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De l’annulation partielle…des décisions portant transfert d’office dans le domaine public communal des voies privées

 

Lorsqu’une partie seulement de la voie visée par une décision de « municipalisation » prise au titre de l’article L.318-3 du Code de l’urbanisme ne constitue pas une voie ouverte à la circulation publique au sens de cet article, cette décision peut être partiellement annulée, uniquement donc en tant qu’elle concerne ce tronçon.

TA. Cercy-Pontoise, 21 février 2013, Association AVECOVAL & autres, req. n°10-07157.pdf



La divisibilité contentieuse des décisions d’urbanisme ne cesse de progresser comme l’illustre ce jugement – certes rendu par le Tribunal administratif de Cergy-Pontoise mais pas par sa chambre en charge de l’urbanisme – lequel propose cependant une solution inattendue, pour ne pas dire quelque peu critiquable.

Dans cette affaire, et sur le fondement de l’article L.318-3 du Code de l’urbanisme, la Ville de Saint-Cloud avait engagé une procédure de municipalisation d’une voie privée ayant abouti à un arrêté de transfert d’office de la totalité de cette voie dans le domaine public communal ; arrêté pris par le Préfet en conséquence de l’opposition à cette mesure manifestée par certains des copropriétaires de cette voie à l’occasion de l’enquête publique prescrite par ce même article.

Et c’est donc la totalité de cet arrêté qui devait être frappée d’un recours en annulation. Pour autant, une partie de cette décision devait être validée comme portant effectivement sur un tronçon de la voie constituant une voie ouverte au public au sens de l’article mais, en revanche, annulée pour l’autre tronçon et ce, au motif suivant :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la parcelle AH 293 de l’avenue Eugénie est une impasse, qu’elle fait l’objet d’une restriction d’accès, un panneau d’interdiction de circuler mentionnant « propriété privée. Interdiction de circuler» étant disposé à son entrée, qu’elle ne permet l’accès qu’aux immeubles des riverains et à leurs parkings, qu’elle est étroite, ne permettant pas à deux véhicules de se croiser et présente une forte déclivité ; qu’au surplus une partie des propriétaires de cette voie conteste l’usage public de leur bien et refuse de renoncer à son usage purement privé ; que la partie haute de l’avenue Eugénie ne peut donc être considérée comme une voie ouverte au public au sens des dispositions précitées de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme ; que par suite, le préfet a commis une erreur de droit au regard de ces dispositions en procédant, par l’arrêté contesté, au transfert d’office de la parcelle AH 293 de la voie privée «avenue Eugénie » dans le domaine public de la commune de Saint Cloud ».

En résumé, le Tribunal a donc conclu que le tronçon en cause ne constituait pas en lui-même une voie ouverte au public au sens de l’article L.318-3 du Code de l’urbanisme et ce, pour trois principaux motifs de faits : les caractéristiques physiques de la voie, l’interdiction de circuler résultant du panneau apposé à son entrée, combinée à l’opposition déclarée des riverains à son utilisation publique et le caractère restreint de sa fonction de desserte.


Une telle analyse nous parait quelque peu sujette à caution.

En effet, la qualification de voie ouverte à la circulation publique ne saurait tout d’abord dépendre des caractéristiques physiques de la voie considérée. Ainsi, non seulement le fait qu’une voie présente une déclivité ne saurait bien entendu exclure cette qualification mais il en va de même de la circonstance qu’elle soit aménagée en impasse (CE. 9 mai 2012, Alain C…, req. n°335.932) puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :

« Considérant que l’impasse Jumilhac, située dans le lotissement Le Tuquet sur la commune de Bosmie-l’Aiguille et desservant les propriétés des requérants se trouve dans un ensemble d’habitation au sens de l’article L. 318-3 précité ; que si les requérants ont tenté à plusieurs reprises de se prémunir contre l’ouverture de cette voie à la circulationpublique par l’installation d’obstacles en interdisant l’accès, le règlement du lotissement approuvé par arrêté préfectoral du 10 septembre 1973 et notamment à son article 3 dispose que : "Les voies et espaces libres sont destinés à être incorporés (...) à la voirie communale. ...) le sol des voies et des places sera perpétuellement affecté à la circulation publique" ; que dès lors en faisant application à l’impasse Jumilhac des dispositions précitées de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme permettant le transfert dans le domaine public communal d’une voie privée ouverte à la circulation publique dans un ensemble d’habitations, le Premier ministre n’a pas commis d’erreur de droit » (CE. 10 février 1992, Pierre X…, req. n°107.113. voir également : CAA. Marseille, 10 avril 2009, Jean-François X…, req. n°06MA03409).

Ensuite, si le Tribunal a relevé l’apposition d’un panneau mentionnant « propriété privée. Interdiction de circuler », il reste qu’à l’examen de la jurisprudence le seul fait qu’un panneau d’interdiction de circuler soit apposé à l’entrée d’une voie ne suffit pas à la faire regarder comme fermée à la circulation publique en l’absence de toute installation matérialisant cette interdiction et faisant obstacle à son accès puisqu’à titre d’exemple, il a été jugé que :


« Considérant que la salle polyvalente dont la construction a été autorisée par le permis de construire attaqué dispose de son entrée principale et de ses seuls accès sur la voie n° 6, dite voie du patronage, dont le terrain d’assiette appartient aux époux X... ; que les époux X... n’ont jamais dressé aucun obstacle pour en interdire l’accès, la clôture qu’ils ont édifiée autour de leur propriété maintenant au contraire la libre disposition de ce passage ; qu’ainsi le maire de Mercatel a pu à bon droit, pour délivrer le permis de construire attaqué se fonder sur ce que cette voie était ouverte à la circulation publique à la date de la décision accordant le permis de construire et pouvait desservir la construction projetée ; que, par suite, c’est à tort que le tribunal administratif de Lille s’est fondé sur la violation des dispositions de l’article R.111-4 du code de l’urbanisme pour annuler l’arrêté municipal du 24 avril 1989 » (CE. 13 mars 1992, Epoux X…, req. n°117.814) ;

ou, plus récemment, que :


« Considérant (…) qu’il ressort des pièces du dossier que la voie privée appartenant à la copropriété Le Rambaud était à la date du permis de construire ouverte à la circulation publique, même si une partie des propriétaires envisageait pour l’avenir la fermeture de cette voie publique et qu’elle comportait un panneau propriété privée , et un panneau parking privé ; qu’il ne ressort pas des pièces du dossier, que la bande de terrain sur laquelle est implantée une haie végétalisée, puisse être regardée comme une propriété distincte de cette voie privée ouverte à la circulation publique » (CAA. Lyon, 15 février 2011, Henri A…, req. n°08LY01637).

Il faut d’ailleurs rappeler que l’installation d’un tel panneau d’interdiction de circuler constitue une mesure de police qui, même sur une voie priée, relève de l’article L.2212-2 du Code général des collectivités territoriales et, par voie de conséquence, n’incombe qu’à la seule autorité municipale dès lors que l’article L.411-6 du Code de la route précise expressément que : « le droit de placer en vue du public, par tous les moyens appropriés, des indications ou signaux concernant, à un titre quelconque, la circulation n'appartient qu'aux autorités chargées des services de la voirie ».

En revanche, le propriétaire d’une voie privée peut y interdire la circulation en usant de l’attribue de son droit de propriété que constitue le droit de se clore et, concrètement, en fermant matériellement cette voie à la circulation publique, à titre d’exemple par l’installation d’un portail ou plus simplement d’une chaine.


Quant à la circonstance « qu’au surplus une partie des propriétaires de cette voie conteste l’usage public de leur bien et refuse de renoncer à son usage purement privé », il résulte des termes mêmes de l’article L.318-3 que celle-ci est sans incidence sur la qualification de voie ouverte à la circulation publique ; cette considération n’ayant d’influence que sur la détermination de l’autorité compétente pour décider de la « municipalisation » de cette voie, l’alinéa 3 de cet article disposant en effet que « cette décision est prise par délibération du conseil municipal. Si un propriétaire intéressé a fait connaître son opposition, cette décision est prise par arrêté du représentant de l’Etat dans le département, à la demande de la commune ».

Enfin, même à admettre que la voie en cause « ne permet l’accès qu’aux immeubles des riverains et à leurs parkings » il reste qu’au regard du droit de l’urbanisme notamment une voie qu’aucune installation matérielle n’empêche d’emprunter et présentant une fonction de desserte constitue une voie constitue une voie ouverte à la circulation publique (pour exemple : CAA. Marseille, 6 octobre 2011, Cne de Camps la Source, req. n°09MA03338 ; CAA. Lyon, 21 octobre 2003, Stéphane X…, req. n°99LY01935 ) ; étant d’ailleurs rappelé que dans la mesure où l’article L.318-3 du Code de l’urbanisme vise les voies « dans les ensembles d’habitations », cet article est précisément applicable aux voies internes d’un lotissement ou d’une copropriété (CAA. Douai, 4 mars 2003, Communauté Urbaine de Lille, req. n°01DA00341). Au demeurant, le Conseil d’Etat a d’ailleurs jugé que :


« Considérant que si les requérants soutiennent que la décision attaquée, qui les dépossède au profit de personnes n’ayant sur l’impasse Jumilhac aucun droit de propriété, est entachée de détournement de procédure et porte atteinte à l’égalité devant les charges publiques, les dispositions de l’article L. 318-3 du code de l’urbanisme ne réservent pas la procédure de transfert d’office dans le domaine public communal des voies ouvertes à la circulation publique dans les ensembles d’habitations, aux voies qui seraient propriété de l’ensemble des propriétaires riverains ou susceptibles d’y avoir accès » (CE. 10 février 1992, Pierre X…, req. n°107.113).

Ainsi, si l’article L.318-3 du Code de l’urbanisme n’est donc pas réservé aux seules voies de desserte de propriétés riveraines, c’est donc, a contrario, qu’il est néanmoins également applicable à celles-ci.


Quant à l’annulation partielle de la décision contestée, celle-ci apparait elle-même sujette à caution au cas présent.

En effet, outre que la mesure de municipalisation contestée semblait poursuivre un but unique, le seul fait que les deux tronçons considérés de la voie en cause soit traversée par une voie publique (emportant le découpage de ces deux tronçons en deux parcelles cadastrales distinctes) n’apparait pas nécessairement suffisant dès lors que ces deux tronçons relevaient d’un même régime de propriété, étaient dans le prolongement l’un de l’autre, si bien que le premier permettait notamment d’accéder au second alors qu'il a pu être jugé que :

« Considérant qu’il ressort des pièces du dossier que la parcelle AK 630, située dans le lotissement La Musardière sur la commune de Roncq et qui dessert quatre lots dont celui appartenant à M. X, se situe dans un ensemble d’habitations au sens de l’article L. 318-3 précité ; qu’elle se trouve au même niveau que la rue de la Briquetterie, voie ouverte à la circulation publique et incorporée au domaine public par le même arrêté, dans la continuité de cette rue ; qu’elle doit ainsi être regardée comme elle-même ouverte à la circulation publique ; que le moyen tiré de ce que M. X en est propriétaire indivis et en a pour partie payé le prix lors de l’acquisition de son lot est inopérant dès lors que la disposition précitée a précisément pour objet de permettre le transfert sans indemnité dans le domaine public d’une voie privée ouverte à la circulation publique » (CAA. Douai, 4 mars 2004, Communauté Urbaine de Lille, req. n°01DA00341).

Mais précisément, on peut se demander si en résumé le Tribunal n’a pas confondu la notion de « voies ouvertes à la circulation publique » visée par l’article L.318-3 avec celle, plus restreinte, de voies ouvertes à la circulation automobile générale (sur la distinction, comparer notamment : CAA. Paris 10 mai 2007, M. Y., req. n°04PA02209 / CAA. Bordeaux, 29 mai 2007, Cne de Soorts-Hossegor, req. n°05NX00180).

 

 

Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

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