La modification d’un PLU après l’enquête publique doit elle trouver sa cause dans cette enquête ?
Nonobstant, la rédaction des articles L.123-10 et R.123-19 du Code de l’urbanisme comparée aux anciens articles L.123-3-1 et R.123-12, un projet de PLU ne peut être légalement modifié après enquête publique qu’à la condition que cette modification trouve sa cause dans les résultants de l’enquête.
CE. 12 mars 2010, Lille Métropole Communauté Urbaine, req. n°312.108
Bien qu’il appelle peu de commentaires, voici un arrêt important qui était d’ailleurs attendu et qui sera logiquement mentionné aux tables du Recueil mais dont le sens nous surprend quelque peu.
Sous l’empire du dispositif applicable avant l’entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000 dite « SRU », il était de jurisprudence bien établie qu’un projet de POS ne pouvait être légalement modifié après l’enquête publique s’y rapportant qu’à une double condition :
• d’une part, il était nécessaire que la ou les modifications envisagées présentent un caractère mineur et ne remette pas en cause l’économie générale du projet ; condition qui n’était toutefois qu’une retranscription en la matière d’une règle valant pour tout projet soumis à enquête publique ;
• d’autre part, et là plus spécifiquement, la ou les modifications devaient trouver leur cause dans les résultats de l’enquête.
Cette seconde condition ne constituait toutefois pas une totale « innovation » jurisprudentielle mais trouver son fondement directement dans l’article R.123-12 du Code de l’urbanisme en ce qu’il disposait que :
« Le plan d'occupation des sols, éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête publique et des propositions de la commission de conciliation, donne lieu, dans les conditions fixées au premier alinéa de l'article R. 123-9, à la consultation des services de l'Etat et des personnes publiques associées si le maire estime que la nature et l'importance des modifications envisagées justifient cette consultation. Le plan, accompagné par les avis des personnes publiques, des associations et des organismes de gestion des parcs naturels régionaux ainsi que par les communications du préfet mentionnés au deuxième alinéa de l'article R. 123-10, est ensuite transmis au conseil municipal, qui l'approuve par délibération ».
Or, depuis l’entrée en vigueur de la loi du 13 décembre 2000 dite « SRU » :
• d’une part, la possibilité de modifier le projet de PLU après l’enquête publique résulte du seul article L.123-10 du Code de l’urbanisme en ce qu’il se borne à disposer que : « Après l'enquête publique, le plan local d'urbanisme, éventuellement modifié, est approuvé par délibération du conseil municipal » ;
• d’autre part, aucune autre disposition législative ou règlementaire du Code de l’urbanisme ne subordonne ces modifications aux résultats de l’enquête ou à un quelconque avis.
A priori, il semblait donc clair que les modifications du projet de PLU après enquête publique si elles devaient nécessairement présenter un caractère mineur n’avaient en revanche plus à trouver leur cause dans les résultats de l’enquête. D’ailleurs, sans se prononcer clairement sur ce point, certaines décisions allaient toutefois dans ce sens puisqu’à titre d’exemple, il avait pû être jugé que :
« Considérant, en dernier lieu, qu'aux termes de l'article L. 123-10 du code de l'urbanisme : “(...) Après l'enquête publique, le plan local d'urbanisme, éventuellement modifié, est approuvé par délibération du conseil municipal (...)” ; qu'eu égard au faible espace qu'elle affecte, la modification de la zone 1AUa intervenue postérieurement à l'enquête publique, consistant à réduire sa partie ouest et à étendre dans une proportion équivalente sa partie est, n'a pas eu pour effet d'infléchir le parti d'urbanisme initialement retenu et, par voie de conséquence, de remettre en cause l'économie générale du projet de révision du plan d'occupation des sols communal ; qu'il suit de là que le moyen tiré d'une atteinte à l'économie générale du plan ne peut être accueilli » (CAA. Nantes, 6 mai 2008, Briqueville-sur-Mer, req. n°07NT02502) ;
et ce, donc, sans que le juge administratif ne recherche si les modifications en cause étaient ou non motivées par les résultats de l’enquête (ni par un quelconque avis).
Pour autant, le Conseil d’Etat vient donc de juger que :
« Considérant qu'aux termes de l'ancien article L. 123-3-1 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue de la loi n° 83-8 du 7 janvier 1983, applicable aux révisions des plans en vertu de l'article L. 123-3 du même code : Le plan d'occupation des sols rendu public est soumis à enquête publique par le maire ou par le président de l'établissement public de coopération intercommunale. / Après l'enquête publique, le plan d'occupation des sols, éventuellement modifié, est approuvé par délibération du conseil municipal ou de l'organe délibérant de l'établissement public (...) que, sous l'empire de cette législation, il était loisible à l'autorité compétente de modifier le plan d'occupation des sols après l'enquête publique, sous réserve, d'une part, que ne soit pas remise en cause l'économie générale du projet et, d'autre part, que cette modification procède de l'enquête, ces deux conditions découlant de la finalité même de la procédure de mise à l'enquête publique et étant d'ailleurs rappelées à l'ancien article R. 123-12 du code de l'urbanisme, dans sa rédaction issue du décret n° 98-913 du 12 octobre 1998, applicable aux révisions de plan, lequel disposait : Le plan d'occupation des sols, éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête publique et des propositions de la commission de conciliation, donne lieu, dans les conditions fixées au premier alinéa de l'article R. 123-9, à la consultation des services de l'Etat et des personnes publiques associées si le maire estime que la nature et l'importance des modifications envisagées justifient cette consultation (...) ;
Considérant que l'article L. 123-10 du code de l'urbanisme, issu de la loi du 13 décembre 2000, également applicable en matière de révision du plan conformément à l'article L. 123-13, dispose que : (...) Après l'enquête publique, le plan local d'urbanisme, éventuellement modifié, est approuvé par délibération du conseil municipal (...) ; qu'il ressort du rapprochement des articles L. 123-3-1 ancien et L. 123-10 précités, qui sont rédigés dans des termes semblables, ainsi que des travaux préparatoires de la loi du 13 décembre 2000, que le législateur n'a pas entendu remettre en cause les conditions ci-dessus rappelées dans lesquelles le plan d'urbanisme peut être modifié après l'enquête publique; que, par suite, et alors même que les nouvelles dispositions réglementaires du code de l'urbanisme issues du décret du 27 mars 2001, codifiées à l'article R. 123-19 du code de l'urbanisme, ne font plus apparaître la mention que le plan d'urbanisme est éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête publique , les modifications des plans d'urbanisme doivent, à peine d'irrégularité, continuer à respecter les deux conditions analysées ci-dessus ».
et donc que si depuis l’entrée en vigueur de la Loi « SRU » le Code de l’urbanisme ne comporte plus aucune disposition équivalent à l’ancien article R.123-12 du Code de l’urbanisme, il n’en demeure pas moins que les modifications postérieures à l’enquête publique doivent encore trouver leur cause dans les résultats de cette enquête.
Il s’avère en effet que le Conseil d’Etat est passé outre la suppression des dispositions de l’ancien article R.123-12 du Code de l’urbanisme pour s’en tenir :
• d’une part, à la finalité même de la procédure d’enquête publique ;
• d’autre part, à la similarité des termes de l’ancien article L.123-3-1 et de l’actuel article L.123-10 ;
et ainsi en déduire que la seule suppression de cet article ne saurait suffire à remettre en cause la finalité de l’enquête publique préalable et l’exigence selon laquelle la modification du projet de PLU doit donc trouver sa cause dans les résultats de cette enquête.
La motivation de cet arrêt sur ce point nous parait parfaitement cohérente et justifiée. Il n’en demeure pas moins que cette solution nous surprend quelque peu dans la mesure où à l’examen de la jurisprudence antérieure, force est de constater que la solution dégagée par la Haute Cour n’étaient nullement fondée sur la finalité de l’enquête publique, l’article L.123-3-1 et/ou l’intention du législateur mais exclusivement sur la seule lettre de l’article R.123-12 ancien du Code de l’urbanisme puisqu’à titre d’exemple, le Conseil d’Etat avait jugé que :
« Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R.123-12 du code de l'urbanisme, applicable à la révision des plans d'occupation des sols en vertu du I de l'article R.123-35 du même code : "Le plan d'occupation des sols, éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête publique et des propositions de la commission de conciliation, donne lieu, dans les conditions fixées au premier alinéa de l'article R.123-9, à la consultation des services de l'Etat et des personnes publiques associées si le maire estime que la nature et l'importance des modifications envisagées justifient cette consultation. Le plan est ensuite approuvé par délibération du conseil municipal" ; qu'il résulte de ces dispositions que les modifications apportées à un projet de plan d'occupation des sols entre la date de sa soumission à enquête publique et celle de son approbation ne peuvent avoir pour objet que de tenir compte des résultats de l'enquête publique ou des propositions de la commission de conciliation, même lorsque ces modifications ne remettent pas en cause l'économie générale du projet » (CE. 6 octobre 1995, Abekhzer, req. n°156.123).
La base légale change mais la solution reste donc.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
Le résultat de l' enquete publique doit etre pris en compte, cependant, cela n' est pas toujours l' expréssion de la majorité concernée, les décideurs en la matiere se basent sur l' expréssion d' un échantillon de la population souvent réduit et pas toujours compétent.
Il me semble nécéssaire de parfaire: la publicité, une meilleure méthode plus structurée de recceuil des commentaires ( oui, non, pourquoi le oui, pourquoi le non).
je veux croire que ce pas en avant, par changement de base juridique, du Conseil d'Etat s'inscrit dans la prise en compte implicite mais réelle des effets de la Directive européenne Plans et programmes en ce qu'elle impose une consultation du public porteuse d'effet, au contraire des habitudes françaises qui avaient peu à peu transformé l'enquête en une simple étape procédurale dont le respect des formalités substantielles suffisait à ne pas prendre en compte les écueils qu'elle avait éventuellement révélés...
mais il demeure une question que l'arrêt ne tranche pas : les "résultats de l'enquête" incluent ils les éléments du rapport du commissaire enquêteur fondés sur les informations qu'ils a collectées après l'enquête ?
L'arrêt de la Cour Administrative d'Appel de Douai m'avait aussi étonné puisque pour bon nombre de commentateurs, la suppression de "éventuellement modifié pour tenir compte des résultats de l'enquête publique et des propositions de la commission de conciliation" était interprétée comme autorisant des modifications après enquête quand bien même elles ne résulteraient pas de celle-ci. Nouveau moyen qui risque de prospérer.
Bien à vous
et d'ailleurs j'ai pour ma part "sauvé" un PLU auquel la Préfecture reprochait d'avoir fait l'objet d'une modification ne se fondant pas sur l'enquête publique...
ce PLU pourrait donc aujourd'hui être annulé en s'appuyant sur les conclusions du Conseil d'Etat ?
oui (si le jugement de première instance n'était pas devenu définitif). Après ça je ne sais pas si la jp a tranché la question de savoir s'il s'agit d'un vice couvert ou non par l'article L.600-1
Très étonnant cet arrêt qui va à l'encontre de la doctrine.
En effet, la solution qu'avait retenue par la Cour administrative d'appel de DOUAI semblait entachée d’une erreur de droit, dans la mesure où le décret n°2001-260 du 27 mars 2001 a supprimé la condition que posait l’ancien article R.123-12 du code de l'urbanisme quant à la modification du plan local d'urbanisme après l’enquête publique.
Aussi, le droit commun s’applique-t-il à la procédure d’élaboration ou de révision du plan local d'urbanisme, en sorte que celui-ci peut être « éventuellement modifié » pour des motifs d’intérêt général (CE, 20 mai 1966, POUVILLON, rec. p. 355) et sans qu’il soit porté atteinte à l’économie général du projet mis à l’enquête (CE, 4 janvier 1995, Commune de NARBONNE, requête n°153533 ; 13 novembre 1998, ADIRPABM, requête n°160260 ; 3 juin 1994, Collectif national d'information et d'opposition à l'usine MELOX, requête n°118518 ; 17 juin 1983, Commune de MONTFORT, requête n°31209 ; CAA, NANTES, 16 mai 2001, Société BEAUFILS, requête n°97NT02233).
Qu’il s’agisse ou non d’un oubli rédactionnel, la disparition de la condition posée à l’ancien article R.123-12 ne pouvait conduire la Cour administrative d'appel de DOUAI à juger que « la modification dans le choix du zonage d'un espace d'environ 8 hectares, qui ne résulte pas directement des résultats de l'enquête, ne pouvait, même sous l'empire des nouvelles dispositions de l'article R.123-19 du code de l'urbanisme, intervenir sans être soumise à une nouvelle enquête publique et ce, alors même qu'elle ne porte pas atteinte à l'économie générale du projet ».
D’ailleurs, cet arrêt, qui tranchait une question jusqu’alors inédite, avait été critiqué par la doctrine (K. ADJAOUT, RDI 2008, p. 457 ; du même auteur, LPA 16 octobre 2008, n°208, p. 9 ; cf. égal. : évoquant la possibilité de modifier le PLU sans avoir nécessairement à tenir compte des résultats de l’enquête publique : L. LE CORRE, « Le préfet peut-il demander une modification du dossier du PLU dans le cadre de l’enquête publique ? », constru-urb n°11/2005, comm. n°248 ; S. PLUNIAN, « La modification du projet de PLU après l’enquête publique », Dr. adm. N°6/2007, comm. n°96) et était qualifié de jurisprudence « dissidente » (G. LIET-VEAUX, Juriscl. adm., fasc. n°445-20, MAJ du 2 février 2009, n°96).
Le CE a en donc décidé autrement.
Au moins une question qui est donc définitivement réglée !
Finalement le plus curieux est que, retrospectivement, le Conseil d'Etat donne à l'ancien article R.123-12 un caractère superfétatoire puisque précisant ce qui, selon le Conseil, découlerait naturellement de la finalité de la procédure d'enquête publique...
Partant, il ne sert donc effectivement à rien qu'aucune disposition ne reprenne cette "tournure".
Il est toutefois amusant de constater que le Conseil se fonde sur la similarité de l'ancien L123-3-1 avec le L.123-1, mais qu'en revanche le fait qu'aucune disposition ne précise plus que "le projet peut être modifié pour tenir compte du résultat de l'enquête" n'a selon lui aucune incidence....
deux points sur la remarque " je ne sais pas si la jp a tranché la question de savoir s'il s'agit d'un vice couvert ou non par l'article L.600-1",
*il serait sans doute possible de relever qu'il s'agit d'un vice substantiel de l'enquête publique en ce que le dossier n'a pas délivré au public une information suffisante sur le projet finalement approuvé : dans le cas d'une DUP, voir CAA Lyon, 2 février 2010, ADEROC, req. n° 08LY01466
*surtout, à mon sens, la question ne se pose en fait pas : le délai des 6 mois ne concerne que les vices relevés par voie d'exception, ce qui n'est pas le cas en cas de recours direct contre un refus d'abroger le PLU au motif des irrégularités entachant sa procédure d'adoption. L'avis Marangio, structurant pour apprécier la portée du L600-1, n'aborde ainsi que les recours contre des autorisations individuelles prises sur la base d'un règlement illégal : il n'aborde évidemment pas le cas du recours contre le refus d'abroger...
et personne n'a rebondi sur ma question relative à la notion de "résultat de l'enquête publique" ...
le rapport du commissaire enquêteur est il totalement inclus au-dit résultat lorsque celui ci porte aussi sur des éléments qui n'ont pas été présentés au public ?
sur ce point particulièrement d'actualité , voir CAA Lyon, 6 oct. 2009, n° 07LY01577, MEDAD, commenté dans JCP-A n° 48, 23 Novembre 2009, 2283 ....