Sur l’instruction effective des demandes de permis de construire soumises à enquête publique
Si l’article R.424-20 du Code de l’urbanisme prévoit que le délai d’instruction d’une demande de permis de construire soumise à enquête publique court à compter de la remise du rapport du Commissaire enquêteur, cette circonstance ne s’oppose pas à ce que les avis des services à consulter soient sollicités et émis avant cette échéance.
CAA. Nancy, 28 juin 2012, Jean-Louis A… & autres, req. n°011NC01228
Voici un arrêt qui à défaut d’être fondamental d’un point de vue juridique s’avère particulière utile d’un point de vue pratique.
Dans cette affaire, le pétitionnaire avait présenté une demande de permis de construire portant sur l’implantation de deux éoliennes et soumise à enquête publique préalable dont le rapport fut remis 28 décembre 2008 avant que le permis de construire soit délivré le 24 février 2009.
Ce permis de construire devait cependant faire l’objet d’un recours en annulation fondé sur la circonstance que les services consulté sur le projet avaient émis leur avis avant la remise du rapport du commissaire enquêteur, et ce en méconnaissance selon eux de l’article R.423-20 du Code de l’urbanisme..
Pour autant, alors que ces avis avaient donc bien été recueillis avant ce moyen fut rejeté par la Cour administrative d’appel de Nancy au motif suivant :
« Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article R. 423-20 du code de l'urbanisme : " Par dérogation aux dispositions de l'article R. 423-19, lorsque le permis ne peut être délivré qu'après enquête publique, le délai d'instruction d'un dossier complet part de la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête. / Les dispositions de l'alinéa précédent ne sont pas applicables quand l'enquête publique porte sur un défrichement. " ;
Considérant que les requérants soutiennent que les dispositions précitées ont été méconnues en ce que l'ensemble des avis visés dans l'arrêté attaqué ont été émis avant l'avis émis par le commissaire enquêteur le 25 décembre 2008 ; que, toutefois, comme l'ont à bon droit estimé les premiers juges, les dispositions précitées ne font pas obstacle à ce que le service instructeur de la demande de permis de construire recueille auprès des personnes publiques, services ou commissions intéressés par le projet, les accords, avis ou décisions prévus par les lois ou règlements en vigueur antérieurement à la réception du rapport du commissaire enquêteur, ceux-ci n'étant pas conditionnés par le dépôt de celui-là ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions précitées doit être écart ».
Dès lors que l’article R.423-20 allégué par les requérants ne comportait aucune disposition sur ce point, cette solution est pour le reste parfaitement logique dès lors que :
• d’une façon générale, la jurisprudence se borne en fait à exiger que les avis devant être recueillis soient émis entre le dépôt de la demande et la délivrance du permis de construire (CE. 6 juillet 1983, Sté l’Allobroge, req. n°38336 ; CE. 31 mai 1995, Cne de Sasset les Pins, req. n°121.012) ;
• plus spécifiquement, s’ils recouvrent de fait la période pendant laquelle l’autorité compétente doit recueillir les avis des services intéressés par le projet, il n’en demeure pas moins qu’en droit les délais d’instruction d’une demande sont conçus comme une garantie pour le pétitionnaire et doivent ainsi être compris comme des délais d’instruction maximum (CE. 10 mai 1996, SCI Rayons Verts, req. n°140.027).
Dès lors qu’ils sont recueillis après le dépôt de la demande d’un dossier complet, ces avis sont donc réguliers sur ce point lorsque, par exception à l’article R.423-19, le déclenchement du délai d’instruction de cette demande est différé et ne correspond donc pas à ce seul dépôt.
Mais rendue au sujet des demandes de permis de construire soumises à enquête publique, cette solution présente un double intérêt.
En effet, si l’article R.423-20 précité se borne à préciser que le délai court à compter de la remise du rapport d’enquête publique, l’article R.423-32 du Code de l’urbanisme précise pour sa part que le délai d’instruction d’une demande soumise à enquête publique est « de deux mois à compter de la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête ».
Il reste que ce dernier article est inséré au sein d’une section du code prévoyant plusieurs autres cas de majoration du délai d’instruction de droit commun, parmi lesquels au premier chef la majoration de six mois prévue, par l’article R.423-28, s’agissant des projets portant sur un « ERP » et ce, alors que l’article R.423-33 dispose seulement que « Les majorations de délai prévues aux articles R. 423-24 et R. 423-25 ne sont pas applicables aux demandes mentionnées aux articles R. 423-26 à R. 423-32 ».
A contrario, même s’il est vrai ce n’est pas d’une extrême clarté, la majoration de six mois prévue par l’article R.423-28 du Code de l’urbanisme est donc applicables au permis de construire soumis à enquête publique.
C’est d’ailleurs la raison pour laquelle l’Administration centrale a précisé « dans ce cas de figure, le point de départ du délai d'instruction coïncide avec la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête (art. R. 423-20 et R. 423-32 du code de l'urbanisme). Concernant le nouveau délai d'instruction à notifier, il correspond au délai de substitution le plus long. Par exemple, dans l'hypothèse d'un établissement recevant du public (ERP) soumis à enquête publique au titre de l'article R. 123-1 du code de l'environnement, le nouveau délai d'instruction sera de six mois à partir de la réception par l'autorité compétente du rapport du commissaire enquêteur ou de la commission d'enquête » (Rép. Min. n°20118, JOAN 2 septembre 2008, p.7570).
Par voie de conséquence, l’arrêt commenté ce jour tend à valider la pratique consistant à obtenir les avis des services intéressés par le projet avant même la remise du rapport du commissaire enquêteur et ce, pour délivrer immédiatement après le permis de construire sollicité.
Mais au-delà de son intérêt évident sur ce point, cette pratique permet également d’assurer la légalité de ce permis de construire au regard des règles propres à la procédure d’enquête publique.
En effet, si l’article R.423-20 prévoit donc que le délai d’instruction de la demande court à compter de la réception du rapport du commissaire enquêteur et, suivant une certaine logique, appelle ainsi à solliciter les avis requis après la remise de ce document, il reste que pour sa part l’article R.123-8 du Code de l’environnement dispose que : « le dossier soumis à l'enquête publique comprend les pièces et avis exigés par les législations et réglementations applicables au projet » et, « au moins », ceux « rendus obligatoires par un texte législatif ou réglementaire préalablement à l'ouverture de l'enquête »…
Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat associé au barreau de Paris
Cabinet Frêche & Associés
Commentaires
Merci pour ce commentaire.
Pour information, l'administration centrale semble être revenue sur la réponse ministérielle citée: elle indique désormais que le délai d'instruction d'un PC soumis à enquête publique est de deux mois à compter de la remise du rapport du commissaire enquêteur sans possibilité de majoration supplémentaire.
EM
Bonjour,
Je me permets de réagir, travaillant dans ce domaine.
La question du délai d'instruction d'un permis de construire soumis à enquête publique (abordé à l'article R.423-32 du CU) est bel et bien de 2 mois post-réception du rapport du Commissaire-enquêteur par l'autorité en charge de la signature de l'autorisation.
La question à l'AN de 2008 a été invalidée par les services du Ministère en charge de l'urbanisme au motif de la non-connaissance de l'article R.423-32 du CU qui stipule clairement le délai de traitement d'un permis de construire soumis à enquête publique.
Les permis soumis à enquête publique doivent donc être instruit en parallèle de la tenue de l'enquête publique, sachant que les conclusions du commissaire-enquêteur ne lient pas l'autorité compétente dans sa décision (une enquête publique est menée au titre du Code de l'environnement et un permis de construire ne peut être refusé que si le Code de l'urbanisme prévoit clairement la possibilité pour le Code de l'environnement de motiver un refus (comme cela est le cas pour le Code du patrimoine ou le Code de la construction et de l'habitation).
Très cordialement