Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

  • L’incidence de la divisibilité du permis de construire sur l’appréciation des conditions nécessaires à la suspension de son exécution

    Dès lors que le permis de construire contesté autorise une maison et un garage architecturalement distincts et divisibles au sens de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme, c’est non seulement les moyens se rapportant à sa légalité mais également l’urgence à en suspendre l’exécution qui doivent être appréciés non pas globalement mais isolément, bâtiment par bâtiment.

    TA. Grenoble, 8 décembre 2010, M. et Mme CIPRI, req. n°10-04965



    Dans cette affaire, le pétitionnaire avait obtenu un permis de construire une maison d’habitation ainsi qu’un garage dédié au stationnement de véhicules, lequel devait toutefois faire l’objet d’un recours en annulation puis d’une requête aux fins de suspension. Il reste qu’à la date à laquelle le juge des référés fut amené à statuer sur cette requête, le bâtiment à usage de garage était déjà quasiment achevé.

    m&g.jpgOr, les deux bâtiments objets du permis de construire attaqué étaient distincts et divisibles. C’est cette considération qui détermina l’ensemble de l’analyse du juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble et l’ensemble des motifs de son ordonnance puisqu’il jugea, d’une part, que l’urgence devait s’apprécier séparément, bâtiment par bâtiment, et d’autre part, que la portée des moyens présentés par les requérants à l’encontre de l’autorisation contestée devaient être appréciés distinctement selon le bâtiment ou les bâtiments auxquels ils se rapportaient. C’est ainsi qu’après avoir constaté le quasi-achèvement des travaux du garage, et par voie de conséquence, le défaut d’urgence à en suspendre l’exécution, le juge des référés rejeta de ce seul chef la requête pour ce qu’elle concernait ce bâtiment. Partant, et s’agissant du doute sérieux quant à la légalité du permis de construire en litige, il écarta d’emblée l’ensemble des moyens ayant exclusivement trait au garage pour s’en tenir aux moyens se rapportant à la maison d’habitation et aux moyens communs aux deux bâtiments.

    Pour déterminer cette « méthodologie », le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble s‘est fondé sur l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme dont on rappellera qu’il dispose que « lorsqu'elle constate que seule une partie d'un projet de construction ou d'aménagement ayant fait l'objet d'une autorisation d'urbanisme est illégale, la juridiction administrative peut prononcer une annulation partielle de cette autorisation » et ne vise donc que la possibilité d’une annulation partielle des autorisations d’urbanisme ou, a contrario, ne prévoit pas la possibilité d’en suspendre partiellement l’exécution.

    Il reste que bien avant l’entrée en vigueur de l’article L.600-5 précité le juge administratif s’était déjà reconnu la possibilité de n’annuler que partiellement une autorisation d’urbanisme (CE. 2 février 1979, Cts Sénécal, req. n° 05.808 ; CE. 16 février 1979, SCI Cap Naio c/ Dlle Fournier, Rec., p.66) et certains arrêts avaient déjà prononcé la suspension seulement partielle de l’exécution d’une décision administrative. Mais sur ce point, la solution n’est toutefois pas nouvelle puisque d’autres tribunaux se sont déjà expressément fondés sur l’article précité pour ne suspendre que partiellement l’exécution d’un permis de construire (TA. Melun, 18 octobre 2010, Racle & Fabre, req. n°10-06418 ; TA Toulouse, 17 août 2009, Assoc. de la Rue du Canon d'Arcole, req. n° n° 0903007).

    Toute la question en l’état est toutefois de savoir si l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme s’est borné à consacrer la pratique jurisprudentielle antérieure à son entrée en vigueur ou si au contraire l’intention du législateur a été d’aller au-delà en permettant au juge administratif de s’affranchir des critères traditionnels d’appréciation de la divisibilité du permis de construire ; question que la jurisprudence rendue en application de l’article L.600-5 ne permet pas encore de trancher réellement en l’absence de réponse du Conseil d’Etat.

    En effet, comme on le sait, si certaines cours appliquent l’article précité en se limitant aux possibilités d’annulation partielle précédemment dégagées par la jurisprudence (pour exemples : CAA. Nantes, 25 juin 2008, Cne de Bucy, req. n°07NT03015 & CAA. Lyon, 1er juillet 2008, Cne de Valmeinier, req. n°07LY02364), d’autres tendent à le mettre en œuvre indépendamment de toute considération liée à la divisibilité du projet, en se bornant à rechercher si le vice affectant l’autorisation contestée peut ou non être régularisé par un « modificatif » obtenu en application de l’article précité (CAA. Marseille, 7 octobre 2010, Clément A…., req. n°08MA03370).

    Au cas présent, il ressort clairement des termes mêmes de l’ordonnance commentée que le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble s’est prononcé en considération de la dissociabilité des bâtiments autorisés et de la divisibilité subséquente du permis de construire attaqué. Il semble toutefois avoir établi en considération de deux critères distincts ; l’un matériel, l’autre juridique.

    Or, la mise en œuvre combinée de ces deux critères apparait finalement assez révélatrice des hésitations du juge administratif s’agissant des modalités de mise en œuvre de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme et, plus généralement, des modalités selon lesquelles il doit dorénavant apprécier la divisibilité d’un projet et d’un permis de construire.

    Dans le « considérant » exposant la démarche qui selon lui devait être la sienne, le juge des référés énonce en effet que celle-ci vaut dans le cas « d’un permis de construire autorisant la construction de deux éléments architecturalement distincts et si l’opération ainsi autorisée est divisible au sens de l’article L.600-5 ».

    Puis dans le « considérant » suivant dédié à la caractérisation du projet autorisé par le permis de construire objet de la requête dont il était saisi, le juge expose que « le projet litigieux se compose de deux bâtiments distincts, une maison et un garage ; que dès lors le projet doit être considéré comme divisible au sens des dispositions susmentionnées » de l’article L.600-5.

    Sur ce point, le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble nous semble ainsi avoir eu recours à un critère matériel somme toute assez peu éloigné de la définition de « l’ensemble immobilier unique » retenue par le Conseil d’Etat dans l’arrêt « Ville de Grenoble » (CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble, req. n°301.615), telle que cette définition a déjà être pu être mise en œuvre par certaines cours (CAA. Bordeaux, 1er avril 2010, Nadia X., req. n°09BX00275 ; CAA. Nantes, 16 février 2010, Pascal X., req. n°09NT00832).

    Ainsi, dès lors que les deux bâtiments étaient distincts et dotés d’une fonction propre, et donc sans lien physique, ni rapport d’interdépendance fonctionnelle, le projet autorisé par le permis de construire contesté pouvait être considéré comme divisible.

    Il reste que le juge des référés ne s’est pas contenté de ce constat puisqu’il a mis en exergue le fait que « les dispositions du document d’urbanisme relatives au stationnement n’imposent pas que le stationnement des véhicules doive s’effectuer dans un bâtiment couvert ». Il a donc implicitement considéré que le projet était divisible dans la mesure où, si le garage avait pour fonction d’abriter des aménagements destinés à satisfaire les besoins en stationnement de la maison d’habitation au regard de l’article 12 du règlement d’urbanisme local applicable, ce garage n’était cependant pas en lui-même nécessaire à la conformité du projet puisque l’article 12 permettait la réalisation de places de stationnement à l’aire libre.

    Le cas échéant, il aurait donc été possible de suspendre l’exécution du permis de construire uniquement en tant qu’il autorisait le bâtiment à usage de garage puisqu’une telle suspension partielle n’aurait donc pas eu pour effet de permettre la réalisation de travaux qui auraient alors été non-conformes à cet article 12.

    Dans cette mesure, le juge des référés du Tribunal administratif de Grenoble a donc également recherché s’il existait entre la maison et le garage projetés un rapport d’interdépendance juridique ; critère pourtant inopérant pour caractériser un ensemble immobilier unique au sens de l’arrêt « Ville de Grenoble ».

    Mais en toute hypothèse, et en l’absence de tout rapport d’interdépendance physique, fonctionnel ou juridique, le juge des référés a donc considéré que la maison et la garage autorisés par le permis de construire en litige étaient divisibles et, partant, a donc apprécié distinctement, bâtiment par bâtiment, la réunion des conditions posées par l’article L.521-1 du Code de justice administrative pour ordonner la suspension de l’exécution d’un acte administratif.

    Une telle démarche est difficilement contestable. En effet, à l’examen de la jurisprudence rendue en la matière il apparait que la divisibilité d’un projet d’urbanisme produit ses effets à tous les stades : la nature et le nombre d’autorisations susceptibles d’être obtenues ; le pouvoir de l’administration statuant sur la demande ; le pouvoir de l’administration pour retirer l’autorisation délivrée ; le délai de validité de l’autorisation pour engager les travaux ; l’appréciation de la conformité des travaux ; le sort contentieux de l’autorisation. Et pour cause puisqu’en fait, lorsqu’un arrêté portant permis de construire est divisible, c’est qu’il intègre déjà « plusieurs décisions », si bien qu’il faut apprécier distinctement l’objet et les effets de « chacune des autorisations » (Concl. J. Burguburu sur : CE. 17 juillet 2009, Ville de Grenoble », BJDU n°4/2009, p.274).

    Il s’ensuit, notamment, que les moyens ne se rapportant qu’à l’une des composantes divisibles d’une opération objet d’un permis de construire ne peuvent emporter l’annulation de ce dernier qu’en tant qu’il porte sur cette composante et ce, quelle que soit la nature de la cause d’illégalité l’affectant, y compris donc s’il s’agit d’un vice de légalité externe se rapportant à la procédure de délivrance de l’autorisation d’urbanisme considérée.

    C’est ainsi qu’il a été jugé que la circonstance qu’un dossier de demande de permis de construire ne comporte pas le justificatif de la demande d’autorisation d’exploitation commerciale alors prescrite par l’ancien article R.421-4 (al.2) du Code de l’urbanisme n’affectait d’illégalité le permis de construire obtenu qu’en tant qu’il portait sur la réalisation de hôtel et non pas en tant qu’il prévoyait également la construction de maisons individuelles dès lors que cet hôtel, d’une part, et ces maisons, d’autre part, pour avoir été autorisés par un même arrêté n’en formaient pas moins deux projets distincts (CAA. Nantes, 18 avril 2006, Sté Investimmo Régions, req. n°04NT01390).

    On voit donc mal pourquoi aurait-il dû en être autrement en matière de référé-suspension, y compris pour ce qui concerne l’appréciation de la condition de l’urgence à suspendre l’exécution de l’autorisation d’urbanisme en litige.

    On sait d’ailleurs que cette condition présente un point commun avec les conditions dans lesquelles l’exécution de travaux irréguliers peut être ordonnée sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme.

    En effet, de la même façon qu’il n’y a plus urgence à suspendre un permis de construire lorsque les travaux autorisés sont achevés ou quasiment achevés, il n’y a plus lieu d’ordonner l’interruption des travaux sur le fondement de l’article précité lorsque les travaux relevant du champ d’application de la procédure de permis de construire ont été accomplis (CE. 2 mars 1994, Cne de Saint-Tropez, req. n°135.448).

    Or, à ce titre, il a pu être jugé que l’interruption de travaux irréguliers pouvait être ordonnée pour l’ensemble du projet dès lors que ce dernier était composé de bâtiments indissociables (CE, 25 sept. 1995, Marchand, req. n°118.863) ou, plus récemment, qu’un arrêté interruptif de travaux ne précisant pas les bâtiments qu’il concernait mais visait deux procès-verbaux ne constatant la non-conformité que pour deux des trois bâtiments projetés devait être considéré comme n’ordonnant l’interruption que des travaux portant sur ces deux bâtiments dans la mesure où le troisième était divisibles de ces derniers (CAA. Bordeaux, 8 février 2010, David Henry X…, req. n°09BX00808). Il n’est donc pas incohérent que la démarche à suivre soit identique en matière de référé-suspension s’agissant de la condition d’urgence.

    Mais il s’ensuit que si l’ordonnance commentée nous semble offrir sur ce point une solution inédite, il n’en demeure pas moins que celle-ci ne nous semble donc pas procéder directement de l’apport de l’article L.600-5 du Code de l’urbanisme ou de la plus grande divisibilité des autorisations d’urbanisme voulue par l’arrêt « Ville de Grenoble ».

    (merci à EW ainsi qu'à VG) 



    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés