Sur le fractionnement dans le temps du changement de destination et des travaux s’y rapportant
Des travaux qui pris isolément ne relèvent pas de cette procédure sont néanmoins assujettis à permis de construire dés lors qu’ils sont liés à un changement de destination de l’immeuble, y compris si celui-ci a précédé de plusieurs mois les travaux en cause.
CAA. Lyon, 17 juin 2008, SARL « Sur La Montagne », req. n°06LY01472
Bien que le champ d’application de cet arrêt se soit substantiellement réduit depuis le 1er octobre 2007, son intérêt demeure puisque si, par principe, d’une part, les travaux sur construction existante sont dispensés de toute formalité et si, d’autre part, les changements de destination sont soumis à déclaration même lorsqu’ils ne s’accompagnent pas de travaux (voir, toutefois, ici), l’article R.421-14 (b) du Code de l’urbanisme assujettit à permis de construire « les travaux ayant pour effet de modifier les structures porteuses ou la façade du bâtiment, lorsque ces travaux s'accompagnent d'un changement de destination ».
On sait, en effet, que la condition tenant à ce que les travaux soient liés à un changement de destination de l’immeuble ou que le changement de destination de ce dernier s’accompagne de travaux pour que l’opération relève d’un permis de construire avait été considérée comme la porte ouverte à la pratique, frauduleuse, consistant à dissocier dans le temps ledit changement et lesdits travaux.
C’était mal connaître le juge administratif. Et l’arrêt commenté ce jour en est un exemple.
Dans cette affaire, le requérant avait acquis en octobre 2003 un ensemble immobilier comportant un local commercial à usage de librairie qu’il avait, dès le mois de décembre, utilisé en restaurant. Mais en 2004, celui-ci entreprit des travaux d'aménagement intérieur, d'isolation phonique et thermique, dont le Maire devait ordonner l’interruption sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme et, plus précisément, pour défaut de permis de construire ; décision que la Cour administrative d’appel de Lyon devait ainsi valider au motif suivant :
« Considérant que la SARL SUR LA MONTAGNE a acquis le 31 octobre 2003 un ensemble immobilier composé notamment d'un local commercial situé au rez-de-chaussée et du sous-sol placé à son aplomb ; qu'il est constant que le rez-de-chaussée était utilisé depuis les années 1990 à usage de librairie, papeterie et presse ; que si antérieurement à la réalisation des travaux litigieux depuis décembre 2003, soit la saison précédente, le rez-de-chaussée a été utilisé à usage de restaurant il n'est pas contesté que ce changement de destination n'avait pas donné lieu à une demande de permis de construire ; qu'il ressort des pièces du dossier que les travaux entrepris en octobre 2004, qui ont donné lieu à la passation d'un marché et à l'intervention d'une dizaine d'entreprises sur le chantier étaient en cours à la date de la décision attaquée comme le précise d'ailleurs le maire ; que ces travaux d'aménagement intérieur, d'isolation phonique et thermique ont consisté comme l'a indiqué le rapport final de contrôle technique de Socotec intervenue sur le chantier, en l'aménagement d'un restaurant au rez-de-chaussée et au sous-sol ; que de tels travaux destinés à adapter les locaux de la SARL SUR LA MONTAGNE à leur nouvelle destination nécessitaient l'obtention d'un permis de construire en application des dispositions de l'article L. 421-1 alinéa 2 précité du code de l'urbanisme ; que dès lors et à supposer même que la partie de ces travaux relative à la modification du tuyau d'évacuation extérieur n'était pas encore réalisée à la date de la décision attaquée et que l'aspect extérieur du bâtiment n'était ainsi pas modifié, le maire de Val d'Isère, agissant au nom de l'Etat, était tenu d'ordonner l'interruption des travaux litigieux » ;
et, donc, nonobstant le fractionnement dans le temps du changement de destination du local considéré et des travaux s’y rapportant.
En première analyse, une telle décision peut surprendre dans la mesure où, comme on le sait (voir ici), le Conseil d’Etat a récemment jugé que :
« Considérant que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Montpellier a relevé que le bâtiment en cause, initialement à usage agricole, avait ensuite été transformé à usage d'habitation ; qu'il a ensuite jugé que, dès lors que le propriétaire n'établissait pas que cette transformation avait fait l'objet d'un permis de construire l'autorisant, les travaux envisagés ne relevaient pas du régime de la déclaration de travaux et qu'il y avait lieu de régulariser le changement de destination de l'immeuble par le dépôt d'une demande de permis de construire ; qu'en recherchant les conditions dans lesquelles la destination du bâtiment avait évolué depuis sa construction et en annulant la décision attaquée au motif que le changement de cette destination n'avait pas régulièrement, dans le passé, fait l'objet d'une autorisation d’urbanisme, les juges du fond ont commis une erreur de droit ; que, dans ces conditions, les époux Fernandez et la commune de Carcassonne sont fondés à demander l'annulation du jugement attaqué ;
Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le bâtiment faisant l'objet de la déclaration de travaux en cause était déjà à usage d'habitation à la date de cette déclaration ; qu'il est constant que les travaux qui ont été déclarés, n'ont pas pour effet de changer la destination de ce bâtiment ; que si Mme soutient que ce bâtiment était initialement à usage de remise agricole et qu'ensuite, il y a plusieurs années, il a été transformé en bâtiment à usage d'habitation sans qu'une autorisation d’urbanisme ne soit intervenue, cette circonstance est sans incidence sur la légalité de la décision attaquée ; que ces travaux relèvent donc du régime de la déclaration dès lors qu'il n'est pas contesté qu'ils remplissent les conditions prévues à l'article R. 422-2 du code de l’urbanisme; qu'ainsi, Mme n'est pas fondée à demander l'annulation de la décision par laquelle le maire de Carcassonne ne s'est pas opposé à la réalisation des travaux déclarés par M. » (CE. 12 janvier 2007, Epx Fernandez., req. n°274.362).
Mais outre qu’en l’espèce les travaux d’aménagement en cause étaient, pris isolément, dispensés de toute formalité alors que dans l’arrêté précité ceux projetés relevaient du régime déclaratif et donc d’une procédure de contrôle préalable, les faits de ces deux cas nous paraissent substantiellement différents.
En effet, dans l’affaire objet de l’arrêt du Conseil d’Etat précité, le changement de destination au demeurant opéré plusieurs années auparavant s’était déjà à l’époque accompagné de travaux s’y rapportant : les nouveaux projetés n’avaient donc pas en eux-mêmes pour effet d’emporter le changement de destination.
En revanche, dans l’affaire en cause, le changement de destination avait initialement procédé d’un simple changement usage – que ne connaissait pas alors le droit des autorisations d’occupation du sol – suivi quelque temps après de travaux à l’égard desquels la Cour a souligné qu’il avaient « consisté comme l'a indiqué le rapport final de contrôle technique de Socotec intervenue sur le chantier, en l'aménagement d'un restaurant au rez-de-chaussée et au sous-sol » et qu’ils étaient donc « destinés à adapter les locaux de la SARL SUR LA MONTAGNE à leur nouvelle destination » ; ce qui n’était donc pas le cas dans l’affaire objet de l’arrêt du Conseil d’Etat.
De ce fait, nonobstant le sens de l’arrêt « Epoux Fernandez » précité, la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon apparaît difficilement contestable dans la mesure où :
- d’une part, la destination d’un immeuble est indissociable des travaux s’y rapportant, même s’ils ne consistent qu’en des travaux d’aménagement d’intérieur (notre note : « « Sur l'objet du permis de construire et les conséquences de son annulation sur la poursuite des travaux », CA. Bordeaux, 21 févr. 2008, n° 07/004980, Sté Hatexim, Construction & Urbanisme n° 6/2008 ») puisqu’à titre d’exemple, il a pu être jugé :
« considérant que la société Groupagro soutient que la commune ne pouvait régulièrement refuser de lui délivrer le permis demandé pour des travaux qui en auraient été exemptés ; qu'il ressort des pièces du dossier, et notamment de la demande de permis souscrite par la société, que les travaux projetés, et qui portaient sur la remise en état d'anciens poulaillers en vue d'y pratiquer l'élevage de porcelets, comportaient la transformation d'une maison d'habitation en local sanitaire à usage vétérinaire, et de l'ancien local d'abattage en bureaux ; que de tels travaux, entrepris en vue d'une modification de la destination des immeubles sur lesquels ils sont réalisés, nécessitent bien un permis de construire ; que par suite, le permis étant sur ce point indivisible, tous les autres travaux projetés relèvent du même régime ; qu'en tout état de cause, l'erreur qu'aurait pu commettre le maire dans la qualification de l'acte par lequel il a rejeté la demande de la société est sans influence sur sa légalité ; que dès lors les moyens tirés de la superficie de la surface hors ouvre réalisée, de l'accolement ou non des constructions nouvelles aux constructions existantes, ainsi que de la faible importance de ces travaux, sont inopérants et doivent par suite être écartés" (CAA. Bordeaux, Cne de Saint-Philippe, req. n°98BX01492) ;
- d’autre part, le fractionnement dans le temps d’une même opération est sans incidence sur la nature de l’autorisation à obtenir (notre note : « « Des constructions constituant un ensemble indivisible doivent faire l’objet d’un permis de construire unique », CE. 10 octobre 2007, Association de défense de l'environnement d'une usine située aux Maisons à Saint-Jory-Lasbloux, req. n°277.314, Construction & Urbanisme, n°11/2007 »).
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés