Une fois passé le délai fixé par l'article R.600-2 du Code de l'urbanisme, la fraude du pétitionnaire doit-elle systématiquement être sanctionnée par le retrait du permis de construire ?
Si passé le délai de recours fixé par l'article R.600-2 du Code de l'urbanisme, le tiers disposant d'un intérêt à agir reste recevable à solliciter l'annulation non pas du permis de construire lui-même mais de la décision par laquelle l'administration compétente à refuser d'abroger ou de retirer un permis de construire obtenu par fraude, il incombe au juge administratif non seulement de vérifier la réalité de la fraude alléguée mais également de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.
CE. 5 janvier 2018, SCI Cora, req. n°407.149 :
"3. Aux termes du premier alinéa de l'article R. 421-1 du code de justice administrative, dans sa rédaction applicable au litige : " (...) la juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée ". Aux termes de l'article R. 600-2 du code de l'urbanisme : " Le délai de recours contentieux à l'encontre d'une décision de non-opposition à une déclaration préalable ou d'un permis de construire, d'aménager ou de démolir court à l'égard des tiers à compter du premier jour d'une période continue de deux mois d'affichage sur le terrain des pièces mentionnées à l'article R. 424-15 ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 424-5 du même code, dans sa rédaction applicable au litige : " Le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire ".
4. Si, ainsi que le prévoit désormais l'article L. 241-2 du code des relations entre le public et l'administration, la circonstance qu'un acte administratif a été obtenu par fraude permet à l'autorité administrative compétente de l'abroger ou de le retirer à tout moment, elle ne saurait, en revanche, proroger le délai du recours contentieux. Le tribunal administratif a relevé, au terme d'une appréciation souveraine qui n'est pas arguée de dénaturation, que le permis de construire délivré à la société Placi le 24 février 2014 avait été affiché, conformément aux dispositions de l'article R. 424-15 du code de l'urbanisme, du 11 avril au 11 juin 2014. Il n'a pas commis d'erreur de droit en en déduisant que le recours administratif de la SCI Cora, reçu par le maire de Paris le 3 août 2015, n'avait pu préserver le délai du recours contentieux contre ce permis et que, dès lors, cette SCI n'était plus recevable à en demander l'annulation pour excès de pouvoir par une requête enregistrée au greffe du tribunal le 27 octobre 2015.
5. En revanche, un tiers justifiant d'un intérêt à agir est recevable à demander, dans le délai du recours contentieux, l'annulation de la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé de faire usage de son pouvoir d'abroger ou de retirer un acte administratif obtenu par fraude, quelle que soit la date à laquelle il l'a saisie d'une demande à cette fin. Dans un tel cas, il incombe au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, d'une part, de vérifier la réalité de la fraude alléguée et, d'autre part, de contrôler que l'appréciation de l'administration sur l'opportunité de procéder ou non à l'abrogation ou au retrait n'est pas entachée d'erreur manifeste, compte tenu notamment de la gravité de la fraude et des atteintes aux divers intérêts publics ou privés en présence susceptibles de résulter soit du maintien de l'acte litigieux soit de son abrogation ou de son retrait.
6. Par suite, la SCI CORA est fondée à soutenir que le tribunal administratif a commis une erreur de droit en jugeant qu'à supposer que son recours gracieux du 3 août 2015 doive être regardé comme tendant à ce que le maire de Paris fasse usage de son pouvoir de retrait d'un permis de construire obtenu par fraude au-delà du délai de trois mois prévu par les dispositions de l'article L. 424-5 du code de l'urbanisme, ses conclusions dirigées contre la décision implicite de rejet opposée à cette demande n'étaient pas recevables."
Patrick E. DURAND
Commentaires
"la décision par laquelle l'administration compétente à refuser d'abroger ou de retirer un permis de construire obtenu par(...)" : ne serait-il pas plus correct d'écrire "a refusé d'abroger" ?