Comment s'apprécie l'intérêt à agir à l'encontre d'une autorisation de travaux "ERP" lorsque le projet est également soumis à déclaration préalable
Même lorsque le projet est par ailleurs soumis à déclaration préalable au titre du Code de l'urbanisme, l'intérêt à agir du requérant à l'encontre de l'autorisation de travaux "ERP" requise au titre de l'article L.111-8 du Code de la construction et de l'habitation s'apprécie isolément et distinctement, au seul regard de l'objet et des effets propres de cette autorisation.
TA. Clermont-Ferrand, 13 juin 2017, req. n°15-00030 :
Dans cette affaire, la société défenderesse avait obtenu, au titre du Code de l’urbanisme, une décision de non-opposition préalable pour changement de façade d’un commerce mais également, au titre du Code de la construction et de l’habitation, une autorisation de travaux au titre de la police des « ERP ».
La société requérante, propriétaire dans l’enceinte de l’ensemble commercial au sein duquel se trouvait se commerce, devait attaqué l’une et l’autre de ces deux décisions.
Ces requêtes furent toutefois rejetées par deux jugements distincts, rendus chacun indépendamment de toute considération liée à l’autre.
Si le recours à l’encontre de la déclaration fut rejetée sur le fond, sans qu’il soit besoin de statuer sur sa recevabilité, celui exercée à l’encontre de l’autorisation « ERP » fût en revanche rejeté comme irrecevable pour défaut d’intérêt à agir au motif suivant :
« Considérant que les dispositions précitées du code de la construction et de l'habitation ont pour objet de garantir les règles de sécurité et d'accessibilité aux personnes handicapées dans les établissements recevant du public ; que cette police spéciale participe d'une législation indépendante de celle régissant les règles d'urbanisme ; qu'en se bornant à se prévaloir de sa qualité de propriétaire de parcelles à usage de parking, qui jouxtent directement le terrain d'assiette du bâtiment litigieux, sans faire état de nuisances ou de risques de nature à affecter l'utilisation de ces biens, la société AMIDIS et Cie ne justifie pas d'un intérêt au respect de la réglementation des établissements recevant du public suffisant pour lui donner qualité pour agir contre une décision autorisant au titre de l'article L. 111-8 le réaménagement projeté par la société BRI DL ; que par suite, sa requête est irrecevable et ne peut qu'être rejetée, sans qu'il soit besoin de statuer sur l'autre fin de non-recevoir opposée en défense »
Il est vrai qu’un même projet soumis distinctement à déclaration préalable et à autorisation « ERP » ne relève donc pas sur le plan procédure du cas visé par l’article L.425-3 du Code de l’urbanisme qui dispose que : « Lorsque le projet porte sur un établissement recevant du public, le permis de construire tient lieu de l'autorisation prévue par l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation ».
Et par ailleurs on retrouve dans le jugement précité (lequel s’est toutefois écarté de l’analyse du Rapport public ayant conclu l’irrecevabilité de la requête au seul regard de l’ampleur limitée des travaux projetés n’intéressant « que » l’aménagement intérieur des locaux), les critères d’appréciation mis en œuvre par la Cour administrative d’appel de Nantes dans l’arrêt par lequel elle a jugé que :
« 3. Considérant que, pour rejeter la demande des requérants comme entachée d'une irrecevabilité manifeste tenant au défaut de qualité des intéressés pour saisir le juge pour excès de pouvoir en raison de l'absence d'un intérêt à l'annulation de l'arrêté attaqué, le premier juge a estimé que la crainte d'éventuels troubles de voisinage n'était pas de nature à conférer un tel intérêt ; que, toutefois, il ressort des pièces du dossier que la propriété des requérants est située dans le voisinage immédiat de l'établissement de la société Olz Nutrition ; que par ailleurs, les travaux autorisés, qui ont pour résultat la transformation d'un espace commercial dédié à la vente de cuisines en espace de restauration susceptible de générer diverses nuisances olfactives et sonores, peuvent être de nature à affecter la tranquillité et la qualité de vie du voisinage et peuvent donc conférer aux voisins de cet espace de restauration, tels que M. et MmeC..., un intérêt au respect de la réglementation des établissements recevant du public suffisant pour leur donner qualité pour agir contre une décision autorisant le réaménagement en cause ; que M. et Mme C...sont, par suite, fondés à soutenir qu'en rejetant leur demande au motif d'une irrecevabilité qui n'était pas manifeste, le premier juge a entaché son ordonnance d'une irrégularité de nature à entraîner son annulation » (CAA. Nantes, 24 juin 2016, req. n°16NT00777).
En effet, et Comme l’a relevé Monsieur Durup de Baleine, Premier Conseiller à la Cour administrative d’appel de Nantes dans son commentaire (AJDA, 2016, p.1497) de l’arrêt précité rendu au sujet d’un projet n’étant soumis à aucune autorisation au titre du Code de l’urbanisme :
« Certes, une autorisation délivrée au titre de l'article L. 111-8 du code de la construction et de l'habitation n'est pas une autorisation d'urbanisme. Il n'en reste pas moins que, lorsque le permis de construire concerne un établissement recevant du public, ce permis « tient lieu » de l'autorisation prévue par l'article précité. Cela signifie que le permis de construire n'est, alors, rien d'autre que le vecteur formel de deux autorisations, l'une au titre de la police de l'urbanisme, l'autre au titre de la police des ERP. Or, du moment que l'on admet que le voisin immédiat a, en principe, un intérêt à agir contre ce permis de construire, cela revient bien, aussi, à admettre qu'il a un intérêt à contester cette autorisation distincte au titre de la police des établissements recevant du public. Il ne peut en aller autrement puisque, dans cette hypothèse, le permis de construire n'est rien d'autre que « deux autorisations en une ». Sans doute ne se pose-t-on alors jamais la question de l'intérêt à agir contre cette autre autorisation, car cette question est sans objet : du moment que le tiers a intérêt à agir à l'encontre du permis de construire, il est recevable, à l'appui de cette action, à soulever un moyen tiré de l'illégalité de l'accord recueilli au titre de la police des ERP. La question de son intérêt à agir contre cet accord se trouve, en quelque sorte, masquée par la question de son intérêt à soulever l'illégalité de cet accord à l'appui de son action contre le permis de construire, question qui trouve immédiatement sa réponse dans la solution selon laquelle, sauf texte contraire, celui qui a intérêt à saisir le juge de l'excès de pouvoir est recevable à soulever tout moyen à l'appui de ses conclusions.(…). Ainsi, l'on ne voit pas pourquoi, parce que les travaux conduisant à la création, l'aménagement ou la modification d'un ERP ne requièrent aucun permis de construire, l'intérêt du voisin à contester l'autorisation délivrée au titre de la police spéciale de ces établissements devrait être nié, alors que cet intérêt est, nécessairement, admis lorsque ces travaux nécessitent un permis de construire. Une telle négation, s'expliquant seulement par le constat de forme que, dans un cas, l'autorisation prévue par le code de la construction et de l'habitation se confond avec l'autorisation d'urbanisme, serait, à notre avis, artificielle ».
Mais il n’en demeure donc pas moins que dans le cas où le projet est également soumis à déclaration préalable au titre du Code de l’urbanisme :
- non seulement le mode d’appréciation de l’intérêt à agir n’est pas celui qu’impliquerait l’article L.600-1-2 (qui n’est applicable à aucune des deux autorisation) dans le cas d’un permis de construire délivré dans les conditions de l’article L.425-3 et que, plus spécifiquement, l’intérêt à agir à l’encontre de l’autorisation « ERP » ;
- mais qu’en outre, cet intérêt à agir s’apprécie donc isolément et distinctement au regard de l’objet et des effets propres de chacune de ces deux autorisations alors que dans le cas d’un tel permis cet intérêt à agir :
- est acquis dès lors que le requérant présente une telle qualité à l’égard de l’une des deux autorisations « portées » par ce permis ;
- et surtout à d’ailleurs vocation à être apprécié au regard du projet pris dans sa globalité et au regard des impacts cumulées se son « volet urbanisme » et ce son « volet « ERP ».
Mais surtout, lorsque le projet n’a donné lieu à aucune autorisation d’urbanisme, ce traitement particulier de l’autorisation « ERP » qui reste une autorisation de travaux susceptible le cas échéant de devoir être intégrée à un permis de construire, illustre la problématique de la totale déconnexion entre l’intérêt à agir et les moyens d’annulation.
En effet, le juge se penchera sur ces moyens que pour autant que la requête passe le cap de la recevabilité.
Partant, si le requérant n’a pas intérêt à agir au regard des critères dégagés par les décisions juridictionnelles précitées, le juge n’examinera donc pas le moyens qui pourrait être pourtant fondé, et selon lequel le projet aurait dû en fait relever d’un permis (tenant lieu d’autorisation « ERP ») à l’encontre duquel le requérant aurait en revanche pu avoir intérêt à agir au regard de l’article L.600-1-2…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au Barreau de Paris
Cabinet Frêche & Associés