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Quelques précisions sur la portée des conséquences de l’annulation d’une décision de préemption et leur mise en oeuvre

La caducité de la promesse de vente en conséquence de laquelle a été formulée la Déclaration d’Intention d’Aliéner ne dispense pas le titulaire du droit de préemption de proposer à l’acquéreur évincé d’acheter le bien illégalement préempté.

CAA. Paris, 23 novembre 2006, Ville de Paris & Sté AVI, req. n°05PA04012


Dans cette affaire, le Tribunal administratif de Paris avait annulé une décision de préemption édictée par la Ville de Paris, laquelle devait décidé d’interjeter appel de ce jugement. Mais de son côté, le requérant de première instance, en l’occurrence l’acquéreur évincé, en l’espèce la société AVI, devait également saisi la Cour administrative d’appel de Paris d’une demande fondée sur l’article L.911-4 du Code de justice administrative et motivée par la circonstance que la Ville de Paris n’avait pas tiré à son égard les conséquences de l’annulation de la décision litigieuse.

On sait, en effet, que l'annulation par le juge de l'excès de pouvoir de l'acte par lequel le titulaire du droit de préemption décide d'exercer ce droit emporte pour conséquence que ce titulaire doit être regardé comme n'ayant jamais décidé de préempter. Par voie de conséquence, cette annulation implique nécessairement, sauf atteinte excessive à l'intérêt général appréciée au regard de l'ensemble des intérêts en présence, que le titulaire du droit de préemption, s'il n'a pas entre temps cédé le bien illégalement préempté, prenne tout mesure afin de mettre fin aux effets de la décision annulée et qu'il lui appartient à cet égard, d’une part et avant toute autre mesure, de s'abstenir de revendre à un tiers le bien illégalement préempté et d’autre part, de proposer à l'acquéreur évincé puis, le cas échéant, au propriétaire initial, d'acquérir le bien, et ce, à un prix visant à rétablir en l'espèce les conditions de la transaction à laquelle l'exercice du droit de préemption a fait obstacle (sur ce principe : CE. 26 février 2003, M. et Mme Bour, req. n°231.558).

Précisément, la société AVI soutenait que la Ville de Paris n’avait pas tiré toutes les conséquences de l’annulation de la décision litigieuse puisqu’elle ne lui avait pas proposer d’acquérir le bien illégalement préempté. Mais pour sa défense, le Ville de Paris soutenait qu’il n’y avait pas lieu de formuler une telle proposition dès lors que la promesse de vente conclue entre la société AVI et le propriétaire initial du bien avait été frappée de caducité avant que le Tribunal administratif de Paris annule la décision de préemption contestée.

En première analyse, une telle argumentation pourrait surprendre puisque si la Ville de Paris avait effectivement été déliée de son obligation vis-à-vis de l’acquéreur évincé, il lui aurait alors incombé, suivant la jurisprudence « Bour », de proposer au propriétaire initial de racheter ce bien ; ce que la Ville de Paris n’avait pas non plus effectué dans cette affaire.

Il reste que l’article L.911-4 du Code de justice administrative dispose qu’en « cas d'inexécution d'un jugement ou d'un arrêt, la partie intéressée peut demander au tribunal administratif ou à la cour administrative d'appel qui a rendu la décision d'en assurer l'exécution. Toutefois, en cas d'inexécution d'un jugement frappé d'appel, la demande d'exécution est adressée à la juridiction d'appel » (sur la notion de partie intéressée en la matière: CE. 28 avril 2004, UECM, req. n°249.430).

Il s’ensuit que dans l’hypothèse où la caducité de la promesse de vente dont la société AVI aurait effectivement déchargée la Ville de Paris de son obligation vis-à-vis de l’acquéreur évincé, la demande formulée par ladite société sur le fondement de l’article précité n’aurait pu aboutir à l’injonction faite à la Ville de Paris de proposer au propriétaire initial de racheter le bien, d’une part, parce que la société AVI ne l’avait pas demandé, d’autre part et en toute hypothèse, parce qu’en sa qualité d’acquéreur évincé, elle n’avait pas intérêt à agir à cet effet. On sait d’ailleurs (cf : Veille jurisprudentielle n°3 ; note du 7 décembre 2006) que le Conseil d’Etat a très récemment jugé que « si le propriétaire initial d'un bien ayant fait l'objet d'une décision de préemption peut, afin de récupérer son bien, demander au juge administratif d'enjoindre au titulaire du droit de préemption, en exécution de la décision juridictionnelle qui a annulé la décision de préemption, de lui proposer d'acquérir ce bien après l'avoir au préalable proposé à l'acquéreur évincé, il n'a pas qualité pour le saisir à seule fin que le bien préempté soit proposé à l'acquéreur évincé » (CE. 6 septembre 2006, Sté France TELECOM, req. n°289.822).

A contrario, une demande présentée par l’acquéreur évincé sur le fondement de l’article L.911-4 du Code de justice administrative aux fins qu’il soit enjoint au titulaire du droit de préemption de proposer au propriétaire initial de racheter son bien illégalement préempté est, a priori, irrecevable.

Toutefois, il y avait, pour le moins, peu de chances que l’argument présenté par la Ville de Paris prospère. Il est, en effet, de jurisprudence dorénavant bien établie que la caducité de la promesse de vente ne prive pas l’acquéreur évincé de son intérêt à agir à l’encontre de la décision de préempter le bien objet de cette promesse (pour exemple : CAA. Paris, 28 novembre 2000, Association Cultuelle des témoins de Jéhovah de Paris Ouest, req. n°99PA00130).

Dès lors, force est d’admettre que l’on aurait eu du mal à comprendre comment et pourquoi l’acquéreur évincé pourrait avoir intérêt à agir à l’encontre de la décision de préemption nonobstant la caducité de la promesse de vente dont il était titulaire mais, en revanche, serait irrecevable ou, à tout le moins, infondé à solliciter du juge administratif qu’il fasse injonction au titulaire du droit de préemption de tirer les conséquences de l’annulation de la décision litigieuse en lui proposant d’acquérir le bien illégalement préempté en raison de cette même caducité. Et précisément, la Cour administrative d’appel de Paris, après avoir confirmé l’annulation de la décision de préemption en litige, a donc jugé que :

« Considérant que la VILLE DE PARIS soutient avoir effectué l'ensemble des diligences nécessaires à l'exécution du jugement du 28 juillet 2005 ; qu'elle établit avoir payé à la société AVI la somme de 1 000 euros que le Tribunal administratif de Paris avait mise à sa charge et qu'elle a ainsi exécuté l'article 2 du jugement ; que, s'agissant des conséquences à tirer de l'annulation de la décision du 23 décembre 2003, la VILLE DE PARIS fait valoir qu'elle ne devait pas obligatoirement proposer l'acquisition à la société AVI puisque la promesse de vente conclue entre Mme Bohère et cette société était devenue caduque depuis le 30 décembre 2003, cette promesse de vente comportant une clause prévoyant une déchéance si le bénéficiaire n'avait pas signé l'acte d'acquisition à cette date ; que toutefois, en admettant qu'une telle clause puisse avoir pour effet de mettre fin aux obligations que la promesse de vente impose aux parties, elle ne fait pas obstacle à ce que, en cas d'annulation de la décision de préemption qui, en l'espèce, a été seule à empêcher la poursuite de la vente, le bien soit proposé à l'acquéreur évincé ; que, dès lors, la VILLE DE PARIS, qui n'a pas proposé l'acquisition du bien préempté illégalement à la société AVI ainsi qu'elle y était tenue, n'a pas entièrement exécuté le jugement susvisé du Tribunal administratif de Paris ».

Il faut, cependant, relever que la Cour a souligné que la décision de préemption illégale « a été seule à empêcher la poursuite de la vente ». Il ne semble donc pas déraisonnable d’en déduire que le titulaire du droit de préemption pourrait être déliée de son obligation à l’égard de l’acquéreur évincé dans l’hypothèse où il parviendrait à prouver qu’en toute hypothèse, la vente initialement promise n’aurait pas été réalisée.

Mais quoi qu’il en soit, l’arrêt commenté va donc sur ce point dans le sens non seulement de la jurisprudence administrative relative à l’intérêt à agir de l’acquéreur évincé et à la présomption d’urgence dont il bénéficie nonobstant la caducité de la promesse de vente dont il était titulaire (CE. 22 avril 2005, Ville de Choisy-le-Roy, req. n°274.054) mais également de la jurisprudence judiciaire et, plus particulièrement, dans une certaine mesure, de l’arrêt par lequel la 3e chambre civile de la Cour de cassation a jugé qu’eu égard à l’effet rétroactif de l’annulation d’une décision de préemption, la condition suspensive de non-exercice du droit de suspension sous laquelle a été conclue la promesse de vente doit être considérée comme réalisée, si bien que l’acquéreur retrouve conséquemment l’ensemble de ses droits et peut donc poursuivre l’exécution forcée de la vente précédemment promise (Cass. civ., 22 juin 2005, SARL Sud Immobilier c/ Lasmarigues, pourvoi n° 03-20.473).

Et pour être complet, puisque la solution ici retenue est propre au cas d’espèce, on relèvera également que la Cour administrative d’appel a rejeté l’argument de la Ville de Paris selon lequel la rétrocession du bien illégalement préempté emporterait une atteinte excessive à l’intérêt général et ce, au motif suivant :

« Considérant que la VILLE DE PARIS fait valoir qu'elle a conféré à la Régie Immobilière de la Ville de Paris des droits réels sur le bien préempté, par un bail emphytéotique conclu le 11 avril 2005 ; que, par une délibération des 12, 13 et 14 décembre, elle a voté l'octroi de subventions pour l'opération ; que la Régie est sur le point de désigner les entreprises de travaux et que la revente aurait des conséquences pour les locataires en place ; que toutefois, la société AVI établit que les travaux n'ont pas débuté ; qu'il n'apparaît pas que la subvention accordée pour la réalisation de l'opération ait été dépensée non plus qu'il ne résulte de l'instruction que la cession à la société AVI aurait des conséquences pour les locataires en place ; que, par suite la VILLE DE PARIS n'est pas fondée à soutenir que, dans les circonstances de l'espèce, la revente du bien porterait une atteinte excessive à l'intérêt général ».

Sur ce point, l’arrêt commenté peut néanmoins être rapproché, dans une certaine mesure, de la décision par laquelle le Conseil d’Etat a récemment jugé qu’une requête aux fins de référé suspension à l’encontre d’une décision de préemption conservée son objet tant que cette dernière n’était pas devenue irréversible, ce qui n’est pas le cas tant que le titulaire du droit de préemption est propriétaire du bien ainsi acquis (CE.18 juillet 2006, M. Monique X. & autres, req. n°291.569).


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat à la Cour
Cabinet Frêche & Associés

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