donnant somme toute lieu qu’à peu de jurisprudence, ensuite, parce qu’il constitue un des rares cas d’application positive de ce principe, enfin et surtout, parce qu’il fait application de ce principe à une opération de construction projetée dans une ZAC.
Dans cette affaire, le pétitionnaire avait acquis de l’aménageur un terrain sur lequel il avait obtenu un permis de construire, lequel devait être contesté notamment sur le fondement de l’article 3 du règlement local d’urbanisme dans la mesure où, à sa date de délivrance, la voie devant desservir le terrain n’avait pas été encore réalisée par l’aménageur da la zone.
On sait, en effet, que la légalité d’un permis de construire s’apprécie à sa date de délivrance en considération du projet présenté par le pétitionnaire, tel qu’il apparaît à l’examen du dossier déposé à cet effet. Par voie de conséquence et par principe, seuls les aménagements dont la réalisation est autorisée par le permis de construire et ceux existants à la date de délivrance de ce dernier peuvent être prise en compte pour apprécier sa légalité (voir, toutefois, ici).
En matière de réseaux d’eau, d’assainissement et d’électricité, ce principe fait toutefois l’objet d’une exception prévue par l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme (anc. art. L.421-5), lequel dispose que :
« lorsque, compte tenu de la destination de la construction ou de l'aménagement projeté, des travaux portant sur les réseaux publics de distribution d'eau, d'assainissement ou de distribution d'électricité sont nécessaires pour assurer la desserte du projet, le permis de construire ou d'aménager ne peut être accordé si l'autorité compétente n'est pas en mesure d'indiquer dans quel délai et par quelle collectivité publique ou par quel concessionnaire de service public ces travaux doivent être exécutés. Lorsqu'un projet fait l'objet d'une déclaration préalable, l'autorité compétente doit s'opposer à sa réalisation lorsque les conditions mentionnées au premier alinéa ne sont pas réunies ».
Quant aux travaux de voirie, si le Code de l’urbanisme ne prévoit en la matière aucune disposition équivalente à celles de l’article L.111-5 du Code de l’urbanisme, il n’en demeure pas moins que le principe dégagé par la jurisprudence administrative est, en toute logique, strictement identique.
Il ressort ainsi de la relativement rare jurisprudence rendu en la matière qu’une voie n’étant pas encore réalisée à la date de délivrance du permis de construire peut néanmoins être prise en compte pour apprécier la légalité de cette autorisation au regard de l’article 3 du règlement local d’urbanisme mais ce, pour autant que trois conditions cumulatives soient réunies.
Tout d’abord, il est nécessaire que la réalisation de la voie en cause soit planifiée, c’est-à-dire ait donné lieu à une décision de l’autorité compétente puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :
« Considérant (…) que si les deux autorisations de lotir en litige étaient assorties d'une obligation de cession gratuite de terrain au profit de la Ville de Marseille en vue de permettre l'élargissement de la voie de desserte au droit de ces lotissements, les travaux d'aménagement de la chaussée n'étaient pas encore prévus aux dates auxquelles ces autorisations ont été délivrées ; qu'ainsi, alors que la voie de desserte des projets supporte déjà le trafic généré par les riverains, dans un quartier résidentiel, auquel viendra s'ajouter celui induit par les deux projets autorisés qui créeront au total 15 logements supplémentaires, le maire de Marseille, en délivrant ces deux autorisations de lotir à l'EURL C2C, a entaché ses décisions d'erreur manifeste d'appréciation » (CAA. Marseille, 4 mai 2006, EURL C2C, req. n°02MA01327).
ce qui ne saurait, toutefois, suffire le Conseil d’Etat ayant eu l’occasion de juger que :
« Considérant d'autre part qu'il ressort des pièces du dossier que si l'accès à la voie publique du terrain sur lequel la requérante entendait construire deux logements pouvait se faire, au moins temporairement, grace à une servitude de passage, il n'est pas contesté que cet accès emprunte sur près de 150 mètres une bande de terrain non viabilisée dont la largeur est limitée à quatre mètres ; que, dès lors, même s'il existe un projet d'aménagement par la commune d'une voie publique permettant, dans des délais non précisés, la desserte de ce terrain, celui-ci ne répondait pas aux conditions exigées par l'article R. 111-4 de l'urbanisme ; que le maire de Chartrette a donc fait une appréciation manifestement erronée des circonstances de l'espèce en accordant ledit permis ; que le commissaire de la République de Seine-et-Marne a dès lors pu légalement annuler ce permis » (CE. 7 mai 1986, Kindermann, req. n°59.847. Voir également sur l’insuffisance de la planification de la voie par le POS : TA. Nice, 5 mars 1998, M. Macherez, req. n°94-03028).
Ensuite, il est exigé que les modalités de réalisation de cette voie soient arrêtées puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le projet, comportant cinquante cinq lots, pour lequel la société Antoine Gimenez et Compagnie a demandé une autorisation de lotir en vue de la réalisation de constructions à usage d'habitation ou d'activité professionnelle, libérale,commerciale ou artisanale est desservi par la rue du Sablon et par l'avenue Godard ; que, dans sa partie qui borde au sud le lotissement envisagé, la rue du Sablon est large de 3,70 m seulement et ne comporte pas de trottoirs mais un simple cheminement piétonnier ; que, dans sa partie qui borde à l'est le lotissement envisagé, l'avenue Godard constitue une impasse de desserte d'un autre lotissement, qui est dépourvue de trottoirs et dont la largeur n'est jamais supérieure à 4 mètres ; que si la société Antoine Gimenez et Compagnie fait état de projets d'élargissement de ces deux voies dans celles de leurs portions qui longent le projet de lotissement, la réalisation de ces projets n'a pas fait l'objet d'une programmation par les collectivités publiques compétentes ; que si la création d'un troisième accès au lotissement, à l'ouest, a été envisagée par la société Antoine Gimenez et Compagnie, dans sa demande d'autorisation de lotir, cette simple hypothèse ne s'est trouvée assortie d'aucune précision quant à son calendrier de réalisation et à ses modalités de mise en oeuvre ; que, dès lors, la desserte du projet de lotissement ne peut être regardée comme assurée dans des conditions correspondant à l'importance de l'ensemble des constructions envisagées » (CE. 28 juillet 2000, Cne de Decines-Charpieu, req. n°199.325) ;
ou :
« Considérant qu'il résulte du dossier que la rue Edgar Degas, qui constitue le seul accès à la parcelle support du projet litigieux, était, à la date de délivrance du permis de construire attaqué, large de seulement 3 mètres ; qu'une telle largeur est très insuffisante, eu égard, d'une part, à l'importance du projet, et notamment au nombre élevé de véhicules pouvant être accueillis dans cet immeuble comportant dix huit logements, et, d'autre part, au fait que la rue Edgar Degas dessert déjà plusieurs pavillons ; que s'il était prescrit au constructeur une cession gratuite de terrains aux fins de porter la largeur de la voie à 8 mètres au droit de sa propriété, cet élargissement n'était pas de nature à supprimer un rétrécissement au débouché dangereux sur la route de Launaguet ; que si un emplacement réservé a été mentionné dans le plan d'occupation des sols approuvé par délibération du 23 décembre 1994, le permis n'a pas été délivré sur le fondement de ces dispositions mais sur celles issues du plan d'occupation des sols approuvé le 16 avril 1992, lequel ne mentionnait aucun emplacement réservé ; que si l'acquisition, au besoin par voie d' expropriation du terrain nécessaire à l'élargissement de rue Edgar Degas à son débouché sur la route de Launaguet a pu être envisagée, aucune date certaine n'était prévue pour sa réalisation ; que si la rue Edgar Degas comporte un autre débouché sur le chemin des Izards, ce débouché n'apparaît pas comme l'accès naturel du projet de construction, dans la mesure où la route de Launaguet est beaucoup plus proche de la construction et constitue un axe de circulation important ; que dès lors en estimant que la desserte du projet était suffisante, au regard des dispositions précitées de l'article R. 111-4 du code de l'urbanisme, le maire de Toulouse s'est livré à une appréciation manifestement erronée » >(CAA. Bordeaux, 4 décembre 2003, Cne de Toulouse, req. n°99BX00686) ;
mais a contrario (dans un arrêt, toutefois, particulièrement « laxiste » dès lors qu’aucun délai n’est imposé à la collectivité pour réaliser la voie ayant justifié une cession de terrain au titre de l’article R.332-15 du Code de l’urbanisme : CE. 11 janvier 1995, Epx Thot, AJPI, 1996, p.127 & Cass. civ., 20 janvier 2002, Epx Bourgibot, pourvoi n°00-10571. Mais dans le même sens, voir également : TA. Nice, 1er juillet 1999, M. Jacques de Keyser, req. n°98-00037) que :
« Considérant qu'il résulte de l'article UG 3 du plan d'occupation des sols de la commune de Saint-Arnoult que pour être constructible un terrain doit avoir accès à une voie publique ou privée en bon état de viabilité et que les voies secondaires de desserte doivent avoir une largeur de plate forme au moins égale à 8 mètres ;
Considérant qu'il résulte des pièces du dossier que si le chemin rural n° 4 qui dessert le lotissement autorisé avait une largeur inférieure à 8 mètres, son élargissement, à la date de l'autorisation contestée, était prévu par la commune et faisait d'ailleurs l'objet de la cession d'une parcelle du terrain à lotir ; que, par suite, M. et Mme LOISON ne sont pas fondés à soutenir que le projet aurait méconnu les dispositions précitées » (CE. 30 mai 1994, M. & Mme Loisson, req. n°116.463).
Enfin, il est également nécessaire que la voie considérée ait vocation à être achevée à brève échéance puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :
« Considérant en premier lieu que, par la décision attaquée en date du 16 septembre 2003, le maire d'Eschau a répondu négativement à la demande de certificat d'urbanisme déposée par la Société SERCA en vue de la création d'un lotissement au motif qu'alors que le terrain était situé en zone I NA 1 du plan d'occupation des sols et que l'urbanisation de cette zone était conditionnée par la réalisation des voies d'accès faisant l'objet d'emplacements réservés au bénéfice de la Communauté urbaine de Strasbourg, ces opérations n'étaient ni réalisées, ni programmées à court terme par celle-ci ; qu'il s'ensuit qu'eu égard aux éléments de fait ci-dessus mentionnés, le maire d'Eschau a pu à bon droit délivrer un certificat d'urbanisme négatif concernant le lotissement projeté (et) prendre en considération les seules intentions de la Communauté urbaine de Strasbourg (CAA. Nancy, 1er mars 2007, Sté CERCA, req. n°05NC00767. Dans le même sens pour application de l’article L.421-5 du Code de l’urbanisme : CE. 20 février 1985, Association Ouest Varoise pour la protection de l’environnement, req. n°38.214).
Il reste qu’il est permis de s’interroger sur l’applicabilité de ce principe ou, à tout le moins, sur la rigueur d’application des conditions permettant d’y déroger dans les ZAC – instrument, tout à la fois, de planification et de réalisation – dont la logique économique et financière veut que l’aménageur finance les travaux d’équipement de la zone par le produit de la vente des terrains y étant sis, lesquels sont vendus en tant que terrains constructibles susceptibles de faire l’objet d’un permis de construire mais ce, avant donc que les travaux nécessaires à l’effectivité de sa constructibilité ne soient réalisés.
Précisément, dans l’affaire objet du jugement commenté, le Tribunal administratif de Poitiers a jugé que :
« Considérant que le maire de Saint-Benoît pouvait légalement prendre en compte en considération l’existence et le caractéristiques futures des voies situées au Sud de l’îlot A de la ZAC pour délivrer le permis attaqué dès lors que leur construction était largement avancée et que le achèvement était prévu à une échéance proche ».
Dans cette affaire et suivant les règles précédemment dégagées par la jurisprudence, les voies futures ont pu être légalement prises en compte non seulement parce que leur réalisation était planifiée dans le cadre d’une ZAC et, par voie de conséquence, que leurs modalités de réalisation étaient arrêtées mais, surtout, parce qu’à la date de délivrance du permis de construire litigieux leur réalisation était déjà avancée de façon significative, si bien que la planification de leur achèvement à brève échéance apparaissait réaliste.
Le fait que le permis de construire porte sur un terrain sis dans une ZAC n’a donc strictement aucune incidence sur l’applicabilité et les modalités d’application du principe et des exceptions pré-exposés.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés