Sur l’adresse du pétitionnaire comme garantie de l’objectif de sécurité juridique poursuivi par l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme
Un recours notifié à l’adresse du siège de l’établissement principal de la personne morale et non pas à l’adresse de son établissement secondaire titulaire du permis de construire, telle que cette adresse est renseignée par l’arrêté contesté et le formulaire « CERFA », est irrecevable au regard de l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme.
TA. Châlons-en-Champagne, 20 juin 2013, req. n°12-00550 (Jugement du 20 juin 2013.PDF - définitif)
Dans cette affaire, le permis de construire contesté avait fait l’objet d’un recours gracieux puis d’un recours contentieux exercé auprès du Tribunal administratif de Châlons-en-Champagne.
Si les requérants avaient entendu notifier chacun de ces recours, et notamment leur recours contentieux, tant à la Ville auteur de la décision contestée qu’à la société titulaire de ce permis de construire, il reste qu’ils avaient en fait opéré cette notification au nom et surtout à l’adresse de l’établissement principal de cette société et non pas donc à l’adresse de son établissement secondaire qui avait sollicité cette autorisation et ce, en renseignant sa propre adresse dans le formulaire « CERFA », laquelle devait ainsi être retranscrite dans l’arrêté de permis de construire.
C’est précisément pour ce motif que la requête devait donc être rejetée comme irrecevable au regard de l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme :
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. Chaste et autres ont adressé la notification de leurs recours gracieux, déposé auprès de la commune de Reims le 12 décembre 2011, à la SA Bouygues immobilier, au 3 boulevard Gallieni à Issy-les-Moulineaux ; qu'ils ont notifié de la même façon leur recours contentieux, enregistré le 26 mars 2012 ; que toutefois, le demandeur de l'autorisation contestée tel que figurant dans la demande de permis de Construire et dans l'ensemble des documents joints à cette demande est la SA Bouygues immobilier région Est Agence Lorraine Champagne, dont le siège est au 9 rue André Pingat à Reims ; que les requérants font valoir, en produisant notamment un extrait du Kbis de la société Bouygues immobilier, que la société domiciliée à Reims est un établissement secondaire du siège social de Issy-les-Moulineaux que, pour autant, conformément à l'objectif de sécurité juridique poursuivi par la loi, le bénéficiaire réel de l'autorisation doit être informé de l'existence d'un recours, notamment au regard du lien existant avec l'ouvrage autorisé : qu'en l'espèce, compte tenu de l'autonomie juridique dont dispose l'agence Lorraine-Champagne, qui, comme il a été dit précédemment, a déposé en son nom la demande du permis de construire contesté, et de l'objet de l'autorisation délivrée, la notification prévue par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme faite par les requérants au siège social de la SA Bouygues immobilier ne peut être regardée comme régulièrement réalisée, ni pour le recours gracieux, ni pour le recours contentieux ; que le recours gracieux formé le 12 décembre 2011 n'a pu conserver le délai de recours contentieux, et la requête déposée le 26 mars 2012 était ainsi tardive; que par suite, la requête présentée par M. Chaste et autres est irrecevable ».
Malgré les liens existants entre l’établissement principal auquel avaient été adressés les recours et l’établissement secondaire ayant obtenu le permis de construire, cette décision fondée sur l’objectif de sécurité juridique poursuivi par l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme apparait difficilement contestable non pas tant (ou seulement) au regard de l’autonomie juridique du second qu’en raison du fait que l’adresse de celui-ci n’était pas celle du premier.
En effet, si l’on sait que le Conseil d’Etat a pu admettre la régularité d’une notification effectuée au conjoint du titulaire du permis de construire, et non pas distinctement à ce dernier, c’est dans la mesure où :
« Considérant qu'il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme était la bénéficiaire de la décision de non-opposition à la déclaration de travaux et devait donc être regardée comme le titulaire de l'autorisation, au sens de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme ; que la lettre recommandée portant notification du recours gracieux de Mme A contre cette décision a été adressée non à Mme , mais à M. ; que, toutefois, eu égard à l'objet de la procédure prévue par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme et dès lors qu'il n'était pas contesté devant les juges du fond que M. et Mme ne sont pas séparés de corps, la notification à M. au domicile commun du couple d'une lettre qui aurait dû être adressée à sa conjointe satisfaisait aux exigences de cet article ; que le délai du recours contentieux avait dès lors été conservé par le recours gracieux exercé par Mme A ; qu'ainsi le tribunal administratif n'a commis aucune erreur de droit en admettant la recevabilité de la demande de cette dernière » (CE. 7 août 2008, Cne de Libourne, req. n°288.966).
Surtout, il est de jurisprudence constante que la notification prévue par l’article R.600-1 du Code de l’urbanisme doit en toute hypothèse s’effectuer à l’adresse du pétitionnaire telle qu’elle est renseignée par l’arrêté de permis de construire et/ou par le formulaire « CERFA » de demande ; (CE. 23 avril 2003, Association « Nos Villages », req. n°251.608 ; CAA Marseille, 31 mars 2011, « ALCTJ de FLOELLI », req. n°09MA00589) ; étant rappelé que rien n’impose en revanche que cette adresse figure sur le panneau d’affichage prescrit par l’article R.424-15 (CAA. Bordeaux, 20 novembre 2003, SCI La Rocaille, req. n°99BX01471). A titre d’exemple, il a en effet été jugé que :
« Considérant que les demandes de M. X... DE MOULINS tendant à l'annulation des décisions en date des 12 mars et 29 avril 1996 par lesquelles le maire d'Orgeval a délivré respectivement un permis de démolir et une autorisation de lotir à la société en nom collectif Le clos de la Vernade ont été enregistrées au greffe du tribunal administratif de Versailles le 24 mai 1996 ; qu'il ressort des pièces du dossier que M. X... DE MOULINS n'a pas notifié ses recours à la société en nom collectif Le clos de la Vernade, titulaire des autorisations n°33.550.06.Z.1194es, dans le délai de quinze jours francs à compter de l'enregistrement de ses demandes devant le tribunal administratif, en méconnaissance des dispositions susrappelées ; que M. X... DE MOULINS ne peut utilement se prévaloir de ce qu'il avait procédé à la notification de son recours à la commune d'Orgeval, dès lors que cette notification ne le dispensait pas de notifier son recours au titulaire des autorisations n°33.550.06.Z.1194es ;
que les circonstances invoquées qu'à la date où ont été délivrés le permis de démolir et l'autorisation de lotir, la société en nom collectif Le clos de la Vernade n'avait pas d'existence juridique et n'était pas immatriculée au registre du commerce et que l'acquisition du terrain ait été postérieure à la demande, sont sans influence sur l'obligation de notification qui pesait sur le requérant dès lors que les décisions n°33.550.06.Z.1194 portaient la mention du titulaire de l'autorisation et de son adresse mettant ainsi l'intéressé en mesure de notifier son recours, alors même que les formalités juridiques de constitution de la société n'étaient pas achevées ; que par suite, c'est à bon droit que le tribunal administratif de Versailles a considéré que M. X... DE MOULINS n'avait pas satisfait aux prescriptions des dispositions de l'article L.600-3 du code de l'urbanisme et a rejeté ses demandes principales comme irrecevables » (CAA. Paris, 23 juin 1998, Ernault de Moulins, req. n°97PA01949 & 97PA01950) ;
mais a contrario que :
« Considérant, en troisième lieu, qu'aux termes des dispositions de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme, reprises à l'article R. 411-7 du code de justice administrative, dans leur rédaction applicable à la date du recours : « En cas de déféré du préfet ou de recours contentieux à l'encontre d'un document d'urbanisme ou d'une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol régie par le présent code, le préfet ou l'auteur du recours est tenu, à peine d'irrecevabilité, de notifier son recours à l'auteur de la décision et, s'il y a lieu, au titulaire de l'autorisation. Cette notification doit également être effectuée dans les mêmes conditions en cas de demande tendant à l'annulation ou à la réformation d'une décision juridictionnelle concernant un document d'urbanisme ou une décision relative à l'occupation ou l'utilisation du sol. L'auteur d'un recours administratif est également tenu de le notifier à peine d'irrecevabilité du recours contentieux qu'il pourrait intenter ultérieurement en cas de rejet du recours administratif » ; qu'il est constant que la notification du recours formé par M. X et M. Y devant le Tribunal administratif de Lille a été faite, par lettre recommandée avec accusé de réception, dans le délai de quinze jours prévu par les dispositions précitées, à l'adresse que la SCI LES EPOUX, bénéficiaire du permis de construire contesté, avait indiquée dans sa demande d'autorisation de construire et qui figurait sur le permis qui lui a été attribué ; qu'il ne ressort pas des pièces du dossier que cette société qui n'avait pas procédé à un nouvel affichage sur le terrain de son permis de construire, avait, en tout état de cause, fait connaître, notamment à la mairie, son changement d'adresse ; que, par suite, et alors même que les auteurs du recours avisés par les services de la Poste de l'échec de leur notification à la seule adresse connue de la société à l'époque, n'aient pas cherché sa nouvelle adresse afin de renouveler la notification de leur recours, ils doivent être regardés comme ayant régulièrement accompli les formalités prescrites par l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme et n'ont pas méconnu l'objectif de sécurité juridique poursuivi par ce texte ; qu'il ne ressort pas, par ailleurs, des pièces du dossier que le pli adressé tant à la mairie qu'à la société bénéficiaire du permis de construire ne contenait pas, contrairement aux mentions portées sur la lettre d'accompagnement de la notification de leur recours, la copie intégrale de leur recours » (CAA. Douai, 14 mai 2008, SCI Les Epoux, req. n°07DA00950)
Ainsi dès lors que la notification est opérée à cette adresse, celle-ci est régulière, quand bien même n’est elle pas strictement effectuée à l’attention de la personne physique ou morale désignée comme titulaire du permis de construire ; pour autant bien entendu qu’il existe entre la personne destinataire de cette notification et le titulaire de l’autorisation contestée un « lien de droit » suffisant puisqu’en revanche, il a pû être jugé que :
« Considérant qu'aux termes de l'article R. 600-1 du code de l'urbanisme (…) ; qu'il résulte de ces dispositions que Mme X devait notifier la présente requête à l'association Saint-Michel, bénéficiaire du permis de construire litigieux ;
Considérant que la requête en appel a été notifiée à la SARL Plénitude Saint Michel, M. Y, ... ; que si Mme X soutient que le président et l'adresse de la SARL Plénitude Saint-Michel sont également ceux de l'association Saint-Michel, la notification à la SARL Saint-Michel et non au titulaire de l'autorisation qui est l'association Saint-Michel ne satisfait pas aux exigences de l'article précité ; que la requête de Mme X est dès lors irrecevable » (CAA. Bordeaux, 10 février 2005, Aimée Cara, req. n°01BX02062).
A l’inverse, et sauf cas plus particulier (pour exemple : CE. 13 juillet 2011, SARL Love Beach, req. n°320.448), cette notification est donc irrégulièrement accomplie lorsqu’elle n’est pas faite à l’adresse indiquée par le pétitionnaire, lequel déjà tributaire des services postaux n’a donc pas à rechercher si de potentiels requérants n’auraient pas notifié un recours à une autre adresse que celle déclarée, ni à espérer alors que le réceptionneur de cette notification veuille bien l’en informer, si possible dans le délai de 15 jours prévus par l’article R.600-1 (sur cette considération, voire également ici)
Voici donc une solution « équitable » : si le pétitionnaire ne peut utilement alléguer d’un changement adresse ou d’une défaillance des services postaux, les requérants ne peuvent donc se prévaloir des liens entre le pétitionnaire et la personne à l’adresse de laquelle ils ont notifié leur recours.
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés