L’article L.600-7 du Code de l’urbanisme ne prive pas nécessairement le juge civil de sa compétence en matière de recours abusif
« Attendu qu'il résulte de la lecture de l'article L600-7 du code de l'urbanisme, de l'ordonnance du 18 juillet 2013 et ses travaux préparatoires, du rapport au Président de la République, de l'avis du Conseil d'Etat du 18 juin 2014 que l'article en question ne fixe pas une règle relative à l'organisation des compétences entre l'ordre juridictionnel judiciaire et l'ordre juridictionnel administratif mais institue une exception à l'irrecevabilité des demandes indemnitaires portées devant le juge de l'excès de pouvoir, laquelle concerne exclusivement les pouvoirs de ce juge en matière d'urbanisme et ne saurait donc avoir aucune incidence sur la compétence du juge civil, Attendu qu'il convient en conséquence de rejeter l'exception d'incompétence présentée par les demandeurs à l'incident »
TGI Lyon, ord. 5 mars 2014, n°13/06423
Voici une ordonnance du TGI de Lyon, et plus précisément du juge de la mise en état, qui permet d’appréhender l’une des principales questions posées par l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme, à savoir celle de son incidence sur la compétence du juge civil en matière de recours abusif à l’encontre des autorisations d’urbanisme puisque l’on sait que certaines autres juridictions judiciaires se sont prononcées dans un sens contraire, y compris d’ailleurs à l’égard d’assignations placées avant l’entrée en vigueur de ce dispositif introduite par l’ordonnance du 18 juillet 2013 au motif notamment que le Conseil d’Etat a précisé qu’il était applicable à l’ensemble des instances en cours à la date de son entrée en vigueur.
Il faut cependant rappeler que cet article se borne à ouvrir une possibilité de demandes reconventionnelles devant le juge administratif – qui jusqu’à présent étaient irrecevables non pas d’une façon générale dans le contentieux administratif mais plus spécifiquement dans le contentieux de l’excès de pouvoir (CE, 24 novembre 1967, n° 66271, Sieur Noble, Rec. p. 443) – et à ce titre n’a donc pas en lui-même pour objet ou pour effet d’exclure la compétence du juge judiciaire.
L’article L.600-7 du Code de l’urbanisme, du moins son alinéa 1er…, reprend d’ailleurs strictement les préconisations du rapport de Monsieur le Conseiller d’Etat Labetoulle qui dans son rapport ayant conduit à l’adoption de l’ordonnance du 18 juillet 2013 exposait :
« Le juge administratif saisi d’un litige accepte donc de connaître de conclusions reconventionnelles à fin de dommages intérêts, même le cas échéant dirigées contre une personne privée, qui ne sont pas détachables de l’instance ouverte par l’action principale dont il est soutenu qu’elle a été abusivement engagée dès lors qu’elles amènent le juge à en apprécier les mérites (voir en particulier CE, Assemblée, 10 juin 1994, n° 141633, Commune de Cabourg, Rec. p. 300 ; CE, Section, 6 juin 2008, n° 283141, Conseil départemental de l’ordre des chirurgiens‐dentistes, Rec. p. 204 ; CE, 22 février 2012, n° 333713, Mme Saint‐Sever, Rec. p. 156). Ce principe, dont il est fait application (…) trouve toutefois une exception notable : le Conseil d’Etat juge « qu’en raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir », des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné à payer à une personne mise en cause des dommages‐intérêts pour procédure abusive ne peuvent être utilement présentées dans ce cadre (CE, 24 novembre 1967, n° 66271, Sieur Noble, Rec. p. 443). S’agissant des recours contre les permis de construire ou d’aménager, cette voie est donc fermée devant le juge administratif, alors pourtant que c’est un domaine où, eu égard aux effets qui s’attachent en pratique à l’introduction d’un recours pour excès de pouvoir, les conséquences dommageables peuvent être particulièrement pénalisantes pour le titulaire de l’autorisation et, au‐delà de son cas particulier, pour la production de logements qui est d’intérêt général et se rattache, pour partie, à un objectif de valeur constitutionnelle. L’amende pour recours abusif étant d’un montant très limité et ne répondant pas exactement à la même logique, les constructeurs sont donc démunis face à des requérants malveillants. La voie de droit ainsi ouverte, mais dans un second temps et devant un juge qui, n’ayant pas eu à connaître de l’action principale, n’est pas le mieux à même d’en apprécier le caractère abusif, ne présente cependant pas le même caractère dissuasif que des conclusions reconventionnelles présentées devant le juge de l’annulation, même s’il s’est vérifié, récemment encore, qu’elle pouvait déboucher sur des condamnations. Il a semblé au groupe de travail que la conception du recours pour excès de pouvoir qui s’exprime dans la décision « Noble » précitée n’est plus complètement en phase avec diverses innovations jurisprudentielles intervenues depuis lors, et qu’en matière d’urbanisme en tout cas, il était utile et légitime d’offrir aux titulaires d’autorisation un instrument d’indemnisation d’usage plus direct que l’action civile. Aussi a‐t‐il rédigé une proposition de disposition législative qui viendrait s’insérer dans le code de l’urbanisme et permettrait la présentation de conclusions reconventionnelles à caractère indemnitaire devant le juge du permis.Le risque, par ailleurs, que de telles conclusions viennent perturber et alourdir le cours de l’instance en y ajoutant un débat accessoire d’une toute autre nature et exigeant la production d’éléments justificatifs et un débat contradictoire distincts de ceux relatifs à la légalité du permis n’a pas échappé au groupe de travail. Mais il doit être clair pour tout le monde que la mise en jeu de ces dispositions, qui ont une vocation surtout symbolique et dissuasive, demeurera très rare, de sorte que le juge n’aura à approfondir l’instruction que dans des cas suffisamment limités pour ne pas retarder le cours ordinaire de la justice ».
Précisément, la rédaction de l’article L.600-7.al.1 issue de l’article 2 de l’ordonnance du 18 juillet 2013 est strictement identique à celle proposée par le rapport précité et, pour sa part, le Rapport au Président de la République sur cette ordonnance ne dit pas autre chose et se borne à synthétiser celui suscité : « L'article 2 concerne les pouvoirs du juge administratif en matière d'urbanisme. (…) Cet article crée (…) un nouvel article L. 600-7, toujours dans le même code, pour autoriser le juge administratif, dans le cadre d'un contentieux contre un permis de construire ou d'aménager, à condamner sous certaines conditions les personnes physiques ou morales à des dommages et intérêts, si leur recours excède la défense de leurs intérêts légitimes et cause un préjudice excessif au bénéficiaire du permis. (…). Il ne sera ainsi plus nécessaire à celui qui s'estime lésé par un recours de présenter une requête distincte ou de saisir le juge civil pour demander des dommages et intérêts : il pourra le faire, par mémoire distinct, devant le juge administratif. De telles conclusions pourront être présentées pour la première fois en appel ».
Il semble donc clair que ce dispositif vise à ajouter une action nouvelle et non pas à substituer celle-ci à celle précédemment prévue. Au demeurant, dans un article paru à la Revue de Droit Immobilier, Monsieur le Conseiller d’Etat Labetoulle a rappelé que :
« Antérieurement à ce texte, la possibilité pour le titulaire d'un permis auquel l'exercice d'un recours avait causé un préjudice anormal de chercher à en obtenir réparation en demandant que l'auteur du recours soit condamné à lui allouer des dommages-intérêts obéissait à des règles complexes. Bien que de telles conclusions soient le plus souvent formées par une personne privée et dirigées contre une personne privée, le juge administratif n'est pas incompétent pour en connaître : on considère en effet qu'elles sont directement liées au litige de fond et que c'est le juge saisi de ce litige qui est le plus à même d'y statuer. Mais si ce raisonnement s'applique sans difficulté en plein contentieux, il en va différemment dans le contentieux de l'excès de pouvoir où, selon la jurisprudence, des conclusions reconventionnelles du défendeur sont irre¬cevables. Dans ce contexte, des titulaires de permis auxquels les conditions d'exercice d'un recours avaient causé un préjudice très caractérisé se sont tournés vers le juge judiciaire qui s'est reconnu compétent et, par des décisions fortes intéressantes, a condamné le requérant pour usage abusif du droit de recours. Mais il peut paraître plus simple pour le titulaire de permis et plus dissuasif vis-à-vis du requérant que de telles conclusions indemnitaires puissent être présentées de façon reconventionnelle devant le juge saisi au fond. C'est ce que va permettre l'article L. 600-7 qui, pour les recours contre des autorisations d'urbanisme, écarte donc la jurisprudence - un peu dépassée - selon laquelle « en raison de la nature particulière du recours pour excès de pouvoir » des conclusions reconventionnelles ne sont pas recevables dans cette branche du contentieux. L'application de ce texte posera des questions qu'il reviendra à la jurisprudence de trancher. Le juge administratif devra interpréter les conditions mises à l'octroi de dommages- intérêts. Le juge civil, quant à lui, sera sans doute amené à s'interroger sur le point de savoir si le nouveau dispositif exclut désormais son intervention; une telle solution, qui ne serait pas la plus opportune, n'est pas inévitable : d'une part, en écartant le jeu de la jurisprudence Noble, l'article L. 600-7 se place sur un terrain de recevabilité et non de compétence juridictionnelle, de telle sorte que son intervention n'a ni pour objet ni pour effet d'écarter la reconnaissance par le juge civil de sa compétence ; d'autre part, alors que, par construction, des conclusions reconventionnelles ne peuvent tendre qu'à la réparation d'un préjudice antérieur à la fin de l'instance, le juge civil peut être saisi dans un cadre temporel plus large; si on ajoute que les conditions de fond de l'octroi de dommages-intérêts ne sont pas exactement les mêmes, on voit que les deux dispositifs ne s'excluent pas et peuvent coexister. Selon toute vraisemblance les décisions faisant application de façon positive de l'article L. 600-7 ne seront pas très nombreuses. Ce n'est pas une raison pour minimiser le caractère symbolique et - espérons-le - dissuasif du texte ».
Ainsi, l’article L.600-7 allégué « n'a ni pour objet ni pour effet d'écarter la reconnaissance par le juge civil de sa compétence » puisque : il ne fixe pas une règle relative à l’organisation des compétences entre l’ordre juridictionnel judiciaire et l’ordre juridictionnel administratif ; mais institue une exception à l’irrecevabilité des demandes indemnitaires portées devant le juge de l’excès de pouvoir, laquelle concerne exclusivement les pouvoirs de ce juge en matière d’urbanisme et ne saurait donc avoir aucune incidence sur la compétence du juge civil.
Au demeurant, on peut relever que dans l’arrêt évoqué par l’ordonnance objet du commentaire de ce jour le Conseil d’Etat a jugé que « ces nouvelles dispositions, qui instituent des règles de procédure concernant exclusivement les pouvoirs du juge administratif en matière de contentieux de l'urbanisme ».
D’ailleurs, et pour autant qu’il en soit besoin, il faut rappeler que l’ordonnance du 18 juillet 2013 procède sur ce point de la volonté de lutter contre les recours abusif à l’encontre des permis de construire en créant des dispositifs supplémentaires conçus ou du moins voulus pour être dissuasifs.
Il reste qu’au regard de la jurisprudence judiciaire, et de son mouvement infléchissant en la matière, l’article L.600-7 présente un caractère plus restrictif puisqu’il implique non pas une simple faute quelle qu’elle soit constituant la cause directe d’un préjudice mais une faute caractérisée par l’exercice d’un recours « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant ».
Or, si traditionnellement la jurisprudence considérait que l’exercice d’une action en justice ne dégénérait en faute susceptible d’entraîner une condamnation à des dommages et intérêts que si cette action procédait d’une mauvaise foi caractérisée ou d’une erreur grossière équivalente au dol (voir pour exemple : Cass. Civ, 19 octobre 1943, S. 1944, I, p.43), l’exigence systématique d’une faute grossière ou dolosive a, toutefois, été abandonnée par la Cour de cassation, laquelle considère dorénavant et depuis plusieurs années (Cass. civ., 18 janvier 2001, pourvoi n°00-12.230) « que toute faute dans l'exercice des voies de droit est susceptible d'engager la responsabilité de son auteur » (Cass. civ., 11 septembre 2008, pourvoi n°07-18.483).
En outre, il ne faut pas seulement que la faute procède de l’exercice d’un recours « dans des conditions qui excèdent la défense des intérêts légitimes du requérant », il faut encore qu’elle cause non pas seulement un préjudice mais un « préjudice excessif » alors que pour sa part, la Cour de cassation considère que dès lors que l’exercice du recours est fautif et qu’il constitue la cause direct du préjudice allégué par le pétitionnaire, la responsabilité de l’auteur de ce recours s’en trouve engagée ; ce dont il résulte que le simple retard pris dans la réalisation de l’opération projetée constitue un préjudice indemnisable sans que le requérant ne puisse utilement s’affranchir de sa responsabilité en invoquant le caractère exécutoire du permis de construire nonobstant l’exerce d’un recours en annulation à son encontre et/ou, le cas échéant, la circonstance que le pétitionnaire ait conclu la promesse de vente se rapportant au terrain à construire sous condition suspensive d’un permis de construire définitif (Pour exemples : Cass. Civ. 2 décembre 2008, pourvoi n°07-19645 ; Cass. Civ. 3e, 5 juin 2012, pourvoi n°11-17919).
Il semble donc difficile de concevoir qu’à travers l’article L.600-7 du Code de l’urbanisme la volonté du gouvernement ait été de dessaisir le juge judiciaire de sa compétence de principe en restreignant les possibilités d’action ouverte en la matière au seul cas prévu par ce dispositif.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés