Deux permis de construire sur un même terrain et à un même titulaire
Un second permis de construire délivré à titre unipersonnel à l’un des cotitulaires d’un premier permis de construire conjoint n’emporte pas le retrait implicite de cette première autorisation
CAA. Lyon, 4 janvier 2012, M. D… et Mlle A…., req 10LY01094
Voici un arrêt qui nous permet de revenir sur les contours de feu (?) la jurisprudence « Vicqueneau » et, plus généralement, sur la question relative à la possibilité d’obtenir deux permis de construire sur un même terrain.
Dans cette affaire, la commune de Saint-Jorioz avait d’abord délivré, le 29 septembre 2005, un premier permis de construire sollicité puis obtenu conjointement par M.X… et Mme Y, lequel devait toutefois être frappé d’un recours en annulation. Ultérieurement, un second permis de construire devait être délivré, le 8 novembre 2006, mais cette fois-ci uniquement au bénéfice de Mme Y.
Mais ce second permis de construire devait également être frappé d’un autre recours en annulation exercé par les mêmes requérants pour ainsi amener les parties défenderesses à invoquer la jurisprudence « Vicqueneau » et ainsi conclure au non-lieu à statuer sur la requête exercée à l’encontre du premier permis de construire délivré en 2005.
Deux observations doivent tout d’abord être formulées sur ce point.
D’une part, il faut préciser que le second du permis de construire avait été délivré le 8 novembre 2006. Même à considérer qu’il ait pu valoir retrait du précédent, il n’en demeurait pas moins que cette décision était antérieure à l’entrée en vigueur de l’alinéa 2 de l’article L.424-5 du Code de l’urbanisme, qui rappelons-le :
• dispose que « le permis de construire, d'aménager ou de démolir, tacite ou explicite, ne peut être retiré que s'il est illégal et dans le délai de trois mois suivant la date de cette décision. Passé ce délai, le permis ne peut être retiré que sur demande explicite de son bénéficiaire » ;
• a été clairement voulu (mais peut-être mois clairement rédigé…) pour mettre un terme à la jurisprudence « Vicqueneau » qui procédait du postulat selon lequel la demande se rapportant au second permis valait implicitement demande de retrait du premier.
L’article L.424-5 précité n’était donc pas applicable à la date de délivrance du second permis et, a fortiori, à la date de la seconde demande. Il s’ensuit que l’arrêt commenté ce jour ne saurait donc aucunement s’analyser comme un maintien de la jurisprudence « Vicqueneau ».
D’autre part, il faut d’ailleurs rappeler que la spécificité de la jurisprudence « Vicqueneau » au regard de la jurisprudence antérieure à cet arrêt tenait au fait qu’en toute hypothèse la délivrance du second permis de construire valait retrait définitif du premier, y compris en cas d’annulation du second.
Or, comme le sait, cette spécificité a disparu avec l’arrêt par lequel le Conseil d’Etat a jugé que « les conclusions aux fins d'annulation du permis initial ne deviennent sans objet du fait de la délivrance d'un nouveau permis qu'à la condition que le retrait qu'il a opéré ait acquis, à la date à laquelle le juge qui en est saisi se prononce, un caractère définitif ; que tel n'est pas le cas lorsque le nouveau permis de construire a fait l'objet d'un recours en annulation, quand bien même aucune conclusion expresse n'aurait été dirigée contre le retrait qu'il opère » (CE. 29 juin 2005, Sté Semmaris », req. n°262.328).
Mais en l’espèce, il n’y avait donc même pas lieu de faire application de la règle issue de l’arrêt précité puisque le second permis de construire était également frappé d’un recours ; la seule circonstance que la Cour administrative d’appel de Lyon ait rejeté la requête dirigée à l’encontre de cette seconde autorisation ne suffisant pas à conférer à celle-ci un caractère définitif.
Il reste que ce n’est pas pour cette raison que la Cour a refusé de faire application de ce qu’il reste de la jurisprudence « Vicqueneau » mais au motif suivant :
« Considérant que le permis de construire délivré à Mme C le 8 novembre 2006 n’a pu opérer implicitement le retrait de celui du 29 septembre 2005, qui, à supposer d’ailleurs qu’il n’ait reçu aucun commencement d’exécution, avait été délivré à la fois à Mme C et à M. B et n’avait donc pas exactement le même bénéficiaire ; que dès lors, comme l’a jugé le Tribunal, les conclusions dirigées contre ce premier permis ont conservé leur objet ».
Il faut en effet préciser que l’arrêt « Vicqueneau » avait au premier chef posé une règle contentieuse dont il résultait que :
• d’une part et dans l’hypothèse où le second permis était annulé, cette circonstance n’avait pas pour effet de faire revivre le premier, sauf à ce que le second ait été spécifiquement contesté en tant qu’il valait retrait du premier ;
• d’autre part et par voie de conséquence, il n’y a plus lieu de statuer sur le recours exercé à l’encontre du premier permis de construire, la requête à son encontre devenant ainsi sans objet.
L’arrêt « Vicqueneau » n’avait donc pas érigé un principe général du droit de l’urbanisme selon lequel deux permis de construire ne pouvaient pas légalement être délivrés sur un même terrain, sans que le premier ne soit retiré. C’est ce qu’avait d’ailleurs confirmé l’arrêt « SEMMARIS » en 2005 (CE. 29 juin 2005, Sté Semmaris », req. n°262.328).
Mais en toute hypothèse, il faut surtout rappeler que la mise en œuvre de la jurisprudence « Vicqueneau » était subordonnée à trois conditions cumulatives :
• tout d’abord, les deux permis de construire devaient porter sur le même terrain ;
• ensuite, le projet autorisé par le second permis de construire devait être similaire à celui visé par le premier ou, à tout le moins, les deux permis de construire devaient avoir le « même objet » (CE. 7 juillet 1999, Michelland, req. 181.312) ou poursuivre « le même but » (CAA. Versailles,18 novembre 2004, M. Bruno Y., req n°02VE02508) ;
• enfin, il était nécessaire que le second permis de construire soit délivré au même titulaire que le premier (CE. 16 janvier 2002, Portelli, Juris-Data, n° 2002-063443) puisqu’ainsi qu’il a été pré-exposé, la solution dégagée par l’arrêt « Vicqueneau » procédait de l’analyse selon laquelle la demande se rapportant au second permis valait implicitement demande de retrait du premier.
Ainsi de la même façon que le transfert d’un permis de construire requiert en toute hypothèse l’accord du bénéficiaire initial puisqu’à son égard ce transfert vaut retrait de l’autorisation dont il était titulaire, un second permis de construire délivré sur un même terrain, pour un même projet mais à un autre bénéficiaire ne peut valoir retrait du premier puisque la demande présentée par le second pétitionnaire ne peut s’analyser comme une demande implicite de retrait d’une autorisation créatrice de droits à l’égard du premier.
A cet égard, la solution retenue par la Cour administrative d’appel de Lyon n’est donc pas innovante.
Ce qui est évidemment plus intéressant tient à la circonstance que dans cette affaire le second permis de construire avait été délivré à titre unipersonnel à l’un des cotitulaires du premier permis de construire qui pour sa part était donc conjoint.
Force est donc de considérer que quels que soient les rapports et/ou les liens existant entre le(s) titulaire(s) du premier permis de construire et le(s) titulaire(s) du second, il n’y a donc pas de place pour la jurisprudence « Vicqueneau » dès lors que les deux autorisations en cause n’ont « pas exactement le même bénéficiaire ».
Cet arrêt tend donc implicitement à valider les pratiques fréquemment mises en œuvre par les opérateurs pour contourner cette jurisprudence, en l’occurrence en constituant des structures ad hoc dans le seul d’obtenir un second permis de construire sans que celui-ci n’emporte le retrait du premier.
Mais si la Cour n’avait pas à se prononcer sur ce point dans le cadre de conclusions de non-lieu à statuer puisqu’en toute hypothèse le premier permis de construire n’en aurait pas moins subsisté, il faut néanmoins relever que la Cour n’a donc pas même considérer que la délivrance du second permis du second permis de construire avait emporté le retrait du premier en tant qu’il avait été délivré au titulaire du second.
C’est donc que si le premier permis de construire n’avait pas été annulé, son bénéficiaire aurait été titulaire de deux permis de construire sur le même terrain et pour le même projet.
Une parfaite démonstration de l’absurdité tout à la fois de la jurisprudence « Vicqueneau » et de l’interprétation qui en est parfois faite…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
Bonjour Patrick,
Je suis tout à fait d'accord sur le développement de certaines pratiques effectuées par des opérateurs pour éviter les effets du retrait implicite de la première autorisation. La structure ad hoc serait-elle la seule ?. Je m'en explique.
Que se passerait-il dans le cas suivant ?
Une première demande de permis de construire est délivrée à M.X1 et immédiatement la délivrance d'un nouveau permis de construire à M.X2 sur le même terrain et pour le même objet. Dans ce cas précis, la délivrance du second permis n'a pas eu pour objet ni pour effet de retirer la première demande de permis de construire delivrée à M.X1.
Aussitôt le second permis délivré, il est sollicité un transfert de permis de construire de l'autorisation initiale délivré à M.X1 au profit de M.X2.
1/- Je m'interroge sur les risques de refus éventuels de transfert au profit de M.X2 ?
Permis initial en cours de validité, respect du recours à l'architecte, accord des parties, etc. Donc refus difficile.
2/- Nous savons que le transfert vaut retrait de l’autorisation dont était titulaire M.X1.
Ce transfert serait-il en mesure dans ce cas précis de procéder également au retrait de l'autorisation initialement délivrée à M.X2 c'est à dire le second permis de construire ?
En résumé un retrait implicite à l'envers !
PS: Le présent raisonnement ne tient pas compte des effets de l'article L.424-5
Cordialement,
KADA-YAHYA Mansour
Enfin!!