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L’exécution d’un permis de construire par un tiers qui n’en a pas obtenu le transfert ne peut justifier un ordre interruptif de travaux sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme

Dans la mesure où, d'une part, le permis de construire n'est pas délivré en considération de la personne qui en devient titulaire, mais en fonction du projet de bâtiment qui lui est soumis et où, d'autre part, le défaut de transfert du permis de construire au profit de l'acquéreur d'une parcelle n'est pas constitutif d'une infraction prévue à l'article L.480-4 du code de l'urbanisme, non seulement les travaux exécutés par un tiers qui n’a pas obtenu transfert du permis de construire en cause interrompent son délai de validité mais, en outre, ce défaut de transfert ne peut justifier l’édiction d’un arrêté interruptif de travaux sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme.

CAA. Marseille, 23 novembre 2006, M. X., req. n°04MA00264


Voici un arrêt qui pour appeler peu de commentaires n’en mérite pas moins d’être relevé en ce qu’il consacre une solution précédemment retenue par les Tribunaux administratif en se fondant sur un principe dégagée par la chambre criminelle de la Cour de cassation et ce, pour en faire application à une question nouvelle.

Dans cette affaire, la SCI Morgan France avait obtenu deux permis de construire sur des lots qu’elle avait ultérieurement revendus à la SCI Gugliemo. Or, lors de la phase d’engagement des travaux, le Préfet de Corse du Sud devait opposer la caducité de ces permis de construire au motif d’une interruption des travaux d’une durée supérieure à un an (art. R.421-32, al.1 ; C.urb) pour conséquemment édicter deux ordres interruptifs de travaux sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme.

Le gérant de la SCI Gugliemo, Monsieur Antonio, décidait ainsi de solliciter l’annulation de ces ordres interruptifs de travaux mais son recours devait être rejeté par un jugement du Tribunal administratif de Bastia dont il interjeta appel.

Précisément, devant la Cour administrative d’appel de Marseille, Monsieur Antonio parvint à contredire les procès-verbaux de la Direction départementale de l’équipement censés établir la caducité des permis de construire en cause par la production de constats d’huissier et de factures. Mais pour sa part, la Préfecture de Corse du Sud devait solliciter une substitution de motif et, concrètement, demander à la Cour de « valider » ses ordres interruptifs de travaux non pas en raison de la caducité desdits permis mais en considération du fait qu’ils avaient été exécutés par Monsieur Antonio alors qu’il n’en avait pas obtenu le transfert et ne pouvait donc s’en considérer titulaire.

Toutefois, ce nouveau motif devait être rejeté par la Cour administrative d’appel de Marseille pour la raison suivante :

« Considérant, il est vrai, que le ministre fait valoir que M. ne pouvait s'estimer titulaire des permis de construire initialement délivrés à la SCI Morgan France, car il n'en avait pas demandé le transfert au bénéfice de sa société ; que ce faisant, le ministre doit être regardé comme sollicitant une substitution des motifs fondant les arrêtés contestés, en soutenant que M. n'était pas bénéficiaire de permis l'autorisant à construire sur les parcelles en cause ; que cependant, d'une part, le permis de construire n'est pas délivré en considération de la personne qui en devient titulaire, mais en fonction du projet de bâtiment qui lui est soumis, et d'autre part, le défaut de transfert du permis de construire au profit de l'acquéreur d'une parcelle n'est pas constitutif d'une infraction prévue à l'article L.480-4 du code de l'urbanisme ; que, dès lors, la demande de substitution de motifs formulée par le ministre doit être rejetée ;
Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le Tribunal administratif de Bastia a écarté le moyen tiré de l'erreur de fait sur la caducité des permis de construire, présenté en première instance, pour rejeter la demande de M. ; que le requérant est, dès lors, fondé à demander l'annulation dudit jugement ainsi que celle des arrêtés n° 01-0477 et 01-0476 en date du 6 avril 2001 et n° 01-745 en date du 22 mai 2001
».

Il s’ensuit, d’une part, que la Cour administrative d’appel de Marseille a considéré que les travaux exécutés par un tiers pouvait néanmoins interrompre le délai de validité d’un permis de construire tel qu’il est régi par l’article R.421-32 du Code de l’urbanisme et ce, au motif que « le permis de construire n'est pas délivré en considération de la personne qui en devient titulaire, mais en fonction du projet de bâtiment qui lui est soumis » ; ce qui constitue, d’ailleurs, le principe en raison duquel lorsque pendant la période de validité d’un permis de construire, la responsabilité de la construction est transférée du titulaire d’origine à une ou plusieurs autres personnes, il n’y pas lieu pour l’administration de délivrer à celles-ci un nouveau permis de construire mais simplement de transférer, avec l’accord du titulaire d’origine (sur ce point : CE. 20 octobre 2004, SCI Lagona, req. n°257.690) et, le cas échéant, du propriétaire du terrain à construire (sur ce point : CE. 19 juillet 1991, Crepin, req. n°86.807), le permis précédemment accordé (sur le principe : CE. 10 décembre 1965, Synd des copropriétaire de l’immeuble Pharao-Pasteur, req. N°53.773 ; CE. 18 juin 1993, Cne de Barroux, req. n°118.690).

Compte tenu du caractère réel et non pas personnel du permis de construire, seul l’acte de construction doit être prise en compte au regard de l’article R.421-32 du Code de l’urbanisme et non pas l’auteur des travaux considérés ; étant rappelé qu’a contrario, le seul transfert d’un permis de construire ne suffit pas à interrompre son délai de validité (CE. 16 février 1979, SCI Cap Naio, req. n°03.346).

En cela, l’arrêt commenté confirme donc une solution qui, à notre connaissance, n’avait jusqu’à présent été retenue que par certains Tribunaux administratifs (TA. Nice, 13 mai 1997, SCL LE Pavillon, req. n°93-03645).

D’autre part, cet arrêt tire également les conséquences de l’origine purement jurisprudentielle de la pratique du transfert de permis de construire et de son absence de tout encadrement textuel le rendant obligatoire lorsqu’un tiers souhaite exécuter un permis de construire précédemment délivré à une autre personne dont il résulte, en l’espèce, que « le défaut de transfert du permis de construire au profit de l'acquéreur d'une parcelle n'est pas constitutif d'une infraction prévue à l'article L.480-4 du code de l'urbanisme ».

On sait, en effet, qu’eu égard au caractère réel du permis de construire et à l’absence d’encadrement textuel de la pratique du transfert, la chambre criminelle de la Cour de cassation avait précédemment jugé que (voir également : T.G.I. Grasse, 8 février 1973 - AJPI 73, II p798, note Bertrand) :

«Vu l'article L. 480-4 du Code de l'urbanisme
Attendu que le défaut de transfert du permis de construire au profit de l'acquéreur d'une parcelle n'entre pas dans les prévisions du texte susvisé ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que la direction départementale de l'Equipement du Var a constaté par procès-verbal du 24 avril 1990 qu'Alain Lhermitte et Jean-Jacques Barthe, qui avaient chacun acquis d'une SCI une parcelle de terrain en vue de l'édification d'une maison d'habitation conformément au permis de construire obtenu par le vendeur, ont entrepris les travaux de construction sans avoir obtenu une décision de transfert dudit permis de construire à leur nom ;
Attendu que pour déclarer Alain Lhermitte et Jean-Jacques Barthe coupables du délit de construction sans permis de construire, ordonner la démolition des ouvrages et dire en conséquence n'y avoir lieu à statuer sur la demande de mainlevée de l'arrêté interruptif des travaux, la juridiction du second degré retient que, si le permis de construire est attaché au projet qui a fait l'objet de la demande, et non pas à son titulaire, le transfert doit être obtenu par une décision administrative ; qu'elle relève que les 2 prévenus, qui ne pouvaient ignorer que l'acte de vente ne pouvait leur transférer le permis de construire, n'ont présenté aucune demande de transfert à l'administration compétente ; qu'elle en déduit qu'ils ne peuvent se prévaloir d'aucun permis de construire ;
Mais attendu qu'en prononçant ainsi, la cour d'appel a méconnu le texte susvisé » (Cass. crim. 29 juin 1999, pourvoi n°98-83.839).

Sur ce point, l’arrêt commenté marque donc l’intégration par le juge administratif d’un principe précédemment dégagé par le juge pénal en en faisant application aux ordres interruptifs de travaux qui ne peuvent être régulièrement fondés sur le fait que les travaux autorisés par le permis de construire sont accomplis par un tiers n’en ayant pas précédemment obtenu le transfert.

Mais pour conclure, on rappellera qu’en revanche, l’absence de demande de transfert de permis de construire peut être pris en compte par le juge des référés pour établir la réalité de l’urgence dont ce tiers se prévaut pour solliciter la suspension d’une mesure prise sur le fondement de l’article L.480-2 du Code de l’urbanisme (CE. 23 mars 2001, Sté LIDL, req. n°231.559).


Patrick E. DURAND
Docteur en droit – Avocat au barreau de Paris
Cabinet FRÊCHE & Associés

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