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Retour sur l'arrêt "Ville de Strasbourg" : N’aurait-on pas enterré « Mme Joubin » un peu vite ?

Une opération ayant conféré à chacun des bénéficiaires un droit exclusif de construction sur son lot et la propriété exclusive de sa maison constitue un lotissement alors même que la propriété du sol est restée indivise entre eux.

CAA. Marseille, 19 mars 2010, M. et Mme A, req. n°08MA00634

On s’en souvient, l’arrêt « Ville de Strasbourg » (CE. 30 novembre 2007, Ville de Strasbourg, req. n°271.897) a jeté un certain trouble s’agissant de la question du statut des divisions en volumes au regard de la règlementation d’urbanisme sur les divisions foncières. Chacun a pris cette décision avec les « pincettes » qu’elle imposait mais la plupart de ses commentateurs ont précisé qu’elle semblait marquer l’abandon de la jurisprudence « Mme Joubin » et/ou de la jurisprudence « Ville de Toulouse ».

La technique de la division en volumes comme celle de la copropriété horizontale repose, en substance, sur une dissociation du sol, du tréfonds et de l’espace le surplombant. Au regard du droit civil, l’acquéreur du volume ou du lot ainsi créé exerce le droit de construire lié à son droit réel au sein de ce volume ou de ce lot mais pas sur le sol puisque son droit réel ne porte pas sur ce dernier.

Mais ces techniques, en tant qu’échappatoire à la réglementation d’urbanisme sur les divisions foncières, avait été condamnée par les deux arrêts susvisés lesquels y avait reconnue une opération de lotissement alors même, dans le premier, qu’il ressortait « du règlement de copropriété que les copropriétaires (avaie)nt la propriété indivise de l'ensemble des parties communes » (CE. 27 octobre 1993, req. n°110.375) et, dans le second, « alors même que la propriété du sol (était) restée indivise » (CE. 21 août 1996, Ville de Toulouse, req. n° 137.834).

Or, c’est sur ce point que certains ont voulu voir dans l’arrêt « Ville de Strasbourg » un tournant majeur puisque le Conseil d’Etat y a considéré qu’il n’y avait pas de lotissement dans la mesure où les acquéreurs des lots en volume en cause n’en tiraient « ni propriété, ni jouissance exclusive et particulière du sol d'assiette de la parcelle ».

Il reste que la Cour administrative d’appel de Marseille vient donc de juger que :

« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que le terrain ayant fait l'objet du permis de construire délivré à M. et Mme A le 1er avril 2003 résulte de la division le 21 mai 1999 d'une parcelle non bâtie cadastrée n° 87 section C, sise à Marseille, en trois lots, section A cadastré n° 88, section B cadastré n° 89 et section C cadastré n° 90 ; que sur les lots A et B ont été reconnus des droits à bâtir alors que la parcelle C, terrain d'assiette du projet des requérants, était reconnue comme inconstructible pendant 10 ans par application des dispositions précitées ; que, par acte du 21 mai 1999, les parcelles cadastrées n° 88 et 89 ont été vendues chacune en copropriété à de nouveaux acheteurs pour constituer deux copropriétés différentes ; que deux permis de construire ont été délivrés, d'une part, sur la parcelle 88, l'un le 30 décembre 1998, l'autre le 22 décembre 1999 à Mme B, d'autre part, sur la parcelle n° 89 les 23 juillet 1999 et 4 juillet 2002 ; qu'enfin un permis de lotir a été délivré le 23 avril 2002 sur la parcelle 90, suivi du permis de construire litigieux ; qu'ainsi, en moins de dix ans les divisions de la parcelle n° 87 d'origine ont conduit à la délivrance de cinq permis de construire ;
Considérant que cette opération de division, qui a conféré à chacun des bénéficiaires un droit exclusif de construction sur son lot et la propriété exclusive de sa maison, les a placés dans la situation prévue par les dispositions sus-rappelées du code de l'urbanisme, alors même que la propriété du sol est restée indivise entre eux ; que, par suite, les divisions antérieures au permis de lotir du 23 avril 2002 auraient dû être précédées d'une autorisation de lotir ; que, dès lors, contrairement à ce que soutiennent M. et Mme A, c'est à bon droit que les premiers juges ont considéré qu'en application des dispositions précitées de l'article R. 315-1 du code de l'urbanisme, la demande d'autorisation de lotir ne pouvait que concerner l'ensemble des divisions issues de la parcelle 87 et non un lot unique et que, par voie de conséquence, le permis de construire litigieux était illégal et devait être annulé ».


En substance, la Cour a donc retenu un motif identique à celui dégagé par les arrêts « Joubin » et « Ville de Toulouse » alors que, comme dans l’affaire « Ville de Strasbourg », le titulaire du permis de construire attaqué n’avait à proprement parler « ni propriété, ni jouissance exclusive et particulière du sol d'assiette de la parcelle » ; puisque ce sol était restait indivise.

Mais précisément, dans l’arrêt « Ville de Strasbourg », le Conseil d’Etat ne nous semble pas avoir jugé que par principe toute « division en volume » n’était pas constitutive d’une division foncière mais considéré que la « division en volume » en cause en l’espèce n’emportait pas la création d’un lotissement ; le Conseil d’Etat ne s’étant en effet prononcé qu’au regard de la règlementation sur les lotissements.

Il faut ainsi rappelé que, dans cette affaire, une seule et même société avait obtenu sur un même terrain deux « droits de superficie perpétuels » sur lesquels lui avaient ensuite été délivrés deux permis de construire. Outre qu’il fallait à cette époque trois « lots à construire » pour qu’il y ait lotissement, il n’y avait à ce stade aucune division foncière dès lors que ces « droits de superficie » et ces autorisations étaient détenus par une seule et même société. Ultérieurement, sans pour autant se dessaisir des « droits de superficie » et permis de construire dont elle était titulaire, cette société avait cédé à des tiers des lots correspondant à des volumes des immeubles autorisés par ces permis : ce sont ces divisions que le Conseil d’Etat n’a pas reconnu comme constitutives d’un lotissement.

Dès ce stade, deux constats doivent être opérés sur les divisions objet de l’arrêt « Ville de Strasbourg ».

D’une part, ces dernières n’avaient pas été réalisées avant la délivrance des permis de construire attaqués. Or, comme l’a rappelé le Conseil d’Etat, « l'édification sur une parcelle de plusieurs constructions ne peut être regardée comme constitutive d'un lotissement que si la parcelle servant d'assiette aux constructions a été divisée en jouissance ou en propriété ». Et pour cause puisqu’une division foncière constitutive d’un lotissement était (anc. art. R.315-1 ; C.urb) et reste (art. L.442-1 ; C.urb) celle « destinée à l’implantation de bâtiments ».

D’autre part, ces divisions en lots portaient sur les volumes devant être bâtis par la société venderesse en exécution des permis de construire dont elle restait titulaire. Comme l’a relevé le Conseil d’Etat, il s’agissait ainsi de « la division de ces lots entre les futurs copropriétaires des immeubles collectifs autorisés par les permis de construire ».

Concrètement, ces divisions portaient donc sur des immeubles et emportaient leurs effets une fois ceux-ci édifiés : sous cet angle également, il ne s’agissait pas d’une division « destinée à l’implantation de bâtiments » mais, en substance, de la division d’un immeuble (virtuellement) bâti au profit de tiers qu’ils n’avaient pas vocation à construire.

Précisément, il ressort de la jurisprudence ultérieure que la division foncière au sens du droit de l’urbanisme est celle qui traduit le transfert exclusif du « bénéfice (d’un) droit à construire » (CAA. Versailles, 8 juin 2006, Dos Santos, req. n°04VE03538 ; Confirmé par : CE. 7 mars 2008, Cne de Mareil-le-Guyon, req. n°296.287).

Or, dans l’arrêt « Ville de Strasbourg », le Conseil d’Etat s’est borné à relever que la cession des volumes en cause procédait d’un « acte de vente aux termes desquelles chaque lot comporte la pleine propriété des volumes et chaque propriétaire de lot sera propriétaire des constructions ». Et il ne nous parait pas anodin qu’à la différence de l’arrêt d’appel (CAA. Nancy, M. & Mme Maleriat-Bihler, req. n° 00NC00512) et des conclusions de son Commissaire du gouvernement, le Conseil d’Etat se soit limité à ce constat sans considérer, ou du moins sans relever, qu’il impliquait le transfert d’un droit de construire.

En effet, non seulement il n’apparaissait pas que la société titulaire des permis de construire ces immeubles s’était dessaisie du droit qu’elle tirait de ces autorisations mais, en outre, cet acte de vente s’accompagnait d’un cahier des charges aux termes duquel les acquéreurs des lots n’avait apparemment qu’un droit limité à l’aménagement des constructions réalisées et non pas nécessairement un droit de bâtir des constructions nouvelles.

C’est toute la différence avec notamment le montage condamné par l’arrêt « Ville de Toulouse » dans lequel, comme l’a souligné le Conseil d’Etat, la division en cause avait « conféré à chacun des trois bénéficiaires un droit exclusif de construction sur son lot » ; droit procédant du fait que la société ayant cédé ces lot avait « renoncé (…) à construire elle-même la totalité des bâtiments autorisés par le permis de construire initial ».

En l’état, il semble donc encore falloir distinguer la division de « volumes à bâtir » par plusieurs personnes de la division de « volumes d’immeubles bâtis » opérée par le constructeur et ce, pour rappeler que si la Cour administrative d’appel de Paris a pu elle-même juger qu’une division en « volumes à bâtir » n’était pas constitutive d’un lotissement, c’est non pas dans la mesure où elle n’emportait une division foncière mais uniquement parce qu’elle avait été pratiquée selon la technique dite de la « division primaire » (CAA. Paris, 7 juillet 2005, Ville de Paris, req. n° 01PA00808).

 

Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
 

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