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Si le juge administratif semble pouvoir vérifier la faisabilité juridique du projet motivant une décision de préemption, il ne lui incombe pas, en toute hypothèse, d’en vérifier l’utilité

Si la légalité d’une décision de préemption semble subordonnée à la faisabilité juridique du projet la motivant au regard des règles d’urbanisme qui lui sont opposables, celle-ci est, en revanche, indépendante de toute considération liée à sa nécessité ou à son utilité compte tenu de l’existence d’autres projets tendant au même but.

CAA. Bordeaux, 12 septembre 2006, M. X., req. n°03BX02110


L’arrêt commenté précise les conditions auxquelles est subordonnée la légalité interne d’une décision de préemption et ce que doit subséquemment contrôler le juge administratif. On sait, en effet, que si la légalité externe d’une décision de préemption est subordonnée au respect d’un grand nombre de prescriptions d’ordre procédural et formel, les conditions de sa légalité interne résultent uniquement de l’article L.210-1.al.1 du Code de l’urbanisme en ce qu’il dispose que : « les droits de préemption institués par le présent titre sont exercés en vue de la réalisation, dans l'intérêt général, des actions ou opérations répondant aux objets définis à l'article L. 300-1, à l'exception de ceux visant à sauvegarder ou à mettre en valeur les espaces naturels, ou pour constituer des réserves foncières en vue de permettre la réalisation desdites actions ou opérations d'aménagement ».

Or, s’il est établi qu’à ce titre il incombe au juge administratif de vérifier que le projet motivant la décision de préemption constitue bien une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme, la question de pose de savoir quel type de contrôle appelle la précision selon laquelle le droit de préemption doit être exercé « dans l’intérêt général ».

Dans cette affaire, la Communauté urbaine de Bordeaux avait décidé de préempter un terrain aux fins d’y réaliser un programme de logements sociaux. Et comme souvent, l’acquéreur évincé devait exercer un recours en annulation à l’encontre de cette décision. Toutefois, ses moyens d’annulation étaient plus originaux que sa démarche puisque le requérant soutenait que, d’une part, le coefficient d’occupation des sols applicable au terrain ne permettait la réalisation du projet motivant la décision de préemption contestée et que, d’autre part, un projet privé de logements sociaux était pas ailleurs projeté.

En substance, le requérant estimait donc que le projet n’était pas juridiquement réalisable au regard des prescriptions d’urbanisme qui lui seraient opposables et, au surplus, était inutile puisqu’un projet privé répondant à l’objectif poursuivi par le titulaire du droit de préemption était déjà planifié.

Saisie en appel, après que la requête eu été rejetée par le Tribunal administratif de Bordeaux, la Cour administrative d’appel de Bordeaux devait confirmer le jugement de première instance et, par voie de conséquence, rejeter la requête de l’acquéreur évincé aux motifs suivants :

« Sur le premier moyen : considérant que si les visas de l'arrêté du 6 décembre 2001 mentionnent que le terrain est situé dans la zone UBg du plan d'occupation des sols qui le régit, alors que ce terrain est en réalité inclus dans la zone UC1 du même plan dont le règlement offre un coefficient d'occupation des sols de 0,2 au lieu de 0,5 pour celui de la première zone, il ne ressort pas des pièces du dossier que les dispositions du plan d'occupation des sols effectivement applicables s'opposeraient à la réalisation du projet de logements sociaux en vue duquel le droit de préemption urbain a été exercé ni qu'elles rendraient la parcelle préemptée inapte à cette réalisation ; qu'il ne résulte pas davantage du dossier que l'erreur ainsi commise affecterait les caractéristiques essentielles du projet de construction de logements, tel qu'il existait à la date de la préemption ; qu'ainsi, la préemption décidée par le président de la communauté urbaine de Bordeaux ne peut être regardée, du seul fait de l'erreur commise quant à la référence de la zone où est située la parcelle soumise au droit de préemption, comme entachée d'illégalité ;
Sur le second moyen : considérant que la décision de préemption contestée, justifiée par le projet de construction de logements sociaux, répond à un objectif d'intérêt général légalement prévu par les dispositions de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme instituant le droit de préemption urbain ; qu'à l'appui de conclusions dirigées contre une pareille décision, le moyen tiré de l'existence d'un projet privé de construction de logements locatifs, qui répondrait aux exigences fixées par le plan d'occupation des sols en matière de coefficient d'occupation du sol, est inopérant ».

Sur le premier moyen, il faut ainsi relever que la Cour n’a pas estimé que celui-ci était par nature inopérant mais a effectivement recherché si les prescriptions d’urbanisme applicables au terrain préempté et, plus précisément, le coefficient d’occupation du sol prescrit par le POS communal étaient susceptibles de s’opposer à la réalisation des logements sociaux projetés pour ainsi valider, sur ce point, la décision contestée dans la mesure où tel n’était pas le cas en l’espèce. Et l’on soulignera que cette conclusion n’a pas été formulée avec l’insertion de l’usuel « en toute état de cause », ce qui induit que si effectivement lesdites prescriptions d’urbanisme s’étaient opposées à la réalisation du projet, la décision de préemption en litige aurait pu être conséquemment annulée. On rappellera, en effet, que cette insertion dans une décision juridictionnelle doit être comprise comme signifiant que le juge estime qu’en toute hypothèse, le moyen manque en fait et qu’il n’est donc pas utile à la solution du litige de vérifier si, en droit, il compte effectivement parmi ceux susceptibles d’être utilement opposés à la décision contestée et, en d’autres termes, d’emporter son annulation s’il est établi en fait.

Il semble donc falloir en déduire que la légalité d’une décision de préemption est subordonnée à la faisabilité juridique du projet motivant cette décision, notamment, au regard des prescriptions d’urbanisme applicables.

Une telle conclusion nous paraît toutefois sujette à caution, notamment, pour ce qui concerne le contrôle de la faisabilité juridique du projet au regard des prescriptions du règlement d’urbanisme local.

Tout d’abord, s’il est de jurisprudence bien établie qu’une décision de préemption doit être motivée par un projet contemporain, réel et précis, il n’est cependant pas nécessaire que celui-ci soit finalisé ; ce qui est le plus souvent le cas puisque la collectivité publique attendra d’être propriétaire de l’immeuble préempté pour arrêter définitivement la consistance du projet.

On peut donc s’interroger sur l’opportunité de contrôler la faisabilité d’une opération au stade de projet au regard de prescriptions juridiques puisque lors de sa finalisation le projet pourra être modifié pour, le cas échéant, être adapté aux prescriptions qui lui seront alors opposables.

Ensuite, aucune disposition textuelle, ni aucune règle d’origine jurisprudentielle n’impose que le projet motivant la décision de préemption soit réalisé dans un délai précis. Or, entre la décision de préemption et la réalisation du projet, les règles juridiques qui lui sont opposables peuvent évoluer dans un sens ou dans un autre, si bien qu’un projet juridiquement réalisable à la date d’édiction de cette décision pourra ultérieurement ne plus être concrétisable ou inversement.

Enfin et surtout, une décision de préemption ne vaut ni autorisation de travaux et n’emporte en elle même aucune utilisation ou occupation du sol, c’est-à-dire qu’elle ne relève pas du champ d’application matériel du règlement d’urbanisme local. En outre, pour être légale, une décision de préemption doit tendre à la réalisation d’une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme, ce qui induit, notamment, que le projet la motivant réponde à l’intérêt général. Or, si tel est effectivement, le cas, ce projet pourra justifier une révision du document d’urbanisme local, le cas échéant, selon la procédure simplifiée prévue par l’article L.123-13 du Code de l’urbanisme.

Dès lors, il ne nous semble pas que le contrôle du juge administratif puisse et doive porter sur la faisabilité du projet au regard des prescriptions d’urbanisme qui lui sont opposables à la date d’édiction de la décision de préemption motivée par ce dernier. Aussi, la portée apparente de l’arrêt commenté sur ce point semble devoir être relativisée puisque si ce dernier semble opérer un tel contrôle et semble implicitement juger le moyen opérant, toujours est-il que ce moyen n’a pas été retenu à l’encontre de la décision contestée.

En revanche, la portée du second considérant est beaucoup plus nette puisque la Cour administrative d’appel de Bordeaux a donc jugé que dès lors qu’une décision de préemption tend, comme en l’espèce, à la réalisation d’une opération d’aménagement au sens de l’article L.300-1 du Code de l’urbanisme, cette décision répond ipso facto à l’objectif d’intérêt général que lui assigne l’article L.210-1.

Par voie de conséquence, la Cour en a donc déduit que le moyen tiré de l’existence d’un projet privé de logements sociaux et, en d’autres termes, de l’inutilité et/ou de l’absence de nécessité de la décision de préemption était inopérant, c’est-à-dire n’était pas, en toute hypothèse, de nature à emporter l’annulation d’une telle décision.

Il s’ensuit qu’il n’incombe pas au juge administratif de vérifier l’utilité du projet poursuivi, ni la nécessité de préempter l’immeuble en cause. A cet égard, l’arrêt commenté confirme l’analyse faite par la Cour administrative d’appel de Douai qui elle-même avait, peu de temps auparavant, jugé que :

« Considérant, en premier lieu, qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir de vérifier si les projets d'actions ou d'opérations envisagés par le titulaire du droit de préemption entrent dans le champ d'application de l'article L. 210-1 du code de l'urbanisme et sont ainsi de nature à justifier légalement l'exercice du droit de préemption ; qu'il suit de là qu'en portant son contrôle sur la nécessité pour la COMMUNE DE COULOGNE de recourir à l'exercice du droit de préemption, le Tribunal administratif de Lille a entaché son jugement d'erreur de droit ; qu'ainsi, le moyen retenu par les premiers juges tiré de ce que la COMMUNE DE COULOGNE ne justifie pas de la nécessité d'acquérir le bien préempté, ne saurait justifier l'annulation qu'ils ont prononcée » (CAA. Douai, 9 février 2006, Communauté urbaine d’Arras, req. 05DA00504).

En tout état de cause, l’intérêt général auquel doit répondre une décision de préemption n’autorise donc pas le juge administratif à exercer sur celle-ci un contrôle analogue à celui qu’il pratique à l’égard des déclarations d’utilité publique préalables à une procédure d’expropriation.

On sait, en effet, que dans la mesure où le projet justifiant une telle expropriation doit non pas seulement répondre à un objectif d’intérêt général mais, bien plus, présenter une utilité publique, le juge exerce sur les déclarations d’utilité publique un contrôle maximal dit du « bilan coûts – avantages » par lequel il peut annuler un arrêté déclaratif d’utilité publique au motif, à titre d’exemple, que l’expropriation n’est pas nécessaire puisque la collectivité expropriante dispose déjà d’autres terrains lui permettant de réaliser la même opération dans les mêmes conditions (CE. 3 avril 1987, Métayer, req. n°64.995) et/ou qu’elle n’est pas utile puisque le projet poursuivi ne tend pas à répondre à un besoin insatisfait (CE. 30 avril 1997, Cne de Petit-Quevilly, req. n°140.440).


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet Frêche & Associés

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