Le pétitionnaire doit-il justifier d’une permission de voirie lorsque l’immeuble à construire présente une saillie sur le domaine public ?
Dès lors que les saillies du projet sont conformes au règlement de voirie auquel renvoie le règlement d’urbanisme local, le permis de construire peut-être légalement délivré sans que le pétitionnaire n’ait à justifier d’une permission de voirie.
CAA. Nantes, 15 octobre 2009, SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE LA RESIDENCE LE DU BELLAY, req. n°08NT02528
Voici un arrêt intéressant en tant qu’il porte sur une question se posant fréquemment mais qui, pourtant, n’a donné lieu qu’à très peu de jurisprudence.
Comme on le sait, il résulte du dispositif entré en vigueur le 1er octobre 2007 que le pétitionnaire, lorsqu’il n’est pas propriétaire du terrain à construire, n’a plus à produire son « titre habilitant à construire » puisqu’il lui incombe simplement d’attester présenter l’une des qualités visées par l’article R.423-1 du Code de l’urbanisme ; attestation intégrée au formulaire « CERFA » et donc établie par la simple signature de celui-ci.
Mais cette suppression non pas de l’exigence du titre habilitant à construire – puisque précisément il résulte de l’article R.423-1 que le permis a encore vocation à sanctionner la qualité du pétitionnaire – connait cependant une exception.
En effet, sans reprendre l’obligation posée par l’ancien article R.421-1-1 du Code de l’urbanisme sur ce point, l’article R.431-13 dispose néanmoins que : "Lorsque le projet de construction porte sur une dépendance du domaine public, le dossier joint à la demande de permis de construire comporte une pièce exprimant l'accord du gestionnaire du domaine pour engager la procédure d'autorisation d'occupation temporaire du domaine public".
Or, l’exigibilité de la pièce visée par l’article précité se pose régulièrement dans la mesure où il est fréquent qu’un immeuble pour être implanté sur une parcelle privée présente néanmoins des saillies sur le domaine public ; la circonstance que ces saillies soient en élévation et de faible importance n’ayant aucune incidence dans la mesure où, d’une part, les règles d’occupation du domaine public ne valent pas seulement au niveau dus sol mais s’appliquent pareillement dans l’espace le surplombant et où, d’autre part, il a pu être jugé que la pièces requises au titre de l’article R.421-1-1 était exigible quelles que soient la nature et l’importance de l’empiétement du projet sur le domaine public (CE. 20 mai 1994, C.I.L de Champvert, Rec., p.1250).
Précisément, dans l’affaire objet de la note du jour, les requérants faisaient griefs au permis de construire attaqué d’autoriser un immeuble présentant des saillies sur le domaine public alors que le pétitionnaire ne justifiait pas avoir obtenu une permission de voirie. Mais ce moyen devait donc être rejeté par la Cour administrative de Nantes aux motifs suivants :
« Considérant qu'aux termes de l'article R. 421-1-1 du code de l'urbanisme dans sa rédaction applicable à la date du permis attaqué : Lorsque la construction est subordonnée à une autorisation d'occupation du domaine public, l'autorisation est jointe au permis de construire ; et qu'aux termes de l'article UB 10 - Hauteur maximale des constructions - du règlement annexé au plan d'occupation des sols de la ville de Nantes alors en vigueur : (...) 4 - En dehors du volume défini au paragraphe 1 du présent article sont autorisées : - les saillies prévues par le règlement de voirie ; qu'aux termes de l'article 26 - Autorisations d'occupation - du règlement général d'utilisation des voies de la ville de Nantes applicable en l'espèce : (...) Les arrêtés de permis de construire ne peuvent valoir occupation du domaine public. Les saillies faisant corps avec la construction (balcons, oriels, corniches, appui de fenêtres...) sont admises dès lors que leurs dimensions n'excèdent pas celles définies à l'article 39 du présent arrêté ; et qu'aux termes de l'article 39 dudit arrêté : (...) Les saillies, qui ne peuvent en aucun cas être établies à une distance inférieure à 0,50 mètre de la bordure du trottoir, doivent obligatoirement s'inscrire dans les dimensions définies ci-dessous : (...) 3 - Voies d'une largeur supérieure à 12 mètres : - 0,80 mètre maximum ; au-delà d'une hauteur de 5 mètres, augmentée de 0,005 mètre par mètre de largeur supplémentaire de voie avec un maximum de 1,20 mètres ;
Considérant que si le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE LA RESIDENCE LE DU BELLAY ET AUTRES font valoir, à l'appui de leur recours formé contre le permis modificatif du 9 mai 2007, que l'immeuble en cause comporte pour sa partie située en alignement sur 30 mètres de façade un débord de toiture d'environ 0,60 mètre, qui empiète sans autorisation au-dessus du domaine public, il ressort des pièces du dossier que ledit débord du toit de l'immeuble litigieux est situé à une hauteur supérieure à 5 mètres et que la largeur de la voie au droit de l'immeuble est supérieure à 12 mètres ; que le débord de toit étant inférieur à 0,80 mètre, le SYNDICAT DES COPROPRIETAIRES DE LA RESIDENCE LE DU BELLAY ET AUTRES ne sont pas fondés à soutenir que le projet occuperait le domaine public en sur-sol sans autorisation ; que, dès lors, aucune permission de voirie ne devait être jointe à la demande de permis ».
En substance, la Cour a donc considéré qu’aucune permission de voirie n’était exigible dès lors que le projet et les saillies en cause étaient conformes à celles autorisées par le règlement de voirie applicable.
Il reste que selon nous l’élément déterminant en l’espèce tient à ce que la disposition du POS communal réglementant les saillies renvoyait expressément à ce règlement de voirie en se bornant à autoriser « les saillies prévues par le règlement de voirie »
Il nous semble clair en effet que la solution retenue par la Cour n’aurait pas été la même si le règlement de POS n’avait pas opéré un tel renvoi ayant, en substance, pour effet d’intégrer les dispositions de règlement de voierie aux prescriptions d’urbanisme devant être sanctionnées par le permis de construire en cause.
En effet, la règlementation d’urbanisme et la règlementation sur le domaine et la voirie publics constituent autant de législations indépendantes. Il s’ensuit que même lorsque le pétitionnaire a obtenu la permission de voirie requise et alors même que celle-ci lui a été octroyé par la même autorité que celle lui ayant délivré le permis de construire, ce permis est illégal dès lors que cette permission n’a pas été jointe au dossier de demande d’autorisation d’urbanisme (CAA. Bordeaux, 19 mai 2008, SCI Parc de Fondargent, req. n°06BX01188) ; cette indépendance des législations impliquant que le Maire délivrant un permis de construire en sa qualité d’autorité de police de l’urbanisme n’est pas réputé avoir connaissance des actes qu’il a pris en sa qualité d’autorité de police de la voirie communale (sur la connaissance des actes pris en matière d’urbanisme : CE 26 octobre 1994, OPHLM du Maine-et-Loire, req. n° 127.718).
Néanmoins, cette solution ne nous parait pas totalement satisfaisante dans la mesure où elle nous semble pour partie procéder d’une confusion entre la conformité du projet et la régularité formelle du dossier ; confusion qu’en outre n’appelait pas à notre sens le règlement de voirie en cause.
En effet, la Cour a donc considéré que dès lors que le projet était conforme au règlement de voirie en cause et donc aux dispositions du POS renvoyant à ce règlement, aucune permission de voirie n’était exigible.
Il reste que le propre d’une autorisation statuant sur une demande est de vérifier que le projet est conforme aux règles lui étant opposables ; ce dont il résulte que le fait d’être conforme à une règlementation ne dispense évidemment pas d’obtenir l’autorisation prévue par cette règlementation pour en assurer le contrôle.
Mais il est vrai qu’en statuant sur la demande de permis de construire et sa conformité au POS, l’administration compétente s’est également prononcé sur la conformité du projet au règlement de voirie auquel renvoyaient les dispositions du POS.
Il reste qu’en l’espèce, le règlement de voirie en cause précisait lui-même, et à juste titre, que « les arrêtés de permis de construire ne peuvent valoir occupation du domaine public » ; ce dont il résulte que même en statuant sur la demande de permis de construire et ainsi sur la conformité du projet au POS, y compris en ce qu’il renvoyait au règlement de voirie municipale, l’administration ne pouvait être regardée ayant octroyé l’autorisation d’occupation du domaine public éventuellement requise.
Or, précisément, il ne nous semble pas qu’en disposant que « Autorisations d'occupation - du règlement général d'utilisation des voies de la ville de Nantes applicable en l'espèce : (...) Les arrêtés de permis de construire ne peuvent valoir occupation du domaine public. Les saillies faisant corps avec la construction (balcons, oriels, corniches, appui de fenêtres...) sont admises dès lors que leurs dimensions n'excèdent pas celles définies à l'article 39 du présent arrêté », l’article 26 du règlement de voirie en cause ait entendu dispenser de permission de voirie les saillies conformes à celles visées par l’article 39.
Force est en effet d’admettre que l’on voit mal l’intérêt qu’il y aurait pour une même disposition à préciser les saillies autorisées tout en rappelant qu’un permis de construire ne saurait valoir autorisation d’occupation du domaine public si les saillies ainsi visées étaient dispensées d’une telle autorisation.
D’ailleurs, si l’on suit le raisonnement de la Cour c’est dans le cas où les saillies projetées n’auraient pas respecté le règlement de voirie que le pétitionnaire aurait dû solliciter une permission de voirie, donc non conforme à ce règlement, et ce dans le but d’obtenir au permis de construire lui-même irrégulier au regard du POS réglementant ces saillies…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés
Commentaires
bravo pour ce commentaire tout à fait passionnant.
je me permets d'attirer l'attention des lecteurs sur le cas, fréquent, où le règlement de voirie est inexistant et celui, troublant, où la gestion de la voirie n'est pas du ressort du maire mais de celui du conseil général... le cas des RN récemment reprises par les départements permettant de cumuler fréquence et trouble ;o) puisqu'à ma connaissance, peu de départements ont déjà repris en l'approuvant en assemblée un règlement de voirie opposable aux pétitionnaires...
il me semble qu'il y a un manque de cohérence entre les différents règlements non?
Bonsoir Patrick
Pour info, je crois que nous avons « perdu » au rugby et notre rugby !
Je me permets de réactiver ce sujet ......brûlant par ailleurs.
Ces surplombs sur le DP posent questionnements.
Le DP étant inaliénable………etc., une permission de voirie ne peut être que temporaire.
Comment régulariser, donc, en droit privé, autrement que par la mise en volumes de cet espace « saillies » et en déclassant certains affectés à ……un usage totalement privé ?
Est-ce bien la vocation du domaine public ? Et comme tu l’as évoqué, cette indépendance des législations autorise-t-elle ces permissions dans les documents d’urbanisme ?
le choix de la procédure permettant cette occupation est dirigé par les principes d'inaliénabilité et d'imprescriptibilité et... du domaine public... sachant qu'il faut a priori comprendre ces principes dans une acception limitée à l'absence d'atteinte à l'affectation de ce domaine...
pour avoir continué deux ou trois recherches sur cette question de l'occupation du domaine public par des surplombs, mes premières conclusions m'amènent à écarter les "servitudes de surplomb" mises en oeuvre par certains opérateurs -notaires notamment- et à préférer une division en volume de l'espace situé au dessus des voies publiques.
cette solution me semble la seule permettant de garantir une pérénité à la construction formant emprise sur le DPR... quand elle n'est pas un simple balcon, mais un volume construit par exemple (arche de la défense par exemple, mais aussi d'autre exemples moins prestigieux !).
qu'en pensez vous ?
un exemple isérois :
http://maps.google.fr/maps?f=q&source=s_q&hl=fr&geocode=&q=scot,+Vienne&sll=45.526314,4.865227&sspn=0.065543,0.209255&ie=UTF8&hq=scot,&hnear=Vienne,+Is%C3%A8re,+Rh%C3%B4ne-Alpes&ll=45.520715,4.870769&spn=0.524393,1.674042&t=h&z=10&layer=c&cbll=45.520715,4.870769&panoid=upJ6tHA4ajeosPW3tRRxTg&cbp=12,32.84,,0,10.4
et j'oubliais ça qui a déclenché le sursaut de curiosité de Jean-Michel ;o)
Cour Administrative d'Appel de Bordeaux, 1ère chambre - formation à 3, 28/10/2010, 10BX00075, Inédit au recueil Lebon