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  • Sur l’application de l’article L.554-10 du Code de justice administrative

    Un EPIC n’ayant aucune compétence en matière de délivrance d’autorisations d’urbanisme ne saurait exercer un référé sur le fondement des dispositions des articles L.554-10 du Code de justice administrative et de l’article L.600-3 du Code de l’urbanisme

    TA. Melun, 18 décembre 2008, SAN Melun Sénart, req. n°0808434-4

    Voici un jugement intéressant en ce qu’il traite des conditions de mise en œuvre du référé prévu par l’article L.554-10 du Code de l’urbanisme, lesquelles n’avaient à notre connaissance encore donné lieu à aucune jurisprudence.

    Comme on le sait une requête aux fins de référé suspension exercée sur le fondement de l’article L.521-1 du Code de justice administrative à l’encontre d’un permis de construire bénéficie d’une présomption d’urgence à suspendre la la décision contestée procédant du fait que dès sa délivrance, les travaux ainsi autorisés sont susceptibles d’être exécutés et ce faisant, de porter une atteinte irréversible aux intérêts du requérant.

    Il reste que cette présomption ne dispense aucunement le juge des référés de statuer sur l’urgence à suspendre le permis de construire contesté (CE. 18 octobre 2006, M. Patrick D., req. n° 294.183) ; et pour cause puisque cette présomption n’est pas « irréfragable » et peut être (exceptionnellement) renversée s’il est établi qu’il y a urgence à exécuter les travaux en cause.

    Cependant, les articles L.554-10 du Code de justice administrative et L.600-3 (L.421-9, anc.) du Code de l’urbanisme disposent respectivement que :

    - d’une part, «la décision de suspension d'un permis de construire dont la demande est présentée par l'Etat, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale devant le tribunal administratif obéit aux règles définies par le premier alinéa de l'article L. 421-9 du code de l'urbanisme ci-après reproduit : " Art. L. 421-9, alinéa 1. - L'Etat, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale, lorsqu'ils défèrent à un tribunal administratif une décision relative à un permis de construire et assortissent leur recours d'une demande de suspension, peuvent demander qu'il soit fait application des dispositions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales » ;

    -d’autre part, « l'Etat, la commune ou l'établissement public de coopération intercommunale, lorsqu'ils défèrent à un tribunal administratif une décision relative à un permis de construire ou d'aménager et assortissent leur recours d'une demande de suspension, peuvent demander qu'il soit fait application des dispositions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 2131-6 du code général des collectivités territoriales »;

    et prévoient ainsi une procédure de référé dispensée du débat sur l’urgence et susceptible, par voie de conséquence, d’aboutir à la suspension du permis de construire attaqué dès lors que sa légalité apparaît affectée d’un doute sérieux.

    C’est sur ce fondement que dans l’affaire objet du jugement commenté, le SAN requérant – un EPCI, donc – devait solliciter la suspension de l’exécution d’un permis de construire un établissement pénitentiaire programmé dans le cadre de la loi du 9 septembre 2002 d’orientation et de programmation pour la justice et qu’il y avait donc a priori urgence à exécuter ; d’où le recours à cette procédure.

    Mais suivant l’argumentaire présenté par la société pétitionnaire, le juge des référés du Tribunal administratif de Melun devait donc dénier à l’EPCI requérant la possibilité de fonder son action sur les articles précités pour ainsi rejeter sa requête pour défaut d’urgence et ce, aux motifs suivants :

    « considérant qu'il résulte de la combinaison de ces dispositions que les titulaires de droit commune pour délivrer les autorisations d'urbanisme sont le maire et le préfet : qu'un établissement public de coopération intercommunale ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L.421-9, nouvellement codifiées à l'article L.600-3 du code de l'urbanisme, que lorsqu'il a reçu délégation d'une commune pour exercer la compétence en matière d'autorisation d'urbanisme et que le président de l'établissement se trouve, par suite de cette délégation, dans la même situation que l'aurait été le maire si la compétence n'avait pas été déléguée; qu'il résulte de l'instruction et qu'il n'est pas contesté que le maire de la commune de Réau, sur le territoire de laquelle doit être édifié un établissement pénitentiaire, objet du permis de construire contesté, n'a pas délégué sa compétence pour délivrer les autorisations d'urbanisme au président du SYNDICAT D'AGGLOMERATION NOUVELLE (S.A.N.) DE SENART ; qu'en outre le permis de construire délivré au nom de l'Etat pour le préfet de Seint et Marne à la société THEIA, pour la construction d'un établissement pénitentiaire sur le territoire de la commune de Réau, a recueillir l'avis favorable du maire de Réau ; que dès lors, ainsi que le soutiennent à bon droit le préfet de Seine-et-Marne et la société THEIA, le S.A.N. DE SENART; requérant, ne peut saisir le juge des référés d'une demande de suspension de l'exécution du permis de construire dont s'agit que sur le fondement des dispositions de l'article L.521-1 du code de justice administrative;
    SUR L'URGENCE :
    Considérant qu'aux termes du premier alinéa de l'article R.522-1 dudit code, pris pour l'application de l'article L.521-1 : "La requête visant au prononcé de mesures d'urgence doit (...) justifier de l'urgence de l'affaire"; qu'eu égard au caractère difficilement réversible de la construction d'un bâtiment autorisée par un permis de construire, la condition d'urgence doit en principe être constatée lorsque les travaux vont commencer ou ont déjà commencé sans être pour autant achevés; qu'il peut, toutefois, en aller autrement au cas où le pétitionnaire ou l'autorité qui a délivré le permis justifient de circonstances particulières; qu'il appartient alors au juge des référés de procéder à une appréciation globale de l'ensemble des circonstances de l'espèce qui lui est soumise ; qu'il résulte de l'instruction et des observations échangés entre toutes les parties au cours de l'audience de référé, que, premièrement, les travaux dont s'agit ne sont pas commencés à la date de la présente ordonnance, mais qu'ils sont susceptibles de commencer dans un délai bref, de l'ordre de quelques semaines, et peuvent être regardés comme imminents; que, toutefois, le S.A.N DE SENART n'apporte ni dans le cadre de la procédure écrite ni lors de l'audience publique aucune justification propre de l'urgence qu'il y aurait pour lui à s'opposer à ce projet; que le préfet de Seine-et-Marne fait valoir, de son côté, la nécessité de poursuivre la mise en œuvre sans retard du programme défini par la loi du 9 septembe 2002 d'orientation et de programmation pour la justice, laquelle vise notamment à remédier à la situation de surpopulation carcérale; qu'il est contant que cette situation particulièrement grave, qui a valu, notamment, une sévère condamnation de la France par le commissaire aux droits de l'homme de Conseil de l'Europe, est de nature à justifier d'un intérêt s'attachant à ce que la construction, objet du permis de construire en litige, soit édifiée sans délai; que, dans les circonstances de l'espèce, eu égard à la prise en considération des intérêts respectifs des parties en présence, la condition d'urgence à suspendre l'exécution dudit permis ne peut être regardée comme justifiée par le syndicat requérant; qu'il y a lieu, dès lors, de rejeter la requête à fin de suspension présentée par le SYNDICAT D'AGGLOMERATION NOUVELLE (S.A.N.) DE SENART, pour défaut d'urgence
    »;


    Cette analyse apparaît difficilement contestable.

    Tout d’abord, les articles L.554-10 et L.600-3 du Code de l’urbanisme visent non pas une commune ou un EPCI mais « la commune ou l’établissement public de coopération intercommunale ».

    Il s’ensuit que l’action prévue par ces articles n’est pas indistinctement ouverte à tout EPCI ou à toute commune mais est réservée à des collectivités précises, prises dans une dimension particulière.

    Ensuite, le dispositif aujourd’hui codifié à l’article L. 600-3 du Code de l’urbanisme est issu des lois de décentralisations de 1982 et 1983 ainsi que de la loi n°95-125 du 8 février 1995, lesquelles ont ainsi visé à favoriser et à garantir l’autonomie des collectivités territoriales dans l’exercice de leurs compétences.

    Or, ce dispositif ne vise que les référés exercé à l'encontre d'un permis de construire et l’Etat, les communes et les EPCI sont les trois seules collectivités disposant d’une compétence en matière de délivrance d’une telle autorisation.

    Et précisément, force est enfin d’admettre que c’est bien en leur qualité d’autorité compétente pour la délivrance de ces autorisations que ces trois collectivités sont saisies par l’articles articles L.554-10 et L.600-3 du Code de l’urbanisme et non pas en leur qualité de personne publique garante de l’intérêt général puisque si tel était le cas on comprendrait mal pourquoi :

    - d’une part, ces articles visent l’Etat alors qu’une procédure équivalente est ouverte par le Code général des collectivités territoriales à son représentant dans le Département – le Préfet – en ce qu’il constitue le garant du principe de légalité et de l’intérêt général ;

    - d’autre part, ces articles excluent d’autres collectivités publiques, à savoir le Département et la Région.

    Mais par ailleurs, le jugement apporte une autre précision dont l’intérêt n’est pas négligeable : la procédure prévue par l’article L.554-10 du Code de justice administrative n’est pas une procédure autonome mais n’est qu’une modalité dérogatoire de mise en œuvre de la requête aux fins de référé suspension instituée par l’article L.521-1.

    Il s’ensuit que le recours à tort au dispositif institué par l’article L.554-10 n’affecte pas la requête d’irrecevabilité et, en toute hypothèse, ne saurait en emporter le rejet de ce seul chef mais a pour seule conséquence d’imposer au juge de statuer sur celle-ci dans les conditions de droit commun fixées par l’article L.521-1.


    Patrick E. DURAND
    Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
    Cabinet FRÊCHE & Associés