Quel contrôle de l’équilibre économique et financier d’un projet d’Unité Touristique Nouvelle ?
Si le dossier de demande d’autorisation d’UTN ne doit pas exposer les conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet de façon erronée, insincère ou irréaliste, il n’incombe cependant pas à l’administration, ni par voie de conséquence au juge administratif, d’apprécier la viabilité économique et financière de ce projet.
CAA. Bordeaux, 2 juillet 2007, ADPACE, req. n°04BX01267
Positivons : les dysfonctionnements actuels du site Légifrance nous amènent à revenir sur un arrêt, d’ailleurs pas si ancien, que nous avions à l’époque relever dans une « veille jurisprudentielle mensuelle », lequel nous permet de traiter pour la première fois ici, si notre mémoire est bonne et nos archives à jour, des autorisations d’Unité Touristique Nouvelle (UTN).
Sans exposer dans le détail, la nature et le régime spécifique de cette autorisation relative à l’utilisation du sol – car c’en est une (CAA, Bordeaux, 28 décembre 1995, Association de défense du Lac de Lourdes, req. n°95.121 ; CAA. Marseille, 8 décembre 2005, req. n°02MA00707) – celle-ci nous semble pouvoir être présentée comme se situant à la croisée des chemins des différents « outils » prévus par le droit de l’urbanisme puisqu’elles empruntent tant à la planification urbaine et à l’aménagement qu’aux autorisations d’urbanisme stricto sensu.
Pour partie, on retrouve, d’ailleurs, cette spécificité dans le dossier de demande que se doit de produire le pétitionnaire au titre de l’article R.145-6 du Code de l’urbanisme (anciennement R.145-2) dont on rappellera qu’il dispose que :
« La demande est accompagnée d'un dossier comportant un rapport et des documents graphiques précisant :
1° L'état des milieux naturels, des paysages, du site et de son environnement, comprenant le cas échéant l'historique de l'enneigement local, l'état du bâti, des infrastructures et des équipements touristiques existants avec leurs conditions de fréquentation, ainsi que les principales caractéristiques de l'économie locale ;
2° Les caractéristiques principales du projet et, notamment, de la demande à satisfaire, des modes d'exploitation et de promotion des hébergements et des équipements, ainsi que, lorsque le projet porte sur la création ou l'extension de remontées mécaniques, les caractéristiques du domaine skiable, faisant apparaître les pistes nouvelles susceptibles d'être créées ;
3° Les risques naturels auxquels le projet peut être exposé ainsi que les mesures nécessaires pour les prévenir ;
4° Les effets prévisibles du projet sur le trafic et la circulation locale, l'économie agricole, les peuplements forestiers, les terres agricoles, pastorales et forestières, les milieux naturels, les paysages et l'environnement, notamment la ressource en eau et la qualité des eaux, ainsi que les mesures de suppression, compensation et réhabilitation à prévoir, et l'estimation de leur coût ;
5° Les conditions générales de l'équilibre économique et financier du projet » ;
puisque ce dernier impose ainsi la production de documents constitutif d’un dossier à l’objet et au contenu pas si éloignés d’une étude d’impact mais qu’il ne constitue pourtant pas (CAA. Lyon, 18 juillet 2000, Cne de Mont de Lans, req. n°96LY02821). Et c’est, bien entendu, l’exigence d’un exposé des « conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet » qui s’avère le plus spécifique.
C’est, d’ailleurs, sur ce point, notamment, que devait être contestée l’autorisation d’UTN en litige dans l’affaire objet de l’arrêté ici commenté par l’association requérante, laquelle soutenait que non seulement le dossier produit par le pétitionnaire était insuffisant à cet égard mais encore qu’en délivrant cette autorisation le Préfet de Région aurait entaché sa décision d’une erreur manifeste d’appréciation puisque la viabilité économique et financière du projet n’était pas établie.
S’agissant de l’aspect formel du dossier, l’exposé des conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet constitue une formalité substantielle dont il résulte que le juge administratif contrôle non seulement la présence au dossier mais également son caractère complet et adéquat.
A cet égard, la décision rendue par la Cour administrative d’appel de Bordeaux est donc classique puisque, sur ce point, celle-ci a jugé que :
« Considérant qu’il ne ressort pas des pièces du dossier que les données relatives aux conditions générales de l'équilibre économique et financier du projet, notamment celles concernant le montant des recettes et des dépenses de l'opération soient erronées, insincères ou irréalistes ; que, dans ces conditions, le dossier au vu duquel la décision d'autorisation a été prise répond également aux exigences des dispositions précitées du 5° de l'article R. 145-2 du code de l'urbanisme ».
Mais si l’on prescrit au pétitionnaire de produire un dossier exposant les conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet, lesquelles doivent donc reposées sur des données exactes et présentées de façon sincère et surtout réaliste, force est de donc de considérer qu’il incombe à l’administration puis, le cas échéant, au juge administratif d’en contrôler sur le fond, au moins de manière restreinte, la viabilité économique et financière du projet ; ce que pouvait, d’ailleurs, laisser à penser certaines décisions rendues en la matière par la Cour administrative d’appel de Marseille, laquelle a pu juger que :
« Considérant, d'une part, que la circonstance que l'équilibre économique et financier de l'unité touristique nouvelle PORTE DES NEIGES ne puisse être réalisé qu'à la condition que la SA PORTE DES NEIGES obtienne la concession des remontées mécaniques, n'est pas par elle-même de nature à faire obstacle à la délivrance de l'autorisation de création ; que, d'autre part, il ne ressort pas des pièces du dossier que les données relatives aux estimations des recettes, notamment en ce qui concerne les recettes des remontées mécaniques, et celles relatives au montant des dépenses nécessaires à la réalisation du projet, notamment en ce qui concerne le coût des mesures compensatoires et des équipements publics, doivent être regardées comme erronées ou insincères ; que, par suite, c'est à tort que, pour annuler la décision du préfet de Région Midi-Pyrénées du 16 décembre 1996, le tribunal administratif a estimé que les conditions générales de l'équilibre économique et financier du projet n'étaient pas réunies » (CAA. Marseille, 30 août 2001, FENEC, req. n°99MA02269);
Et :
« Considérant qu'il n'est pas établi que les conditions de l'équilibre économique et financier du projet ne seraient pas réunies » (CAA. Marseille, 30 août 2001, FENEC, req. n°98MA00513) ;
en sous-entendant ainsi que la circonstance que ces conditions ne soient effectivement pas réunies pourrait avoir une incidence sur la légalité d’une autorisation d’UTN et, donc, qu’il incomberait alors au juge administratif d’opérer un contrôle sur ce point puisque dans ces deux affaires le moyen a été rejeté non pas comme inopérant mais comme manquant en fait et ce, sans être assorti du classique « en tout état de cause ».
Pourtant, la Cour administrative d’appel de Bordeaux a donc très clairement jugé que :
« Considérant, en quatrième lieu, que si les dispositions précitées du 4° de l'article 145-2 du code de l'urbanisme prévoient que le dossier de demande d'autorisation d'une unité touristique nouvelle comporte des indications sur l'équilibre économique et financier du projet présenté, il n'appartient pas au préfet compétent pour délivrer l'autorisation de porter une appréciation sur la viabilité économique et financière de ce projet ; que le moyen tiré de ce que ledit préfet aurait commis une erreur manifeste d'appréciation sur la viabilité économique du projet de l'unité touristique nouvelle « des Bouscaillous », qui est ainsi inopérant, doit par suite être écarté ».
En résumé, si le dossier de demande d’autorisation d’UTN ne doit pas exposer les conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet de façon erronée, insincère ou irréaliste, il n’incombe cependant pas à l’administration, ni par voie de conséquence au juge administratif, d’apprécier la viabilité économique et financière de ce projet.
Mais dès lors, on voit mal quelle est l’utilité de prescrire au pétitionnaire la production d’un dossier analysant de façon détaillée et précise les conditions générales de l’équilibre économique et financier du projet, si celles-ci n’intéressent pas la légalité de l’autorisation d’UTN et si, par voie de conséquence et en toute hypothèse, elles n’ont pas à faire l’objet d’un contrôle au fond de l’administration et du juge administratif.
D’ailleurs, cette interprétation de l’article R.145-6 du Code de l’urbanisme ne pourra que conduire le pétitionnaire à produire un dossier exempt de toute critique formelle sur ce point puisqu’il pourra, sans crainte, produire un « bilan » faisant ressortir l’absence de viabilité économique et financière du projet dès lors que celui-ci repose sur des données exactes et présentées de façon sincère et réaliste…
De ce fait, la seule utilité que l’on pourrait trouver sur ce point à l’article précité et d’amener ainsi le pétitionnaire à réfléchir sur la viabilité de son projet et sur l’opportunité de le mener à terme.
Il reste que si tel est le cas, cet objectif nous paraît incompatible avec le délai de validité d’une autorisation d’UTN – quatre ans – permettant d’engager la réalisation du projet bien après l’étude de sa viabilité économique et financière et dans un secteur particulièrement sujet aux retournements de conjoncture.
Mais pour conclure, on précisera que ce n’est pas tant la décision de la Cour administrative d’appel de Bordeaux qui nous surprend que, plus fondamentalement, l’existence du point 5° de l’article R.145-6 du Code de l’urbanisme puisque si l’on voulait lui reconnaître une portée sur le fond, force est d’admettre qu’elle ne pourrait que conduire le juge administratif à pratiquer un contrôle touchant à l’utilité du projet ; contrôle étranger au droit de l’urbanisme – y compris pour le « cousin » du droit de l’expropriation que l’on peut voir dans le droit de préemption (en ce sens : CAA. Douai, 9 février 2006, Communauté urbaine d’Arras, req. 05DA00504 & CAA. Bordeaux, 12 septembre 2006, M. X., req. n°03BX02110) – si ce n’est pour ce qui a trait à la déclaration de « PIG » (CE.21 juin 1999, Cne de la Courneuve, req. n°179.612), laquelle est, d’ailleurs, très proche de par son objet et ses effets sur le document local d’urbanisme de la déclaration d’utilité publique.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat à la Cour
Cabinet FRÊCHE & Associés