La méconnaissance des prescriptions de l’article 662 du Code civil justifie l’annulation d’un permis de construire sur le terrain de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme
Le bénéficiaire d’un permis de construire portant notamment sur un mur mitoyen doit justifier du respect des prescriptions de l’article 662 du Code civil. A défaut, le permis de construire encourt la censure au titre de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme.
CAA. Versailles, 19 octobre 2006, Cne de Juvisy-sur-Orge, req. n°04VE00238
Aux termes de l’article L.421-3 du Code de l’urbanisme « le permis de construire ne peut être accordé que si les constructions projetées sont conformes aux dispositions législatives et réglementaires concernant l’implantation des constructions, leur destination, leur nature, leur architecture, leurs dimensions, leur assainissement et l’aménagement de leurs abords ».
A ce titre, il est de jurisprudence bien établie que, par principe, le permis de construire ne sanctionne que les prescriptions d’urbanisme relatives aux aspects visés par l’article précité. Il en résulte, notamment, que la méconnaissance de normes de droit privé qu’elles soient d’origine légale ou conventionnelle n’a aucune incidence sur la légalité du permis de construire, lequel est ainsi réputé délivré sous réserve du droit des tiers.
Ce principe connaît, cependant, un certain nombre ne nuances parmi lesquelles comptent les prescriptions de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme au titre duquel le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas propriétaire du terrain ou de l’immeuble sur lequel les travaux sont projetés, doit justifier d’un titre habilitant à construire ; ce qui permet notamment de garantir le respect du droit de propriété tel qu’il est organisé par les articles 544 et suivants du Code civil.
Précisément, dans l’affaire objet de l’arrêt commenté (lequel sera mentionné aux Tables du Recueil Lebon), Mme Y. avait été obtenu, le 14 mars 2002, un permis de construire portant, notamment, sur un mur mitoyen, lequel avait vocation a être démoli puis reconstruit avec une épaisseur réduite de quinze centimètres sur les trente-huit initiaux.
Le 29 avril 2002, le propriétaire du fond voisin, M.X., devait toutefois solliciter du maire le retrait de ce permis de construire en faisant valoir, notamment, l’impact de ce dernier sur le mur mitoyen séparant les deux propriétés puis sollicité du Tribunal administratif de Versailles l’annulation du rejet de cette demande de retrait, ensemble le permis de construire initial ainsi que le permis de construire modificatif ultérieurement obtenu, en l’occurrence le 14 juin 2002 ; demande à laquelle accéda le Tribunal en prononçant l’annulation des permis de construire contestés sur le terrain de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme et ce, en considération de l’article 662 du Code de l’urbanisme en ce qu’il dispose que « l’un des voisins ne peut pratiquer dans le corps d’un mur mitoyen aucun enfoncement, ni y appliquer ou appuyer aucun ouvrage sans le consentement de l’autre, ou sans avoir, à son refus, fait régler par experts les moyens nécessaires pour que le nouvel ouvrage ne soit pas nuisible aux droits de l’autre ».
Saisie en appel, la Cour administrative d’appel de Versailles devait confirmer l’analyse et le jugement subséquent de première instance. C’est ainsi qu’après le considérant de principe suivant :
« Considérant qu’il appartient à l’autorité compétente pour délivrer un permis de construire, dès lors qu’elle est informée que le projet faisant l’objet de la demande porte notamment sur un mur mitoyen, de vérifier que le pétitionnaire détient la qualité de propriétaire apparent de ce mur ; que les dispositions de l’article 662 du code civil lui font alors obligation, si les travaux à autoriser sont de la nature de ceux entrant dans le champ d’application de cet article, d’exiger du pétitionnaire la production soit du consentement du voisin copropriétaire du mur mitoyen, soit, en cas de refus de celui-ci, du règlement d’expert mentionné par les dispositions de cet article, et ce sans que cette obligation ne méconnaisse le principe selon lequel le permis de construire est accordé sous réserve des droits des tiers ».
la Cour jugea que :
« Considérant toutefois qu’il ressort des pièces du dossier que le dossier de permis de construire présenté par Mme Y indiquait le caractère mitoyen du mur séparant la propriété de M. X de la propriété pour laquelle elle était elle-même titulaire d’une promesse de vente ; que le projet pour lequel le permis de construire était sollicité prévoyait notamment la démolition de ce mur mitoyen, sa reconstruction avec une épaisseur réduite de quinze centimètres sur les trente-huit initiaux, ainsi que l’appui d’un remblai de terre au droit de l’immeuble prévu ; que ces travaux entraient ainsi dans le champ des prévisions de l’article 662 du code civil précité ; qu’il est constant que Mme Y n’avait produit à l’appui de sa demande ni l’accord de M. X ni le règlement d’expert prévu par les dispositions de cet article ; que dès lors la pétitionnaire ne pouvant, compte tenu de la nature des travaux prévus, être regardée comme habilitée au sens des dispositions de l’article R. 421-1-1 du code de l’urbanisme à présenter la demande de permis de construire litigieuse, c’est à bon droit que les premiers juges ont estimé que lesdites dispositions faisaient obstacle à la délivrance du permis et du permis modificatif sollicités, sans que puissent utilement être invoquées ni la circonstance que la contestation de M. X serait tardive au regard de la date d’octroi du permis initial, ni celle que cette contestation ne serait pas sérieuse, ni enfin, eu égard aux termes mêmes de l’article 662 du code civil, celle que les travaux ne porteraient que sur la moitié du mur située du côté du terrain n’appartenant pas à M. X ».
Tout d’abord, la Cour a donc considéré que la prise en compte des prescriptions de l’article 662 du Code civil ne méconnaissait par le « principe selon lequel le permis de construire est accordé sous réserve des droits des tiers ».
A notre sens, cette conclusion est, toutefois, inadéquate dans la mesure où, précisément, l’article 662 du Code civil a trait aux droits des tiers du terrain à construire et, plus précisément, aux droits du propriétaire du fond voisin séparé de ce terrain par un mur mitoyen. Force est, en effet, d’admettre qu’en lui-même, l’article précité ne constitue nullement une prescription d’urbanisme.
Il reste qu’en ce qu’il tend à garantir le respect du droit de propriété, l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme constitue une forme d’exception au principe selon lequel le permis de construire est délivré sous réserve du droit des tiers. En cela, la prise en compte des prescriptions de l’article 662 du Code civil n’est donc pas critiquable.
Ensuite, la Cour a donc fait application des règles posées dans le considérant de principe précité. A ce titre, elle a donc recherché si le pétitionnaire pouvait être considéré comme le propriétaire apparent du mur mitoyen. On sait en effet que, par principe et sauf fraude, l’administration ne peut exiger du pétitionnaire la production d’un titre habilitant à construire adéquate que pour autant que son dossier de demande révèle qu’il n’est pas propriétaire de l’ensemble du terrain et/ou des ouvrages sur lesquels les travaux sont projetés.
A défaut, le pétitionnaire doit être considéré comme propriétaire apparent du terrain et/ou des ouvrages, sauf à ce que l’administration ait connaissance en cours d’instruction d’une contestation sérieuse élevée par un tiers revendiquant leur propriété.
Or, en l’espèce, le dossier de demande précisait expressément que le mur sur lequel devaient être réalisés des travaux relevant de part leur nature de l’article 662 du Code civil, présentait un caractère mitoyen. La Cour a donc considéré que forte de cette information, la commune aurait du vérifier que le pétitionnaire avait obtenu et produit à son dossier de demande, au titre de l’article précité, l’accord du propriétaire du fond voisin ou le règlement d’expert relatif au moyen nécessaires pour que les travaux projetés ne portent pas atteinte aux droits dudit propriétaire sur le mur pour, à défaut, rejeter la demande de permis de construire.
Constatant que le dossier de demande présenté par Mme Y. ne contenait ni l’accord de M.X., ni le règlement d’expert susvisé, la Cour a donc jugé que les travaux projetés méconnaissaient les prescriptions de l’article 662 du Code civil et, par voie de conséquence, que les permis de construire obtenus dans ces conditions avaient été délivrés en méconnaissance de l’article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme ainsi que dans une affaire quasi-identique l'avait précédemment jugé la Cour administrative d'appel de Bordeaux (CAA. Bordeaux, 23 mai 2002, Féron, juris-data n°2002-194766. Voir également pour une déclaration de travaux portant sur une cloture mitoyenne: CAA. Marseille, 1er avril 1999, M. Hérard, req. n°97MA10082).
Enfin, on peut relever que le Tribunal administratif de Versailles avait pour sa part considéré que les faits invoqués dans la demande de retrait présentée par M.X, le 29 avril 2002, constituait une contestation sérieuse emportant l’obligation pour l’administration de retirer le permis de construire primitif et d’opposer un refus à la demande de permis de construire modificatif. Et précisément, la commune appelante soutenait que cette contestation ne pouvait être prise en compte s’agissant du permis de construire primitif puisqu’elle était postérieure à la délivrance de ce dernier dont la légalité devait s’apprécier à sa date d’obtention et n’était pas non plus opérante s’agissant du permis de construire modificatif puisque pour avoir été évoquée antérieurement à la date de délivrance de ce dernier celle-ci ne pouvait être considérée comme sérieuse.
Mais la Cour a donc estimé que ces considérations étaient inopérantes en l’espèce dès lors qu’informée du caractère mitoyen du mur par les indications fournies par le pétitionnaire dans sa demande de permis de construire, l’administration était tenue de vérifier si ce dernier justifier du respect des prescriptions de l’article 662 du Code civil sans, pour ce faire, qu’il soit nécessaire elle ait été préalablement saisie ou informée d’une contestation sérieuse se rapportant au mur mitoyen.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit - Avocat à la Cour
Cabinet Frêche & Associés