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Qualité du pétitionnaire : comment apprécier et caractériser la fraude à l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme ?

La fraude est caractérisée par la démarche tendant à tromper l’autorité administrative compétente sur sa qualité au regard de l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme, notamment lorsque le pétitionnaire savait qu'il n'avait plus et ne pourrait plus obtenir un titre lui conférant la qualité dont il a pourtant attesté dans sa demande.Elle peut être établie notamment au regard d’éléments d’information ne ressortant pas du dossier de demande mais obtenus postérieurement à la délivrance de cette autorisation.

CE. 9 octobre 2017, Sté Les Citadines, req. n°358.853:

Contrairement à ce qu’il en était avant la réforme entrée en vigueur le 1er octobre 2007, le pétitionnaire n’a plus à produire à son dossier de demande son « titre habilitant à construire » mais se doit seulement d’attester, par la seule signature du formulaire « CERFA », qu’il remplit les conditions « définies à l'article R.423-1 pour déposer une demande de permis ».

Or, s’il est vrai que l’économie générale de l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme est peu ou prou équivalente à l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme applicable jusqu’au 30 septembre 2007, il reste que :

  • cet article relevait d’une section du code relative à la « présentation de la demande» et intégrant par ailleurs l’ensemble des pièces à produire aux fins de permettre aux services instructeurs d’apprécier la régularité de la demande et la conformité du projet ;
  • alors que l’article R.423-1 précité a en fait trait au lieu de présentation de la demande (en mairie) et relève d’ailleurs d’une section relative au « dépôt des demandes et des déclarations» et n’intégrant par ailleurs que des dispositions relatives au numéro d’enregistrement des demandes ou encore à la délivrance des récépissés en attestant.

Cette attestation, comme c’était déjà le cas pour d’autres pourtant également exigées, n’apparaissait donc plus se rapporter à une question ayant vocation à être sanctionnée par le permis de construire ; ce qui en soi était parfaitement cohérent puisque l’ancien article R.421-1-1 constituait la seule exception au principe selon lequel le permis de construire est délivré sous réserve du droit des tiers.

Précisément, et bien que cette solution ait mis plusieurs années à se dégager, il est dorénavant de jurisprudence bien établie que non seulement le pétitionnaire n’a plus à produire son titre, sur lequel l’administration n’a donc aucun contrôle à opérer, mais qu’en outre, cette question est dorénavant étrangère à la légalité du permis de construire, ce dont il résulte que le juge lui-même n’a par principe plus à contrôler l’existence, la régularité et/ou la validité de ce titre (CE. 15 février 2012, Yvette B…, req. n°333631).

Mais comme en toute autre matière, ce principe connait cependant une limite : l’attestation fournie par le pétitionnaire au titre de l’article R.431-5 du Code de l’urbanisme ne doit pas être frauduleuse.

Restait à savoir comment apprécier cette fraude et la caractériser. C’est ce à quoi a donc répondu le Conseil d’Etat en jugeant que :

« Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les demandes de permis de construire doivent seulement comporter l'attestation du pétitionnaire qu'il remplit les conditions définies à l'article R. 423-1 cité ci-dessus ; que les autorisations d'utilisation du sol, qui ont pour seul objet de s'assurer de la conformité des travaux qu'elles autorisent avec la législation et la réglementation d'urbanisme, étant accordées sous réserve du droit des tiers, il n'appartient pas à l'autorité compétente de vérifier, dans le cadre de l'instruction d'une demande de permis, la validité de l'attestation établie par le demandeur ; qu'ainsi, sous réserve de la fraude, le pétitionnaire qui fournit l'attestation prévue à l'article R. 423-1 du code doit être regardé comme ayant qualité pour présenter sa demande ; que, lorsque l'autorité saisie d'une demande de permis de construire vient à disposer, au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une mesure d'instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux, il lui revient de refuser la demande de permis pour ce motif ; qu'enfin, si postérieurement à la délivrance du permis de construire, l'administration a connaissance de nouveaux éléments établissant l'existence d'une fraude à la date de sa décision, elle peut légalement procéder à son retrait sans condition de délai ; que la fraude est caractérisée lorsqu'il ressort des pièces du dossier que le pétitionnaire a eu l'intention de tromper l'administration sur sa qualité pour présenter la demande d'autorisation d'urbanisme ;

Considérant que la cour a relevé que le document, dont se prévalait la société Les Citadines, par lequel le propriétaire du terrain d'assiette s'était engagé à signer dans un certain délai une promesse de vente, était caduc à la date de demande de permis de construire en raison de l'expiration de ce délai ; qu'elle a également relevé que la société savait, à la date du dépôt de la demande de permis de construire, qu'une promesse de vente en vue de construire avait été signée par le propriétaire avec une autre société ; qu'elle en a déduit que, dans ces circonstances, nonobstant l'introduction ultérieure d'une action en nullité de cette promesse de vente devant le juge judiciaire, en attestant avoir qualité pour demander l'autorisation de construire, la société avait eu l'intention de tromper l'autorité administrative sur sa qualité et avait ainsi obtenu le permis par fraude;

Considérant qu'en jugeant que le maire pouvait légalement retirer le permis de construire en se fondant sur des éléments ne figurant pas dans le dossier du pétitionnaire et dont il a eu connaissance postérieurement à sa délivrance établissant l'existence d'une fraude du pétitionnaire à la date du permis, notamment l'existence d'une promesse de vente conclue par le propriétaire avec une autre société, la cour n'a pas entaché son arrêt d'erreur de droit ».

S’agissant des éléments susceptibles d’être pris en compte, il peut donc s’agir de tout élément d’information dont peut être amenée à disposer l’autorité administrative compétente, y compris donc d’éléments ne ressortant des pièces du dossier de demande et obtenus après la délivrance de l’autorisation.

Cela étant, outre que le pétitionnaire n’a donc plus à justifier de sa qualité au sein de son dossier de demande, ni même d’ailleurs à la préciser au regard de celles prévues par l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme, la fraude se définit en effet comme la démarche volontaire du pétitionnaire destinée à tromper les services instructeurs qui, pour leur part, sont en principe réputés statuer au vu des pièces du dossier dont ils sont saisis.

C’est précisément la raison pour laquelle il est de jurisprudence constante que la fraude du pétitionnaire ne peut être retenue dès lors qu’à travers les pièces du dossier de demande de permis de construire les services instructeurs sont en mesure d’apprécier aisément la conformité de la demande et du projet aux normes d’urbanisme leur étant opposables.

Par nature, et a fortiori en la matière, la fraude a donc vocation à être appréciée au regard d’informations dont les services instructeurs n’ont pas connaissance au seul examen des pièces du dossier soumis par le pétitionnaire.

Et le cas échéant, il peut donc s’agir d’informations obtenues postérieurement à la délivrance de l’autorisation litigieuse.

Bien qu’elle aille quelque peu de soi, cette précision est néanmoins utile au regard d’arrêt par lequel le Conseil d’Etat avait jugé que : « lorsque l'autorité saisie d'une telle déclaration ou d'une demande de permis de construire vient à disposer au moment où elle statue, sans avoir à procéder à une instruction lui permettant de les recueillir, d'informations de nature à établir son caractère frauduleux ou faisant apparaître, sans que cela puisse donner lieu à une contestation sérieuse, que le pétitionnaire ne dispose, contrairement à ce qu'implique l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, d'aucun droit à la déposer, il lui revient de s'opposer à la déclaration ou de refuser la demande de permis pour ce motif » (CE. 23 mars 2015, req. n°348.241).

Il faut dire que la notion de fraude a pour principale utilité et conséquence de s’opposer à ce que l’autorisation obtenue dans ces conditions confère un droit acquis à son titulaire, et permet ainsi son retrait sans aucune condition de délai.

La fraude pouvant donc être sanctionnée sans condition de délai, elle peut donc être établie au regard de tout élément présent à la date de délivrance de l’autorisation, y compris si ces informations ont été obtenus après cette date, voire après l’échéance du délai de retrait de trois mois prévu par l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme.

Quant à la consistance même de la fraude, il ressortait de la jurisprudence rendue en la matière que :  

  • d’une part, le seul fait de ne pas être « titré » à la date de présentation de la demande ne saurait constituer une fraude puisque, même sous l’empire de l’ancien article R.421-1-1, il était de jurisprudence constante que l’appréciation du « titre » ne faisait pas exception à la règle selon laquelle, la légalité d’un permis de construire s’apprécie à sa date de délivrance et non pas donc à la date du dépôt de la demande. ;
  • d’autre part, il n’apparait même plus nécessaire d’être « titré » à la date de dépôt de la demande et/ou de délivrance du permis de construire puisque que dans l’arrêt susvisé, le Conseil d’Etat a précisé : « qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que M. A..., en attestant remplir les conditions définies à l'article R. 423-1 du code de l'urbanisme, ait procédé à une manœuvre de nature à induire l'administration en erreur et que la décision de non-opposition ait ainsi été obtenue par fraude ; que cette décision ayant été prise sous réserve des droits des tiers, elle ne dispense pas M. A...d'obtenir une autorisation en application de la loi du 10 juillet 1965 si cette autorisation est requise pour effectuer les travaux mentionnés dans sa déclaration ». 

Au demeurant, et sans ses conclusions sur cet arrêt, le Rapporteur public avait limité les possibilités de fraude au cas où le pétitionnaire sollicite et obtient un permis de construire en fournissant l’attestation prévue par l’article R.431-5 du Code de l’urbanisme alors que le propriétaire de l’immeuble lui avait déjà « expressément refusé la réalisation des travaux » (Conclusion du Rapporteur Public F. Aladjidil sur : CE. 15 février 2012, Yvette B…, req. n°333631 ; BJDU n°4/2012, p.299).

Mais d’une façon générale, la fraude peut donc s’étendre à l’ensemble des cas où le pétitionnaire ne peut pas raisonnablement espérer obtenir ou réobtenir un tel « titre », notamment lorsque comme en l’espèce son précédent « titre » était déjà caduc alors que, surtout, qu’il savait que le propriétaire a conséquemment conféré un tel « titre » à un autre tiers.

Mais pour conclure, force est également de souligner qu’était uniquement en cause dans cette affaire la réalité et la « sincérité » de l’attestation produite par le pétitionnaire à l’égard de l’assiette du projet objet de la demande de permis de construire.

Cette démarche ne visait donc pas à titre d’exemple à inclure irrégulièrement et artificiellement dans l’assiette de la demande une parcelle voisine du terrain aux fins notamment d’accroitre la constructibilité de ce dernier, et n’avait donc aucune incidence sur le périmètre et la contenance réelle de l’assiette foncière à retenir pour l’application des normes d’urbanisme opposables au projet, ni sur les modalités d’application de celles-ci.

La fraude en la matière revêt donc une double singularité : il s’agit d’une fraude aux droits de tiers et qui peut être sanctionnée alors même qu’elle n’a aucune incidence sur l’appréciation de la conformité du projet au regard de son assiette et des normes d’urbanisme lui étant en conséquences opposables.

Patrick E. DURAND 

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